P2P : devant la CJUE, menace sur les dédommagements des ayants droit en Allemagne
Berlin-pin-pin
Le 12 mars 2018 à 10h15
4 min
Droit
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Une affaire touchant au droit d’auteur sera plaidée mercredi à la Cour de justice de l’Union européenne. Elle concerne une action en contrefaçon dirigée contre un abonné allemand, qui tente d’échapper au paiement de dommages et intérêts au motif que d’autres membres de sa famille avaient accès à son ordinateur.
La question de la responsabilité personnelle en matière de contrefaçon va être nourrie d’une intéressante affaire devant les juridictions européennes. Les faits se sont déroulés en Allemagne en 2010.
Depuis l’ordinateur d’un internaute (un certain Michael Strotzer), un livre audio a été mis en partage sur les réseaux peer-to-peer. L’éditeur l’a poursuivi devant les juridictions nationales pour obtenir des dommages et intérêts. Une procédure classique, en somme… Sauf que cette personne a fait valoir que sa connexion était sécurisée et que ses parents y avaient également accès.
Le droit à dédommagement et la protection de la famille en Allemagne
Pourquoi un tel axe de défense ? « En Allemagne, le titulaire d’une connexion Internet est présumé avoir commis un acte illégal quand aucune autre personne ne pouvait utiliser la connexion au moment de la commission de cet acte, expliquent les services de la CJUE dans une note. En revanche, si, au moment de la commission de l’acte, la connexion Internet n’était pas suffisamment sécurisée ou était sciemment laissée à la disposition d’autres personnes, le titulaire de la connexion n’est pas présumé avoir commis la violation ».
Lorsqu’un individu est mis en cause, il peut alors échapper à sa condamnation en désignant nominativement les autres personnes ayant accès à sa connexion. Toutefois, si ces tiers sont membres de sa famille, « il n’a pas besoin de donner davantage de précisions sur le moment et la nature de l’utilisation d’Internet, en raison de la protection du mariage et de la famille garantie par le droit constitutionnel allemand ».
Des sanctions efficaces et dissuasives ?
On voit rapidement la difficulté pour les ayants droit : ce mécanisme peut finalement conduire à ce qu’ils ne puissent obtenir de réparation de leurs préjudices, malgré la mise en partage d’œuvres sur les réseaux P2P. Il suffit que le mis en cause accuse les personnes de son foyer, sans donner d’autres précisions.
Les juridictions allemandes ont ainsi soulevé une question préjudicielle pour éprouver cette législation sur l’autel de la directive de 2001 sur le droit d’auteur. Celle-ci exige des États membres, des sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives » (article 8, paragraphe 1) avec des dommages et intérêts à la clef (même article, paragraphe 2). Or, ce triple seuil qualitatif pourrait ne pas être atteint outre-Rhin.
Les plaidoiries auront lieu mercredi. Suivront les conclusions de l’avocat général puis, dans plusieurs mois, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.
La France et le choix de la Hadopi
Remarquons que la France a opté pour un autre mécanisme. C’est la loi Hadopi. Après une tentative avortée, qui visait à prévoir des sanctions d’un faible montant pour tous les échanges P2P, le législateur s’est retranché sur initiative du ministère de la Culture sur une logique mélangeant droit et technologie. C'est l'obligation de sécurisation.
La loi de 2009 permet en effet de pénaliser, non celui qui est réputé avoir mis en échange les fichiers, mais l’abonné parce qu’il n’a su empêcher ces partages malgré plusieurs avertissements dits « pédagogiques ».
P2P : devant la CJUE, menace sur les dédommagements des ayants droit en Allemagne
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Le droit à dédommagement et la protection de la famille en Allemagne
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Des sanctions efficaces et dissuasives ?
