Le Conseil d’État a censuré aujourd’hui le cœur du décret permettant de mettre en œuvre la loi relative à l’exploitation des livres indisponibles. Une conséquence mécanique d’une décision similaire rendue par la Cour de justice de l’Union européenne qui a mis à l'index le dispositif français.
La loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle a autorisé la numérisation et l’exploitation des livres publiés en France avant le 1er janvier 2001, sous condition qu’ils ne fassent plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur ou ne soient plus imprimés d’une manière ou d’une autre.
La mécanique ReLIRE
La clef de ce dispositif avait été confiée à la SOFIA, une société de gestion collective, en charge donc d’autoriser la reproduction ou la représentation de ces livres sous une forme numérique.
Pour ce faire, rien de plus simple : la société de perception et de répartition n'avait qu'à attendre 6 mois après inscription des titres dans le registre des livres indisponibles en réédition électronique géré par la Bibliothèque nationale de France. Durant ce laps de temps, un droit d’opposition était reconnu à l’auteur et l’éditeur. Au-delà de cette période, l’auteur devait démontrer que la reproduction ou la représentation du livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation. À défaut, c'était un pont d'or qui s'ouvrait pour les sociétés de gestion collective.
De la CJUE au Conseil d'Etat
Saisie d’une question préjudicielle dans le cadre d’un contentieux initié devant le Conseil d’État, la Cour de justice de l’Union européenne a mis un point d’arrêt à cette générosité le 16 novembre 2016.
Considérant que cette exception au monopole des auteurs n’était pas prévue par le droit européen, elle a estimé que « toute utilisation d’une œuvre effectuée par un tiers sans un tel consentement préalable doit être regardée comme portant atteinte aux droits de l’auteur de cette œuvre ». Elle a surtout ajouté qu’on ne pouvait déduire du silence de l’auteur son consentement à voir son ouvrage basculer dans ReLIRE.
L’auteur, ont notamment insisté les juges, doit disposer d’une « information effective et individualisée » afin de prendre une décision en conscience. Elle a par ailleurs sanctionné également l’obligation faite aux auteurs souhaitant exercer leur droit de retrait d’avoir à démontrer qu’ils sont les seuls titulaires des droits de reproduction.
Une annulation ciblée mais centrale et immédiate
Aujourd’hui, le Conseil d’État a rendu son arrêt dans ce recours initié par M. Soulier (décédé depuis) et Mme Doke, le Syndicat des écrivains de langue française (SELF) et l’association Autour des auteurs, outre une trentaine de personnes physiques.
Sans surprise, les dispositions du décret du 27 février 2013, mettant en œuvre la mécanique épinglée par le juge européen, sont annulées. Seules survivront celles plus annexes relatives à la base de données des livres indisponibles et à la procédure d’agrément des sociétés de gestion collective.
À la SOFIA qui réclamait une annulation différée, valable uniquement pour l’avenir, la haute juridiction a estimé qu’un tel report viendrait porter atteinte à la primauté du droit européen. Nous reviendrons spécifiquement sur ce point important dans une actualité dédiée.
Commentaires (26)
#1
Prévisible in fine, mais que c’est bon. La loi de modernisation de la vie publique devrait également comporter un aspect: “arrêtez de favoriser les parasites qui profitent de décret/loi issus du lobbying pour s’en mettre plein les fouilles ou pour recaser les petits copains.
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malheureusement impossible , ce sont les mêmes qui financent leurs campagnes….
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Pour info, M. Soulier était plus connu du grand public sous son pseudo d’Ayerdhal. Il y a sûrement au moins quelques INpactiens qui l’ont lu.
 https://fr.wikipedia.org/wiki/Ayerdhal
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’un tel report viendrait porter atteinte à la primauté du droit européen. Nous reviendrons spécifiquement sur ce point important dans une actualité dédiée.
amis souverainistes, amis européistes… affutez vos armes !
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Sur le coup, je suis d’accord avec la cour européenne.
#6
Autant je trouve la réponse du CJUE normale, autant je trouve cela l’idée de départ intéressante.
En gros, dans 50 ans, tous les livres publiés non réédités seront perdus ou leur accès sera confidentiel. Au mieux Il pourra y avoir des rééditions aux morts des auteurs.
C’est beau le progrès.
