Le 15 décembre, au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, sera présenté le rapport « sur les outils de reconnaissance des contenus sur les plateformes de partage en ligne ». Mené conjointement par le Conseil, le CNC et la Hadopi, il prépare la transposition de l’article 17 de la directive sur le droit d’auteur. Point d’étape.
L’article 17 de la directive sur le droit d’auteur ? Cette disposition, autrefois inscrite à l’article 13, vient imposer une responsabilité immédiate de YouTube, Facebook, Twitter et des autres hébergeurs sur les contenus protégés mis en ligne sans autorisation par les internautes. Tous risquent ainsi une action en contrefaçon.
Le texte, préparé et poussé mordicus par la France, offre à ces intermédiaires une alternative pour échapper à ces mâchoires : ou bien signer un accord de licence avec les sociétés de gestion collective, et donc le plus souvent payer pour « liciter » les œuvres diffusées depuis leurs serveurs par des internautes. Ou bien mettre en place un mille-feuille de solutions de filtrage.
Une alternative non rappelée hier sur l’antenne de France Inter, surtout concentrée à fustiger le lobbying de Google durant les débats.
Le plan bien huilé connaît cependant une contrariété. La Commission européenne s’est vue chargée par la même directive d’établir des lignes directrices. Elles sont attendues « prochainement » promettait-elle fin novembre.
Paris déboussolé par les orientations bruxelloises
Bien plus importantes que leur simple intitulé, ces « orientations » doivent « aider les États membres à mettre en œuvre cette disposition », dans la phase de transposition de l’article 17 dans le droit de chaque État membre.
Si la Commission a tenu à rappeler avoir « mené un dialogue approfondi avec les parties prenantes afin de recueillir leurs points de vue sur les principaux sujets liés à l’application dudit article », les premières esquisses de ces lignes, révélées cet été, ont été fraichement accueillies au ministère de la Culture.
Pour mémoire, la Commission a souligné que l’article 17 se devait d’assurer l’équilibre entre protection du droit d’auteur et liberté d’expression. De là découlent plusieurs nécessités : garantir le respect des exceptions comme la courte citation, épargner les contenus signalés comme contrefaisant, mais relevant en réalité du domaine public, et s’assurer de leur originalité.
Un point douloureux pour les ayants droit français, alors que cette question est systématiquement contournée dans les contentieux de masse. Imagine-t-on YouTube conditionner l’activation des systèmes de filtrage rêvés par les ayants droit, à leur démonstration préalable de l’originalité des œuvres défendues ? Soit la démonstration qu'elles sont empreintes de la personnalité de chaque auteur.
Mieux, si pour la Commission, les « contenus vraisemblablement contrefaisants » devraient être fauchés par les solutions de filtrage, les contenus cette fois « vraisemblablement légitimes » devraient, eux, passer entre les lames.
Selon un document préparatoire datant du 23 septembre dernier, dont Next INpact a pu prendre connaissance, ces pistes ont été accueillies au jet d’acide par le CSPLA.
Une « profonde réécriture » de l'article 17
« Le texte des services de la Commission reconstruit ainsi profondément l’équilibre de la directive en introduisant ces notions de contenus susceptibles d’être contrefaisants et contenus susceptibles d’être légitimes, en esquissant des lignes directrices qui réserveraient les blocages aux seuls cas de certitude de contrefaçon ». Ces propos retranscrits dans ce compte rendu préparatoire sont attribués à Jean-Philippe Mochon.
Ce conseiller d’État est en charge de la nouvelle mission lancée le 30 janvier 2020 destinée à dresser un état de l’art et émettre des propositions portant « sur les outils de reconnaissance des contenus protégés par les plateformes de partage en ligne ». Une mission lancée en collaboration avec le CNC et la Hadopi, qui s’inscrit dans le cadre des travaux que Paris a engagés, la directive sur le droit d’auteur à peine adoptée.
Selon lui, la Commission donne à la protection des exceptions « une place centrale au détriment de l’effectivité des droits ». Et pour cause, « une simple possibilité d’exception impliquerait une paralysie des mesures préventives ». Pour lui, pas de doute, « c’est une profonde réécriture des équilibres envisagés par le texte de la directive ».
Au ministère de la Culture, l’objectif des travaux en cours est d’ « éclairer les choix à retenir pour la transposition et la mise en oeuvre de l'article 17 » en France. Cette transposition se fera sans débat, puisque le gouvernement a obtenu du Parlement le droit de légiférer par ordonnance sur ce point.
La crainte d'un blocage automatique trop limité
Le tout récent projet de loi d’Adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière l’habilite en effet à déborder sur l’espace du législateur, pour tenir le calendrier de transposition. Aucun risque donc d'avoir la même bérézina qu'en 2009 avec la loi Hadopi.
Il demeure que la doctrine en formation à Bruxelles inquiète le conseiller d’État : « affirmant que la protection des usages légitimes ne saurait être assurée seulement par le mécanisme de recours prévu par la directive, le document envisage une très forte limitation de l’efficacité des mesures préventives en affirmant que le blocage automatique doit être limité aux seuls contenus susceptibles d’être contrefaisants ».
Un « blocage automatique » qui devrait donc être plus ample, selon la grille de lecture défendue à la Rue de Valois.
Commentaires (21)
#1
Ouroboros !
