Le président de l’Assemblée veut constitutionnaliser la neutralité du Net et l’Open Data
Clair et Net
Le 12 janvier 2018 à 11h14
7 min
Droit
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Alors que la réforme constitutionnelle est attendue pour cet été, François de Rugy s’est positionné hier en faveur d’une introduction de la neutralité du Net et d’un droit d’accès aux informations publiques dans la norme suprême. Le président de l’Assemblée nationale souhaite par ailleurs revoir le droit de pétition.
Un mois à peine après avoir reçu les premières conclusions des sept groupes de députés chargés de plancher sur la réforme de la machine parlementaire, François de Rugy a détaillé lors de ses vœux à la presse, jeudi 11 janvier, les propositions d’ordre constitutionnel qu’il s'apprête à « défendre » dans les semaines à venir.
Le président de l’Assemblée nationale entend naturellement peser dans le projet de révision préparé par le gouvernement, lequel devrait être « discuté par les assemblées au cours du premier semestre » – si l’on en croit les récentes déclarations du premier ministre, Édouard Philippe.
« Mon ennemi, notre ennemi, c’est la défiance ! La défiance politique, civique et démocratique, a lancé François de Rugy. C’est le sens des réformes que j’ai engagées ici à l’Assemblée nationale et de celles qui seront à l’ordre du jour du premier semestre 2018, à commencer par la réforme de la Constitution. »
Tout en revenant sur plusieurs mesures phares (diminution du nombre de parlementaires, simplification de la navette parlementaire...), l’ancien élu écologiste a longuement insisté sur un nécessaire regain d'ouverture du Parlement à la société civile.
La commission des lois chargée de se pencher sur une réforme du droit de pétition
« Nous avons aujourd'hui besoin d'instiller dans nos institutions des logiques plus horizontales, qui correspondent mieux au fonctionnement de nos sociétés et aux aspirations d'un grand nombre de citoyens » a fait valoir le président de l’Assemblée nationale, en référence notamment aux consultations en ligne. Avant de souligner : « Si la démocratie participative ne saurait se substituer à la démocratie représentative, nous devons permettre la participation des citoyens dans le processus de fabrication de la loi ».
François de Rugy plaide ainsi pour « la création d’un processus d’interaction directe entre les citoyens et leurs représentants ». Cela pourrait passer, « par exemple, par une profonde transformation du droit de pétition » – outil aujourd’hui guère utilisé auprès de l’Assemblée nationale.
« Il faut (...) qu'une forte mobilisation des citoyens déclenche automatiquement un droit d’interpellation de la représentation nationale » estime le président de l’Assemblée nationale. L’intéressé a d’ailleurs présenté quelques seuils à partir desquels la réponse des parlementaires devrait selon lui être systématique :
- Une pétition recueillant plus de 10 000 signatures « bénéficierait d’une réponse de la commission compétente ou du rapporteur d'un texte de loi ».
- À partir de 100 000 signatures, les auteurs de la pétition « seraient entendus par la commission compétente qui organiserait un débat et pourrait prendre une initiative législative ou de contrôle ».
- Au-delà du million du signatures « et si 1/10ème des parlementaires soutenait l'initiative, un débat serait automatiquement inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ».
Pour déterminer quel serait le rôle du Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans ce projet de réforme – étant donné que l’institution est elle aussi compétente en matière de pétitions – François De Rugy a annoncé que la commission des lois de l'Assemblée nationale allait « engager une réflexion » sur ce dossier au fil des prochaines semaines. Ses propositions seront connues « au cours du premier trimestre 2018 ».
Faire entrer le numérique dans la Constitution
Suivant la logique du rapport du groupe de travail sur la « démocratie numérique », présenté fin décembre par Paula Forteza (LREM), le président de l’Assemblée a expliqué que les citoyens ne pourraient jouer de « rôle actif » dans le processus de fabrication de la loi « que s’ils ont par ailleurs pleinement accès à l’information, pluraliste et de qualité » :
« Je propose donc d’inscrire dans la Constitution un droit d’accès aux informations publiques, dans les conditions prévues par la loi – comme cela existe dans des pays nordiques notamment depuis plusieurs décennies, parfois même depuis plusieurs siècles – et de reconnaitre le numérique comme un droit fondamental, en promouvant un accès libre, égal et universel aux réseaux numériques. »
« Cela reviendrait concrètement à constitutionnaliser ce que l’on appelle la neutralité du Net », a précisé François de Rugy.
