iPhone verrouillé : un juge new-yorkais donne raison à Apple
Une tâche d'huile ?
Le 01 mars 2016 à 13h08
7 min
Droit
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Dans l’affaire qui oppose Apple au FBI, un juge pourrait bien avoir orienté l’issue de la confrontation. James Orenstein a décidé en effet, dans le cadre d’une autre enquête, que personne ne pouvait s’appuyer sur la loi All Writs Act pour forcer un constructeur à déverrouiller un smartphone.
Depuis environ deux semaines, la guerre est pleinement déclarée entre Apple et le FBI. L’agence fédérale enquête sur la fusillade de San Bernardino (Californie), revendiquée (mais pas commanditée) en décembre dernier par Daech. Les agents sont en possession d’un iPhone 5c contenant des données chiffrées qu’ils ne peuvent pas lire.
L'interprétation trop large de l'All Writs Act
Ils ont demandé à Apple d’extraire ces informations, ce que l’entreprise ne peut pas faire : le code de verrouillage participe à la création de la clé de chiffrement. L’un des responsables du drame, Syed Rizwan Farook, ayant été abattu lors des évènements, deviner le code s’est révélé impossible (quatre chiffres, donc 10 000 combinaisons). Le FBI a donc voulu forcer l’entreprise à créer une solution spécifique à ce smartphone pour contourner la protection.
La conception d’un tel outil est techniquement réalisable, mais pour Apple le problème n’est pas dans le code. Il est dans l’établissement d’un dangereux précédent : le chiffrement ayant été mis en place pour que personne ne puisse accéder aux données des utilisateurs – pas même elle – obtempérer reviendrait à l’avenir à traiter toutes les demandes du même acabit. La firme critique également l’utilisation qui est faite de l’All Writs Act, et c’est ici que la situation évolue.
Un juge critique sévèrement l'attitude du FBI
Pour comprendre les problématiques soulevées par Apple, il faut rappeler que cette loi de 1789 permet aux forces de l’ordre de requérir l’aide d’une personne, qu’elle soit physique ou morale. Il existe cependant des limites à son application, dont la principale : l’aide requise ne doit pas mettre en danger l’activité commerciale de l’entreprise appelée. Or, pour Apple, circonvenir ses propres mesures de sécurité reviendrait immédiatement à briser la confiance des clients, la société insistant sur ce point depuis plusieurs années maintenant.
Apple est en outre impliquée dans une douzaine d’autres affaires, dans lesquelles des iPhone sont mêlés à des enquêtes, avec les mêmes problématiques. Un juge en charge de l’une de ces affaires, James Orenstein (New York), se posait déjà en octobre dernier la question cruciale : peut-on forcer une entreprise à briser le chiffrement dans l’un de ses produits, compte tenu de l’impact potentiellement très négatif sur son image par la suite ?
Orenstein a tranché : la réponse est « non ». Dans son jugement, il indique que l’All Writs Act « ne peut être un moyen pour l’Exécutif d’atteindre un objectif législatif que le Congrès a déjà examiné et rejeté ». Il s’agit d’un camouflet important pour le FBI, car le juge reprend ici l’un des grands arcs de l’argumentaire d’Apple. La Maison Blanche a tenté en effet de faire voter la loi CALEA II, qui aurait offert ce genre de procédure sur un plateau, mais s’est heurtée au Congrès. Apple critiquait justement la semaine dernière ce mouvement : obtenir par les tribunaux, en établissant un précédent, ce qu’il avait été impossible d’installer dans un cadre législatif clair.
Des différences entre les deux affaires
Il existe cependant des différences importantes entre les deux affaires. Dans la première, et comme nous l’avions alors signalé en octobre, Apple a été invitée à donner son avis sur la demande du FBI. Le juge a donc été pleinement sensible aux arguments avancés. Dans l’affaire de San Bernardino, la demande du FBI a été réalisée ex parte, donc sans consultation de l’entreprise. Un point vivement critiqué par cette dernière.
D’autre part, l’affaire dont s’occupe le juge Orenstein concerne le trafic de drogue. Une différence de taille avec de San Bernardino, centrée sur le terrorisme et Daech. Dans un pays très sensible à ce sujet, il n’a guère été étonnant de voir dans un premier sondage que 51 % des Américains estimaient qu’Apple devait aider le FBI et ne plus bloquer l’enquête. L’agence fédérale semble cependant prête à tout pour passer en force, un point que ne manque pas de souligner le juge.
Un juge inquiet des dérives potentielles
Orenstein s’inquiète en effet de plusieurs éléments, dont celui de la surveillance : « Dans un monde où tant d’appareils […] seront connectés à l’Internet des objets, la théorie du gouvernement selon laquelle un accord de licence lui permet de forcer les constructeurs à l’aider à surveiller les utilisateurs […] aboutira à une expansion virtuellement sans limite de l’autorité judiciaire pour s’introduire subrepticement dans la vie privée ».
