Plutôt que de climatiser ses serveurs, Neutral-IT fournit du chauffage
chauffe-eau numérique
Le 16 février 2023 à 13h46
8 min
Sciences et espace
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Nous nous sommes rendus dans la chaufferie d’un immeuble d’habitation d’Arcueil pour comprendre comment fonctionnent les « chaudières numériques » de Neutral-IT, qui proposera à partir de mars une nouvelle offre d’hébergement web dédiée aux particuliers.
Comment construire des serveurs écologiquement responsables ? Que faire de la chaleur que les machines dégagent lorsqu’elles tournent ? Voilà dix ans que Christophe Perron travaille sur la question. Après sa première entreprise, Stimergy, l’entrepreneur a fondé Neutral-IT, en 2019. Le principe : proposer, d’un côté, des « chaudières numériques » à des collectivités pour chauffer leur eau sanitaire, et, de l’autre, l’hébergement web et les machines virtuelles qui, en sollicitant les serveurs, émettront les calories de chaleur nécessaire.
Pour être précise, les serveurs de Neutral-IT servent à des fonctions de préchauffage. « La gestion de la partie production, c’est un autre métier, ce sont les chauffagistes qui s’en occupent » explique Christophe Perron. Cette répartition du travail permet aussi de pallier les nécessaires évolutions de production, qui font varier la chaleur produite en fonction du nombre de clients de la partie numérique, du type de sollicitations portées sur les processeurs, etc.
« En gros, on peut envisager le fonctionnement de notre système comme celui du solaire thermique, mais en version informatique » : selon les périodes, les serveurs dégageront plus ou moins de chauffage et les besoins restants seront complétés par les chaudières classiques dont est équipé chaque bâtiment. Cela permet aussi d’assurer les éventuelles opérations de maintenance sur les serveurs sans que cela ait d’impact sur l’eau chaude rendue disponible aux habitants.
Dans la chaufferie que nous visitons, dans un bâtiment d’Arcueil qui compte une trentaine de logements, « on assure un peu plus de la moitié du chauffage de l’eau, cet hiver. » Sur les six premières semaines de 2023, Neutral-IT a déjà fourni l’équivalent de 14 MWh de chaleur. En moyenne, précise son fondateur, « on produit entre 30 et 60 % du chauffage de l’eau », en fonction de la taille du bâtiment et de la saison.
Réemploi de la chaleur dégagée par les processeurs
Le système de Neutral-IT est relativement simple à comprendre : les serveurs sont plongés dans un bain d’huile, liquide caloporteur « quatre fois plus efficace que l’air », précise Christophe Perron. Ceci permet à l’entreprise de récupérer 96 % de la chaleur émise pour l’envoyer dans les tuyaux qui s’échappent de la baie, vers un ballon de préchauffage.
D’une quinzaine de degré à température ambiante, l’eau grimpe ainsi autour de 45 °C avant d’être transférée à la chaudière de production. L’intérêt, du système est double : cela sert aux usagers, et cela évite au fournisseur de services d’investir dans des systèmes de climatisation. Dans un data center classique, ce poste peut représenter jusqu’à 30 ou 40 % des dépenses énergétiques, rappelait Scaleway en 2020. « Pour nous, ça représente de grosses économies d’électricité », confirme Christophe Perron.
La question du refroidissement du matériel informatique impose tout de même quelques conditions supplémentaires, en particulier sur les lieux où les « chaudières numériques » de Neutral-IT peuvent être installés. Que le bâtiment soit neuf ou ancien, cela importe peu, tant qu’un espace est disponible pour disposer les serveurs, les raccorder au système de chauffage et pouvoir évacuer la chaleur en cas de surproduction.
« Dans ces cas-là, en général, on évacue vers les parkings, explique Christophe Perron. Il y a certains bâtiments avec lesquels on ne peut pas travailler, car ils nous obligeraient à évacuer vers l’extérieur », ce qui poserait des enjeux techniques supplémentaires, pour éviter que la tuyauterie ne souffre en cas d’épisodes de gel, notamment.
Réduction des coûts d’infrastructure pour des prix d’hébergement abordables
Il faut préciser, aussi, que les baies de Neutral-IT sont de taille relativement réduite - les salles serveurs s’échelonnent de 4 à 24 kW. « Par rapport à un data center classique, cela nous permet de ne nous reposer que sur de l’équipement standard, donc de réduire encore une fois nos coûts », indique Christophe Perron.
