Débris spatiaux : leur évolution sur deux ans, le Top 50 des plus dangereux
Et ça fait bim, bam, boum
Le 29 janvier 2021 à 10h53
7 min
Sciences et espace
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Le bureau de l’Agence spatiale européenne en charge de surveiller les débris dans l’espace a récemment mis à jour ses chiffres, avec (sans surprise) des augmentations à tous les niveaux. De son côté, le CNES revient sur la « liste des 50 débris spatiaux les plus dangereux en orbite basse ».
Les débris dans l’espace sont une plaie pour les agences gouvernementales et les sociétés privées qui lancent des fusées, mais aussi pour celles qui doivent gérer des satellites en orbite. En effet, le plus petit débris lancé à plusieurs (dizaines) de milliers de km/h peut se transformer en une redoutable menace. Pour rappel, un fragment de quelques millièmes de millimètre de diamètre a causé un impact bien visible sur une des vitres de la Cupola coupole) de la Station spatiale internationale.
En trame de fond se dessine en fait la crainte du syndrome de Kessler, mis en images par le film Gravity. Il s’agit d’une limite virtuelle au-delà de laquelle la densité des débris en orbite basse est suffisamment importante pour lancer une réaction en chaîne : des collisions qui entrainent plus de débris et donc plus de collision, etc.
Nous en avions déjà parlé lors de la publication d’un long rapport sur « l‘état actuel de l’environnement spatial » par le Bureau des débris spatiaux de l’Agence spatiale européenne (ESA).
Premier évitement en 1991, une vingtaine pour la seule ESA en 2020
Ce problème n’est pas nouveau, loin de là : « Un curieux événement s’est produit pour la première fois en septembre 1991, lorsque la navette spatiale Discovery de la NASA doit allumer son propulseur pendant sept secondes pour éviter les débris du satellite abandonné Kosmos 955 ».
La situation ne s’améliore pas au fil des années : « en 2020, une seule agence spatiale – l'ESA – avec un nombre relativement petit de satellites en orbite terrestre, est obligée de mener environ 20 manœuvres d'évitement de collisions chaque année ».
Le sujet est d’autant plus d’actualité que le nombre de lancements est en forte augmentation ces dernières années, notamment poussé par le New Space, l’arrivée de nouveaux acteurs (Blue Origin, Rocket Lab, SpaceX, Virgin Orbit, etc.), la démocratisation des nanosatellites et les constellations de (dizaines) de milliers de satellites pour Starlink par exemple.
Bref, tout le monde ou presque veut lancer son petit module dans l’espace et profite des capacités des lanceurs à multiplier les charges utiles pour diviser les coûts.
« L'intelligence artificielle devient indispensable » pour gérer les débris
Pour le 21e siècle, l’ESA affirme (à juste titre) que l’intelligence artificielle est au centre des vols spatiaux. Cette technologie occupe déjà une place importante dans les satellites en orbite (qui sont de plus en plus performants) et la gestion des vols spatiaux, y compris dans la gestion des trajectoires automatiques pour éviter les débris.
« L'intelligence artificielle devient indispensable pour gérer cette complexité, pour exploiter, mettre en réseau, coordonner et protéger nos infrastructures spatiales, et aussi tirer le meilleur parti des données acquises » lors des différentes missions, explique Thomas Reiter, coordinateurs interagence et conseiller du directeur général de l’ESA.
Pour renforcer leurs recherches, l’Agence spatiale européenne et le German Research Center for Artificial Intelligence lancent un laboratoire ESA_Lab@DFKI. Il planchera sur l’utilisation de l’IA dans les domaines spatiaux, que ce soient les lancements, l’exploration d’autres astres, le retour d’échantillon ou bien évidemment les risques de collisions.
Deux ans d’évolution des lancements et des débris
Quelques jours auparavant, le Space Debris Office du Centre européen des opérations spatiales (ESOC) avait mis à jour ses chiffres sur l’état de l’espace proche de la Terre. Nous les avons compilés dans le tableau ci-dessous en les comparant à ceux d’il y a un et deux ans (avec quelques semaines d’écart tout au plus) :
Comme on peut le voir, le nombre de lancements est en perpétuelle augmentation… et cela ne devrait pas se calmer de sitôt. La croissance sur la quantité de satellites en orbite est encore plus importante, portée par les lancements multiples. Plus de la moitié des satellites en orbite sont encore en fonctionnement, mais cela en fait tout de même un peu moins de 3 000 objets « morts » dans l’espace, et donc potentiellement dangereux.
