L’hafnium pour le stockage des données de demain ?

Non, rien à voir avec l’Hafnic

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Depuis maintenant plus de 10 ans, les chercheurs travaillent sur les propriétés ferroélectriques de l’oxyde d’hafnium pour développer le stockage de données de demain. De telles solutions proposeraient une consommation d'énergie réduite, une endurance élevée et une bonne rapidité en lecture/écriture. Reste à passer de la théorie à la pratique, ce qui n’est jamais une mince affaire.

Commençons par des présentations. L’hafnium est un « métal rare, analogue au zirconium » explique le Larousse. Il porte le numéro atomique 72 et son symbole est Hf. Le site officiel MinéralInfo ajoute qu’il « est utilisé principalement dans les superalliages pour l’industrie aéronautique et sous forme d’anode dans les torches à plasma ».

Quelques informations ensuite sur ce métal. « Il n’y a pas de mine d’hafnium à proprement parler. La production primaire est métallurgique et obtenue à partir de résidus obtenus lors de la purification du zirconium sous forme de métal. Les principaux pays de production d’hafnium sont la France et les États-Unis », peut-on également lire. Il est classé comme ayant une « forte criticité » pour la France. Elle pourrait s’aggraver si l’hafnium devait être davantage utilisé.

Le comportement ferroélectrique de l’hafnium

Et donc, quel rapport avec notre choucroute sur le stockage des données ? On y vient et on va pour cela citer la thèse de Terry François à l’université d’Aix-Marseille (soutenue en novembre 2022) sur la « caractérisation électrique et analyse de mémoires non-volatiles embarquées à base de matériaux ferroélectriques ».

Le chercheur y rappelle que, « depuis les années 2000, les diélectriques à base d’hafnium sont couramment utilisés pour les applications CMOS en raison de leur forte permittivité. Ils font maintenant partie des lignes de fabrication conventionnelles pour les plateformes de nœuds 28 nm et au-delà ». L’oxyde d’hafnium (HfO₂, alias hafnia ou hafnie) est utilisé comme isolant à la place de l’oxyde de silicium SiO₂. Bref, ce composant n’est pas inconnu dans l’industrie, loin de là.

Mais, en 2011, une découverte a chamboulé les perspectives et donné un second intérêt à l’hafnium : ce matériau peut, dans certaines configurations, présenter un comportement ferroélectrique. Ce dernier est intéressant pour des solutions de stockage, rappelle le CNRS : « les matériaux ferroélectriques présentent une polarisation électrique spontanée, qui peut être maintenue sans consommation d’énergie et renversée à l’aide d’impulsions électriques ». On parle donc de mémoire non volatile, comme les disques durs et les SSD, mais pas la mémoire vive qui s’efface lorsque la machine n’est plus alimentée en courant.

Des travaux sur les performances et la fiabilité

Depuis donc maintenant un peu plus d’une dizaine d’années, le hafnium est étudié de près. Le CEA, par exemple, proposait cette année un sujet de thèse sur l’« évaluation des performances et de la fiabilité des mémoires ferroélectriques à base d'oxyde d'hafnium pour une intégration vers les nœuds avancés ».

Dans le descriptif, le centre de recherche explique que, « pour éviter une augmentation significative de la consommation d'électricité mondiale due au stockage [des données produites au niveau mondial, en perpétuelle augmentation, ndlr], il est nécessaire de développer des technologies mémoires non volatiles performantes, économes en énergie et denses ».

Et justement, la mise en lumière de ferroélectricité dans l'oxyde d'hafnium (HfO2) « a suscité un intérêt marqué tant au niveau scientifique qu'industriel pour les mémoires ferroélectriques ». Parmi les avantages mis en avant par le CEA, on retrouve une consommation d'énergie réduite, une endurance élevée et de la rapidité lors de l'écriture et de la lecture. Aucun chiffre précis n’est donné, mais ces perspectives ont déjà de quoi susciter un fort intérêt pour cette technologie auprès des chercheurs, mais aussi des industriels.

