La Commission européenne avertit la France qu’elle ne peut pas aller au-delà de ses règlements
Le Conseil constitutionnel en embuscade
Le 11 septembre 2023 à 08h19
5 min
Droit
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Emmanuel Macron voudrait pouvoir bannir les cyberharceleurs sur les réseaux sociaux sans passer par un juge. Cette annonce soulève plusieurs problématiques techniques et légales, notamment au niveau européen et sur la question de l’anonymat.
Interrogé par 01net au sujet des propos tenus par Emmanuel Macron, qui voudrait bannir – sans juge – les cyberharceleurs des réseaux sociaux, Alexandre Archambault, avocat spécialiste du numérique, rappelle que la France ne peut pas « s’asseoir sur les fondamentaux d’État de droit » :
« Si les États membres veulent ajouter des nouvelles obligations supplémentaires à celles prévues par le DSA, ils peuvent le demander, mais il faut un consensus au niveau européen. Elles ne doivent pas être incluses dans des lois nationales qui vont revenir à fragmenter l’application du DSA. Si la France le fait, qu’est-ce qui empêchera demain Victor Orban ou la Pologne de demander à un hébergeur de retirer des contenus LGBT ? »
La France va se heurter à l’Europe
La Commission européenne a déjà rappelé que les États-membres ne devaient pas, sur un « domaine réservé » déjà traité par Bruxelles, édicter des règles plus strictes. Ce que Thierry Breton rappelait récemment, en réponse à une question de l'eurodéputé (LR) Geoffroy Didier. La réponse est arrivée avant la volonté d’Emmanuel Macron de se passer d’un juge, mais après le projet de loi qui prévoit de bannir un cyberharceleur.
L'eurodéputé l'interrogeait en effet sur le projet de transposition, en droit français, des règlements sur les marchés numériques (Digital Markets Act – DMA) et les services numériques (Digital Services Act – DSA), alors que « seule la Commission est habilitée à prendre des mesures coercitives à l’encontre des grandes plateformes en ligne, conformément aux dispositions des règlements européens » :
« Comment la Commission envisage-t-elle de se saisir de la question de la proposition française qui ajoute aux réglementations européennes des normes nationales plus exigeantes qui n’auraient pas été préalablement négociées avec les institutions européennes ? »
Le commissaire européen au Marché intérieur lui a répondu de façon « particulièrement cinglante », précise 01Net :
« La Commission est prête à mettre en œuvre des moyens coercitifs pour empêcher toute initiative nationale. Les États membres devraient s’abstenir d’adopter des législations nationales qui feraient double emploi avec ces règlements ou qui créeraient des dispositions plus strictes ou plus détaillées dans les domaines réglementaires concernés ».
Quid du Conseil constitutionnel ?
Au-delà du rempart européen, le projet devra aussi passer le filtre du Conseil constitutionnel, qui se penchera sur le sujet une fois la loi adoptée. Et comme le rappelle maitre Alexandre Lazarègue à Sud Ouest, « cela pose d’abord un problème par rapport à la liberté fondamentale du droit à la communication, qui est un principe constitutionnel. Or, dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel protège ce principe avec beaucoup de force. Donc il y aura forcément des débats autour de ce point ».
L’avocat spécialisé dans le numérique s’exprimait sur le projet de loi dévoilé en avril dernier, avant qu’Emmanuel Macron souhaite se passer d’un juge. Que ce soit au Conseil constitutionnel ou au niveau de l’Europe, la question reste néanmoins d’actualité, et se posera d’autant plus sans le passage par un juge.
Comment agir ?
Comme le rappelle service-public.fr, le cyberharcèlement est un délit, c’est-à-dire un « acte interdit par la loi et puni d'une amende et/ou d'une peine d'emprisonnement inférieure à 10 ans » :
« Si vous êtes victime de ce type de harcèlement, vous pouvez demander le retrait des publications à leur auteur ou au responsable du support électronique. Vous pouvez aussi faire un signalement en ligne à la police ou à la gendarmerie ou porter plainte. Ce délit est sanctionné par des peines d'amendes et/ou de prison. Les sanctions sont plus graves si la victime a moins de 15 ans ».
Reste la question de la faisabilité pour les plateformes de bannir les cyberharceleurs. Les réquisitions judiciaires permettent au mieux (mais pas tout le temps) d'en retrouver certains, voire de les faire condamner, mais il est plus difficile, pour ne pas dire impossible, de les empêcher de créer de nouveaux comptes.
