Transparence des frais de mandat des députés : Regards Citoyens saisit la justice européenne
Frais du milieu
Le 28 janvier 2020 à 15h48
7 min
Droit
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Déboutée l’année dernière par le Conseil d’État, l’association Regards Citoyens vient de se tourner devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans l’optique d’obtenir la transparence sur les frais de mandat des députés.
En mai 2017, à quelques semaines du renouvellement de l’Assemblée nationale, Regards Citoyens avait sollicité les 574 élus du Palais Bourbon afin de leur demander une copie des relevés bancaires dédiés à leur IRFM (la fameuse « indemnité représentative de frais de mandat »), pour les mois allant de décembre 2016 à avril 2017.
L’association espérait ainsi démontrer que contrairement à l’idée reçue, cette enveloppe d’environ 5 000 euros par mois s’avère « utile et nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie ». Regards Citoyens estime en ce sens qu’il est « essentiel que l’usage de cet argent public soit rendu transparent », ne serait-ce que pour « rétablir la confiance des citoyens dans la bonne utilisation des moyens publics mis à la disposition des élus pour leurs mandats ».
Seuls sept parlementaires avaient cependant accepté de jouer le jeu de la transparence : Brigitte Allain, Isabelle Attard, Jean-Luc Bleunven, Joël Giraud, Régis Juanico, Dominique Raimbourg et Barbara Romagnan. Faute de réponse de la part des 567 parlementaires restants, l’organisation de bénévoles à l’origine notamment du site « NosDéputés.fr » avait saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), puis le tribunal administratif de Paris, et enfin le Conseil d’État. Sans succès.
Un régime spécial pour les documents émanant des assemblées parlementaires
Le nœud du problème réside dans le périmètre de la « loi CADA », relative à l’accès des citoyens aux documents administratifs. Les « actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires » sont en effet exclus du droit de communication prévu par le texte de 1978.
Regards Citoyens a néanmoins cru voir une brèche dans la mesure où sont également considérés comme des « documents administratifs » les « documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par [les] personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission ».
Les députés ayant aux yeux de l’association « qualité d’organe de l’État chargé d’une mission de service public », comme l’a parfois reconnu le juge judiciaire dans certaines affaires visant des parlementaires, leurs relevés d’IRFM auraient ainsi pu être considérés comme « communicables ».
Tout comme la CADA, le tribunal administratif de Paris s’est cependant jugé incompétent pour examiner ce dossier, fin 2018. Saisi dans le cadre d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État a finalement estimé que le litige relevait bien de la compétence du juge administratif, mais sans changer l’issue de la procédure : la haute juridiction a considéré que les relevés bancaires sollicités n’étaient pas communicables.
L'indemnité représentative de frais de mandat étant « destinée à couvrir des dépenses liées à l'exercice du mandat de député », le Conseil d’État a en effet jugé que cette enveloppe était « donc indissociable du statut des députés, dont les règles particulières résultent de la nature de leurs fonctions, lesquelles se rattachent à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement ».
Une argumentation pour le moins laconique, qui fut vivement dénoncée par Regards Citoyens. « Le statut de député est avancé ici comme une forme d’écran empêchant aux citoyens l’accès aux dépenses des députés » avait réagi l’association, pour qui l’arrêt du Conseil d’État n’était pas suffisamment étayé.
« Reposant ainsi sur ce seul argument d’autorité, cette décision est une nouvelle atteinte au droit de savoir assez alarmante », déplorait l’organisation. C’est justement sur ce fondement du droit à l’information que l’organisation a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, le 15 décembre dernier.
Un recours au nom du droit à l’information
Le recours déposé par Regards Citoyens, et que Next INpact a pu consulter, se fonde sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « toute personne a droit à la liberté d’expression ». Un droit qui « comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière », poursuit le même article.
Devant les juges européens, l’association a ainsi souligné que cet article de la CEDH s’entendait « non seulement du droit de communiquer des informations, mais également du droit d’en recevoir ». Or, les yeux rivés sur la jurisprudence de la Cour, Regards Citoyens fait valoir que cette dernière a « constamment rappelé que le public avait le droit de recevoir des informations d’intérêt général » (voir par exemple cette décision de 2016, à l’encontre de la Hongrie).
Des restrictions peuvent certes être prévues, mais celles-ci doivent être encadrées par la loi et s’avérer « nécessaires dans une société démocratique ». Des critères qui ne sont pas respectés en l’espèce, selon Regards Citoyens.
L’association soutient en effet que l’article 10 de la CEDH a été violé, le Conseil d’État ne s’étant fondé « sur aucune restriction prévue par la loi pour refuser la communication des documents » sollicités par ses soins.