Ces deux droits sont d’ores et déjà reconnus au niveau législatif. Depuis la loi « CADA » de 1978, tout citoyen peut obtenir, sur demande, un document détenu ou produit par une administration (ministère, commune, autorité indépendante, hôpital, établissement public...). Cela concerne aussi bien les rapports, les statistiques ou les délibérations que les notes de frais ou les codes sources de logiciels. Bien entendu, dans certains cas de figure, les acteurs publics ont légitimement le droit de faire barrage à cette transparence : secret défense, protection des données personnelles, secret industriel et commercial... Quant à la neutralité du Net, elle est officiellement reconnue depuis la loi Numérique de 2016.
Graver ces deux droits dans le marbre de la Constitution n’apportera pas nécessairement de changement pratique, mais pourrait rendre plus difficile un éventuel retour en arrière législatif.
Des annonces plutôt bien vues par les associations
L’association Regards Citoyens, qui milite pour un meilleurs accès aux informations et données publiques, se réjouit ainsi de cette prise de position. « Inscrire le droit à l'information dans la Constitution aiderait à combler certaines lacunes du droit français – qui est un droit d'accès aux documents, non un droit d'information [si l'on ne connaît pas l'existence de tel ou tel document, ndlr] » explique Tangui Morlier, co-fondateur de l’organisation, joint par nos soins. Cela pourrait par ailleurs faciliter le règlement judiciaire de certains litiges dans lesquels l'administration rechigne à ouvrir ses informations.
L’intéressé dit toutefois se méfier des promesses de la nouvelle majorité en matière de transparence, l’exemple de la réforme des frais de mandat des députés ayant suscité beaucoup de déception (voir notre article).
« Il n’y a aucun besoin de modification législative ou constitutionnelle [s’agissant de la neutralité du Net, ndlr]. Il faut laisser le temps au cadre actuel de se mettre en œuvre » a de son côté réagi la Fédération française des télécoms, citée par Le Monde. Quant à Benjamin Bayart, président de la Fédération des fournisseurs d'accès à Internet associatifs et co-fondateur de La Quadrature du Net, il juge que « l’idée est assez bonne, parce que la neutralité du Net relève des libertés fondamentales. Mais l’articulation en droit est complexe : la Constitution organise le fonctionnement et l’équilibre des pouvoirs, elle vise l’État et pas tellement les règles de business. Une formulation trop vague n’aura qu’une portée symbolique » prévient-il.
Dans son rapport (PDF), la députée Paula Forteza proposait de compléter l’article premier de la Constitution par un nouvel alinéa selon lequel :
« La loi garantit l’accès libre, égal et universel à des réseaux numériques ouverts et la formation des citoyens à leur utilisation. »
Elle préconisait également l’introduction de cet autre alinéa, dédié au droit à l’information :
« Les citoyens ont le droit d’accéder et de réutiliser les informations à caractère personnel les concernant, les informations détenues par les autorités publiques et les informations utiles à un débat d’intérêt public, dans les limites et les conditions fixées par la loi. »
La complexité du processus de révision de la Constitution laisse plus que jamais penser que les débats ne font que commencer.
Le président de l’Assemblée veut constitutionnaliser la neutralité du Net et l’Open Data
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Commentaires (27)
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Abonnez-vousLe 12/01/2018 à 11h42
Tu as raison dans le sens où le préambule de la Constitution de 1958 édicte des principes fondamentaux. Mais faut-il que la Constitution de la République française ressemble à celle des États-unis d’Amérique avec une liste d’amendements hétéroclites et parfois paralysants quand on veux réformer la Société (je pense à la liberté de circulation des armes à feu) ?
Il est relativement facile d’ajouter des alinéas à un texte fondamental, il est plus difficile d’en modifier ou d’en supprimer un mot.
Le 12/01/2018 à 11h47
Le 12/01/2018 à 12h10
Le 12/01/2018 à 12h17
Droit constitutionnel aux réseaux numériques ? Et l’eau potable ? Une alimentation de base ? C’est moins important ?
Le 12/01/2018 à 12h28
Tout le monde n’est pas de ton avis tu sait, heureusement que la constitution est difficile a changer.
Le 12/01/2018 à 12h30
On demande une 6éme république moins monarchique, et ils nous font une 5éme république 2.0 pour noyer la démocratie " />
Le 12/01/2018 à 12h38
Perso je vois plus les libertés de s’informer, de communiquer, inscrites dans la Constitution, qu’une référence technique. Le “numérique” reconnu comme un droit fondamental, c’est bien aujourd’hui, mais qui dit que dans 150 ans ça s’appelera pareil ? C’est comme si en 1950 on avait reconnu “l’analogique” comme droit fondamental, cela n’a pas de sens.