En effet, un blocage par adresse IP n’est pas possible pour plusieurs raisons : on ne saurait bloquer tout un foyer, les abonnés n’ont pas d'adresse IP fixe, il existe des point d'accès en libre-service, etc. Depuis plusieurs années, un serpent de mer revient régulièrement : instaurer une obligation de vérification d’identité à l’entrée des plateformes.
La question de l’anonymat va forcément se télescoper avec ce projet de loi, que le bannissement passe ou non par un juge. « Emmanuel Macron avait dit qu’il reviendrait sur ce principe d’anonymat, mais il ne l’a pas fait, car cette interdiction se heurte à la liberté d’expression. Et c’est vrai que l’anonymat doit aussi dans certains cas être protégé, notamment pour les lanceurs d’alerte », rappelle Alexandre Lazarègue.
La Commission européenne avertit la France qu’elle ne peut pas aller au-delà de ses règlements
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La France va se heurter à l’Europe
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Quid du Conseil constitutionnel ?
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Comment agir ?
Commentaires (17)
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Abonnez-vousLe 11/09/2023 à 08h36
“En effet, un blocage par adresse IP n’est pas possible pour plusieurs raisons”
Les adresses IP sont partagées par plusieurs foyers…
Le 11/09/2023 à 08h45
Si la France le fait qu’est-ce qui empêchera demain Victor Orban ou la Pologne
de demander à un hébergeur de retirer des contenus LGBT ? »
très juste !
y-aura PLUS aucune raison de refuser leurs demandes !
(ce serait la porte ouverte ‘à tout-va’)
Le 11/09/2023 à 09h17
Petite rectification : certaines adresses (et encore, seulement en IPv4) se retrouvent être partagées par plusieurs foyer.
Ceux qui sont en IPv6 ont une IP dédiée. Et beaucoup de foyer ont encore une IPv4 dédiée également (à un instant t, il va sans dire).
Le 11/09/2023 à 10h50
Le non-anonymat ne fait pas peur à certain·e·s pour déverser leur haine en public sur les réseaux sociaux.
Le 11/09/2023 à 11h27
Toujours en terme pratique (à défaut de discuter sur l’aspect moral / légal de la chose), je me demande comment diable ça pourrais marcher sur des inscriptions à des services n’ayant pas de base en France.
Et est-ce qu’on est vraiment sur de vouloir envoyer sa pièce d’identité à un réseau russe, ou chinois ? Ou même américain ?
Pour moi , si l’on veux vraiment , collectivement, imposer les exigences du gouvernement tel que celle citée dans l’article, mais aussi le blocage des sites porno, et toute mesure qui vise à restreindre l’accès des individus à des serveurs tiers, il n’y a pas le choix : Il faut couper la France du reste d’internet, et établir des “passerelles gouvernementales” sélectives au niveaux des points d’échange entre pays. Et ça n’empêchera pas les technologies comme starlink ou autre radio longue distance….
Internet est, à la base, une immense machine conçue pour copier des données avec le moins de blocage possible, sans tenir compte de la nature de ces données.
Un gouvernement qui restreint ou veux restreindre l’accès aux citoyens à ce média est, pour moi, un gouvernement qui n’a aucune confiance dans ses administrés et qui cherche à orienter les lectures et censurer les écrits, par conviction personnelle ou par calcul politique plutôt que d’assumer ses propres idées et en débattre publiquement.
Et disant cela , ce n’est pas du tout nier les problèmes que cette liberté de lire & écrire apporte avec elle (réseaux sociaux, porno me viennent à l’esprit mais je supporte d’autre aussi). Simplement chercher à censurer est une réflexe de tyran.
Le 11/09/2023 à 11h41
La France veut, via sa loi SREN, imposer le blocage des sites web au niveau des navigateurs. C’est moins cher que de tout de suite nous faire un “Grand Firewall de France” mais ça en dit long sur les tordus au pouvoir…
Le 11/09/2023 à 13h51
Ça fait un moment que le CC est à la botte de ma€ron. Il y aurait eu tellement à déglinguer dans la réforme des retraites, mais non, ça passe crème, ça trouve juste un p’tit truc à la marge pour faire genre.
Sinon, pour commencer, son président a un fils qui bosse chez McKinsey.
Et puis y’a la gourdasse : Jacqueline GOURAULT
Le 12/09/2023 à 11h37
Étrange de sous-entendre un conflit d’intérêt quand l’article indique :
Quant à traiter J. Gourault de gourdasse, ça mériterait a minima quelque précision.