Merci pour l’article :)
#2
Je trouve cela assez drôle que les ayants droits n’ont pas de problème avec un contenu “manifestement illicite” mais qu’ils ne veulent pas entendre parler de contenu “manifestement licite”. C’est la même boullli
Si “manifestement illicite” == !“manifestement licite” et “manifestement illicite” == null et “manifestement licite” == null alors brisure de la logique de l’univers donc Big crunch
#3
Faudrait vraiment que ce ministère soit renommé “ministère des ayant-droits”…
#4
Bonjour,
Merci pour cet article. Pouvez-vous nous dire de quelles marges de manœuvre dispose l’État français en matière de transposition d’une directive vis à vis des orientations de la Commission européenne ?
Autrement dit, sont-elles susceptibles d’entraîner de la part de la Commission européen le lancement d’une procédure de recours en manquement si elle considérait que la France s’en écarte trop et surtout pourraient-elles servir d’appui à un justiciable dans le cadre d’un recours devant le juge administratif ?
Merci encore pour cet article et vos éclairages
#4.1
logiquement, mais je ne suis pas juriste, si la transposition est contraire aux droits UE, en cas de litige le plaignant gagnerait, probablement sans aller jusqu’à la CJUE (je crois que les cours d’appel regardent aussi vis à vis du droit UE).
#5
Saperlotte, ils ont du mal à appliquer un texte inapplicable, ça me scie les jambes … yapluka espérer qu’avec le temps et les embûches qui vont s’accumuler, ils se rendent compte de leur bêtise.
#6
Hummm on attends toujours la dissolution de la Hadopi. Enfin elle l’est dans le CSA mais ce n’est qu’un coup de peinture
#7
Pardonnez-moi, je suis vraiment très fatigué aussi je perds le sens entre les citations et paraphrases visant leur auteur.
Est-ce que vous pourriez m’indiquer si la synthèse ci-dessous est correcte :
Et cet article 17 de la directive du droit d’auteur, n’est-ce pas un texte français ? Qu’est-ce que l’UE vient faire là-dedans ? Ou est-ce un texte européen ?
Diantre, je suis paumé.
#8
Ou formulé autrement, si je n’ai pas tout compris de travers :
#9
Me demande si les FDO pourront utiliser cet loi pour faire flouter leur image.
Certaine de leurs opérations peuvent passer pour de l’art.
#10
Pas « par défaut », mais aussi large que possible.
Si, automatique, mais uniquement aux contenus avec une « certitude de contrefaçon ».
Directive sur le droit d’auteur : « directive de l’Union européenne présenté en 2016 par la Commission européenne et pour lequel le Parlement européen a ouvert les négociations interinstitutionnelles … le 12 septembre 2018. »
#10.1
Merci !
#11
Ce qui est bien dans la notion “d’équilibre” c’est que si les ayants-tous-les-droits génèrent un sur-blocage, la seule réponse c’est “Oups, désolé”.
Je propose un équilibre par une amende reversée au pot commun (creative commons ou autre) à chaque fois qu’une oeuvre licite est strikée.
Et tant qu’à faire, montant augmentant à chaque fois car récidive. Comme une bonne partie des amendes qu’on se prend.
#11.1
ça serait tellement bien en effet
#11.2
C’est déjà possible.
#12
Pour la dernière remarque, c’est un article Européen (fortement souhaité par la France) et que les états membres doivent transposer dans leur droit… Reste que je suppose que dans la transposition, il y a une certaine marge de manœuvre et c’est là où en est rendu tout deux, à minima, à la même incompréhension.
Après il est tard et j’ai globalement lu l’article en diagonale, et pour faire simple, ben ce n’est pas compréhensible en diagonale :)
#13
Pour ca faudrait qu’il pense avec leur cerveau et non leur portefeuille, du coup c’est pas gagné.
#14
Il y en a qui pensent que parmi ce que les gens mettent en ligne, c’est 90% piraté et 10% licite.
Personnellement, de ce que je vois c’est principalement des photos/vidéos faites par l’utilisateur (selfies, vidéos, photos de famille etc), puis des chats, des memes, et enfin quelques uploads illicites, qui ne doivent concerner que 0.1% des internautes et 10% du contenu des grosses plates-formes.
Tout dépend de ce à quoi on est exposé, plusieurs perspectives existent, mais ce n’est pas thepiratebay qui va appliquer l’article 13⁄17…
#15
Je propose mieux : une riposte graduée
Première œuvre licite coupée : avertissement,
deuxième œuvre licite coupée : amende,
troisième œuvre licite coupée : plus de coupure.
Mais ça serait bien uniquement pour le système actuel (coupure sur demande des ayants-droit).
Avec le système proposé, ils n’ont même plus à demander, l’hébergeur devra filtrer préventivement tout contenu plus ou moins suspect…
#16
M’en fout, je suis en route pour Tarsis, la nouvelle Amsterdam hors l’UE pour éditer comme je l’entends.
Afin de n’être pas soumis à l’obligation de filtrage des téléversements avec censure a priori.
#17
Oui cela s’appelle un éditeur…
Si les “hébergeurs” prenaient une responsabilité éditoriale minimale ils s’effondreraient d’eux-même par rétablissement du coût de ce qu’on pourrait appeler un travail. D’où les micro jobs type captcha et cie…. et la rémunération par l’information commerciale elle-même (la pub).
L’hébergement technique échappe à ce problème et à raison… la récupération strictement commerciale et le détournement de l’objet du droit applicable ont donc produit cette situation. Cela ne sert donc à rien de demander à des Google de participer au paysage culturel… ce sera systématiquement et strictement un problème de surveillance privée ou publique. L’utopie n’existe pas.