Quant aux réactions parlementaires après x signatures, c’est un beau principe, mais il faut faire gaffe aux effets de bords. Des manifs géantes, on en a régulièrement, que ce soit pour/contre le droit du travail, pour/contre l’avortement, pour/contre l’adoption par les gays,… On pourrait aussi avoir un million de personnes qui demandent le droit à se faire justice soi-même, ou le retour de la peine de mort, ou à l’opposé des sujets inintéressants (“faut-il manger de la laitue ou de la mâche ?”).
Est-ce qu’il faudrait vraiment que les parlementaires se saisissent obligatoirement du sujet ? Ce n’est pas aux citoyens de dicter le calendrier parlementaire (“c’est pas la rue qui gouverne”, pour paraphraser Raffarin). Que le débat ait lieu dans la société c’est normal, mais devoir organiser des réunions avec les commissions, ou que ce soit inscrit à l’ordre du jour automatiquement, je trouve que c’est un poil risqué.
Le 12/01/2018 à 13h12
En fait dans le fond du débat vient quelque chose de nouveau aussi. Clairement, le numérique a révolutionné nos sociétés. Si la technologie a fait évoluer notre société, il n’y a aucun précédent par rapport à l’informatisation massive qu’on a connu ces dernières décades. On est clairement au même niveau que la révolution industrielle.
Et ça ne disparaîtra pas dans 10 ans. Ca prendra une autre forme, mais fondamentalement les principes seront les mêmes.
De plus, l’article premier est déjà sujet à interprétation… Il contient déjà des termes techniques qui suscitent encore à ce jour des vives divergences d’opinion tels que “laïcité”, “races” (cf les débats identitaires, etc).
La neutralité de l’internet est déjà sacralisée par la loi (citée dans l’article), mais inscrire le principe dans la constitution me paraît plus important pour la protéger. C’est principalement pour éviter ce qu’il s’est passé aux USA. Une loi, ça peut s’abroger, la constitution, c’est plus difficile.
En fait, à mes yeux, si la constitution est à l’origine un texte qui créé les fondements techniques de l’organisation notre république, je pense que le regard qu’elle apporte a évolué pour devenir les principes moraux fondamentaux de notre société, et cet article premier le représente bien je trouve.
Le tout complété par la charte des droits de l’homme qui a une portée bien plus universelle.
Pareil pour la charte de l’environnement, l’intérêt est avant tout d’inscrire dans le marbre des principes. Et ces principes sont appliqués par les pouvoirs publics (tri sélectif, déchetteries, mesures de restriction sur la circulation automobile…). Même si ça existait avant, le but n’est pas non plus de faire de l’inédit, c’est surtout de protéger le principe.
Je comprends bien la comparaison avec la constitution US et le droit aux armes, mais là, clairement, la portée est tout autre. Quelle dérive pourrait-il en découler d’acter dans la constitution le droit égalitaire à l’accès aux réseaux numériques ?
Par ailleurs, rappelons au passage que l’abrogation de la peine de mort de 1981 a été constitutionnalisée en 2007.
Le 12/01/2018 à 14h08
Le 12/01/2018 à 14h15
Je suis sincèrement partagé à l’idée de rajouter sans cesse des lignes à la constitution. Certes ca peut constituer un (petit) barrage supplémentaire, mais la neutralité tombera tôt ou tard. C’est déjà fait en partie ( car la définition laisse beaucoup d’interprétations), on gueule à chaque fois qu’un nouveau morceau est coupé mais ca rentre de plus en plus dans les moeurs. Mr De Rugy n’ayant pas forcément qu’une parole, je ne suis pas convaincu qu’il aille jusqu’au bout.
Les pétitions soumises aux parlements me semblaient une bonne idée il y a peu. Mais je constate que les sujets qui suscitent des débats dans l’opinion et donc de futures pétitions tiennent surtout d’hystéries passagères. J’ai peur qu’inclure les parlementaires dans ce foutoir déjà honteux ne relève pas les débats. Bref je n’ai franchement plus confiance dans le bon fonctionnement de notre démocratie.
Le 12/01/2018 à 14h57
Beaucoup d’acteurs économique ont intérêt à la neutralité du net, même plus que des acteurs ayant intérêt à la faire tomber.
C’est aussi du simple bon sens en terme de théorie économique.
