Streaming : Playtv.fr lourdement condamné en appel, au profit de France Télévisions
Le flux enchanté
Le 03 février 2016 à 09h59
6 min
Droit
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Le service de streaming PlayTV.fr édité par PlayMedia, se voulait vertueux. Il a loupé son coche : l'éditeur vient d'être condamné en appel à verser 400 000 euros à France Télévisions, somme qui s'ajoutent au million d'euros déjà infligé par le TGI de Paris principalement pour contrefaçon.
L’affaire est un joli sac de nœuds. Playtv.fr, site qui diffuse en streaming les flux de plusieurs chaînes de télévision, avait été mis en service en février 2009. Le business model n'était en rien comparable à un quelconque site pirate monté dans un paradis fiscal. En 2009, son éditeur avait en effet déposé un dossier au CSA pour se voir reconnaître le statut de distributeur de service de télévision. Ce statut entraîne plusieurs obligations : respect de la numérotation CSA, protection de la jeunesse, versement de multiples cotisations (Sacem, SACD, SCAM, COSIP, etc.), et surtout l’obligation de must carry. Cette dernière l'oblige à diffuser l’ensemble des chaînes publiques comme le veut la loi de 1986 sur la liberté de communication.
Seulement, un bâton s’est rapidement placé dans les roues de cette jeune entreprise innovante : France Télévisions. Le groupe a toujours refusé une telle reprise considérant que PlayMedia était hors des clous de son réseau fermé, négociés avec les titulaires de droit et l’ensemble des principaux FAI et opérateurs mobiles.
L’affaire prenait rapidement un tournant judiciaire. En octobre 2014, PlayMedia était condamné à un million d’euros de dommages et intérêts pour contrefaçon. Le tribunal de grande instance de Paris lui ordonnait également de cesser la reprise des flux de FTV. L’éditeur dénonça cette décision, contre laquelle il fit appel tout en obtenant la suspension du paiement en référé.
La mise en demeure du CSA attaquée par France Télévisions
Parallèlement, et après de longues hésitations, le CSA donnait finalement raison à PlayMedia en juillet 2015, considérant que l’éditeur avait su répondre à la totalité des obligations nées de la loi de 1986. Peut-être sensibilisé par Fleur Pellerin, le Conseil supérieur de l’audiovisuel mettait alors en demeure FTV de ne pas s’opposer à la reprise des flux. Une décision immédiatement attaquée par le groupe public devant le Conseil d’État, sur le terrain du recours pour excès de pouvoir.
En appel du jugement d’octobre 2014, PlayMedia a déroulé à nouveau ses arguments : l’obligation de reprise des chaînes publiques née de la loi de 1986 est d’ordre public. Du coup, réciproquement, elle « oblige les éditeurs de ces chaînes publiques à accepter leur diffusion par un distributeur reconnu par le CSA et leur impose d’accepter soit la reprise en dehors de tout écrit, soit la signature de conventions ». L’éditeur de Playtv.fr a épinglé aussi l’absence de convention entre Canal+ et Orange avec France Télévisions, révélateur d’une obligation de must carry.
Il a dégommé également des signes d’« arbitraire », en citant le futur service Molotov.tv, créé notamment par Pierre Lescure, et « dont le système consiste à donner accès aux programmes de télévision à partir de terminaux libres d’une “box” dans les mêmes conditions que PlayMedia ». Or, Molotov.tv « a pu signer une convention avec France Télévisions, apportant ainsi la preuve de la pratique discriminatoire de l’arbitraire par France Télévisions qui sélectionne arbitrairement les distributeurs auxquels elle choisit d’octroyer la diffusion de ses chaînes sur l’internet dans des conditions de pratique anticoncurrentielle en abusant de sa position dominante ». Bref, PlayMedia a réclamé 3 millions d'euros à titre de dommages et intérêts.
France Télévisions a contesté, bien entendu, avançant que le CSA « n’est pas une juridiction, mais une autorité administrative indépendante dont les décisions ne sont pas assorties de l’autorité de la chose jugée, le juge judiciaire n’étant pas lié par l’interprétation donnée par l’administration des textes qui lui sont soumis ». En clair, la décision du Conseil n’a pas grande portée. Elle a ajouté que « certains ayants droit (studios américains, détenteurs de droits sportifs) imposent des interdictions concernant la reprise sur l’internet “ouvert” des diffusions autorisées sur les réseaux hertziens, ou limitent ces reprises du signal hertzien aux seuls sites Internet des diffuseurs ».
