En Russie, Telegram refuse de dévoiler son code source aux autorités
Don't shoot the messenger
Le 27 juin 2017 à 13h00
7 min
Internet
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En Russie, les entreprises étrangères souhaitant commercialiser des logiciels et produits électroniques doivent montrer patte blanche et révéler leur code source, sous peine de blocage. Alors que certaines acceptent et d’autres pas, Telegram est particulièrement sur la sellette. Son fondateur, Pavel Durov, refuse en effet catégoriquement.
Depuis 2014, plusieurs lois et projets de loi donnent le ton en Russie. Le pays s’est clairement avancé sur le terrain du contrôle aigu des logiciels, services et produits électroniques divers qui souhaiteraient profiter de ce vaste marché.
Depuis le 1er janvier 2017, les éditeurs ont deux obligations. D’une part, stocker localement toutes les données des utilisateurs, donc sur des serveurs situés en Russie. D’autre part, révéler leur code source si le FSB (Federal Security Service, ex-KGB) le réclame. L’examen est censé prendre place dans des locaux d’entreprises indépendantes servant de relais. Beaucoup ont accepté.
Telegram, pratiquement accusé de faciliter le terrorisme, a jusqu’à présent refusé. Le service de messagerie est désormais menacé de blocage complet en Russie par le régulateur national des télécoms.
L’examen du code source pour des raisons de sécurité
Officiellement, le code source est inspecté pour des raisons de sécurité. Dans le contexte particulièrement tendu entre les États-Unis et la Russie suite à l’annexion de la Crimée par cette dernière, le FSB craint que les produits américains soient percés de petits trous laissés par les agences américaines.
Ces examens prennent place dans des locaux appartenant à des sociétés privées spécifiquement autorisées par le FSB à mener ces opérations. Reuters, qui s’est entretenu avec l’une d’entre elles, Echelon, indique que des salles spéciales sont mises à disposition des entreprises étrangères, qui en contrôlent l’équipement. Le code source n’est ainsi pas censé pouvoir être copié ou modifié.
Des sociétés telles que Cisco, IBM, SAP, HP ou encore McAfee ont autorisé cette inspection. D’autres, comme Symantec, ont refusé, toujours d’après nos confrères. Selon l’éditeur, l’indépendance des entreprises russes n’était tout simplement pas assez marquée. Conséquence, il n’a pratiquement plus aucune activité commerciale en Russie.
La Russie peut se débarrasser de Telegram
Depuis maintenant quelques années, Telegram fait figure d’épine dans le pied de la Russie. Fondateur et PDG de l’entreprise, Pavel Durov était considéré fut un temps comme le « Mark Zuckerberg russe », notamment parce qu’il était à l’origine de Vkontakte, l’équivalent russe de Facebook.
Il s’est cependant démarqué par des prises de position claires sur la sécurité et son intransigeance sur l’examen du code source. Il a ainsi refusé jusqu’à présent l’inspection du code par le réseau d’entreprises agréées par le FSB, tout comme le stockage local des données. Telegram peut donc désormais être entièrement bloqué d’un jour à l’autre.
La pression exercée est particulièrement lourde. Dans un communiqué paru lundi, le BSD a indiqué que les terroristes avaient pu planifier l’attaque du 3 avril grâce à Telegram. Cet attentat avait pour rappel été perpétré dans le métro de Saint Pétersbourg, faisant 15 morts et 45 blessés. Or, ce n’est pas la première fois que Telegram est ainsi visé. Pavel Durov a quant à lui répondu que depuis le début du mois de juin seul, plus de 5 000 groupes associés à l’extrémisme avaient été supprimés. Telegram dispose d’ailleurs d’un canal spécifique donnant au jour le jour les groupes liés à Daech fermés par la plateforme (255 hier par exemple).
La messagerie est également utilisée au Kremlin
Problème, Telegram n’est pas seulement utilisé par des terroristes, loin de là. Outre le grand public, le Washington Post rappelle que de nombreux membres du Kremlin s’en servent aussi, notamment Dmitry Peskov, porte-parole de Vladimir Poutine. Dans un entretien donné lundi à des journalistes, Perskov a cependant indiqué : « Si les services de cette messagerie deviennent inaccessibles, nous migrerons vers une autre. Nous verrons ce qui est le plus pratique. Dans le cas présent, il y a de la concurrence et de la diversité ».
