Les horloges atomiques de Paris et Turin reliées par fibre optique
pile-poil
Le 28 décembre 2022 à 08h29
5 min
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Les chercheurs en métrologie de Paris et de Turin ont utilisé la fibre optique pour relier leurs horloges atomiques en remplacement de la liaison satellite devenant trop imprécise. En trame de fond se joue l’amélioration de la définition de la seconde.
Les horloges de l'Observatoire de Paris et de l’Institut italien de recherche métrologique (en italien, istituto nazionale di ricerca metrologica ou INRiM) sont maintenant reliées par la fibre optique.
Les chercheurs des deux instituts ont réussi à maintenir la liaison sur les 1 023 km qui les séparent de façon « quasi continue » pendant quatre mois, expliquent-ils dans un article publié dans la revue scientifique Physical Review Applied.
Cette liaison permettra de comparer les horloges atomiques des deux instituts.
Redéfinition de la seconde
Depuis quelques années, les chercheurs en métrologie pensent qu'il va être possible de redéfinir la seconde de manière encore plus précise que l'actuelle établie en 1967, lorsque cette unité de temps est passée « officiellement de l'échelle astronomique à l'échelle quantique ».
Depuis, 55 ans, la seconde est donc définie comme « la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de césium 133 ». La 27e Conférence générale des poids et mesures a annoncé que cette redéfinition devrait arriver d'ici à 2030.
- Le Système international d’unités évolue, la seconde et l'UTC en travaux
- Après la seconde et le mètre, le kilogramme fait sa révolution (quantique)
La résolution publiée à cette occasion signalait que « des étalons de fréquence optiques fondés sur différentes espèces et transitions, dans de nombreux laboratoires nationaux de métrologie, ont dépassé l’exactitude pouvant être atteinte par l’actuelle mise en pratique de la définition de la seconde d’un facteur allant jusqu’à 100 ». Ce qui veut dire que les horloges atomiques optiques sont 100 fois plus précises que les horloges atomiques à césium.
Mais avant de pouvoir remplacer les anciennes horloges atomiques, « des comparaisons inter laboratoires indépendantes des horloges optiques avec d'autres horloges optiques et primaires doivent être démontrées » expliquent les auteurs de l'article scientifique.
Jusqu'à récemment, les chercheurs utilisaient des liaisons satellitaires pour faire ces comparaisons, mais leur instabilité rendait les choses trop compliquées.
La fibre optique remplace petit à petit ces liaisons. En 2016, l'Observatoire de Paris avait créé sa première ligne de fibre optique avec le PTB (l’Institut national de métrologie allemand) à Braunschweig en Allemagne. Et depuis cette année, les horloges de l'Observatoire de Paris sont donc reliées avec celles de Turin.
En France, la liaison s'appuie sur l’infrastructure de recherche REFIMEVE et les réseaux de fibres optiques de RENATER et de AMPLIVIA (réseau de la région Auvergne-Rhône-Alpes) et en Italie sur l'Italian Quantum Backbone et les fibres optiques du Consortium TOPIX.
Pour faire le lien entre les deux lieux, il ne suffit pas de les raccorder au réseau de fibres utilisées pour Internet. Un canal est spécifiquement réservé au faisceau de laser asservi à l’horloge atomique sur un des canaux du multiplex. (les communications Internet utilisent des canaux non réservés).
Les unes se font en parallèle des autres sans perturbation entre elles. La liaison est divisée en six segments et cinq terminaux placés le long du trajet assurent la régénération du signal.
Quatre mois de comparaison sans interruption (ou presque)
En utilisant ce réseau de fibres optiques, les chercheurs italiens et français ont pu comparer pendant quatre mois les horloges atomiques au césium (Cs), rubidium (Rb) et à l'ytterbium (Yb) de l'Observatoire de Paris et de l’Institut italien de recherche métrologique et sans interruption ou presque.
Cette comparaison durant un si long temps et sur une si longue distance (1 023 km) prouve la fiabilité et la robustesse de cette solution comparée au réseau satellitaire. La comparaison des normes de fréquence des micro-ondes Cs et Rb des deux instituts confirme leurs incertitudes au niveau 10⁻16.
Celle induite par l'utilisation du lien optique est bien en dessous – l’incertitude est inférieure à 6.10- 19 – permet de valider l'utilisation de la fibre dans le développement d’échelles de temps basées sur l’optique.
C’est bien beau, mais concrètement ça peut servir à quoi ?
Une précision augmentée de la seconde peut avoir de nombreux intérêts pour les scientifiques, avec parfois des conséquences tangibles pour le grand public. Le CNRS cite en exemple le cas des systèmes de positionnement par satellites (GPS, Galileo, etc.) qui utilisent déjà des horloges atomiques :
« Une erreur d’un milliardième de seconde conduit à une erreur de positionnement de 30 cm. Ceci n’est pas gênant pour connaître la position d’une automobile, mais n’est plus négligeable pour l’atterrissage des avions par exemple, ou en géophysique où la précision millimétrique est requise pour l’étude des mouvements des plaques tectoniques ou l’évolution du niveau des océans ».
