Pour le Conseil d’État, le stream ripping sur YouTube est de la copie privée
Streamrippons !
Le 27 novembre 2019 à 19h04
6 min
Droit
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Le Conseil d’État a rejeté le recours d'Archos. Le fabricant se plaignait notamment de la prise en compte du stream ripping dans les études d’usage servant à justifier les hausses de la ponction sur les supports vierges. Next INpact diffuse l'arrêt rendu ce jour par la haute juridiction administrative.
Comment en est-on arrivé là ? Archos avait réclamé l’annulation du barème étendant l’assujettissement de la redevance Copie privée à l’ensemble des tablettes, y compris les versions sous Windows. Depuis 2012, seules celles disposant d’un OS dédié étaient en effet frappées. Les autres, exemptées.
La nouvelle doctrine de la Commission Copie privée définie le 5 septembre 2018 n’a donc pas vraiment satisfait le fabricant. Il avait attaqué cette décision administrative devant le Conseil d’État. Citant les travaux de l’instance chargée de fixer barèmes et taux, la juridiction administrative a retenu ce jour que « cette distinction était devenue obsolète du fait de l’évolution des caractéristiques techniques de leurs systèmes d’exploitation respectifs ».
Elle n’a pas repéré de problèmes manifestes dans l’élaboration des études d’usage visant les tablettes avec ou sans clavier détachable (tablettes PC / tablettes Média). Elle retient que les pratiques de copies étaient équivalentes. « Il ressort de cette même enquête que le nombre de copies privées réalisées sur ces supports est significatif et n’est guère différent pour les deux catégories de supports ».
Bref, évolution technologie, pratiques de copies équivalentes… l’extension de la redevance à l’ensemble des tablettes est juridiquement solide, aux yeux du Conseil d’État.
Mais Archos a levé un autre lièvre, beaucoup plus sensible.
L'arrivée du stream ripping
Ces études d’usages visent à réaliser un sondage auprès d’une petite population de personnes : nombre de copies, fréquences, stockages, origines et types d’œuvres, etc. C’est à partir de ces moult ingrédients que la commission parvient à fixer les taux de la redevance.
Ces négociations sont le fruit de débats à l’équilibre subtil entre les 12 ayants droit, 6 consommateurs et 6 industriels (fabricants, etc.). Avec un détail d’importance : la redevance dont sont affectés les supports d’enregistrements commercialisés en France est ensuite collectée par ces mêmes ayants droit, via leur société civile Copie France (près de 280 millions d’euros en 2013)
Toutefois, le vent a tourné en matière de consommation culturelle. C’est la désaffection de l'économie du stock pour celle du flux. L'époque où les gens achetaient des CD-Audio ou des fichiers MP3 pour les copier est révolue. Vive l’économie du stream : Netflix, Deezer, YouTube ou Dailymotion !
On devine facilement la menace pour les ayants droit, habitués à percevoir ces centaines de millions d’euros chaque année : celle d’un effondrement de cette manne assise sur les copies de support à support.
Depuis plusieurs années donc, les études d’usages – payées par les ayants droit – questionnent les sondés sur l’origine des fichiers qu’ils copient. Initialement, l'idée était d’évacuer les copies P2P, puisqu’on ne peut prélever légalement une redevance sur un flux que l’on sait illicite. Un tel préjudice se compense en effet par une action en contrefaçon.
Ripper, une copie licite selon les ayants droit
Les dernières études ont mis cette fois le stream ripping dans la boucle. Une vraie mine d'or. Les ayants droit considèrent en effet que « ripper » ou extraire la piste audio par exemple d’une vidéo sur YouTube est une activité parfaitement licite.
Seule contrainte juridico-technique : l’enregistrement doit se faire directement depuis la plateforme, sans passer par un serveur déporté (voir notre actualité). Archos a contesté cette grille de lecture. Pourquoi ? Car l’entreprise se souvient que la licence d’utilisation de YouTube interdit ouvertement ces pratiques.
Extrait de la licence d'utilisation de YouTube
De même, les licences signées entre Google et les sociétés de gestion collective imposent l’instauration d’un verrou technologique anti-copie. Enfin le test « en trois étapes », issu de la Convention de Berne, interdit les copies privées s’il existe un risque économique grave pour les titulaires de droits (voir l’affaire Mulholland Drive).
