[Édito] L’importance de bien citer et vérifier ses sources
Exclu : sur le darkweb, un fichier de 10 000 lignes avec tous les codes de CB !
Pourquoi est-ce important de citer ses sources ? Déjà, car c’est une marque de respect envers vous, lecteurs, mais également des confrères. Ensuite, cela permet de vérifier une information et/ou en trouver d’autres. Et non, il n’y a aucune honte à citer des confrères, un communiqué ou n’importe quelle source, bien au contraire !
Le 16 février à 18h02
13 min
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Prenons un exemple récent : le « piratage de la CAF ». Lundi, le groupe de pirates Lulzsec affirmait avoir piraté la CAF et détenir des données personnelles. En guise de preuve, quatre captures d’écrans de quatre comptes, accompagnées de la promesse d’en détenir pas moins de 600 000 autres.
Un tweet, un emballement médiatique
L’emballement médiatique est rapide. D’autant que les données personnelles de la moitié des Français ont été compromises suite à des fuites chez Viamedis et Almerys, deux prestataires du tiers payant. Pour ajouter à la psychose, le site de la CAF était en maintenance lundi soir. Problème, cet emballement s’est basé dans un premier temps sur des messages du groupe Lulzsec sur les réseaux sociaux. Mais, peut-on faire confiance à un groupe de pirates ?
Le lendemain, mardi 13 février, la CAF publie un communiqué confirmant la « violation des données de quatre allocataires »… et rien de plus. La Caisse explique que, « après vérifications, aucune faille de sécurité n’a été détectée » sur son site. Les quatre comptes « publiés par les pirates ont manifestement été consultés suite à piratage du mot de passe ».
La CAF, après une première enquête, réfute donc le piratage et parle d’une « tentative de piratage ». Ce n’est pas la même chose. Elle confirme une violation de données dans le sens où des informations d’allocataires ont été mises en ligne. Les mots de passe proviendraient d’une autre fuite de données. On a ainsi pu voir passer des articles parlant de piratage de la CAF avec un lien vers le communiqué de la CAF réfutant le piratage.
Quand une source se « trompe », il reste l’esprit critique
C’est bien beau cette histoire, mais quel est le lien avec cet édito ? Les sites d’informations ne mettent pas toujours bien en avant la source (que ce soit le groupe de pirates ou le communiqué de la CAF dans l'exemple précédent) afin que tout un chacun puisse vérifier l’information. C’est bien regrettable.
Ce n’est, en effet, pas la même chose de se fonder sur les affirmations d’un groupe de pirates – qui a tenté un coup de poker avec seulement quatre cartes en main – et sur un communiqué officiel. Dans les deux cas, il faut néanmoins rester prudent.
On a pu voir avec l’affaire Fortinet et les brosses à dents « zombies » que même des affirmations censées être vérifiées peuvent ne pas refléter la vérité. Il y a plus longtemps, lors de la faille Heartbleed, des entreprises ont affirmé haut et fort ne pas avoir été touchées, alors que nous avions la preuve du contraire. À cela vient s’ajouter le défi de la vulgarisation, comme dans le cas de crypter/chiffrer.
Les baratins font bon ménage avec le putaclic, moins avec les sources
C’est aussi ça le travail du journaliste. Ne pas faire aveuglément confiance, vérifier, recouper, se documenter, contacter, revérifier, etc. avant de publier un article… ou le laisser de côté. C’est ce qui s’est passé dans un premier temps avec les brosses à dents à cause de plusieurs incohérences dans le récit.
Dans notre cas, cela arrive de manière récurrente de laisser de côté une actualité faute de confirmation, souvent à raison. C’est possible, car nous avons depuis longtemps laissé de côté la course à l’information pour privilégier la qualité à la quantité et l’instantanéité, avec tous les risques et les ratés que la précipitation peut entrainer.
Mais, pour certains, une information, une contre-information, l’avis d’experts (plus ou moins légitimes), un point sur la situation, cela fait de multiples actualités sur un même non sujet. Avec potentiellement une multiplication du nombre de vues. C’est d’autant plus « rentable » avec la loi de Brandolini, alias « le principe d'asymétrie des baratins ». Elle explique que « la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des sottises […] est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ».
En extrapolant un peu à la presse, une actualité sur des « baratins » va beaucoup plus vite à écrire et attire plus de visiteurs, surtout si on mélange le tout avec du putaclic. À contrario, une actualité prenant le temps de vérifier les faits et les exposer proprement demande plus de temps et d’énergie. Souvent pour un nombre de visites moins élevé. Pour les sites misant sur la publicité, le calcul est vite fait.