Dans tous les cas, PlayMedia doit négocier avec FTV une autorisation, avant toute diffusion de ses programmes, car l’obligation de must carry n’est en rien une exception ou une limite aux droits d’auteur et droits voisins. D’ailleurs, must carry ou pas, FTV conserve son droit d’autoriser ou d’interdire ces diffusions, et la liberté de contracter avec qui elle veut.
Must carry ou pas, l'autorisation de FTV est nécessaire
La cour d’appel de Paris va donner une nouvelle fois raison à France Télévisions. Elle souligne que l’article 1 de la loi du 30 septembre 1986 « dispose que si la communication au public par voie électronique est libre, l'exercice de cette liberté par la libre retransmission des programmes audiovisuels ne peut se faire que dans le respect de la propriété d’autrui ». Joli témoignage de la toute puissance du Code de la propriété intellectuelle.
Du coup, pour les juges, sans l’autorisation de FTV, le site ne peut s’abriter sous le parapluie du must carry, et peu importe la décision du CSA, qui n’est pas une juridiction. Ils confirment donc la peine infligée à l’occasion du premier jugement, soit un million d’euros de dommages et intérêts, en y ajoutant :
- 200 000 autres euros pour contrefaçon des droits de FTV à partir du 20 novembre 2014, date à partir de laquelle PlayMedia a mis en place un nouveau système de diffusion reposant sur les liens profonds visant France Télévisions. La cour d’appel a certes pris en compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (affaire Svensson du 13 février 2014 et Bestwater du 21 octobre 2014), autorisant les liens hypertextes et le framing. Mais elle a surtout rappelé que ces deux dossiers ne concernaient que les droits d’auteur, non les droits voisins.
- 150 000 euros au titre de la concurrence déloyale.
- L’interdiction sous astreintes de liens profonds visant les chaînes du groupe FTV.
- 20 000 euros pour couvrir la publication du dispositif de la décision dans deux publications.
- 50 000 euros au titre des frais exposés.
En tenant compte du premier jugement, le total s’approche donc des 1,5 million d’euros au profit de France Télévisions.
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La mise en demeure du CSA attaquée par France Télévisions
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Must carry ou pas, l'autorisation de FTV est nécessaire
Commentaires (24)
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Abonnez-vousLe 03/02/2016 à 13h23
Le 03/02/2016 à 15h56
Le 03/02/2016 à 21h01
Quel sac de noeuds….
C’est là où l’on voit que le marché de l’audioviselle en France est une mafia devenue ingérable & intenable en 2016. Toute les petites strcutures qui veulent pénétrer ce marché se font décimer, _sauf_ celles des copains (ex: molotov, avec Lescure qui grenouille dans ce milieu depuis une éternité).
Un autre exemple c’est Wizzgo , qui lui enregistrait à distance les émissions (ce qui me paraissait une bonne idée, et d’ailleurs c’est ce que fait +/- le “replay” aujourd’hui sous une autre forme).
Dans les 2 cas il y a une volonté des acteurs en place de protéger leur mode de fonctionnement ancestral sans se remettre en cause, aidé en cela de lois complaisantes et ambiguës et de juges peu audacieux.
Cette affaire me rappelle celle de
Le 04/02/2016 à 09h57
Le 04/02/2016 à 14h06
Le 05/02/2016 à 19h35
Le 05/02/2016 à 19h41
Le 07/02/2016 à 13h57
Le 03/02/2016 à 10h09
Bon, ça sent la cassation. Question c’est suspensif en cas de cassation ?
à 2 € par mois http://playtv.fr/nos-offres/ c’est pas gagné de payer le bazar. J’avoue être particulièrement interloqué de voir FTV pousser aussi loin. Et c’est manifestement complexe, suffisamment pour avoir des avis contradictoires à chaque jugement et finallement avoir du mal savoir qui est dans son bon droit et qui est dans le sens de l’histoire (j’ai mon idée)
Maintenant, la loi c’est la loi, dure lex…
Le 03/02/2016 à 10h17
Le 03/02/2016 à 10h26
Prendre le “service publique” comme excuse pour limiter la diffusion des chaines nationales… Pas mal, on voit bien l’intérêt de FTV " />
Edit : pake en gros le résultat c’est “vous devez diffuser ces chaines publiques, et vous devez vous soumettre au bon vouloir de FTV pour respecter la PI” " />
Le 03/02/2016 à 10h28
must carry, mais FTV pour refuser la reprise de ses programmes, donc refuser l’existence de n’importe quel distributeur de service de télévision en lui interdisant de remplir ses obligations ?