Pas d'erreur de droit, selon le Conseil d’État
Le Conseil d’État n’a fait aucun cas de ces arguments, en tranchant en faveur des ayants droit et de la Commission Copie privée : « c’est sans erreur de droit que la commission a estimé, pour évaluer le nombre des copies effectuées, que la pratique consistant à copier, pour un usage privé, un contenu faisant l’objet d’une diffusion licite en flux ne constituait pas, en soi, une contrefaçon qui aurait justifié qu’il n’en soit pas tenu compte pour établir le montant de la rémunération ».
Il évacue donc la licence YouTube, la question du test en trois étapes ou encore le contournement des verrous technologiques.
Il est encore trop tôt pour considérer que l’analyse serait à coup sûr partagée par la Cour de cassation, mais en attendant, une personne poursuivie pour contrefaçon pourra toujours arguer, auréole sur la tête, qu’elle a récupéré son stock de MP3 depuis YouTube, enregistré sur un support soumis à redevance pour copie privée. On pourra en tout cas relire nos explications pour récupérer des flux audio et vidéo depuis un millier de sites.
Dans le même temps, Copie France pourra toujours justifier de nouvelles hausses des montants de redevance en s'appuyant sur des pratiques de plus en plus populaires. Contacté, Pascal Rogard, directeur général de la SACD, assume : « On n’a pas les moyens pour lutter contre la contrefaçon, autant avoir les moyens pour soutenir la création culturelle ».
Les fabricants ne pourront plus contester cette analyse, mais payer. Et YouTube pourrait voir son modèle économique altéré, puisqu'assis sur des publicités embarquées dans les vidéos streamées.
Pour le Conseil d’État, le stream ripping sur YouTube est de la copie privée
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L'arrivée du stream ripping
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Ripper, une copie licite selon les ayants droit
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Pas d'erreur de droit, selon le Conseil d’État
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 28/11/2019 à 07h25
Le 28/11/2019 à 08h07
ça veut dire qu’on peut riper tout youtube légalement ?
Le 28/11/2019 à 08h18
Si il est impossible de distinguer un visionnage d’un ripp… je me demande bien sur quoi va porter la redevance.
Le 28/11/2019 à 08h21
SI youtube arrive à distinguer un ripp d’un visionnage alors la réponse est non.
Mais si youtube ne sait pas t’identifier lors de tes rips alors cette décision du conseil d’état est un pas de plus vers une redevance opposable…
Le 28/11/2019 à 08h24
techniquement il n’y a aucune différence
Il faut dans tous les cas télécharger le fichier en mémoire
Ce qu’en fait le système ensuite ne regarde pas le fournisseur de flux
Le 28/11/2019 à 08h41
Oui, et donc la bonne question est de savoir si la licence d’utilisation Youtube/Google est une mesure technique de protection en tant que tel. Ce que youtube pourrait arguer en disant qu’entre un lecteur de dvd qui force à voir une pub et un lecteur youtube il n’y a pas de différence d’usage justifiant les exceptions françaises.
Le 28/11/2019 à 08h56
A l’origine la rémunération de la copie privé autorisé la copie privée à la radiodiffusion de musique qui en gros est du stream ripping de radio. Quoi qu’on en dise, l’extension sur le stream ripping sur youtube est du coup assez logique.
Maintenant, il faut voir ce que ça implique. Il me semble que cette pratique est en effet devenu totalement marginale pour la musique, ça doit bien faire des années que je n’en ai plus entendu parlé. Seul des œuvres vidéo sont encore rippé pour regarder hors ligne, et ces œuvres sont généralement originale de la plateforme, les auteurs n’ont jamais vu la couleurs d’une quelconque “juste” rémunération.
Le 28/11/2019 à 09h58
C’est légal, oui.
Mais ce n’est pas conforme aux conditions d’utilisation de Youtube.
Donc on ne peut pas t’attaquer pour piratage, mais ça donner à Youtube une raison de fermer ton compte, faut juste en être conscient.
Ceci dit, on n’est pas obligé de se connecter pour aller sur Youtube, ni pour ripper (mais je pense que connecté ou pas, Google nous piste assez pour lier la session à un compte…)
NewPipe FTW !