Du coup la fin de la neutralité du net n’est à mon avis pas du tout une fatalité, surtout si les citoyens poussent dans ce sens.
Le mettre dans la constitution est une bonne chose AMHA car on ne sait jamais dans le futur la place que pourrait prendre tel ou tel groupe de lobby dans la société et l’économie (ex les USA). Or aujourd’hui tout passe par Internet : presse, argent, travail, vie personnelle.. protéger Internet sur le long terme est une sécurité pour la société.
Le 12/01/2018 à 15h31
Le 12/01/2018 à 15h47
Le 12/01/2018 à 15h53
Bonne chose, si c’est bien fait. Ca montre qu’il y a des hommes d’état en place pour prendre un peu la mesure des enjeux de notre société. Je vois ça comme un progrès, personnellement. Inscrire la neutralité du net dans la constitution, c’est une étape importante.
Le 12/01/2018 à 16h12
Je rappelle à tout hasard que la neutralité est déjà de fait les textes européens, dont la France découle.
Le 12/01/2018 à 16h41
Il me semble que ce sont des directives européennes, indiquant de ce fait que les Etats membres doivent l’intégrer dans leur droit.
Le 12/01/2018 à 11h25
Plutôt que le Droit constitutionnel (qui concerne l’organisation de l’État comme le dit justement Benjamin Bayart), je verrais plutôt une règle pénale qui rendrait responsable les personnes morales (les entreprises) et les personnes physiques devant la Société pour des atteintes aux communications électroniques libres et indifférenciées.
En gros, on prend le Code des postes et des communications électroniques et on établit des infractions et des peines (on pénalise bien tout et n’importe quoi depuis quelques années, pourquoi pas l’empêchement à la libre-circulation des données à travers le réseau public?).
Le 12/01/2018 à 11h28
Ce sont des belles propositions, mais hélas, comme l’article le dit, le processus de révision constitutionnelle est extrêmement long et complexe. Le dernier a avoir abouti, c’est en juillet 2008…
La promesse de révision constitutionnelle est souvent idéale pour ne pas pouvoir être tenue, il suffit de voir le nombre de fois qu’elle a été exploitée par des candidats en campagne, ou même par des élus.
Le 12/01/2018 à 11h30
Le droit constitutionnel c’est bien entendu l’organisation de l’État (répartition des pouvoirs, création des institutions et de leur fonctionnement) mais cela décrit aussi les principes fondamentaux de nos sociétés. Par exemple décrire les libertés fondamentales, préciser qu’il n’y a pas de discrimination autorisée, etc.
Dans ce second cadre, la Neutralité du Net a sa place car ce n’est pas qu’une question économique. Par exemple cela pourrait confirmer que l’État ne peut par exemple couper la connexion Internet à quelqu’un sur décision administrative, et un citoyen isolé pourrait exiger l’accès au réseau. Cela est possible de le faire via la loi, mais le bloc constitutionnel est plus rigide ce qui est son principal intérêt.
Le 12/01/2018 à 11h32
Le 12/01/2018 à 18h41
Le 12/01/2018 à 19h20
yep :)
Le 13/01/2018 à 03h34
Quand j’ai lu ça “Si la démocratie participative ne saurait se substituer à la démocratie représentative, nous devons permettre la participation des citoyens dans le processus de fabrication de la loi ” j’ai rigolé un bon coup.
Les mecs commencent à flipper, c’est bien, poser un tel hors sujet sur la démocratie participative pour laisser entendre qu’il est communément admis que la démocratie participative n’a aucun avenir, ne fait que démontrer que la réclamation et la pression en faveur de cette réforme politique, monte en puissance.
Le 14/01/2018 à 15h37
Open Data ?! Ils vont quand même pas mettre un terme anglais dans la constitution Française ces gus ?
N’allez pas me dire qu’avec les diplômes qu’ils ont y’en a pas un qui peut traduire ce terme ?
C’est comme “fake new”, c’est tellement “hype” l’anti français…
Le 14/01/2018 à 16h07
Next INpactDès que ça traduit des mots en français, c’est tourné à la dérision ou alors c’est nul de toute façon.
Le 14/01/2018 à 19h32
Propagande, données ouvertes.
Merci, au revoir.
Le 15/01/2018 à 06h30
“fake news” ne peut pas être traduit par propagande.
La propagande est une diffusion d’information, bien qu’à connotation idéologique.
On pourrait plutôt traduire ça par un mot existant déjà : “désinformation”.