Il arrive bien souvent qu’il n’y ait rien à dire tellement les sottises sont grosses. C’est une autre question qu’on se pose parfois à la rédac : faut-il prendre du temps pour débunker cette fake news ? Généralement, ce genre d’articles ne possède pas de source (ou alors, elle est bien cachée) car il serait sinon très facile de débusquer le pot aux roses (complétement fanées et en cours de putréfaction). On évite de perdre du temps sur un château de cartes construit sur des « baratins ».On se concentre sur de vraies informations.
« Respecter la vérité »
Rappelons que vérifier une information fait d’ailleurs partie des devoirs et des droits des journalistes, comme stipulé dans la Charte de déontologie de Munich. Dans les devoirs, il est indiqué qu’il faut « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même ». Le journaliste doit aussi « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents ».
Citons aussi le fait de « rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte ». Sur ce point, on se dit que ce n’est pas toujours gagné. Par exemple, six ans après le changement de définition du kelvin, de la mole et de l’ampère par le Bureau international des poids et mesure, on retrouve toujours des mentions de la « taupe » à la place de la mole – y compris sur des sites où cette information est derrière un paywall – à cause d’une erreur de traduction. Puisque oui, mole en anglais signifie taupe en français, mais dans le cas présent cette mole représente une quantité de matière.
L’importance de citer la source de manière propre et visible
La Charte de Munich précise aussi que les journalistes doivent « garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ». Le mot important ici est « confidentiellement ». Lorsque la source est publique, elle doit être citée et bien mise en avant. Pourquoi c’est crucial ?
Déjà pour permettre à tout un chacun de vérifier d’où vient l’information : un autre site, un confrère, un communiqué, un gus sur les réseaux sociaux, une source, mon petit doigt, etc. Ensuite, pour multiplier les informations et plonger dans les détails.
Il y a également des cas où un journaliste ne va traiter qu’un angle. Prenons celui d’un long rapport de plusieurs centaines de pages sur divers sujets. Sur Next par exemple, on va se concentrer sur la partie en lien avec le numérique, mais il peut y avoir bien d’autres verticales qui pourraient intéresser d’autres journalistes.
Le contraire est aussi vrai. Au détour d’une information en dehors du numérique, on peut remonter à une information nous conduisant à écrire un article dans notre ligne éditoriale. À citer ses sources, tout le monde y gagne… sauf ceux qui ont des choses à cacher.
Citer ses sources : la base du respect
Et non, planquer la source dans la page (après l'actualité, en dessous de publicité, avec un lien plus ou moins caché…) n’est pas une bonne pratique. Citer la source d’une information est une marque de respect. Au contraire, la cacher peut revenir à s’approprier le travail des autres.
Sur certains sites, on pourrait presque croire que citer la source de l’information et la mettre en avant est une pratique contre-nature, même si cela devrait être la règle !
Sur Next (INpact à l’époque), nous avions publié un article expliquant comment une intelligence artificielle avait cassé le chiffrement RSA sur 2048 bits grâce au deep learning. Publier une actualité un 1ᵉʳ avril, cela mettait la puce à l’oreille. Mais plusieurs lecteurs ont remarqué qu’il manquait la source, ce qui était évidemment problématique et à l’encontre de nos pratiques.
« L’article est bien ficelé mais aucune source n’est citée, notamment on n’a pas le nom de l’équipe de chercheur ou du labo de recherche. C’est trop inhabituel », expliquait Nozalys. « Joli papier, mais le manque de sources est fatal » pour hellmut. « C’est clair que sans source… hum hum ^^ » pour maxxyme.
Sur les réseaux sociaux, même combat avec les « créateurs de contenu »
Et, on ne parle ici que des actualités, mais le problème est bien plus large. Sur les réseaux sociaux, c’est la jungle. On cache souvent du copier/coller de contenus sous une fausse excuse : trend ou tendance.
Certains « créateurs de contenus » reprennent allègrement celui d’autres, sans les citer, avec parfois comme excuse « vue sur le Net » ou « c’est une trend ». Pire encore, il arrive qu’aucune mention ne soit présente, comme si c’était un contenu original. Pourtant, il y a une personne qui a eu cette idée, qui a écrit ce texte, qui l’a scénarisé, etc.
Là encore, citer la source est le minimum de respect qu’on peut attendre, mais elle a malheureusement tendance à disparaitre. Pourquoi ? Difficile à dire, mais nous avons quelques pistes. Essayer de garder sa communauté (surtout ne pas la renvoyer vers quelqu’un d’autre). Faire croire qu’on a des idées. Surfer sur le succès d’un autre en espérant en profiter, etc.