Le 28/11/2019 à 10h01
Je ne serais pas aussi catégorique.
Télécharger, oui, mais il y a la façon de le faire. Youtube découpe la vidéo en morceaux d’une certaine durée et ne télécharge pas tout d’un coup. Si ton ripper demande des morceaux de taille différente,ou à une fréquence différente, ou en demande plus que ce qu’une lecture normale requièrerait (du genre il demande une heure de vidéo en dix minutes…), ça doit pouvoir être détectable…
Le 28/11/2019 à 10h30
Le 28/11/2019 à 10h48
Le 28/11/2019 à 10h54
Le 28/11/2019 à 11h05
Le 28/11/2019 à 11h11
J’ai dû rater une étape, donc je pose la question : Archos se pourvoit en cassation ? Ou bien il est juste probable que l’entreprise le fasse, et donc on anticipe le résultat ?
Le 28/11/2019 à 13h28
Le 28/11/2019 à 15h14
Le 27/11/2019 à 19h17
Je suis pas certain qu’ils mesurent les conséquences de leur énormité, mais effectivement on va se faire un plaisir de les prendre au mot ^^
Le 27/11/2019 à 19h55
Oui, mais tu devras casquer la RCPP sur tout appareil électronique, en échange (tu as un PC ? Hop, taxe copie privée ! Une tablette, un smartphone ? Pareil !).
Le 27/11/2019 à 20h07
Nous réclamer la rcpp ?
Non, je les voit plutôt sonner à la porte de youtube France avec la facture ! :-)
Ça leur coûte trop cher d’attaquer individuellement apparemment.
Là je pense que ça va être marrant la réponse de youtube ! " />
Le 27/11/2019 à 22h04
bof, ce qui est bien avec Amazon, c’est que t’es pas obligé d’acheter sur le FR. Je dis ça, je dis rien..
Le 27/11/2019 à 22h10
(…) une personne poursuivie pour contrefaçon pourra toujours arguer, auréole sur la tête, qu’elle a récupéré son stock de MP3 depuis YouTube (…)
Dans une procédure pour contrefaçon, on pourra tenter de vérifier si la source légitime et le fichier contrefait sont identiques au bit près. Cependant, il me semble que les pirates amateurs en P2P n’étaient pas condamnés pour détention de fichiers, mais leur partage. Les juges semblaient ensuite estimer la gravité selon le volume mis ainsi à la disposition de tiers.
Le 27/11/2019 à 22h31
Heu ils se rendent compte qu’ils ont ouvert la boite de pandore la? Non par ce que ca veut dire que par extension on peut faire pareil avec netflix, amazon, spotify, disney+, etc qui proposent tous “un contenu faisant l’objet d’une diffusion licite en flux”.
C’est quand meme bizarre qu’a ce niveau la du droit francais on en arrive a ce genre de conclusions… Un pti billet ptet?
Le 27/11/2019 à 22h31
Le 27/11/2019 à 22h31
Ce qui est bien avec Amazon c’est que même sur le .fr, tu trouves parfois des produits MOINS chers que le montant de la RCPP. Pas besoin de se demander si ils la payent vraiment… " />
(Evidemment dans ces quelques cas là (souvent des clés usb ou des cartes mémoire) il ne faut pas s’attendre à des produits de qualité vu qu’on parle de tarifs très bas…)
Le 27/11/2019 à 22h36
Le 28/11/2019 à 15h55
Sérieux ??? Bon espérons que j’ai pas de visite chez moi … " />
Le 29/11/2019 à 10h14
Je n’ai toujours pas compris, désolé :/
Cela signifie qu’en parallèle du conseil d’État, Archos a aussi pris la voie judiciaire ?
Le 29/11/2019 à 11h05
La phrase de la news utilise le conditionnel, pas le futur. Donc je dirais que non.
Le 29/11/2019 à 11h27
Non archos ne peut pas faire appel. Par contre il peut essayer d’obtenir un renvoi préjudiciel à la CJUE, comment je ne sais pas… la décision ne concerne que très indirectement une directive.
Mais le truc drôle dans la décision du conseil d’état c’est le côté : on sait pas, donc on dit non cp’as possib, et “on verra” ce que copie france fera après.