Autre inquiétude, faisant d’ailleurs largement écho à celle d’Apple : l’interprétation très large de l’All Writs Act faite par le FBI. Il note : « Rien dans les arguments du gouvernement ne suggère une quelconque limite de principe sur ce qu’un tribunal pourrait demander à une personne ou une entreprise pour violer les valeurs les plus profondément enracinées […] ». En clair, le FBI et le gouvernement tirent bien trop sur la corde.
Enfin, le juge rebondit lui aussi sur la crainte du précédent qui ouvrirait d’incontrôlables vannes : « étant donné l’interprétation sans bornes de l’All Writs Act par le gouvernement, il est difficile de concevoir la moindre limite dans ce qu’il pourrait bien obtenir dans le futur. Par exemple, si Apple peut être forcée à écrire un code pour contourner dans cette affaire les mesures de sécurité et créer une nouvelle accessibilité, qu’est-ce qui empêchera le gouvernement de demander qu’Apple écrive du code pour activer le microphone afin d’aider à la surveillance, activer la caméra vidéo, enregistrer furtivement les conversations ou activer les services de géolocalisation pour traquer la position de l’utilisateur ? Rien ».
Une première victoire importante, même si rien n'est garanti
Même si cette décision du juge ne garantit en aucun qu’il en sera de même en Californie, l’écho retentissant de la décision ne peut qu’inviter les autres tribunaux à examiner les arguments en balance. Et ce d’autant plus qu’Apple n’est pas seule dans cette affaire : Microsoft, Facebook, Twitter, Google et d’autres ont déjà présenté en fin de semaine dernière leurs avis (amicus curiae), tous allant dans le sens de l’entreprise à la pomme. Dans un monde post-Snowden où la sécurité est devenue un argument commercial fort, aucune ne peut se permettre de perdre la confiance des clients.
On notera tout de même que si Apple craignait une jurisprudence, c'est bien ici un précédent en sa faveur qui vient de s'établir. La décision du juge Orenstein va pouvoir dès lors rejoindre l'argumentaire de l'entreprise dans l'affaire californienne.
iPhone verrouillé : un juge new-yorkais donne raison à Apple
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L'interprétation trop large de l'All Writs Act
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Un juge critique sévèrement l'attitude du FBI
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Des différences entre les deux affaires
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Un juge inquiet des dérives potentielles
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Une première victoire importante, même si rien n'est garanti
Commentaires (39)
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Abonnez-vousLe 01/03/2016 à 14h26
C’est un peu plus subtile, il appuie la coopération d’Apple dans un cadre qui permettrait de ne pas établir un précédent trop freestyle pour les agences fédérales. Subtile, quoi.
Le 01/03/2016 à 14h27
Merci, j’avais pas vu de nouvel article depuis.
Le 01/03/2016 à 14h29
En gros sa position c’est “J’ai pas de position”. Un pied dans l’eau, mais sans se mouiller.
Comme ceux qui pensent “qu’Apple devrait communiquer les infos sur cet iPhone seulement et pas un autre”.
Le 01/03/2016 à 14h29
Une tâche d’huile ?
non, une goutte d’eau
Le 01/03/2016 à 14h30
Il a clairement dit que Apple devrait aider le FBI, mais dans des conditions extrêmement précises, comme laisser l’iPhone à Apple et qu’ils extraient les données eux-mêmes et non qu’ils donnent un programme ou l’iPhone hacké au FBI.
L’idée de Bill Gates est qu’il soit plus compliqué d’établir un précédent ou une jurisprudence, que ça reste très exceptionnel.
Le 01/03/2016 à 14h31
Le 01/03/2016 à 14h32
C’est un peu ça, sauf qu’il détaille, quand même. Mais effectivement, il la joue de façon à rester pote avec tout le monde " />
Le 01/03/2016 à 14h54
Le 01/03/2016 à 14h57
Le 01/03/2016 à 15h01
Le 01/03/2016 à 16h26
ouais enfin Billou est mitigé mais MS l’est moins.
Billou != MS depuis quelques années.
Le 01/03/2016 à 16h35
Le 01/03/2016 à 17h05
Pas très pratique au quotidien. Ce qui bouffe la batterie c’est le calcul pour recharger la pool ajouter des batteries de le rend pas plus rapide.
Et visiblement le FBI n’a pas les moyens de dessouder la puce pour y accéder autrement que par iOS.
Le 01/03/2016 à 19h49
Le 02/03/2016 à 08h35
Le 01/03/2016 à 13h14
Pomme : 1 - Poulets : 0 :yes
edit : Ecrit le juge de son iPhone… " />
Le 01/03/2016 à 13h16
Bonne attitude d’Apple.
Par ailleurs, Billou est pro-FBI dans l’affaire, ce qui est bien dommage.
Le 01/03/2016 à 13h17
En résumé, une entreprise commerciale est plus puissante dans ses décisions qu’un gouvernement élu par la population.
Accepter cette situation revient à dire que les entreprises ne sont plus assujetties aux lois si elles estiment que ça les dérange. Ben voyons.