Robustes, rapides, économes…

Cela va en effet dans le sens des déclarations du professeur Sobhit Singh du département de génie mécanique de l’université de Rochester : « Actuellement, pour stocker des données, nous utilisons des formes de mémoire magnétiques qui sont lentes, nécessitent beaucoup d’énergie pour fonctionner et ne sont pas très efficaces. Les formes ferroélectriques de mémoire sont robustes, ultrarapides, moins chères à produire et plus économes en énergie ».

En 2022, l’ANR proposait des appels à projets sur le domaine suivant : « Dopage et physique des défauts pour l'optimisation des propriétés électriques de l’oxyde d’hafnium ferroélectrique ». Ces dispositifs étaient là aussi présentés comme de possibles « mémoires non-volatiles ultra-basse consommation ».

… mais difficile à fabriquer pour le moment

L’ANFR explique que l’oxyde d’hafnium et de zirconium (HfxZr1-xO2) est le matériau le mieux adapté « pour fabriquer des couches ferroélectriques ultra-minces (10nm) possédant une polarisation rémanente élevée », mais que « cet alliage nécessite la présence de lacunes d’oxygène (VO) […] et montre des problèmes de fiabilité ».

Le but du projet de recherche était d’explorer une nouvelle voie, « en étudiant la structure atomique et électronique du dioxyde d’hafnium (HfO2) ». C’est un des enjeux de l’hafnium : trouver la bonne chimie pour que le stockage des données puisse se faire dans les meilleures conditions possibles.

Sobhit Singh et son équipe cherchent également à passer ce cap : « Jusqu’à récemment, les scientifiques ne pouvaient amener l’hafnia à son état ferroélectrique métastable qu’en le filtrant sous la forme d’un mince film bidimensionnel d’épaisseur nanométrique ». En 2021, ils ont trouvé un moyen pour « l’hafnia de rester à son état ferroélectrique métastable en alliant le matériau avec de l’yttrium et en le refroidissant rapidement », une méthode qui n’est pas non plus sans inconvénients (les détails se trouvent par ici).

Ils ont ensuite identifié « une nouvelle approche […] améliorant considérablement la qualité et la pureté des cristaux de hafnia ». Ils cherchent maintenant « un moyen de produire de l’hafnia ferroélectrique en vrac pour une utilisation généralisée ».

Vers de la 3D NAND à plus de 1 000 couches chez Samsung ?

Enfin, la ferroélectricité de l'hafnium et son intérêt pour le stockage seront à l’honneur de la conférence VLSI à Honolulu au mois de juin, comme le rapporte WccfTech. Des chercheurs de Samsung y parleront de l’avenir de la mémoire NAND 3D (QLC) avec plus de 1 000 couches, contre quelques centaines actuellement. De quoi voir une application pratique de la part d’un constructeur ?

Samsung ne donne pas le nombre exact, mais il serait question de 290 couches pour la 9ᵉ génération de V-NAND (NAND 3D) et de 430 couches dès l’année prochaine avec la 10ᵉ génération. Il est donc question de plus que doubler la densité. Selon les auteurs, leur travail apporterait la preuve que cette technologie « peut jouer un rôle clé dans le développement technologique de la V-NAND 3D, qui approche actuellement d’un état de stagnation ».

Reste maintenant à transformer l’essai. La multiplication des travaux et l’ouverture de nouvelles thèses et recherches sur le sujet laissent penser que l’on avance dans le bon sens. Personne ne semble pour le moment s’aventurer à annoncer une date pour que les premiers échantillons de mémoire HfO₂ arrivent sur le marché.