L’organisation derrière le site « NosDéputés » estime d’autre part qu’il est « nécessaire dans une société démocratique que les citoyens puissent s’assurer que cette indemnité [de frais de mandat, ndlr] a bien été employée uniquement à ce pourquoi elle a été instituée ». Insistant :
« L’accès aux documents ici demandés est incontestablement nécessaire à la pleine information des citoyens puisque, dans sa rédaction alors applicable, le Règlement budgétaire, comptable et financier de l'Assemblée nationale prévoyait que cette indemnité représentative de frais de mandat avait pour objet de couvrir les frais afférents à l'exercice du mandat parlementaire qui ne sont pas directement pris en charge ou remboursés par l'Assemblée nationale. »
Regards Citoyens affirme enfin qu’au regard de ses multiples activités et de ses partenariats avec différents médias (par exemple sur la transparence des relations entre médecins et industrie pharmaceutique), elle peut être « qualifiée de « chien de garde » pour la société, dont les activités doivent, comme celles de la presse, être protégées par la Convention, ce qui justifie qu’elle puisse se prévaloir des stipulations de l’article 10 de la Convention ».
Quelles suites ?
Quelle qu’en soit l’issue, la procédure engagée par Regards Citoyens pourrait s’avérer particulièrement longue. La CEDH explique effectivement « s’efforce[r] de traiter les affaires dans les trois ans suivant leur introduction, mais l’examen de certaines affaires prend parfois plus de temps ».
La portée des arrêts de la Cour s’avère surtout très symbolique : les juges pourraient essentiellement constater la violation de l’article 10 de la CEDH, et éventuellement enjoindre la France à indemniser Regards Citoyens au titre du préjudice subi. Mais pas décider d’annuler l’arrêt du Conseil d’État.
Pour éviter une nouvelle condamnation, Paris serait surtout invitée à revoir sa législation.
Transparence des frais de mandat des députés : Regards Citoyens saisit la justice européenne
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Un régime spécial pour les documents émanant des assemblées parlementaires
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Un recours au nom du droit à l’information
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Quelles suites ?
Commentaires (39)
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Abonnez-vousLe 28/01/2020 à 15h57
Faute de réponse de la part des 567 parlementaires restants
Par les mêmes hommes politiques qui nous serinent sans cesse que si on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à cacher, ça vaut son pesant de popcorn. " />
Le 29/01/2020 à 08h00
Expliquer-moi ce que vient faire ce genre d’articles sur NextImpact ?
Me serai-je abonné à un site “politique” sans le savoir ?
Le 29/01/2020 à 08h08
Le 29/01/2020 à 08h12
Le 29/01/2020 à 08h19
NextInpact a toujours traité ce genre d’information à mis chemin entre le politique et le droit quand cela touche de prêt ou de loin au numérique.
Pour ma part, je trouve ce sujet intéressant et ne consultant que peu d’autre site d’information, j’aime voir ce genre de sujet abordé ici.
Je ne suis d’ailleurs pas convaincu qu’un autre média ai parlé de l’action de regard citoyen.
Le 29/01/2020 à 08h43
Le 29/01/2020 à 09h06
Le 29/01/2020 à 09h12
moi ça me va !
YouTube
Le 29/01/2020 à 09h15
Ha…
NxI ne serait donc qu’un repaire de gauchopedoterroclimatocomplonazo…(mettez ce que vous voulez)-istes..
Champiooooooon!!! " />
Ou comment généraliser un peu beaucoup sa mère (oui, c’est une expression valable selon le Bescherelle)…
Le 29/01/2020 à 09h16
On ne va pas se plaindre d’un journal informatique qui parle aussi du droit autour de l’informatique…
Le 29/01/2020 à 09h18
Il y a clairement une dichotomie entre la volonté affichée de diffusée l’information auprès des citoyens et les barrières administratives qui rendent impossible cet accès.
Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autre, nombreux.
Le 29/01/2020 à 13h31
“Next INpact - Actualités informatique et numérique au quotidien”
==> on touche assez vite au numérique avec la CADA
Le 29/01/2020 à 14h01
Le 29/01/2020 à 14h18
Le 29/01/2020 à 14h28
Tu confonds justifications des conditions d’accès à “l’aide” et justifications des dépenses de l’aide.
Si mon voisin bénéficie d’un HLM, cela signifie que l’administration considère qu’il y a droit.
Tu disposes déjà des informations sur ces conditions d’accès à ce droit. Le public n’a pas besoin d’avoir plus de détails sur sa situation car ce serait porter atteinte à sa vie privée.
Si tu as un doute sur la réalité de ces conditions d’accès, tu peux toujours relever le point à l’administration.
Mais entre elle et toi, il y a de fortes chances que ce soit toi qui ait tort.
La justification des dépenses dépend de ce que la loi édicte.
Ainsi, pour les HLM, il n’y a pas de difficultés, le prix du loyer tient déjà compte de l’aide apportée, aucune justification de dépense n’est à demander.
Pour les aides à la rentrée, elles ont vocation à aider les familles à financer les dépenses de la rentrée scolaire de façon générale, ce qui inclut nourriture et de nombreux autres éléments: la loi n’impose pas donc de justification des dépenses.
Pour les parlementaires, les frais de mandat sont « destinée à couvrir des dépenses liées à l’exercice du mandat de député »: la justification se porte sur la dépense, celle-ci doit donc être justifiée.