Par ailleurs, l’entreprise a fait le choix de s’équiper en matériel reconditionné, pour réduire l’impact écologique de ses produits (dans les centres informatiques, la fabrication est responsable de 83 % des émissions de gaz à effet de serre selon une étude de GreenIT.fr). Selon une analyse de cycle de vie conforme à la norme ISO 14044 et réalisée par ledit GreenIT.fr, cela permet à la société d’afficher 49 % moins d’épuisement des ressources naturelles qu’un hébergement standard et 62 % de consommation d’énergie primaire en moins.
Comparées à celles d’un hébergeur tiers / data center avec un indicateur d’efficacité énergétique de 2, les émissions de gaz à effets de serre (GES) sont aussi nettement moins élevées chez Neutral-IT, grâce aux économies réalisées sur la climatisation et le matériel reconditionné d’abord. Par ailleurs, remplacer une partie du chauffage de l’eau au gaz par du chauffage issu de serveurs branché sur l’électricité peu carbonée française fait aussi réduire la facture d’émission de gaz à effet de serre du bâtiment qui utilise une chaudière numérique. Cela permet à Neutral-IT d’afficher une économie de 113% d’émission de GES.
En bout de chaîne, le business model de Neutral-IT repose sur deux pieds. D’un côté, la vente de son installation (rack de serveurs, intégration au système de chauffage et garantie) aux collectivités. « La chaleur, elle, est gratuite. »
De l’autre, celle de services d’hébergements et de la location de machines virtuelles (basées sur KVM) au prix de 35 euros par mois (pour 4 cœurs, 12 Go de RAM et 40 Go de SSD) à 180 euros par mois (pour 24 cœurs, 72 Go de RAM et 200 Go de SSD), ainsi que de clusters de machines virtuelles. Neutral-IT propose aussi la mise en place de clouds on-premise, puisque sa technologie permet de « déployer un argumentaire de souveraineté à la fois technique et énergétique », détaille Christophe Perron.
Vers de nouveaux segments de clientèles
Actuellement, Neutral-IT dispose de quinze centres de données répartis entre la région parisienne, Lyon, Lille et Nantes. À la question de la sécurité des données – les salles de serveurs, après tout, sont installées dans des chaufferies, dans lesquels des personnels non spécifiquement IT peuvent circuler –, Christophe Perron répond : « nos services ne sont pas faits pour accueillir des données sensibles, mais ce n’est pas le type de clientèle que nous visons ».
Les données classiques qu’héberge l’entreprise restent sécurisées (ça fait partie du métier) : l’entreprise a mis en place les systèmes de cybersécurité classiques (isolation des services, firewall, chiffrement des disques) et suit les préconisations de l’ANSSI.
Pour ce qui est de la sécurité matérielle, non seulement la redondance est assurée, mais Christophe Perron souligne aussi que la distribution des infrastructures en plusieurs points géographiques assure une forme supplémentaire de sûreté : « s’il y a une fuite quelque part, c’est un rack installé dans une autre ville qui prendra le relais ».
À l’heure actuelle, Neutral-IT déclare travailler avec une trentaine de clients, dont une bonne partie d’agences web, ce qui lui permet d’héberger plusieurs milliers de sites. Certaines machines peuvent être utilisées pour miner des cryptoactifs, « mais c’est ponctuel ».
Le défi de l’entreprise reste d’augmenter sa clientèle sur la partie numérique, enjeu qu’elle compte notamment relever en lançant une nouvelle offre, début mars, pour les particuliers : « des free-lances ou des très petites entreprises nous contactent régulièrement parce qu’elles cherchent des solutions d’hébergement avec une préoccupation écologique ».
Dans quelques semaines, Neutral-IT proposera donc un hébergement qui permettra, en quelques clics, d’obtenir un nom de domaine et un hébergement pour créer un site sous WordPress, pour 10 euros par mois. Avec une ambition : concurrencer l'offre d'hébergement d'OVH par l’angle environnemental.
Plutôt que de climatiser ses serveurs, Neutral-IT fournit du chauffage
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Réemploi de la chaleur dégagée par les processeurs
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Réduction des coûts d’infrastructure pour des prix d’hébergement abordables
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Vers de nouveaux segments de clientèles
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 16/02/2023 à 14h10
Approche assez intéressante et au final très rationnelle. Je pense que c’est une bonne idée.
La distribution des sites est à la fois un avantage — cité dans l’article — et un inconvénient (centralisation de la maintenance) mais cela peut aussi générer des emplois répartis sur le territoire national et peut être aussi inciter au développement de ce genre d’installations dans des zones moins denses (donc moins sujettes aux îlots de chaleur) ou extra-métropolitaines.
Le 16/02/2023 à 14h12
Intéressant ce genre de systèmes, j’ai quand même l’impression qu’on en voit de plus en plus, c’est plutôt encourageant.