Commentaires (13)


Y'a que moi que ça étonne qu'on se dise "tiens, utilisons un matériau rare et critique pour le futur du stockage" ?
Je veux dire : ne serait-il pas plus judicieux de chercher à faire du stockage à l'aide de matériaux moins "efficaces" mais plus abondants (à moins sue ce soit déjà le cas des technologies actuelles) ?
Je le faisais exactement la même réflexion. Après cela n'empêche pas des utilisations plus confidentielles
C'est un question de proportion, combien de tonnes ça représenterait si on faisait tous les ssd avec ce métal rare. Vu qu'il est peu utilisé il n'est peut être pas si rare que ça pour cette utilisation. Et c'est comme tout, si c'est trop rare donc trop cher il ne sera utilisé que dans les application pro et/ou militaire ou pas du tout. Je ne pense pas qu'on soit dans les même proportions que les batteries pour voiture électrique par exemple.
Modifié le 30/05/2024 à 23h27

Historique des modifications :

Posté le 30/05/2024 à 23h26


C'est un question de proportion, combien de tonnes ça représenterait si on faisait tous les ssd avec ce métal rare. Vu qu'il est peu utilisé il n'est peut être pas si rare que ça pour cette utilisation. Et c'est comme tout si c'est trop rare donc trop cher il ne sera utilisé que dans les application pro et/ou militaire ou pas du tout. Je ne pense pas qu'on soit dans les même proportions que les batteries pour voiture électrique par exemple.

Je me suis dit la même chose mais en regardant sa fiche l'abondance du hafnium dans la croûte terrestre est de 5,8 ppm (partie par million c'est-à-dire un millionième).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hafnium

HS : Mine de rien souvent je peste contre wikipedia mais des fois c'est quant même bien pratique.

refuznik

Je me suis dit la même chose mais en regardant sa fiche l'abondance du hafnium dans la croûte terrestre est de 5,8 ppm (partie par million c'est-à-dire un millionième).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hafnium

HS : Mine de rien souvent je peste contre wikipedia mais des fois c'est quant même bien pratique.
L'abondance ne veut pas dire grand chose. Par exemple, le néodyme est beaucoup plus abondant que hafnium tout en étant une terre rare (i.e. très peu concentrée) : ça rend son exploitation assez difficile, puisqu'il faut retourner des tonnes de terre et de roche pour en extraire quelques grammes exploitables.

À l'inverse, l'argent est bien moins abondant, mais on le trouve en général dans des gisements où il est concentré donc facile à extraire.
Si les métaux rares sont explorés, c'est AMHA que la propriétés physiques/chimiques de ceux-ci rendent leurs avantages supérieurs à la difficulté d'approvisionnement, que les chercheurs connaissent certainement mieux que vous & moi.

La pluralité des manières de faire ne propose-t-elle pas d'élargir le spectre des ressources rares utilisées, permettant à terme de peut-être basculer entre les différentes sources, au fur et à mesure des tensions d'approvisionnement/géopolitiques ?

De ce que je lis, les sources d'approvisionnement de zircon semblent positionnées dans des pays dont beaucoup seraient peu/pas hostiles à moyen/long-terme.

Berbe

Si les métaux rares sont explorés, c'est AMHA que la propriétés physiques/chimiques de ceux-ci rendent leurs avantages supérieurs à la difficulté d'approvisionnement, que les chercheurs connaissent certainement mieux que vous & moi.

La pluralité des manières de faire ne propose-t-elle pas d'élargir le spectre des ressources rares utilisées, permettant à terme de peut-être basculer entre les différentes sources, au fur et à mesure des tensions d'approvisionnement/géopolitiques ?

De ce que je lis, les sources d'approvisionnement de zircon semblent positionnées dans des pays dont beaucoup seraient peu/pas hostiles à moyen/long-terme.
La pluralité des manières de faire ne propose-t-elle pas d'élargir le spectre des ressources rares utilisées, permettant à terme de peut-être basculer entre les différentes sources, au fur et à mesure des tensions d'approvisionnement/géopolitiques ?