Le 01/03/2016 à 13h21
Le petit diablotin sur mon épaule droite me dit : “ bien fait pour le FBI , ils ont poussé au chiffrement massif , maintenant ca ouin ouin parce qu’il ne peuvent pas officiellement reconnaître qu’ils l’ont déjà cracké donc ils font le buzzmumumu … ”
Le petit ange sur mon épaule droite me dit : “ je t’emmerde ” .
Raa dualité ….
Le 01/03/2016 à 13h23
Le FBI, la NSA ? Elus ?……. " />
De plus, il existe une séparation des pouvoirs entre l’exécutif (Gouv) et la Justice.
Le 01/03/2016 à 13h23
En l’occurrence l’enjeu est surtout de recadrer une vieille loi trop permissive, pas de dire qui est plus fort qu’un autre.
Le 01/03/2016 à 13h23
Le 01/03/2016 à 13h24
Bravo tu as gagné le commentaire le plus bas du front et populiste de la journée.
Le cas Apple vs FBI est une affaire complexe, la réduire à ta remarque est d’un simplisme digne d’un enfant.
Apple ne demande pas de ne pas être soumis aux lois, il conteste le fait de devoir torpiller ses propres produits et donc son business-model sous couvert d’une loi qui est interprétée de manière exagérément large dans un contexte totalement différent de l’époque où elle a été écrite.
Apple a déjà plusieurs fois collaborer avec les autorités pour rendre disponible des informations nécéssaires à une enquête et dont elle disposait sur ses servers.
Le 01/03/2016 à 13h30
Absolument pas.
Le 01/03/2016 à 13h35
Le 01/03/2016 à 13h35
Il faut une sécurité cryptographique contre le contournement du timer.
Genre une clé jetable avec x itérations et une réserve pour trois essais, après faut attendre que la pool se re-remplisse. Par contre ça boufferait de la batterie.
Le 01/03/2016 à 13h39
La séparation des pouvoirs (Exécutif, Législatif, Judiciaire), ça sert aussi et surtout à interdire à une administration d’abuser de ses pouvoirs.
D’ailleurs, Apple a bien participé au Patriot Act, donc Apple se soumet à la Loi fédérale des Etats-unis :
“La découverte du programme PRISM a surtout souligné de son côté la Section 702 de la loi FISA (Foregin Intelligence Surveillance Act), qui autorise le renseignement à puiser dans les données des utilisateurs étrangers tant qu’elles se trouvent sur des serveurs situés physiquement au sein des frontières américaines. Cette révélation, conjuguée à la puissance grandissante des offres de type « cloud », a provoqué en partie une crise de confiance, que les grands éditeurs comme Microsoft, Apple, Google ou encore Amazon tentent de circonscrire par une communication très axée sur la vie privée.”
source : Edward Snowden : « Voilà le pouvoir d’un public informé » - Next Inpact - 08/06/2015
Le 01/03/2016 à 13h41
Le 01/03/2016 à 13h41
Le FBI n’est pas le gouvernement, et n’est pas non plus élus.
En l’occurrence, dans ce cas présent un juge confirme qu’Apple n’a pas d’obligation à mettre une backdoor dans l’appareil pour respecter là loi.
Bref, relit la news, relit la constitution américaine et le principe de séparation des pouvoirs, et histoire de remettre le contexte sur les abus du FBI et de la NSA, relit les documents fuités sur Prism.
Le 01/03/2016 à 13h44
et en France Ciotti veut interdire les iPhone si Apple ne coopère pas.
Chiffrement : Eric Ciotti veut interdire la vente d’iPhone en France
Le 01/03/2016 à 13h44
Le 01/03/2016 à 13h49
Donc un juge reconnaît que la surveillance c’est une atteinte à la vie privée des citoyens.
A quand la même en France ?
Le 01/03/2016 à 13h50
Faut attendre la réélection de Sarko, pour le moment les juges sont trop occupés.
Le 01/03/2016 à 13h51
Il leur a fallu 15 ans, ca sera pour 2031 chez nous " />
Le 01/03/2016 à 13h56
bientôt un “port d’iPhone” comme il existe un port d’arme,
ou alors un “permis de téléphoner” ou un “permis de commmuniquer par voie électronique” pour éviter les comportements dangereux ou les consultations de sites web terroristes.
En fait, non, on va supprimer la liberté de réunion parce que “la 1ere des libertés est la sécurité” (sic)
Le 01/03/2016 à 13h57
Le 01/03/2016 à 14h09
lire actu -3
Le 01/03/2016 à 14h18
Le 01/03/2016 à 14h20
Ce qui m’épate dans cette histoire c’est que l’on sort une loi vieille de plus de 200 ans " />
Quitte a faire une analogie totalement foireuse (Et que j’assume complétement), pourquoi ne pas mettre une amende aux femmes circulant en pantalon dans paris ? " />
(Remarquer … ce serait une bonne idée pour combler le gouffre du budget municipal " /> " />" /> )