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La France et le choix de la Hadopi
Commentaires (27)
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Abonnez-vousLe 12/03/2018 à 10h30
(et neuf ans plus tard, il n’existe toujours pas de solution officielle pour la méthode de sécurisation d’une ligne alors que la loi prévoyait que la hadopi devait s’en charger)
Le 12/03/2018 à 10h36
question idiote : c’est autorisé de mettre comme image d’illustration un billet ayant cours officiel s’il n’y a pas écrit specimen en travers de celui-ci ?
Le 12/03/2018 à 10h52
Je note qu’il n’y a pas de crédits en bas de l’image non plus, du coup, on ne sait pas d’où elle vient.
Le 12/03/2018 à 11h01
La loi de 2009 permet en effet de pénaliser, non celui qui est réputé avoir mis en échange les fichiers, mais l’abonné parce qu’il n’a su empêcher ces partages malgré plusieurs avertissements dits « pédagogiques ».
Un peu comme on pénalise les péages d’autoroutes quand ils n’ont pas su empêcher le transport de produits contrefaits.
Ah… non. " />
Le 12/03/2018 à 11h22
Ca va être intéressant comme jugement.
Comme il est fait par la CJUE, il peut avoir des répercussions en France, même si on n’a pas le même mécanisme de pénalisation ?
Sinon, pour l’Allemagne, ce n’est pas une discrimination envers les célibataires ? Si tu n’es pas seul, le droit constitutionnel peut permettre de s’en tirer en désignant ton/ta conjoint(e), mais si on est célbataire, on n’a pas cette défense.
Le 12/03/2018 à 11h57
Sympa le concept
Dans ma famille tous nos points d’accès ont le même nom et le même mot de passe, comme ça quand on va chez l’un ou chez l’autre on ne se prend pas la tête.
Le 12/03/2018 à 12h23
en même temps, ça tient plus du trou juridique que d’un moyen de défense légitime " />
Le 12/03/2018 à 12h58
Certes, mais un trou exploitable doit être exploité " />
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Le 12/03/2018 à 13h01
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Tout à fait, la nature a horreur du vide…
Le 12/03/2018 à 13h21
L’arrêt concernera uniquement le système allemand. Par contre, il n’est pas impossible que ses conséquences s’étendent indirectement en France.
La directive est européenne et son interprétation doit être homogène. Si la France avait adopté la même solution que le droit allemand, elle devrait remettre en question son système à la lumière de l’interprétation de la Cour bien que le jugement n’est jamais applicable qu’à autre chose qu’au cas individuel et concret.
Par contre, chaque Etat-Membre dispose d’une marge de manoeuvre dans la transposition de la directive (raison pour laquelle les systèmes diffèrent). Il faudrait donc encore examiner si la décision est pertinente pour la France, et si c’est le cas, dans quelle mesure est-ce que choisir de protéger l’un ou l’autre des droits entre dans la marge de transposition de l’Etat Membre.
Par contre, une décision en faveur des garanties constitutionnelles de la famille pourrait inciter un citoyen français sanctionné pour défaut de sécurisation de sa ligne à lancer une procédure afin que la CJUE décide sur le système français.
Le 12/03/2018 à 14h13
Merci pour les précisions " />
Donc selon la décision de la CJUE, un français pourrait demander à la CJUE une adaptation de cette spécifité allemande dans le droit français ?
Le 12/03/2018 à 14h21
Légalement non.
Le 12/03/2018 à 14h36
J’ai regardé Samedi sur Arte l’émission Karambolage.
ils expliquaient la même chose pour les infractions routières. à savoir que si un allemand est flashé pour une faute, si ce n’est pas lui qui est au volant mais un membre de sa famille, la prune passe à la trappe….
Cela fait rêver… " /> " />
Comme quoi en choisissant bien ses chaines de TV, il y a des choses intéressantes….
Le 12/03/2018 à 14h48
enfin bon, c’est suite a un passé assez douloureux que cela a été mis en place.
c’est une bonne protection je trouve, en France tu dénonce des membre de ta famille (pour les amendes vitesse), au fur et a mesure des lois cela peut s’étendre assez facilement, comme au bon vieux temps " />
Le 12/03/2018 à 15h32
Génial !!!