Par contre niveau fiabilité ca doit pas être totalement ça… Alors OK pas de donnée sensible, mais a force de grandir ca va quand même multiplier les liaisons et les sites d’intervention.
J’imagine bien une norme d’ici quelques années avec des serveurs intégrés à chaque bâtiments avec une VM ou du stockage pour chaque locataire, le tout redondé avec un bâtiment de la ville voisine, avec récupération de l’énergie produite, et revente du surplus
Le 16/02/2023 à 14h16
En 2013, il y avait eu Qarnot : sait-on si ça existe encore ?
Le 16/02/2023 à 14h26
Plutot que de réduire sa production de CO², la centrale à charbon fournit des extincteurs.
Alors certes, c’est mieux de transférer la chaleur dans de l’eau/chauffage que de la rejeter dans l’air (et créer des points chauds). Mais ca me laisse un arrière gout de tour de passe-passe.
Le 16/02/2023 à 14h40
Plus je regarde cette comparaison, moins je la comprends. Le sujet de l’article c’est la récupération et l’exploitation d’une énergie là où autrement elle serait dissipée. Qu’y a-t-il de commun entre cette situation et ton histoire de centrale et d’extincteurs ?
Le 16/02/2023 à 14h46
Ils ont frits, ils ont tout compris !
Le 16/02/2023 à 17h01
J’ai ris
Le 17/02/2023 à 06h20
C’est le sous-titre qu’il faut pour l’article
Le 20/02/2023 à 09h08
+1
Le 16/02/2023 à 15h01
Qarnot est la marque utilisée pour le business “calcul intensif”, et Qalway la marque pour le business “chauffage”.
Ils ont même un joli brevet déposé en 2010 :
https://worldwide.espacenet.com/patent/search/family/042827310/publication/EP2521884B1?q=EP2521884B1
Le 16/02/2023 à 16h34
Merci (il y a deux liens vers Qarnot dans l’article, je les avais zappés…)
Edit : pas vraiment compris la phrase
Le 16/02/2023 à 15h14
Et du coup, si on utilise Rust au lieu de Java, les gens meurent de froid?
Le 16/02/2023 à 15h23
Le problème de départ c’est l’énorme quantité de chaleur produite par les Data Center, et c’est a mon sens celui sur lequel on devrait se concentrer: produire moins de chaleur.
La solution proposée ici (transférer la chaleur vers des chaudières) n’a de sens que si elle permet de réduire le nombre de chaudières traditionelles actuellement en exploitation. Sinon on ne fait qu’un tour de passe-passe comptable.
Tout comme capturer le CO² pour en faire des extincteurs ne serait qu’un tour de passe-passe concernant la réduction de l’émission de CO². Car on n’est pas en manque d’extincteur !
Le 16/02/2023 à 15h40
Si ton eau chauffe en partie par le biais des serveurs, elle ne chauffe pas par le biais du système de chauffe traditionnel, donc celui-ci consomme moins d’énergie (Electricité ou gaz surement?).
Et réutiliser la chaleur produite n’empêche pas en parallèle de travailler sur la réduction de cette chaleur. On va tendre vers une augmentation des DC encore, donc tu pourras juste en mettre plus sur un même système.
Le 16/02/2023 à 15h24
Joli !
Le 16/02/2023 à 16h13
Oui, j’ai bien compris le principe:
Je dis juste que cette solution ne consiste pas a réduire la quantité de chaleur produite par le data-center, juste à la transférer ailleurs afin de préchauffer de l’eau. Le gain est donc coté consommateur car il n’aura besoin de réhausser la t° de l’eau que de seulement 15°.
Et je ne suis pas bien certain de l’efficacité de la solution: une fois que le ballon tampon a atteint les 45°C/50°C, il n’y a plus de dissipation de chaleur dans l’eau froide (obviously) et la data-center doit évacuer lui même son air chaud (“Délestage” sur le schéma).
Donc tout dépend de l’utilisation du ballon tampon: s’il est beaucoup utilisé, il va se remplir d’eau froide et la dissipation va fonctionner. S’il est peu utilisé, il reste plein d’eau chaude et la dissipation ne fonctionne pas.
Par exemple, je ne suis pas bien certain de l’efficacité en plein été avec un eau “froide” qui est à 25°C et des gens qui ne sont pas très enclin à utiliser de l’eau chaude.
Le 16/02/2023 à 16h37
Ah bien sûr, je reste sceptique comme toi sur les performances en été, et selon les usages et consommations. Mais comme je le disais, ce n’est pas parce qu’on va réutiliser de la chaleur qu’on ne peut pas travailler à la réduire.