À peu de chose près, c’est la même chose sur les sites d’actualités.
Un conseil : vérifiez et recoupez…
Au risque de nous répéter, citer la provenance d’une information est une marque de respect envers ses lecteurs. Lorsque l’information provient d’une source confidentielle, la protéger est un devoir, ce qui n’empêche pas de l’indiquer.
On connait bien la formule « source proche du dossier souhaitant rester anonyme ». Cela ne veut pas dire qu’il faut la croire sur parole pour autant, mais son identité doit être protégée. Le lecteur doit alors faire confiance au journaliste, qui a déjà fait ses preuves… même si tout le monde peut se tromper. Il faut dans ce cas faire amende honorable, rectifier le tir au plus vite et l’indiquer clairement dans l’actualité.
On parle ici de cas généraux avec des exemples flagrants, mais ce manque de transparence se retrouve trop souvent. Si on devait vous donner un conseil, ce serait de vérifier la source et de recouper l’information. Attention, ce n’est pas toujours suffisant et il faut faire attention de ne pas tomber dans le piège inverse : « Si rien ne vient contredire une information, c’est qu’elle est vraie ». Non !
… mais gardez votre esprit critique
Vice publiait en fin d’année (via Henk van Ess) un long papier – se basant sur une publication scientifique dans Nature – expliquant pourquoi, selon des scientifiques, « "faire ses propres recherches" » conduit à croire à des complots ».
Imaginez plusieurs sites publiant une même fake news farfelue. Vous tombez sur une actualité, effectuez des recherches sur un moteur et tombez sur les autres sites qui la reprennent en boucle. Si personne n’a encore contredit ces âneries, vous pouvez avoir l’impression d’une vraie information. En cas de doutes, vous pouvez vous laisser convaincre…
Dites-vous bien que les médias sérieux ne vont pas passer sous silence l’arrivée d’extra-terrestres sur Terre, la propagation du Covid par les antennes 5G, la pilule contre le cancer, j’en passe et des meilleures. Si une information paraît trop belle pour être vraie et n’est reprise presque nulle part, c'est qu'elle est probablement fausse.
Attention au phénomène d’amplification, alias le copier/coller
A contrario, la problématique de la reprise en masse d’une information vient frapper à la porte pour se rappeler à notre bon souvenir. Prenons une fausse information, au hasard, la mort de Martin Bouygues par l’AFP. Elle a rapidement été reprise en masse par de grands sites de presse pour être « les premiers ».
Une personne effectuant une vérification sur un moteur de recherche croule alors sous les annonces et la machine s’autoalimente via les réseaux sociaux. Néanmoins, ce n’était pas le cas : « il y a bien un monsieur Martin qui est mort ce matin, mais ce n'est pas Martin Bouygues […] Le journaliste m'a parlé de cette mort et j'ai confirmé que Monsieur Martin était décédé ».
Il n’y a pas de solution miracle. L'absence d'information contradictoire pourrait laisser penser que c’est vrai et c’est la même chose avec des actualités dans tous les sens pour faire le buzz. C’est pour cela que nous avons quitté il y a des années cette course effrénée, et que nous mettons un point d’honneur à citer les sources !
[Édito] L’importance de bien citer et vérifier ses sources
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Un tweet, un emballement médiatique
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Quand une source se « trompe », il reste l’esprit critique
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Les baratins font bon ménage avec le putaclic, moins avec les sources
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« Respecter la vérité »
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L’importance de citer la source de manière propre et visible
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Citer ses sources : la base du respect
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Sur les réseaux sociaux, même combat avec les « créateurs de contenu »
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Un conseil : vérifiez et recoupez…
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… mais gardez votre esprit critique
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Attention au phénomène d’amplification, alias le copier/coller
Commentaires (17)
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Abonnez-vousLe 16/02/2024 à 18h25
Et vu la notoriété du sujet, il était difficile de penser que la nouvelle était fausse ou qu'il fallait la vérifier.
Le 16/02/2024 à 21h25
À la mort d'Isao Takahata, toutes les nécrologies comportaient les mêmes erreurs.
Forcément des pants entiers des articles n'étaient que du copié/collé.
Et tous les grands médias s'en sont donnés à cœur joie.
De mémoire le seul papier qui ne comportait ni erreur ni copié/collé, c'était celui de La Croix.
(Si vous reconnaissez mon avatar, vous comprenez pourquoi j'ai pris cet exemple. )
Donc quand une Martin Bouygues survient, ça leur met tous le nez dans leur caca de médias d'informations qui ne font pas le job qu'ils prétendent faire et qui justifie pourtant qu'ils aient une audience.