Pour Durov, la Russie se sert toutefois de ce prétexte pour renforcer son contrôle sur les communications et la population. Il insiste également sur les dangers d’un affaiblissement général du chiffrement, qui mettrait en danger le pays lui-même. Le risque terroriste ne disparaîtrait pas, puisqu’il leur suffirait d’utiliser des téléphones à usage unique.
Le chiffrement reste au cœur des débats
Que la Russie veuille inspecter le code source pour y chercher des menaces peut paraître légitime. Mais il faut rappeler que cet examen donne une autre occasion : celle de détecter d’éventuelles failles de sécurité. Quand on connait l’importance de ces dernières dans la « cyberguerre » qui se joue entre gouvernements, entreprises et groupes de pirates et le double rôle d’attaque/défense du FSB, on imagine sans peine le potentiel.
Reste que la Russie est loin d’être le seul pays à avoir une dent contre les solutions de messagerie un peu trop bien protégées. Dans le plan de lutte contre le terrorisme, révélé par Emmanuel Macron et Therasa May, il est ainsi prévu de renforcer la coopération avec les entreprises, pour faciliter la récupération des données en cas de besoin.
Techniquement, tous ou presque se récrient devant l’usage de portes dérobées et, plus globalement, devant l’affaiblissement du chiffrement. Dans le plan Macron/May, il est ainsi bien mentionné un « accès au contenu chiffré » mais « sans portes dérobées ». En cas de chiffrement de bout en bout cependant, l’un ne peut pas aller sans l’autre, puisque l’éditeur, quel qu’il soit, ne devient qu’un relais pour des informations dont il ne possède pas la clé. Sans introduire spécifiquement de faiblesse dans ce type de solution, aucune chance donc de récupérer quoi que ce soit.
Il n’est donc pas étonnant dans un tel contexte que des entreprises comme Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube se soient unies pour créer un forum, dans lequel elles regroupent depuis décembre dernier les informations et empreintes liées aux contenus considérés comme extrémistes. En plus de leur « responsabilité » et des bénéfices en termes d’images, elles espèrent peut-être également afficher assez de bonne volonté pour qu’aucun gouvernement ne vienne réclamer l’ajout de lucarnes dans leurs services.
Une pression qui ne va faire qu'augmenter
En attendant, la pression risque de continuer à s'accumuler. La Duma, équivalent russe de l'Assemblée nationale, a ainsi introduit le mois dernier un projet de loi visant à supprimer l'anonymat en ligne. Son effet rejaillirait sur de nombreux services, en interdisant par exemple toute solution de messagerie où les utilisateurs ne pourraient pas être clairement identifiés.
Dans un tweet du 11 juin, Pavel Durov indiquait également qu'au cours d'une semaine de visite aux États-Unis, les agences du pays auraient tenté par deux fois de soudoyer les développeurs de Telegram. Lui-même aurait subi des pressions du FBI pour implanter une ou plusieurs portes dérobées dans la messagerie. Celle-ci n'est d'ailleurs pas la seule concernée dans ce domaine. Pour rappel, WhatsApp, chiffré par défaut de bout en bout, avait été bloqué plusieurs fois au Brésil, la filiale de Facebook étant dans l'impossibilité de remettre des contenus de conversation.
During our team's 1-week visit to the US last year we had two attempts to bribe our devs by US agencies + pressure on me from the FBI.
— Pavel Durov (@durov) 11 juin 2017
En Russie, Telegram refuse de dévoiler son code source aux autorités
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L’examen du code source pour des raisons de sécurité
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La Russie peut se débarrasser de Telegram
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La messagerie est également utilisée au Kremlin
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Le chiffrement reste au cœur des débats
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Une pression qui ne va faire qu'augmenter
Commentaires (26)
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Abonnez-vousLe 27/06/2017 à 13h11
GitHubC’est étrange, car avant télégram ouvrait ses sources, maintenant ils se sont mis à ne plus rien publier et c’est un fork qui assure la gestion du bouzin. :/
Le 27/06/2017 à 13h19
Comment faire confiance à un logiciel de communications chiffrées non-libre ?