Je pense que c'est un argument de poids par rapport aux autres.
De ce que je lis, les sources d'approvisionnement de zircon semblent positionnées dans des pays dont beaucoup seraient peu/pas hostiles à moyen/long-terme.


Voire sur notre territoire national.
Je comprends très bien le fond de ta remarque et je suis plutôt d'accord sur le principe général.

Maintenant, un élément à prendre en compte, c'est que l'on ne cherche pas à extraire l'hafnium en tant que tel. C'est un résidu issu de l'extraction d'un autre métal que l'on exploite. Si ce résidu n'est pas exploité, qu'en fait-on ? Donc, en trouver une utilisation me semble plutôt une bonne chose.

Après, c'est là situation actuelle. Mais avec le paradoxe de Jarvons, on pourrait très vite avoir l'effet contraire et une recherche de l'exploitation de l'hafnium en tant que tel, avec donc la recherche de mine par exemple. On passerait donc du statut de recyclage à générateur de pollution. C'est l'écueil sur lequel il ne faudrait pas tomber.

fdorin

Je comprends très bien le fond de ta remarque et je suis plutôt d'accord sur le principe général.

Maintenant, un élément à prendre en compte, c'est que l'on ne cherche pas à extraire l'hafnium en tant que tel. C'est un résidu issu de l'extraction d'un autre métal que l'on exploite. Si ce résidu n'est pas exploité, qu'en fait-on ? Donc, en trouver une utilisation me semble plutôt une bonne chose.

Après, c'est là situation actuelle. Mais avec le paradoxe de Jarvons, on pourrait très vite avoir l'effet contraire et une recherche de l'exploitation de l'hafnium en tant que tel, avec donc la recherche de mine par exemple. On passerait donc du statut de recyclage à générateur de pollution. C'est l'écueil sur lequel il ne faudrait pas tomber.
À priori, l'article indique que c'est déjà utilisé pour autre chose.
Il est classé comme ayant une « forte criticité » pour la France. Elle pourrait s’aggraver si l’hafnium devait être davantage utilisé.


Ce qui m'inquiète, c'est qu'on est menacés de pénurie de certains éléments, et j'ai pas l'impression que réduire ce risque soit la priorité.
Après, j'ai rien contre faire de la recherche et trouver de nouvelles utilisations d'un matériaux : ça me fait surtout bizarre qu'on cherche de nouvelles utilisations à un matériau déjà utilisé et qui est déjà assez peu produit ou tellement important pour être "critique".
Modifié le 01/06/2024 à 15h17

Historique des modifications :

Posté le 01/06/2024 à 15h17


À priori, l'article indique que c'est déjà utilisé pour autre chose.

Il est classé comme ayant une « forte criticité » pour la France. Elle pourrait s’aggraver si l’hafnium devait être davantage utilisé.


Ce qui m'inquiète, c'est qu'on est menacés de pénurie de certains éléments, et j'ai pas l'impression que réduire ce risque soit la priorité.
Après, j'ai rien contre faire de la recherche et trouver de nouvelles utilisations d'un matériaux : ça me fait surtout bizarre qu'on cherche de nouvelles utilisations à un matériau déjà utilisé et qui est déjà assez peu produit/important pour être "critique".

Il semble donc à la lecture de cet article que la sobriété n'est toujours pas à l'ordre du jour ... :craint:
Boire ou conduire, il faut choisir.

fred42

Boire ou conduire, il faut choisir.
Ben là j’ai l’impression qu’on conduit bourré tout droit dans le mur.

PS : bon choix pour l’heure de ton commentaire :D
Beaucoup de choses avant que ce nouveau matériau soit utilisé pour une production de masse. Et comme toujours, au final c'est le rapport coût/performance/avantage sur les solutions actuelles qui feront ou ne feront pas.
Déjà si ça se retrouve dans des trucs spatiaux (satellite sonde etc...) y a une chance que ça devienne grand public. Tant que ça n'y est pas c'est de la recherche appliquée.
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