Au Conseil constitutionnel, le procès des données de connexion en open bar
Stop ou encore ?
Le 04 juillet 2017 à 13h59
8 min
Droit
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Devant le Conseil constitutionnel, a été mis en cause l’accès aux données de connexion des autorités administratives, et spécialement de l’Autorité des marchés financiers. Une question prioritaire conteste ce droit, déposée par un particulier poursuivi par l’AMF. Les Exégètes sont intervenus volontairement via des mémoires.
L’AMF dispose, en vertu de l’article L. 621 - 10 du Code monétaire et financier, du pouvoir de demander aux opérateurs et services de communications électroniques la communication des données de connexion pour les besoins d’une enquête touchant son périmètre. Un droit d’accès jugé par le gouvernement comme « essentiel afin de faire la preuve d'éventuels délits d'initiés et pour reconstituer le circuit de transmission d'informations privilégiées ».
Une question prioritaire a cependant été soulevée devant la Cour de cassation dans le cadre d’une procédure visant un individu. La problématique ? Savoir si les enquêteurs et contrôleurs peuvent se faire communiquer « les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications » dans la plus grande des libertés, sans contrôle extérieur comme le prévoit le Code monétaire. Un accès qui concerne les données techniques de connexion (comme les où et quand d’une communication), de facturation (référence contrat, adresse de l'abonné, coordonnées bancaires...) et les données de trafic ou de navigation (dont les numéros appelés et appelants).
2001 - 2017, deux années incomparables
La difficulté est qu’en 2001, le Conseil constitutionnel s’était montré peu sourcilleux de ces questions, validant rapidement des pouvoirs similaires reconnus alors à la Commission des opérations de bourse, l’ancêtre de l’AMF avant 2003.
Devant le Conseil constitutionnel, plusieurs avocats se sont succédé pour expliquer aux neuf sages que depuis, la situation a considérablement changé. À l’époque, estime Me Didier Bouthors, l’accès ne portait que sur les données des appels (durée, numéros, métadonnées autour des échanges par SMS) et l’identification du titulaire de l’appareil. Or, depuis la loi est intervenue pour gonfler vigoureusement le stock de ces données de connexion, avec Internet et la géolocalisation.
Le précédent de la loi Macron et les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence
Autre changement de droit cette fois, en 2015, à l’occasion de l’examen de la loi Macron sur la croissance et l’activité, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition miroir qui consacrait l’accès aux métadonnées aux agents de l’Autorité de la concurrence en s’inspirant à plein nez de l’AMF.
Dans leur décision, les sages du Conseil constitutionnel ont alors constaté l’absence de garanties « propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions ». Et censuré la disposition.
Inversement, en 2015, à l’occasion de l’examen de la loi sur le renseignement, la situation antérieure relative à l’accès aux données de connexion à coup de réquisitions administratives, le même Conseil a validé ces accès car ils étaient accompagnés à ses yeux des garanties utiles, notamment s’agissant de la conservation, des recours à un autorité administrative indépendante, etc.
Pour les agents de l’AMF, de tels verrous n’existent pas : la loi s’en remet à l’humain, se limitant à exiger à une habilitation et faisant confiance au culte du secret. Les données collectées par l’AMF peuvent ainsi être conservées, utilisées, voire transmises sans limitation particulière. Elles peuvent même sortir de l’Union européenne pour nourrir les autorités boursières américaines dans la plus grande des libertés.
Une censure immédiate, sans déport
À la barre, Me François Molinié a lui aussi exhorté le Conseil constitutionnel à censurer cette disposition. Une censure qu’il veut immédiate, non différée dans le temps, qui ne prive pas les requérants du bénéfice d’une déclaration d’inconstitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel a en effet la possibilité de repousser dans le temps une telle censure afin de laisser à l’exécutif et au législateur le temps nécessaire pour corriger la brèche ouverte sur les libertés individuelles. Et c’est ce que réclament le gouvernement et l’AMF, si du moins la censure est confirmée. Selon eux, il y aura risque de nuisance sur les procédures en cours. Une censure immédiate pourrait ainsi invalider 40 dossiers en cours, avec en jeu 80 millions d’euros de plus-values liés aux manquements poursuivis.