Mais bon, quand j’ai vu ma€ron, je me doutais que le reste allait être du même acabit.
( serais-tu de ceux qui trouvent très bien les huées au stade de France. Je fais partie de ceux qui trouvent que c’est médiocre )
Le 13/09/2023 à 05h49
Les huées, c’est trop démocratique pour vous ?
Ou bien vous préférez quand il peut interposer 400 CRS, et se pavaner devant des figurants pendant que les casseroles sont tenues hors de portée des micros et caméras ?
Le 14/09/2023 à 07h40
Ce n’est pas du tout la question. Nous sommes, et c’est heureux, en démocratie, donc je ne conteste pas le droit à le faire. Mais ce qui est autorisé n’est pas forcément bon ni pertinent.
Je ne pense pas que ça ait un quelconque impact sur nos dirigeants, par contre ça a un impact sur la vision que le reste du monde a de nous. Et j’ai moult étrangers dans mes relations quotidiennes qui me confortent dans cette conviction (dont des néo-zélandais fans de rugby avec lesquels j’échangeais avec signal durant le match)
Bref, le faire est effectivement permis, je ne pense pas que ça soit pertinent et encore moins qu’il soit légitime d’en tirer une quelconque fierté !
Le 11/09/2023 à 16h10
Oui , mais c’est totalement démagogique.
Les navigateurs proprio (chrome, …) le feront peut-être, et encore. Mais aucune chance que les navigateurs open-source (chromium, firefox) le fassent et si ils le font, il sera très simple de recompiler puis diffuser une version non censurée , voire via une extension…
Bref, ce genre de gesticulations à destination des cathos du FN ne me font pas trop peur, par contre, toucher au coeur de réseau serait de nature à fragiliser l’infra des opérateurs sans pour autant répondre au problème initial. Par contre, fragiliser l’infra veux aussi dire que c’est plus facile à faire tomber en panne. Notamment par exemple lors de mouvements sociaux….
J’aimerais éviter que Macron prépare une boite à outil clé en main pour casser Internet (tout du moins les opérateurs grand public) toute prête à être utilisé quand Marine arrivera finalement aux manettes et accélèrera la sape de la société française.
Le 11/09/2023 à 17h26
Ah, mais il a sans-doutes fait un sondage auprès des patrons du CAC40
– “et Mélenchon président, vous en pensez quoi?”
– “ah non pas question!”
– “Et MLP”?
– “oh, ça on peut se débrouiller avec. Le RN est très souvent d’accord avec nous.”
Tout ce que Macron fait pour le moment, c’est gonfler l’état policier pour stabiliser le pays après la passassions de pouvoir. Si MLP arrive au pouvoir sans heurts, ce sera mission accomplie.
Le 11/09/2023 à 16h54
Facile.
1 | 0.0.0.0 | ANY | ANY | DENY
Voilou.
Le 12/09/2023 à 08h40
Le 11/09/2023 à 16h57
Macron a déjà montré ce qu’il pensait de l’État de droit.
Le 11/09/2023 à 22h57
Mais pourquoi est-ce qu’on devrait aller dans cette direction de toute façon ? C’est la même question que la surveillance généralisée (que certains osent appeler “protection”), ça ne protège rien du tout, par contre ce qui protège c’est la peur d’une épée de Damoclès, à savoir une très lourde sanction, quelque chose de dissuasif comme ça, car si on se fait choper, c’est sans retour ! Vous savez, un peu comme mettre Assange dans la pire prison, pour l’exemple et pour terroriser toute personne voulant informer sur les coulisses. Cette arme-là, mais cette fois, pour une bonne cause.
Le 12/09/2023 à 06h32
C’est un peu la logique des gouvernements en ce moment dans tous les domaines, faire des exemples violents (policiers comme juridiquement) pour “faire peur” au autres qui ont davantage à perdre et ainsi maintenir le status quo.
Tous les domaines sont concernés par cette méthode et c’est dommage car à mon avis ça empêche de réfléchir sereinement aux vrais problèmes qui se posent - dans cet article par exemple le cyberharcèlement (*)
(*) qui n’est pour moi qu’une forme de harcèlement, qui existe depuis toujours hors du numérique et qui prends son origine dans les relations toxique que les gens peuvent avoir entre eux, lié à leur éducation, mode de vie, …
Le numérique “complique” les choses en les exposants et en entravant la recherche de responsabilité, mais il n’est pas à l’origine du comportement.