Le Centre national pour la recherche scientifique rappelle enfin que « la recherche de la précision ultime est une course de longue haleine qui est loin d’être terminée et exige encore beaucoup d’avancées scientifiques et technologiques. Le passé l’a montré, l’avenir le confirmera : les mesures de très haute précision conduisent indéniablement à des révolutions scientifiques et à des ruptures technologiques importantes pour notre société ».
Les horloges atomiques de Paris et Turin reliées par fibre optique
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Redéfinition de la seconde
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Quatre mois de comparaison sans interruption (ou presque)
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C’est bien beau, mais concrètement ça peut servir à quoi ?
Commentaires (26)
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Abonnez-vousLe 28/12/2022 à 11h09
Super article !
J’ai du mal à piger le lien entre la seconde et la différence de 30 cm en voiture.. la triangularisation certainement.
Le 28/12/2022 à 11h16
Le 28/12/2022 à 11h41
300 000 km/s * 1⁄1000 000 000s = 30 cm
Le 29/12/2022 à 14h22
Bien vu !
Le 28/12/2022 à 11h44
Je suspecte qu’il s’agit d’un raccourci un peu simpliste: puisqu’on triangule une position a partir de la distance parcourue par des signaux qui vont à une vitesse proche de la lumière (~3x10^8 m/s), si on se trompe de 10-9 secondes, on se trompe de 3x10^(8-9) mètres, soit 0,3m. C’est simpliste mais ça donne un ordre de grandeur de l’erreur, alors ça suffit a faire passer le message.
Le 28/12/2022 à 12h18
Est-ce que c’est pour ça qu’on a 3 traces (RVB, si je me trompe pas) sur les suivi d’aéronefs ?
Le 28/12/2022 à 12h55
Ce que je me demande, c’est qu’on nous dit que une imprécision peut être dangereuse dans le cas des avions … Mais, sauf erreur, on sait déjà faire poser des avions, non? (Question rhétorique)
En quoi ceci est une évolution “significative” pour le grand public si on nous donne comme exemple quelque chose que l’on sait déjà faire ? Où j’ai mal compris quelque chose …
Le 28/12/2022 à 13h21
J’en doute mais je ne suis plus ce genre de sujet depuis trop longtemps pour avoir un avis. Après, si une erreur de 30 cm peut paraitre dérisoire pour un avion de ligne qui se pose sur l’équivalent d’une autoroute 8 voies, ce n’est peut être plus le cas si on descend d’échelle (petits aéronefs atterrissant sur piste non balisée, hélicos, etc.). Augmenter la précision augmente le parc d’appareil qui peuvent profiter de ce qu’on sait déjà faire.
Ça peut aussi juste améliorer l’existant. Comme par exemple éviter que le GPS, au sens guidage, vous situe mal à un moment critique, ce qui m’arrive encore régulièrement dans des échangeurs d’autoroutes compliqués, par exemple.
Le 28/12/2022 à 14h17
Pour les avions, c’est plus pour l’altitude que latitude/longitude que l’imprécision peut être gênant.
Et j’ai du mal à trouver des infos précise, mais j’ai l’impression que la précision des gps pour les avions c’est plus aux alentours de 5 à 20 mètres. 7 mètres d’après la FAA.
7 mètres trop haut et un système automatique risquerait de body slam l’avion sur la piste, je ne voudrais pas être dedans.
Bon après comme le dis Dark_SK, les systèmes d’atterrissages automatiques se basent sur d’autres sources que le GPS pour avoir les informations de manière bien plus précise leur permettant d’atterrir
Le 28/12/2022 à 15h46
La précision n’est pas le seul problème du GPS. Un autre soucis, c’est qu’il peut envoyer des informations complètement erronées pendant un délai max de 24H.
Dans les années 2000, des systèmes d’amélioration du GPS (les engliches disent “augmentation”) comme EGNOS ont été créés. EGNOS permettaient une précision de l’ordre du mètre et aussi une garantie de correction d’une seconde max. Je ne sais pas si un tel système est toujours d’actualité, il existe sans doute des systèmes encore plus performants maintenant (Galileo ?).
Le 28/12/2022 à 13h28
A ma connaissance, les avions n’utilisent pas le GPS pour atterrir mais un guidage laser provenant de la piste. Je pense que l’idée justement est de pouvoir utiliser le GPS pour cette pratique dans un futur plus ou moins proche.
Le 28/12/2022 à 23h02
L’ILS
Les avions peuvent utiliser leur radiosonde pour avoir leur altitude par rapport au sol.
