Espace et pollution : illustration parodiant une scène du film E.T avec un camion poubelle

Bientôt un EspaceX en France ?

Avec le New Space, de nouveaux marchés et enjeux de souveraineté

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Le New Space on en entend souvent parler (notamment pour SpaceX et Blue Origin), mais c'est bien plus large que cela. La France et l'Europe sont à la traine, comme le pointe un rapport de l'Assemblée nationale. C'est pourtant un élément important de souveraineté au niveau européen… et français au sein de l'Europe.

Dans la première partie de notre dossier sur le rapport parlementaire sur « sur l’avenir de l’industrie spatiale européenne », nous nous sommes penchés sur la position de la France et de l'Europe face aux américains et aux chinois. Les investissements, la recherche et les (non) prises de risques étaient au programme. Dans cette seconde partie, nous allons nous intéresser au New Space.

Le New Space, c'est quoi ?

Le New Space, selon le rapport, correspond à « une évolution du rôle de la puissance publique dans le domaine spatial ». Pour le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (alias GIFAS), le New Space est la rencontre entre « les intérêts de la puissance publique qui préférait acheter des services pour ne pas avoir à supporter l’intégralité des coûts de développement et des acteurs privés qui voyaient dans cette approche la possibilité de valoriser sur un marché commercial des capacités également financées par des programmes institutionnels ».

Un principe gagnant-gagnant sur le papier, qui n’est pour autant pas synonyme de retrait de la puissance publique du domaine spatial. « Elle traduit plutôt une nouvelle coopération entre puissance publique et secteur privé, dont Space X est le meilleur exemple. Cette entreprise, leader en matière de lanceurs réutilisables, repose en effet massivement sur la commande publique américaine (prix des lancements trois fois plus élevés sur le marché institutionnel que sur le marché classique), ainsi que sur des transferts de technologies publiques (moteurs Merlin, développés par la NASA) ».

L'Agence spatiale américaine continue d'avancer sur ses projets, notamment avec la mission Artemis qui doit renvoyer des humains sur la Lune, mais aussi avec de la recherche fondamentale. Les astronautes de la NASA sont par exemple envoyés dans la Station spatiale internationale par des fusées et des capsules SpaceX, qui joue donc le rôle de transporteur.

Là encore, les États-Unis et l’Europe ne jouent pas du tout dans la même cour, avec un rapport de 1 à 10 sur les revenus institutionnels de lancement en 2022. Le budget annuel consacré au spatial sur le vieux continent est de 14,5 milliards de dollars, bien loin des 62 milliards de dollars outre-Atlantique, selon le rapport. Le tableau ci-dessous dresse un triste état des lieux en Europe par rapport aux États-Unis.

Les services en orbite, le nouvel Eldorado ?

Toujours plus de lancements et de satellites, cela ouvre la voie à un nouveau marché de services en orbite : « inspection ponctuelle des satellites ou débris spatiaux, opérations de remorquage, ravitaillement ou maintenance en orbite permettant d’améliorer la durée de vie des satellites, gestion de la fin de vie des satellites etc. ». Le rapport rappelle que, dans le cadre du plan France 2030, un appel à projets a été lancé (avec Bpifrance et le CNES) pour ce marché.

Autre marché en expansion : la valorisation des données spatiales, dont les pouvoirs publics ont (enfin ?) pris conscience. « Les usages potentiels ou éprouvés, s’étendent du suivi d’émissions de polluants à la caractérisation d’ilots de chaleur, en passant par l’intelligence économique et financière (Quantcube) ([38]) la mobilité digitalisée (CLS) ou encore la cartographie 3D (Geosat) ».

Pour le rapport, la stratégie d’investissement de la France doit se focaliser sur trois grands axes : l’accès autonome à l’espace, le développement des constellations (il faut se dépêcher, car le nombre de places est limité) et le soutien aux acteurs du New Space français. Nous avons déjà longuement expliqué pourquoi.

Ne pas copier SpaceX ni livrer une guerre européenne

Pour les rapporteurs, il n’est pas trop tard, d’autant que « l’histoire de la politique spatiale européenne a fait la démonstration de la capacité des Européens à surmonter les difficultés ». Ils mettent néanmoins en garde contre deux écueils : « vouloir copier le modèle américain, très spécifique, à l’appui du succès supposé de Space X » et « vouloir promouvoir une compétition accrue et maximale entre les États membres au risque d’affaiblir la solidarité européenne en matière spatiale ».

Les États devraient avancer unis plutôt que chacun tire la couverture à soi. Plus facile à dire qu'à faire, d'autant que tout le monde n'était déjà pas d'accord sur Ariane 6 (nous allons y revenir juste après).

On arrive à la quatrième recommandation du rapport : « Promouvoir la convergence des États-membres sur les ambitions de la politique spatiale européenne tout en restant lucide vis-à-vis de la « nouvelle donne » à l’œuvre sur les lanceurs ».

« Les retards pris doivent être résorbés »

Le rapport se félicite du compromis signé à Séville sur le financement d‘Ariane 6 (et de Vega-C), alors que certains états voulaient tourner la page pour passer par des solutions extra-européennes. Cela ne doit pas cacher une réalité : « Il n’en demeure pas moins que les retards pris doivent être résorbés puisqu’ils ont des impacts massifs sur l’ensemble des lancements envisagés, tant sur le plan civil que militaire ».

Pour assurer le financement sur les prochaines années, l’Agence spatiale européenne s’est engagée à acheter quatre vols institutionnels par an à Ariane 6 et trois à Véga-C pour lancer des satellites européens. En contrepartie, deux choses : un engagement ferme des industriels à réduire leurs coûts de l’ordre de 11 % et « une concurrence ouverte entre États membres sur la prochaine génération de lanceurs de petite taille ».