Le 03/02/2016 à 10h32
Du coup si j’achète un poste de télévision pour diffuser FTV c’est de la contre-façon ?
Le 03/02/2016 à 10h33
Et du coup, molotov il n’a pas de problème ? pourquoi ?
Le 03/02/2016 à 10h40
Bah le soucis c’est que FTV achète les droits de diffusion nationnaux uniquement, et ont très certainement des obligations contractuelle de certifier que l’utilisation des contenus n’est que nationnale.
Le soucis viens pas du contenu propre, mais de tout ce qui est acheté (sport et films).
Et les droits de diffusion mondiale sont naturellement bcp plus cher (facile le double). Ca voudrais dire plus de sport, et plus de films en dehors de l’autoproduit sur FTV…
FTV a pas le doit de diffuser ne dehors de france, et playtv ne peux pas certifier qu’il remplis toutes les obligations légales qui incombent a FTV…
La forme du procès est moche, mais le fond n’a pas de solution…
Molotov n’as pas encore commencé a rellement diffuser a grande echelle, mais il y a tout a parier qu’ils auront le meme pb.
Le 03/02/2016 à 10h47
Je trouve bizarre cette attitude de la part de FTV. Pour répondre aux obligations imposées par les fournisseurs, ils pouvaient soit ignorer totalement le problème (et laisser les ayants-droit se démerder avec les pseudo-contrefacteurs), soit demander à play.tv un geoblocking (dans l’espoir que le parlement européen l’interdise sous peu).
Là, c’était même tout bénef’ pour eux puisque ça diffusait leur pub…
Le 03/02/2016 à 10h48
Merci pour la précision
Le 03/02/2016 à 10h49
Le 03/02/2016 à 11h04
Qu’un groupe de service public interdise sa diffusion par un service qui n’a rien d’un site pirate, franchement je ne comprends pas.
Mais bordel qu’est ce qu’elle fait la Fleur Pellerin et le gouvernement, y’a un moment ioù il va falloir arrêter les conneries.
Je suis pas trop libéral d’habitude mais là c’est vraiment un truc pour freiner l’économie…
certains ayants droit (studios américains, détenteurs de droits
sportifs) imposent des interdictions concernant la reprise sur
l’internet “ouvert” des diffusions autorisées sur les réseaux hertziens,
ou limitent ces reprises du signal hertzien aux seuls sites Internet
des diffuseurs
Si France TV a ce type de contrat de diffusion, faut jsute refuser des les signer… On est sur le service public, pas sur tf1…
Le 03/02/2016 à 11h17
Excellent le coup du “Must Carry” mais en fait non mais oui mais non.
Tu fais les démarches, on t’accorde le titre de distributeur donc tu dois retransmettre FTV mais FTV te le refuse, te mettant en défaut avec le status que l’état t’a accordé… tu laisses mariner tout çà tu fais trainer un peu, tu gagnes ton procès et hop du pognon dans la caisse.
Bref vive le CSA, l’état et FTV…
Le 03/02/2016 à 12h13
Il ne devrait pas y avoir d’amende pour un sac de noeuds de lois qui devaient être dénoués. Il devrait y avoir une astreinte de mise en conformité avec un délai. Je ne comprends pas le besoin de l’amende.
Le 03/02/2016 à 12h18
Le CSA ? Ok donc déjà t’as pas lu la news.
Le 03/02/2016 à 12h29
Le 03/02/2016 à 13h16
En tenant compte du premier jugement, le total s’approche donc des 1,5 million d’euros au profit de France Télévisions.
Je suis bien content de ne pas payer légalement la redevance pour cause d’absence de poste de TV chez moi quand je lis ce genre de conneries…
Surtout pour des programmes que j’ai même pas envie de regarder, même si on me paye pour ça…