Surtout que dans le cas présent, on est sur du matériel reconditionné. Même si tu trouve une solution pour que le tout consomme moins et donc produise moins de chaleur, le temps qu’elle soit déployée, il peut se passer plusieurs années.
Le 16/02/2023 à 16h15
héhéhé
Le 16/02/2023 à 16h30
L’energie n’est pas produite
Elle est consommee.
Quand au surplus (de consomation? ou de chaleur ? ), il doit etre evacue dehors a coups de clims, c’est de la revente a perte donc ?
Le 16/02/2023 à 16h39
récupération de la chaleur produite alors ;)
“revente du surplus” > Surplus d’espace sur les serveurs du bâtiment.
Mais c’était juste le fruit d’une imagination :)
Le 16/02/2023 à 17h10
On pourrait aussi penser au chauffage, pour les logements ayant un chauffage au sol…
En partant du postulat d’avoir une “réduction” d’energie pour chauffer l’eau aka eau déjà chauffé par ces datacenters, ça ouvre un champ des possibles. Après c’est sûr, les logements avec chauffage tradi au gaz ou électriques ne peuvent pas passer à ce système (sauf à exploser ses sols, chose moyennement compatible en immeubles )
Le 16/02/2023 à 17h47
Avec la hausse des cryptos, ils vont avoir trop chaud ^^
Le 16/02/2023 à 17h52
Tu considères que la production de chaleur est un problème en soi ? Ou bien c’est la consommation d’électricité sous-jacente (avec ses conséquences en termes d’émissions de GES) qui pose problème ?
C’est bien le cas d’après ce qu’on lit, non ? “ Sur les six premières semaines de 2023, Neutral-IT a déjà fourni l’équivalent de 14 MWh de chaleur. En moyenne, précise son fondateur, « on produit entre 30 et 60 % du chauffage de l’eau », en fonction de la taille du bâtiment et de la saison. ”
Le chauffage issu du datacenter vient remplacer en partie le fonctionnement des chaudières des bâtiments concernés.
Après, à plus large échelle, on peut disserter sur les effets de rebond, mais dans le cas d’espèce j’ai l’impression que ça marche comme attendu.
Ben à la limite, si le CO2 va dans des extincteurs plutôt que dans l’atmosphère c’est toujours ça de pris, même si les extincteurs ne servent à rien. Mais plus important, la différence avec l’article c’est bien que la chaleur récupérée du DC représente autant d’énergie qui n’a pas besoin d’être produite dans une centrale électrique, possiblement fossile. Du moins en principe.
Le 16/02/2023 à 18h27
Le pb c’est la chaleur car il faut la dissiper, peu importe que l’électricité soit verte ou pas.
Sur le papier ils préchauffent de l’eau de 15° à 45°, puis le consommateur chauffe de 45° à 60° avant de se doucher. Donc effectivement ils ont chauffé +30° (45-15) sur les +45° (60-15), soit 66%.
Mais en réel, ca donne quoi. J’ai pas trouvé de chiffres factuels sur les installations équivalentes, genre Dalkia qui fait ca depuis +10 ans (google: Dalkia Val d’Europe)
Le 16/02/2023 à 23h59
Je me demande comment ont-ils réglé le problème d’usure du plastique avec l’huile calorifique utilisée. En tous cas ce n’était pas le cas chez Stimergy (nom de l’entreprise avant neutral-IT).
Je vois qu’il a revu ses ambitions à la baisse car en 2017 il visait le calcul distribué, edge computing, sauvegarde distante et même un partenariat avec alibaba. On en était à peine aux prémices de déploiement de Proxmox + ceph avant que les investisseurs ne l’abandonnent.
Concernant le circuit de préchauffe de l’eau, ça fonctionnait bien, ca permettait à la piscine de la butte aux cailles de faire de sacrée économies de chauffage de l’eau, et les serveurs étaient utilisés par la ville de Paris.
Le 17/02/2023 à 06h15
“Pour être précisE, les serveurs de ….”
1ère fois en 13 ans d’abonnement à PCI & NXI que je vois l’usage du féminin appliqué ici !
Bravo ! Ça change un peu ! Une petite touche féminine dans ce monde de ….geeks
Le 17/02/2023 à 07h52
Très intéressant comme article (et comme démarche). Merci
Le 17/02/2023 à 15h18
+1
Le 19/02/2023 à 09h04
Waow, ça vient de faire ma journée, bravo, Flock pourrait la reprendre samedi !
Edit: la news est de vendredi, on est dimanche…