Le juriste a beau regarder les pièces, il n’assure ne voir aucune conséquence manifestement excessive qui puisse justifier un tel report. « Ce ne sont que des épouvantails, agités sans aucune consistance, aucun chiffre n’est fourni par le secrétaire général du gouvernement, pas la moindre donnée sur les conséquences qualitative et quantitative ! » rétorque Me Molinié pour qui l’AMF peut toujours entrer en voie de condamnation sans s’appuyer sur les relevés de métadonnées.
Surtout, l’avocat estime que le mal dont souffre cette disposition est bien connu du gouvernement. Alors que la décision sur la loi Macron relative à l’Autorité de la concurrence a été bruyamment rendue, il n’a rien fait. « Il a donc laissé les choses en jachère, la situation actuelle résulte de sa propre carence ! » (Ajoutons pour notre part que la question est sur le bureau de la CNIL depuis des années, sans conséquence particulière...)
Autre aiguillon venue de l’Europe : l’arrêt Télé2 du 21 décembre 2016. La Cour de Justice de l’Union européenne a demandé à ce que la collecte et la conservation des données soient entourées de garanties solides. Une décision contraire du Conseil constitutionnel pourrait créer un risque d’inconventionnalité.
Les métadonnées sous l’œil de l’AMF
L’avocate de l’AMF a péniblement tenté de minorer l’atteinte à la vie privée consécutive à l’élargissement de l’accès aux données de connexion. « On nous affirme de manière péremptoire que les données de connexion portent atteinte à la vie privée, mais il n’y pas de démonstration concrète. » Pourtant la Cour de justice de l’Union a plusieurs fois rappelé cette évidence, constatant qu’il est possible de tirer des enseignements très fins sur la vie privée d’une personne en scrutant le sillage de ses données.
Surtout, la juriste a considéré que la recherche d’un équilibre entre ordre public et libertés individuelles ne pouvait faire abstraction des conditions concrètes. Dans les enquêtes des agents de l’autorité, la quête de la communication d’une information privilégiée est délicate, il est souvent nécessaire de recourir à un faisceau d’indices, au fil par exemple des échanges de SMS entre deux personnes durant une période pertinente. L’accès aux données de connexion permet donc à l’AMF de surmonter les difficultés de preuve. Il serait donc inopportun de la priver d’un tel outil. Et l’avocate de dénoncer une « instrumentalisation de la vie privée » par les requérants…
L’intervention des Exégètes
Me Hugo Roy, qui défend la Quadrature du Net dans son intervention volontaire, a au contraire relativisé la distinction entre métadonnées et données. Une opposition qui n’est pas « pertinente » selon lui, considérant qu’il s’agit d’un continuum où les métadonnées contiennent en elles-mêmes des informations consubstantielles aux communications. Et l’une et l’autre portent atteinte à la vie privée, sans l’ombre d’un doute.
Il plaide lui aussi pour une censure immédiate. Le Conseil constitutionnel est déjà intervenu voilà deux ans. Et, un effet différé placerait la France en contrariété avec l’arrêt Télé2 de la Cour de Justice de l’Union européenne, laquelle a épinglé une disposition présentant des lacunes similaires, avec un manque béant de garanties.
Du côté de FDN et de FFDN, Me Alexis O Cobhthaigh ira dans le même sens : vie privée, jurisprudence européenne, censure immédiate. Pour lui, le Conseil constitutionnel doit surtout se saisir de l’occasion pour « éclairer le législateur sur ses responsabilités » en la matière, et de « graver les garanties indispensables pour encadrer l’accès aux données » afin que les autres dispositions législatives soient mises à jour. Il citera le Code de la propriété intellectuelle et le pouvoir similaire des agents de la Hadopi.
La décision du Conseil constitutionnel sera rendue le 21 juillet 2017.
Au Conseil constitutionnel, le procès des données de connexion en open bar
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2001 - 2017, deux années incomparables
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Le précédent de la loi Macron et les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence
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Une censure immédiate, sans déport
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Les métadonnées sous l’œil de l’AMF
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L’intervention des Exégètes
Commentaires (16)
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Abonnez-vousLe 04/07/2017 à 14h49
L’accès aux données de connexion permet donc à l’AMF de surmonter les difficultés de preuve.