Deux recommandations (5 et 5 bis) concernent cette partie : « Réaffirmer pour l’Europe une ambition forte d’un accès autonome et souverain à l’espace » et « relancer dès aujourd’hui les réflexions sur le lanceur lourd européen successeur de Ariane 6 ». Plusieurs pistes sont sur la table concernant la suite : Ariane 6 « Evolution » ou directement Ariane Next réutilisable, par exemple.

« Personne ne peut dire si Ariane 6 sera réutilisable » dans ses prochaines évolutions, expliquait Philippe Baptiste, président du CNES, lors d'une conférence en septembre 2022. Il ajoutait aussi que « la question de savoir si on a besoin d’un lanceur réutilisable n’est pas triviale ».

Plusieurs projets autour du réutilisable sont dans les cartons. Le démonstrateur Themis et le moteur Prometheus évidemment, mais aussi Susie d’ArianeGroup, un dernier étage réutilisable pour Ariane 64 (la version avec 4 boosters, d'où son nom), et Space Rider, une navette spatiale réutilisable européenne dont le vol inaugural est prévu pour 2024.

Pour le rapport, l’Europe doit aussi se doter d’un cargo spatial pour ne pas dépendre de ses « partenaires ». Un appel d’offres va être lancé pour ce genre de service vers la Station spatiale internationale et le retour du fret sur Terre, à horizon 2028.

Quid de la présence militaire française dans l’espace ?

Le rapport en profite pour faire un état des lieux des satellites militaires français en orbite. Ils sont sept (huit si on ajoute le prochain satellite CSO), « qui couvrent l’ensemble du spectre des besoins des armées en matière de renseignement (CERES), d’observation (CSO) et de communication (SYRACUSE IV) ».

Comme indiqué sur l'image ci-dessous, trois satellites CERES sont en orbite, deux CSO (le troisième arrive cette année normalement… si un lanceur est disponible) et deux Syracuse IV. Pour lancer des satellites militaires, avoirs ses propres lanceurs est évidemment un atout important.

Au sol, nous avons le radar GRAVES (Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale) pour la détection de satellites en orbite basse, développé par l'ONERA pour le compte de la Délégation générale pour l'Armement.

Des enjeux importants de souveraineté

Ce n’est pas suffisant pour autant car « l’Union européenne dispose aujourd’hui d’une capacité de surveillance estimée à environ 5 % de la capacité des États-Unis, en raison d’investissements et de moyens capacitaires bien inférieurs ».

Cette dépendance stratégique « n’est pas satisfaisante pour l’Union européenne, ce d’autant que la localisation de certains objets n’est pas rendue publique dans le catalogue américain pour des raisons d’ordre stratégique ». L'Europe doit pouvoir cartographier l'espace en toute indépendance pour vérifier les orbites de ses satellites, éviter les collisions… sans dépendre d’un partenaire. Comme on l’a vu avec la Russie, la situation géopolitique peut très rapidement changer.

On arrive donc à la sixième recommandation : « Renforcer les moyens capacitaires de EU SST (European Union Space Surveillance and Tracking) pour garantir à l’Union une autonomie stratégique en matière de surveillance de l’espace ».


La France doit assurer « une vision propre » sur la souveraineté

La souveraineté à tous les niveaux est importante, y compris pour la France au sein de l'Union européenne. « La défense d’une France spatiale souveraine est également un enjeu diplomatique interne au sein de l’Union européenne. La France doit assumer d’avoir une vision propre sur la souveraineté de l’espace […] L’exemple récent de l’action de l’entreprise Starlink en Ukraine témoigne de l’importance de défendre une souveraineté institutionnelle dans l’espace, afin d’éviter que des entités privées ne s’arrogent des parcelles de souveraineté et viennent jouer en conséquence un rôle proto-étatique, qui n’est pas le leur ».

Commentaires (8)


Merci pour ce genre d'articles, toujours dégustés par celles et ceux qui ont la tête dans les étoiles !
C'est clair que la compétition devrait être entre entreprises et non entre états. Mais qui a activement empêché pendant longtemps (jusqu'à ce qu'il soit trop tard) tout essor du spatial privé en Europe ? La bureaucratie française.
Modifié le 24/01/2024 à 17h21
Tiens, je ne savais pas que le moteur Merlin venait de la NASA.
Du coup, je comprend encore moins comment Space X est encore déficitaire : moins de R&D, des commandes assurées, payé le triple… Et c'es pas rentable ?

Je préfère autant que les pays soient souverain, maîtrise de bout en bout la chaîne, et fassent les choses (relativement) correctement, plutôt que filer ça a une boite privée qui va dire YOLO, et viser le commercial à tout prix.
Le moteur Merlin n’a pas été développé par la NASA, il a été développé en interne par SpaceX, grosse erreur de l’article, j’espère qu’une correction sera publiée : https://en.m.wikipedia.org/wiki/SpaceX_Merlin

Schismatrice

Le moteur Merlin n’a pas été développé par la NASA, il a été développé en interne par SpaceX, grosse erreur de l’article, j’espère qu’une correction sera publiée : https://en.m.wikipedia.org/wiki/SpaceX_Merlin
quand il y a une grosse erreur dans un article, il est possible de la sélectionner et de la signaler. Si le signalement est sourcé (dans le cas d'une erreur factuelle), et si Vincent en a le temps, on peut s'attendre à une vérification et une correction assez rapide.
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J'ai signalé l'erreur par l'outil approprié. Inutile de le faire dans les commentaires dans un cas comme celui-ci.
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