Ces dépenses étant normalement faites dans le cadre du mandat de député donc dans le cadre de l’action de l’administration, il est donc normal que celles-ci soient publiques et vérifiables par le public.
Les régimes sont différents, la publicité est donc différente: il faut faire attention à ne pas tout mélanger par simplicité.
Le 29/01/2020 à 15h05
Le 29/01/2020 à 15h09
Le 29/01/2020 à 15h19
Le 29/01/2020 à 17h49
Le 29/01/2020 à 21h09
Tu confonds deux régimes qui n’ont rien de comparables vu que l’aide publique porte en plus du loyer sur le bâti… et non l’aide publique ne finance pas encore des restaurants en complément du RSA en dehors des murs des assemblées… donc on en a toujours pas fini avec les restos du cœur. (Et c’est bien dommage, d’ailleurs)
Les deux se tiennent certes sur la vérification de la dépense mais le moment de vérité n’intervient pas au même moment !
Les députés ayant aux yeux de l’association « qualité d’organe de l’État chargé d’une mission de service public », comme l’a parfois reconnu le juge judiciaire dans certaines affaires visant des parlementaires, leurs relevés d’IRFM auraient ainsi pu être considérés comme « communicables ».
Il n’est nullement question de transparence.
Le 30/01/2020 à 07h22
Le 30/01/2020 à 12h05
Le 30/01/2020 à 19h45
Ce qui est faux c’est d’affirmer que le but de cette demande (regards citoyens) réside dans la défiance de l’Etat pour réaliser ces taches [de vérification]. Dont les critères sont définis par un collège de questeurs et non la déontologue qui fait le travail de collecte et appréciations signalement.
La vraie question c’est de savoir si les critères sont du ressort de l’état ou des députés. Et on comprend facilement que le problème n’est pas de savoir si c’est l’état ou non mais comment un débat sur ces fameux critères peut avoir lieu sans documents écrits les spécifiant. Aucun règlement sur la méthodologie n’est trouvable (mais peut-être n’ai-je pas assez creusé).
Regards Citoyens ne va donc pas inférer sur des données qu’il ne connaît pas. En plus de se tromper de cible…
Le 29/01/2020 à 09h28
Le 29/01/2020 à 09h38
Le 29/01/2020 à 09h43
Or, les yeux rivés sur la jurisprudence de la Cour, Regards Citoyens fait valoir que cette dernière a « constamment rappelé que le public avait le droit de recevoir des informations d’intérêt général »
Droit de savoir
Droit de recevoir des informations.
C’est assez amusant de voir jusqu’où ira la décision du CEDH.
Ici la question sous jacente est que les députés fassent état des dépenses qu’ils font de l’argent public qu’ils reçoivent. Ceci afin de juger de leur probité.
Regards.Citoyens de part sa consonance politique ne cherche que cela comme informations.
Imaginons une autre association avec des opinions opposées sur l’échiquier politique. Qu’est ce qui les empêcheraient alors de demander à l’ensemble des citoyens de mettre à disposition l’utilisation qu’ils font de l’argent public qu’ils reçoivent ? Information d’intérêt général concernant la bonne utilisation de l’argent public distribué.
Le 29/01/2020 à 10h00
C’est pour ça qu’il adore autant commenter sur ce site…
Le 29/01/2020 à 10h02
“l’organisation de bénévoles à l’origine notamment du site «
NosDéputés.fr » avait saisi la Commission d’accès aux documents
administratifs (CADA)”
ça me semble suffisant comme raison.
Le 29/01/2020 à 10h06
Le 29/01/2020 à 10h10
Le 29/01/2020 à 10h12
les députés fassent état des dépenses qu’ils font de l’argent public qu’ils reçoivent….
‘public/privé’ ???
Le 29/01/2020 à 10h16
Le 29/01/2020 à 10h40
Le 29/01/2020 à 11h20
Le 29/01/2020 à 11h22
T’es vraiment le roi des casse-couilles toi!
Voilà mon opinion à ton sujet que je peux donner en tant qu’abonné si je suis ta bête logique!
T’es le premier à emmerder le monde quand quelqu’un balance un commentaire qui n’est pas en rapport avec la news mais ici il faut que tu la ramènes pour ne rien dire… comme d’habitude!
S’il n’a pas envie de lire les news politiques, abonné ou pas il peut tout à fait sauter à la suivante en nous faisant grâce de ses états d’âme!
Fin du HS en ce qui me concerne!
Le 29/01/2020 à 11h50
Le 29/01/2020 à 12h00
Le 29/01/2020 à 12h03
Le 29/01/2020 à 12h21
L’association espérait ainsi démontrer que contrairement à l’idée reçue, cette enveloppe d’environ 5 000 euros par mois s’avère « utile et nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie ».
En gros, la tentative visant à montrer que les députés sont des gens honnêtes et pas là pour s’engraisser, tourne au fiasco.
J’aime bien.