Le 29/12/2022 à 14h35
Tout à fait: l’ ILS : Instrument Landing System (pour les aéroports qui en sont équipés mais je pense qu’en
2022, 2023 ça doit être la majorité). Les avions choppent le signal d’une balise qui fournit précisément l’angle de descente à l’ordinateur de bord (ainsi que d’autres données télémétriques).D’ailleurs pourquoi on lit de plus en plus souvent des news sur “les 2 pilotes ont manqué l’aéroport parce qu’ils s’étaient tous les 2 endormis”? Ben parce que entre les 15 premières minutes du décollage avant d’enclencher l’auto pilot et 10 dernières secondes à tenir le joystick avant de toucher les roues au sol pour l’atterrissage, le reste, c’est juste de monitorer que tous les systèmes automatiques font bien leur job. Boring !!!
Bref, avec les avions modernes, on ne peut plus vraiment parler de “pilote”, sauf quand ça peut partir en sucette, que l’informatique dit “bon, je vais arrêter là, à vous de jouer…ou pas” et que là, on
espèreprie que les pilotes se souviennent du B.A BA de leur formation (genre baisser le nez pour augmenter la portance…). Sur le Rio Paris, les 4 gus dans le cockpit avaient complètement oublié ce tout petit détail…fatal)Le 30/12/2022 à 11h34
ça fout les chocottes !
Le 28/12/2022 à 14h03
Euh ce n’est pas plutôt un guidage utilisant des ondes radios croisées pour avoir l’axe de la piste et l’angle d’approche ? Parce qu’un guidage laser ne marche pas trop par temps de brouillard.
Le 29/12/2022 à 10h36
Y’a des aéroports où aucun avion ne peut atterrir par temps de brouillard parce qu’ils ne sont pas équipés “tout temps” justement ;)
En France, rare sont les aéroports “tout temps”, en dehors de CDG (Paris Roissy) et il me semble Blagnac (Toulouse) , ça court pas les rues.
Le 29/12/2022 à 11h40
“Tout temps”, techniquement c’est ILS Cat. III.c, et ça ne court pas les rues. Mais la majorité des aéroports sont équipés en ILS, de catégorie inférieure, et permettent déjà un atterrissage par temps de brouillard tant qu’il reste un minimum de visibilité.
Le 29/12/2022 à 15h00
Merci de la précision :)
Le 29/12/2022 à 16h52
Y’a les approches RNAV (ou RNP ?) en aviation qui utilisent des points GPS
Le 29/12/2022 à 17h24
“Sur le Rio Paris, les 4 gus dans le cockpit avaient complètement oublié ce tout petit détail…fatal) “
C’est l’inverse, les sondes pitot givrées donnait une vitesse trop basse avec en plus l’avertisseur de décrochage qui hurlait donc ils ont mis l’avion en piqué pour rétablir la portance (croyaient t-ils) et l’avertisseur de décrochage continuant a hurler ils sont descendus en piqué jusqu’à l’océan.
En fait dans leur cas il était urgent de ne rien faire mais c’est difficile avec autant de fausses informations.
Le 29/12/2022 à 18h45
Non, c’était encore plus vicieux que ça. Quand ils ne faisaient rien, il n’y avait pas d’alerte de décrochage (l’angle d’incidence était tellement hors des clous que le calculateur n’y comprenait rien et, dans le doute, ne levait pas d’alarme) alors que quand ils piquaient, l’alerte de décrochage se déclenchait. Du coup, ils ont fait le choix qui leur semblait raisonnable : rester dans la position sans alerte de décrochage. Pas de bol, ils sont tombés en décrochage jusqu’à la mer, mais sans l’alarme. Ils n’ont pas deviné qu’il fallait piquer encore plus.
Le 29/12/2022 à 20h11
Oui, mais pas pour atterrir. Il indique l’altitude du point survolé, pas l’altitude du point où l’avion doit atterrir.
Le 30/12/2022 à 05h44
Surtout avec les moteurs à la puissance nominale……il ne faut jamais avoir piloté pour soutenir de telles inepties.
Le 30/12/2022 à 07h43
Je pense que regarder la série de documentaires sur les raisons de crashs d’avions est assez intéressant. On se rend alors compte que bon nombres d’accidents sont le résultats de petits incidents qui pris isolément sont facilement gérés par les pilotes. La frontière entre une catastrophe et un incidents est vraiment mince parfois
Le 01/01/2023 à 16h24
Je ne vois pas de circuit alternatif sur la carte présentée; pourtant, la résilience est au cœur de la méthode scientifique, ainsi qu’au cœur du fonctionnement d’Internet, d’ailleurs créé à l’origine par des chercheurs.
Que se passe-t-il concernant la liaison si l’interconnexion passant par le tunnel de Fréjus venait à être coupée :
Le 02/01/2023 à 13h18
La résilience est au coeur des besoins militaires et d’ingénierie surtout, d’où l’architecture en toile des réseaux IP.
Le rapport à “la méthode scientifique” que tu indiques me semble un peu curieux pour quelque chose qui relève de l’ingénierie plutôt que de la recherche…
Globalement selon moi avant que deux horloges de référence décalent significativement, on a probablement des temps de rétablissement confortables pour le lien optique. A mon avis le chemin secondaire n’est pas vital. (Mais je peux me tromper).