Aucune manière de vérifier que le chiffrement a bien lieu comme prétendu ou qu’il n’y a pas de backdoor.
Le 27/06/2017 à 13h20
On attend la secte open-source avec en tête de file Trépanécitose afin de nous expliquer que Telegram ferait mieux d’ouvrir son code dans ce cas. Vincent tes phrases sont pas assez claires, on pourrait croire que tu es pour la sécu par l’obfuscation !
Le 27/06/2017 à 13h25
La pression exercée est particulièrement lourde. Dans un communiqué paru lundi,
le BSD a indiqué que les terroristes avaient pu planifier l’attaque du 3
avril grâce à Telegram. Cet attentat avait pour rappel était perpétré
dans le métro de Saint Pétersbourg, faisant 15 morts et 45 blessés.
On est à deux doigts d’inculper les auteurs des applications pour terrorisme… " />
Le 27/06/2017 à 13h31
ils l’ont fait pendant fort longtemps, ce n’est que récemment qu’ils ont cessé de publier leur code source, sans qu’on sache trop pourquoi.
Le 27/06/2017 à 13h32
Amusant, si on publiait ça au JT de TF1 les gens seraient indignés par la méchante russie qui s’assied une fois de plus sur les droits de l’Homme.
Par contre si on le présentait en disant que c’est la France qui demande les sources, tout le monde trouverai ça normal et on en remettrai une couche sur le chiffrement responsable de tous les maux du monde.
Le 27/06/2017 à 13h33
entre ça et une crypto totalement exotique, Telegram est vraiment un soft très bizarre.
Le 27/06/2017 à 13h33
Il faut bien sûr avoir la liberté d’utiliser un système propriétaire si on le souhaite, sans interférence du gouvernement. Le gouvernement russe va clairement a l’encontre de la liberté de communication de manière injustifiée (le FSB veut surtout trouver une faille pour surveiller les communications, ça ne justifie pas d’interdire les services qui refusent l’examen du code source).
Il n’empêche que du point de vue des utilisateurs, il est impossible d’avoir rationnellement confiance dans un logiciel de chiffrement qui cache volontairement son fonctionnement.
Le 27/06/2017 à 13h37
Un petit tour dans la maison de campagne de Poutine et le bonhomme sera certainement plus coopératif… " />
Le 27/06/2017 à 13h37
Les propositions anti-chiffrement suscitent l’indignation générale au Royaume-Uni, en France ou en Russie.
Mais c’est vrai que la population générale, moins informée, est plus malléable sur ce sujet.
Le 27/06/2017 à 13h47
Hum…
Tout ca sent l’espionnage et contre-espionnage à plein nez…
Le 27/06/2017 à 14h36
Le 27/06/2017 à 14h43
Je ne vois pas l’intérêt de ce genre de commentaire purement spéculatif, surtout qu’il me semble erroné.
Le 27/06/2017 à 14h53
Le 27/06/2017 à 15h07
Ces examens prennent place dans des locaux appartenant à des sociétés privées spécifiquement autorisées par le FSB à mener ces opérations. Reuters, qui s’est entretenu avec l’une d’entre elles, Echelon
L’ironie " />
Le 27/06/2017 à 15h32
La robustesse d’un algorithme de chiffrement symétrique à clé secrète doit venir de l’algo lui-même, pas de la clé utilisée.
En proposant par exemple des mécanismes de non-linéarité, en utilisant des clés dérivées, etc.
Le 27/06/2017 à 15h53
Le 27/06/2017 à 17h15
Absolument pas. Ils ont leur propre tambouille.
Le 28/06/2017 à 01h14
puis-je avoir ton mot de passe ? c’est une simple vérification. Merci.
Le 28/06/2017 à 08h20
Le 28/06/2017 à 08h37
N’empêche que si telegram était open-source on aurait une version en français, et je ne serais pas obligé de me taper du néerlandais à chaque fois que je vais dans les paramètres
Le 28/06/2017 à 08h43
J’adore le nom d’une société d’inspection “echelon” … " />
Le 28/06/2017 à 12h36
Le 28/06/2017 à 21h25
Mais ces solutions (Whatsapp, Telegram) avec un code source fermé c’est vraiment gage de sécurité ?
Le 29/06/2017 à 09h13
Le 29/06/2017 à 09h17