En gros c’est “on arrive pas à prouver qu’ils sont coupables alors laissez nous les condamner sans preuve”……
NXI, vous êtes sur qu’elle est juriste ? ^^
Le 04/07/2017 à 14h53
Je ne comprendrai jamais cette notion de censure différée dans le temps.
On constate une violation de nos droits fondamentaux (constitutionnels, excusez du peu), mais osef oklm on continue comme si de rien n’était ??
Le 04/07/2017 à 15h02
Par principe, on devrait.
Mais comme le conseil constitutionnel ne réécrit pas la loi (c’est bien dommage des fois), il ne fait que censurer des articles, il se peut que sans cet article, un énorme tas d’autres choses devienne bancals.
Si une définition un peu fondamentale est censurée, tout ce qui y réfère, y compris des lois sur des crimes que le bon sens nous dit de punir (peu importe nos orientations politiques ou religieuses) pourraient se trouver invalides pendant une période de temps, ce n’est pas acceptable.
Le 04/07/2017 à 15h04
J’ai perdu mon lien de réponse à ton commentaire, voire mon commentaire précédent…
Pas trouvé comment rajouter un lien de réponse en éditant.
Désolé.
Le 04/07/2017 à 15h09
Le 04/07/2017 à 17h03
Plutôt “On n’arrive pas à prouver qu’ils sont coupables, alors laissez nous accéder aux données de connexions pour trouver des preuves en cas d’enquête”.
Problème potentiel: les garanties qui existent pour d’autres administrations n’existent pas pour l’Autorité des marchés financiers (AMF):
“Pour les agents de l’AMF, de tels verrous n’existent pas : la loi
s’en remet à l’humain, se limitant à exiger à une habilitation et
faisant confiance au culte du secret. Les données collectées par l’AMF
peuvent ainsi être conservées, utilisées, voire transmises sans
limitation particulière. Elles peuvent même sortir de l’Union européenne
pour nourrir les autorités boursières américaines dans la plus grande
des libertés.”
Le 05/07/2017 à 08h11
C’est un vaste sujet… Que les députés produisent des lois de qualité !
Je ne sais pas trop comment ils font pour se débrouiller aussi mal, surtout en considérant que tous les projets jusqu’à peu ont été proposés par des gens qui étaient depuis longtemps à l’assemblée (la valeur de l’expérience, tout ça…), le reste étant proposé par le gouvernement (qui apparemment, s’en fout de la constitution, peu importe le parti).
Alors, l’assemblée a été largement renouvelée, malheureusement, j’ai l’impression que la qualité des lois ne va pas s’améliorer, le profil des nouveaux députés contenant encore une fois peu de personnes qui avaient une profession juridique (sauf avocats, je pense qu’il y en avait qui avaient plaisir à faire des lois mal foutues pour donner du boulot à leur profession), peu de personnes qui avaient une profession technique (mon rêve d’assemblée contenant plein d’ingénieurs apportant un peu de logique à tout ça ne risque pas de se réaliser de mon vivant)…
Donc, oui, les députés font des lois bancales et les amendements faits aux projets du gouvernement ne les rendent pas moins bancals.
Que faire ?
Peut-être que les pouvoirs du conseil constitutionnel devraient être étendus pour blâmer les gouvernements et les députés qui ont écrit les plus mauvaises lois. Ça les forcerait à au moins se relire, quand ils ont écrit le texte de loi, et à ne pas transmettre le projet pourri qui leur a été envoyé par mail par leur lobby favori.
Le 05/07/2017 à 09h19
Le 05/07/2017 à 11h04
Pour les ingés, c’est bien simple, il n’y en a pas, ou sinon, une exception perdue.
Il ne faut pas s’étonner que presque personne ne comprenne la technologie à l’AN et qu’ils pondent des lois ridicules par rapport à Internet ou des domaines techniques qu’ils ne comprennent pas.
Et dans ma pensée, c’est surtout pour un apport de compréhension technologique, les ingénieurs non techniques (commerciaux par exemple) n’en font pas partie.
Mais ils ont aussi des problèmes pour comprendre d’autres domaines que la technologie… J’espère que le renouveau nous donnera de bonnes surprises dans tous les domaines!
Le 05/07/2017 à 11h07
Le 05/07/2017 à 12h15
Ça revient à ce que je disais sur les lois poussées par le gouvernement : on a l’impression qu’ils se fichent de la constitution !