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#8
Si vous êtes curieux, j’ai publié il y a quelques mois, après le jugement de la CJUE, un article qui donne un point de vue “vu de l’intérieur” du projet ReLIRE, expliquant le sens de ce projet, les raisons pour lesquelles il a été imaginé, et les obstacles qu’il a rencontrés. Mais c’est seulement pour les curieux…http://www.bit.ly/relire20e
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#10
le pire là-dedans, c’est que, de ce que j’ai entendu, le papier de beaucoup de livres du XXème siècle est “acide” et a tendance à se dégrader avec le temps. Du coup si l’auteur vit longtemps après publication, après rajout des 70 ans il ne reste plus grand chose du livre pour en faire un scan de qualitay.
Des chimistes pour confirmer ? C’est un bruit de couloir pour moi, donc je ne sais pas trop me prononcer…
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#12
J’ai parcouru ton article : à la question pourquoi les éditeurs ne mettent pas sous forme digitale des livres qui ne sont plus publiés et qui ont disparu de la circulation: il ne faut pas oublier ici le CPI (Art L132-1): “L’éditeur est tenu d’assurer à l’oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale conformément aux usages de la profession”. Il s’agit d’une obligation de résultat! S’il ne le fait pas, l’éditeur perd les droits qui reviennent entre les mains de l’auteur, l’éditeur ne peut donc proposer d’édition digitale. Je ne dis pas qu’il s’agit de la seule raison, mais d’une raison.
#13
Il me semble que l’arrêt de la CJUE, puis son application en droit interne par le Conseil d’État ne doivent pas être sur-interprétés, au risque de méconnaître les subtilités de la jurisprudence. Le mécanisme fondamental de la Base ReLire ne sera pas remis en question : favoriser la diffusion des œuvres encore sous droit d’auteur, mais non réédité sous format papier dans un souci de promotion de la diversité culturelle ( au fondement d’une certaine idée de notre civilisation) .En effet, les dispositions annulées par le CE et, codifiées aux articles R.134-5 à R.135-10 du code de la propriété intellectuelle sont relatives à la procédure d’inscription au sein de la base ReLire, et non à l’existence même de cette dernière.
Pour favoriser une plus large diffusion des œuvres dites “indisponibles”, sous format numérique, mais non encore tombé dans le domaine public, le législateur français a délibérément pris certaines libertés avec les principes de la convention internationale de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques .
En droit communautaire, l’adaptation de ces grands principes au cyberespace (ou société de l’information), se trouve être contenue au sein de directive 2001⁄29. (il s’agit de la même directive encadrant les liens hypertextes, ou la contrefaçon de contenus culturels à l’aide des TIC). Et, le législateur français doit respecter ces deux textes internationaux lorsqu’il légifère sur ces matières.
Ici, le législateur avait bien prévu une rémunération supplémentaire pour les auteurs dont les oeuvres seraient diffusées par l’intermédiaire de la base Relire (et de la société FeniXX). Mais, le mécanisme français ne respecte pas pleinement le principe “du droit exclusif de l’auteur ” sur sa création posée par l’article 9 de la Convention de Berne :
“Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques protégés par la présente Convention jouissent du droit exclusif d’autoriser la reproduction de ces œuvres, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit”. (principe)
“ Est réservée aux législations des pays de l’Union la faculté de permettre la reproduction desdites œuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur” (fondement des exceptions listées à l’article 5 de la directive et repris à l’article L122-5 du CPI (copie privée, courtes citations, parodie et pastiche, adaptation en langage des signes ou en audio-book pour les handicapés… ).
Ce principe posé par l’article 9 Conv Berne est repris au sein de l’article 3 de la directive 2001⁄29 portant le titre “Droit de communication d’oeuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés” :
“1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement”.
Or, le consentement des auteurs dans la loi 2012 et le décret de 2013 étaient implicites .Si pas d’opposition intervenant dans les 6 mois après l’inscription de l’oeuvre au sein de la base ReLire, le consentement de l’auteur était réputé avoir eu lieu. Passé ce délai, l’auteur devait justifier selon le I, al. 2 de l’article L134-3 du CPI que la réédition de son livre au format numérique était “ susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation”.
Si l’on compare le mécanisme français d’avec les prescriptions internationales impératives (puisque la convention de Berne et ses avenants successifs ont été ratifiés par le parlement français, tout comme la réception de la directive 2001⁄29), il est possible de relever une double méconnaissance :
Par conséquent, il me semble qu’il est possible de déduire de cet arrêt, que le Conseil d’État incite le législateur à modifier uniquement la procédure d’inscription au sein de la Base ReLire, et non de conclure à la censure du mécanisme. En effet, le CE n’annule que les dispositions contenues au sein de la “Section 2 : Procédure”, du chap 2, du Titre III du premier Livre de la partie Réglementaire, mais pas les articles relatifs à l’existence de la base ReLire (R134-1à R134-4 CPI), ni ceux relatifs à la gestion collective des droits de reproduction des oeuvres indisponibles. Mais, surtout, il n’annule pas les conventions d’exploitation en cours d’exécution. Aussi, il ne s’agit pas d’une nullité de fond. Le nouveau périmètre de la Base ReLire sera plus restreint. Toutefois, l’essence de ce mécanisme n’est pas remise en cause par ces deux arrêts.