En un mot comme en cent: Cheh!
Le 17/02/2024 à 10h03
Une agence de presse qui ne serait pas un tiers de confiance, verrait sa nécessité même réduite à peau de chagrin.
Aux consommateurs de cette source d’information d’en faire bon usage mais je comprends qu’un papier issu de l’AFP ait pu être pris pour argent comptant. Certes personne n’est à l’abris de l’erreur, c’est une leçon, mais si on ne peut plus s’appuyer sur ces source avec un degré de confiance très élevé, cela remet en question l’existence même de l’agence de presse.
Modifié le 17/02/2024 à 11h06
NB: les plus rigoureux des journalistes et rédactions font forcément des erreurs à un moment ou à un autre.
Le 17/02/2024 à 11h58
Dans le cadre de l’exemple évoqué de la mort de Martin Bouygues, je présuppose qu’il s’agissait d’une dépêche de type alerte et non d’un article de l’AFP. Les alertes sont généralement des textes courts, factuels, qui demandent bien entendu d’être confirmés et étayés et non recrachés tels quels pour que le terme de journaliste puisse être employé pour celui qui en fait un article de presse.
Nous parlons de sources et l’AFP en est une des plus réputées et utilisée en France pour tout un tas de sujets. Cette réputation passe nécessairement par un historique de fiabilité, sans lequel elle ne serait pas ce qu’elle est. La question de la fiabilité n’est pas anodine : elle peut s’installer entre un journaliste et ses sources individuelles. Si ces dernières se démontrent comme n’étant plus fiables ou rompent le contrat de confiance, alors la relation disparaît et il s’agit de passer à d’autres sources. Mais en attendant, il faut bien que le dit journaliste s’appuie sur des sources, plus ou moins fiables (sauf à inventer). Et l’AFP, bien que non exempt d’erreurs épisodiques, fait partie des sources réputées fiables car elles jouent leur existence même sur cette fiabilité.
Selon l’expression consacrée, la confiance n’exclue pas le contrôle. Cependant, sauf à vivre dans une paranoïa maladive, il est important d’avoir des raccourcis de confiance sans quoi on n’écrit pas des articles de presse d’actualité mais des bouquins d’investigation bien après les faits, en ayant le temps de décortiquer l’ensemble des faits et des sources possibles, à la lumière du temps passé et de la multiplication de celles ci post événement.
Le 19/02/2024 à 09h11
Modifié le 16/02/2024 à 18h57
L'info spectaculaire et polémique, la rumeur qui passe répondent à des besoins d'audience, que ce soit à but politique (convaincre rapidement, positions binaires) ou à but commercial (régie publicitaire qui finance l'info).
Le 16/02/2024 à 19h07
Le 16/02/2024 à 19h14
Modifié le 16/02/2024 à 19h22
il n'y a plus d'enquêtes, mais des conjectures.
il n'y a plus d'experts, mais des militants/lobbyistes.
il n'y a plus de journalistes, mais des chroniqueurs.
#SadButTrue
Le 16/02/2024 à 22h09
Le 17/02/2024 à 08h56
https://frenchspin.fr/2023/12/rdv-jeux-324-game-awards-et-controverses/
Le 17/02/2024 à 12h20
Le 17/02/2024 à 19h49
Quitte à parler complot, autant ne pas oublier ce cher compteur vert
Le 18/02/2024 à 18h25
Certes, on peut se tromper, mais quand cette information a été démentie par les autorités, aucun média n'a dénié présenter ses excuses, juste dire : "on s'est trompé, on va essayer de s'améliorer". Tout ça, juste pour être le premier. Le premier sur quoi ? Sérieux, ça n'a aucun sens.
Donc je trouve que cet édito fait du bien et rappelle quelques règles élémentaires de journalisme. Devrait-on envoyer ce texte à l'ensemble des rédactions ? :-)
Modifié le 18/02/2024 à 18h52
Dans un cas comme cela, le seul moyen de s'améliorer est de ne rien publier, mais si l'info avait été vraie, tu aurais peut-être reproché aux médias de n'avoir rien dit.
Édit : Le Parisien est revenu sur cette histoire et explique que 5 sources dans la police française avaient confirmé l'information.
Le 18/02/2024 à 21h01
Non, car les faits divers ne m'intéressent pas trop. Maintenant, ça me rends encore plus méfiant envers les médias aux ordres.
Ensuite, tout le monde a le droit à l'erreur, OK les sources étaient sûres, mais du coup j'aurais bien voulu entendre des excuses et ne pas subir les sempiternels : "oui mais nous, on a fait confiance aux autorités/au Parisien/autre...".