En Allemagne on peut donc dire que c’est un coup de son frère jumeau ? " />
Le 12/03/2018 à 15h48
https://www.banque-france.fr/billets/reconnaitre-et-utiliser-les-billets-et-les-pieces-en-euros/les-regles-de-reproduction-dimages-de-billets
Le 12/03/2018 à 15h53
elle existe pourtant, la solution officielle: le pare-feu openoffice , anéfé " />
Le 12/03/2018 à 16h30
Le 12/03/2018 à 17h34
Si la CJUE considère que les garanties allemandes en matière de vie familiale peuvent justifier cette atteinte au droit d’auteur, alors un internaute qui se fait attraper pour défaut de sécurisation pourra tenter le coup.
Mais rien ne sera garanti quant au résultat. Il y a plein de facteurs locaux qui peuvent entrer en ligne de compte pour que la CJUE considère qu’un jugement dans le même sens n’est pas pertinent. Si la décision de la cour est que les sanctions sont quand même suffisamment efficaces, rien ne dit qu’elles sont trop contraignantes en France.
Le 12/03/2018 à 18h26
Comme quoi, le mécanisme législatif de la Hadopi est plus robuste, pour ce qui est de la défense des intérêts des ayants droit dans le cadre d’un partage en P2P. Dommage toutefois que cela ait reporté le piratage non commercial vers le piratage commercial, que cela soit via des sites de streaming illégaux, les solutions de proxy et de VPN ciblant précisément les pirates d’oeuvres commerciales en cours d’exploitation.
Le 12/03/2018 à 19h09
C’est pas sûr. Tout le mécanisme législatif de l’Hadopi repose justement sur cette notion de non-sécurisation de la ligne (celle de présomption de commission d’un acte illégal par le titulaire de la connexion n’ayant pas tenue devant le CC pendant DADVSI). Hors je suis sûr qu’il suffit que quelqu’un qui se fasse choper ai les couilles (et surtout un bon avocat) pour amener ça devant un juge, pour que ça saute.
En effet, l’Hadopi considère qu’il suffit d’observer qu’un acte illégal a été commis pour considérer qu’il n’y a pas eu sécurisation de la connexion, ce qui est complètement faux (pour ne pas dire débile…). Toutes les sécurisations du monde n’empêcheront pas forcément un acte illégal d’être commis.
C’est un peu comme si les assurances habitation ne remboursait pas lorsque tu te fait cambrioler parce que ça signifierait que tu as mal sécurisé ta maison…
Le 12/03/2018 à 21h11
Pour ce que j’ai compris, tu as deux possibilités quand tu te fais choper par la Hadopi :
Qui plus est, la Hadopi ne remplace pas les poursuites pour contrefaçon. C’est un choix parmi l’arsenal juridique pré-existant, et certains pirates se sont vus poursuivis pour piratage sans passer par les courriers d’avertissement.
Quant aux procès relatés par Next INpact en matière de P2P ou de streaming illégal, s’ils sont rares, j’en retiens que les ayants droits sont habituellement gagnants, et bénéficient de dommages et intérêts exorbitants compte tenu du préjudice. Car, à ma connaissance, personne n’a réussi à démontrer qu’un téléchargement correspondait à une vente en moins. Au contraire, de nombreux cas indiquent que l’impact du piratage sur les ventes est marginal, bien que réel.
Ceci dit, il me semble qu’en France, la Hadopi ne suit pas le piratage des oeuvres littéraires sur les réseaux P2P. Les éditeurs, en revanche, je l’ignore.
Le 12/03/2018 à 22h12
Le 13/03/2018 à 08h49
Le 13/03/2018 à 08h56
Le 13/03/2018 à 09h03
Mais si tu te fais quand même cambrioler alors que tu avais bien fermé ta porte, ils ne te répondent pas que le cambriolage est la preuve que tu n’avais pas assez sécurisé ta maison…
Le 13/03/2018 à 15h16