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Je suis de tout coeur avec le principe derrière. Mais de tout coeur CONTRE la privatisation des droits aux profits de certains.
Surtout quand cette privatisation se fait “par défaut”.
Sous
prétexte de protéger <whatever> , ont donne à quelques personnes
la capacité de décider qui et comment peut accéder à cette information.
Plutôt
que de profiter du fait qu’une copie numérique ne coute RIEN, et de
demander un cout forfaitaire de numérisation, la logique derrière est
clairement mercantile (demande de licence, etc…)
Enfin, oser parler “d’intérêt des auteurs”
quand on sait comment ils sont payé et valorisé (c’est à dire, pas
payé, sans avoir leur mot à dire, bref traité comme du bétail ) est, je
l’espère, ironique.
Bref, à chaque fois que quelqu’un parle
“au nom des autres”, j’ai un irrésistible frisson qui me parcourt. Les
gens parlent toujours au nom de leur intérêt propre, jamais des intérêts
des autres. Le “au nom de …” est toujours rajouté pour trouver des
excuses à notre propre convoitise.
Une solution bien plus
simple que toute cette usine à gaz (mais la france avait refusée cette
voie) : l’obligation du dépot légale en voie papier _et_ numérique, et
un fond publique de numérisation des oeuvres orphelines pour les passer
dans le domaine publique (si l’auteur l’accepte) ou au moins à la BDF et
permettre leur partage au sein des bibliothèques.
Mais ça aurait éviter qu’une société de perception apparaissent et n’ai sa part du gateau, n’est-ce pas ?
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t’as pas compris
Je parlais des politicards qui votent les lois etc… ils sont eux même financé par les lobbying etc (je ne parle pas de dessous de table ,ou corruption même si….) … donc je vois mal des “élus” voter des lois contre les intérêts et intéressés représentés par les lobbying …. m’enfin
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Merci.-) Mais n’oublies pas que le Droit n’est pas une science exacte. Il y a autant d’interprétations possibles des décisions et arrêts que de lecteurs. Et, je ne suis qu’un praticien du Droit ,et pas un membre de la doctrine (prof agrégé, comme le Prof Vivant ou le Prof Sirinelli en matière de PI ), dont les interprétations s’imposent à tous (leurs remarques et raisonnements sont pris en compte tant par les juges que par le législateur). La lecture des revues spécialisées du mois de juin me dira si oui ou non ma lecture de cet arrêt va dans le bon sens .
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#23
“mauvaise vue” …non je regarde surtout celle qui me font chier au quotidien …hein.
Car, ils sont élus pour défendre notre quotidien à l’origine … mais cela passe bien au dessus des gens ça …
#24
Il ne s’agit pas de faire un site et de numériser quelques livres ‘pour lancer le tout’, il s’agit de mettre en place une organisation pérenne pour garantir la numérisation systématique de dizaines de milliers de livres par an.
Je ne suis pas fan de la méthode retenue, mais je pense que ton approche est un peu simpliste.
#25
Tu tiens des propos vagues et généraux.
#26
Rien n’empêche de partir sur cette base et que les gens qui sont payé pour trouver et proposer des solutions fassent leur métier et fournissent une proposition complète.
En outre, Je ne vois toujours pas en quoi le modèle actuel est pérenne
ReLire ne numérise rien, il donne des licences pour ceux qui voudraient numériser. Si personne ne veut numériser, rien ne sera numériser. Et si les gens ne peuvent pas revendre leurs oeuvres, ils ne numériseront pas (il faut rembourser la licence).
Il n’a aucune contrainte de numérisation des oeuvres qui n’ont aucun intérêt pécunier. (alors qu’un modèle basé sur le bénévolat et les amoureux des livres a bien plus de chance d’être efficace et de numériser les oeuvres “particulières”).
Il n’a aucune contrainte de distribution des sommes récupérés aux auteurs.
Il n’a aucune contrainte de nombre d’oeuvre “légalement disponible à la numérisation” (cad avec l’accord des auteurs itou itou ) à effectivement numériser.
J’ai du mal à voir où ce modèle de spoliation est plus pérenne qu’une autre.