Alors pourquoi pas une procédure accélérée, un 49-3 ou une ordonnance pour que le texte ne soit pas visé par le conseil constitutionnel en amont ?
J’ai du mal à comprendre pourquoi à l’AN et au sénat, ils n’ont pas des juges (ou d’anciens juges) d’expérience pour les conseiller sur les travers inapplicables des lois et les failles catastrophiques qui sont arrivées au fil du temps dans diverses lois du fait de la mauvaise écriture. Après tout, ceux qui ont l’expérience de l’application de la loi sont les plus à même de conseiller ceux qui la créent.
Bien sûr, ce ne serait qu’un conseil, ne voulant pas mélanger les pouvoirs.
L’autre chose étrange, c’est que toutes les lois ne passent pas automatiquement au conseil constitutionnel (oui, il faudrait lui donner plus de moyens pour traiter tout ça, on pourrait prendre le budget de hautes autorités inutiles…), même pour une relecture rapide.
Le 05/07/2017 à 12h32
Moi ce qui me choque ce n’est pas qu’il n’ait pas de juges consultatif à
l’AN* , c’est que le texte fondateur de la république française _et_ de
la loi en france _et_ des institutions , aka la constitution soit:
a°)
considéré comme trop compliqué par la population et qu’il y aurait
besoin de juge pour faire des lois le respectant. (Il ne l’est pas.
Honnêtement il se lit.)
b°) soit simplement considéré comme “contraignant” ou “gênant” par les “professionnels de la création des lois”.
C°)
Que la DUDH soit qu’un lointain souvenir dans nombre de personnes
(citoyen comme législateur). Que les principes de bases du droit, énoncé
depuis plus de 5 siècles (oui oui , avant même la révolution) (droit à
procés équitables, égalitée des armes , présumé innocent, toussa toussa)
soit régulièrement foulé du pied par tout le monde dans l’indifférence
la plus totale.
La loi est contraignante pour les gueux que nous sommes, mais pour le législateur, le texte fondateur (dans le sens qui pose les fondations), non.
Cherchez l’erreur
Une
loi votée ne devrait jamais être anti-constitutionnel : l’ensemble des
parlementaires et des sénateurs auraient du “gueuler comme des putois”
bien avant si vous me passez l’expression : c’est la base de leur taff!!
* : si ils veulent un avis, ils peuvent demander au CSM, voir faire une enquête parlementaire pour interroger qui ils veulent…
Le 05/07/2017 à 13h11
Je crois que je vois l’idée, et j’ai du mal à m’y faire.
Le législateur doit en amont s’assurer de ne pas violer la Constitution. C’est un devoir absolu : son pouvoir de législateur découle de la Constitution.
Toute “excuse” ou “tolérance” sur ce point entraine les pires dérives, on a beaucoup trop d’exemples hélas.
Ensuite quoi, la censure d’un article risque de faire tomber tout un pan de dispositions indispensables ??
C’est pas plus mal : ça les forcera enfin à faire un boulot correct.
Une loi réprimant un crime atroce est elle forcément tolérable quand elle viole la constitution ?
Pour prétendre imposer des lois, l’Etat doit être lui même irréprochable. Et ce n’est pas le cas.
Et ce genre de délais ne l’encourage certainement pas à devenir irréprochable.
Le 05/07/2017 à 13h14
Ajoutons un système comme au rugby :
1ere loi votée/soutenue contraire à la constitution => carton jaune, ministre et député et sénateurs suspendus
2e loi votée/soutenue contraire à la constitution => carton rouge, ministre et député et sénateur définitivement viré.
A appliquer à Tous les ministres, sénateurs et députés ayant soutenu et/ou voté pour la loi.
Ca les rendra enfin responsables et les obligera à faire attention.
Le 05/07/2017 à 14h32
Avoir des juges sous la main, c’était une solution possible, ensuite, comme tu dis, ils peuvent faire appel à n’importe qui par une enquête parlementaire ou demander au CSM (mais ça revient au même que de demander à des juges qui seraient sur place, et surement choisis par le CSM après tout).
On voudrait quand même qu’ils soient efficaces un minimum pour ne pas tomber dans un immobilisme complet !
La France et son droit ont besoin d’être dépoussiérés, sans marcher ni sur la constitution, ni sur le peuple.
Le 05/07/2017 à 15h56