Plus inquiétant, le nombre de débris surveillé de près par les agences spatiales est en hausse de 26,5 % sur un an, pour arriver à un catalogue de 28 210 entrées. Il s’agit des « débris suffisamment gros pour endommager ou détruire un satellite fonctionnel » explique l’ESA, ce nombre peut donc varier à la hausse ou à la baisse. La quantité d’incidents (casses, explosions, collisions…) répertoriés grimpe aussi pour arriver à 550 depuis le début de l’exploration spatiale par les humains (+ 10 % par rapport à début 2019).
Par contre, le Space Debris Office ne note aucun changement majeur dans le nombre de débris dont la taille est d’au moins 1 mm. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas de nouveaux, mais simplement qu’ils ne sont pas suffisamment significatifs pour changer la donne. On dénombre ainsi toujours plus de 34 000 objets de 10 cm ou plus, 900 000 de 1 à 10 cm et plus de 128 millions entre 1 et 10 mm.
Top 50 des débris : les fusées largement majoritaires
Selon le CNES, les débris en orbite basse (moins de 2 000 km d’altitude) les plus dangereux sont les étages de fusées. Ils occupent 39 places sur 50, les 11 autres étant des satellites hors service. C’est en tout cas la conclusion à laquelle est arrivée une équipe internationale avec des experts de Chine, des États-Unis et de Russie.
Afin d’établir ce Top 50, pas moins de 11 méthodes ont été agrégées (dont une du CNES). Elles prennent en compte « la masse de l’objet en orbite, sa probabilité de collision avec un autre débris ou un satellite opérationnel et la persistance des nouveaux débris générés ».
Christophe Bonnal, expert des débris spatiaux à la direction des lanceurs du Centre National des Études Spatiales, rappelle que « ce Top 50 ne veut pas dire qu’il n’y a que 50 débris dangereux, les n°51 et 52 sont tout autant menaçants que le débris n°50 ». « On dénombre plus de 5 000 objets entiers – et donc particulièrement problématiques – en orbite basse », ajoute-t-il.
Pas moins de quarante-trois sont d’origine soviétique ou russe, quatre sont japonais, deux européens, tandis que le dernier est chinois. Les Américains sont-ils les meilleurs élèves de la classe pour être absent de ce classement ? Pas forcément, explique le chercheur : « Ce Top 50 repose sur le catalogue public américain des débris spatiaux. Ce catalogue disponible sur space-track.org est par nature biaisé, car il ne contient pas les débris issus de la filière de défense américaine ». Pour s’affranchir de ce biais, un catalogue européen est en cours de réalisation, précise-t-il.
Quoi qu’il en soit, « les 20 premiers débris sont d’anciens étages de lanceurs soviétiques, notamment les énormes étages de fusées Zenit de 9 tonnes et 9 m de long. Chaque mois, 2 étages de Zenit passent à moins de 100 m l’un de l’autre ! S’ils se percutent de face, on double la population de débris en orbite », indique Christophe Bonnal
Rappelons que si nettoyer l’espace est une activité qui a le vent en poupe, cela reste pour le moment du domaine expérimental. Pour Christophe Bonnal, une des principales raisons est financière : « retirer un gros débris coûte entre 10 et 30 millions d’euros ».
Débris spatiaux : leur évolution sur deux ans, le Top 50 des plus dangereux
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Commentaires (16)
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Abonnez-vousLe 29/01/2021 à 11h19
Ben voyons, ca m’aurait étonné tient.
Se rapproche-t-on à grand pas sur un scenario à la Gravity ou une pollution à la Wall-e avec une nuée d’objets en orbite ?
Le 29/01/2021 à 15h21
Oui oui, mais c’est comme le CO2 : personne ne semble s’en préoccuper plus que ça.
Le truc c’est que si ça se produit, on sera cloué sur Terre quasi indéfiniment. Il sera impossible d’envoyer quoi que ce soit en orbite, y compris les satellites météo, télécom, d’observation…
Faut bien noter une chose, c’est que ces débris voyagent à plus ou moins 30 000 km/h. À cette vitesse, un écrou fait autant de dégâts qu’un 4x4 lancé sur autoroute et qui fonce dans un mur.
Une fusée qui veut traverser un nuage de ce genre de choses, c’est comme un soldat qui court à travers un nomansland entre deux tranchées de mitrailleurs : elle n’a aucune chance.
Le 29/01/2021 à 11h49
Un véritable problème malgré les échelles de grandeur.
J’en ai ras le bol de voir le film Gravity, je recommande le manga ou l’animé Wikipedia(プラネテス%2C%20Puranetesu%2C%20transcription,volumes%20reliés%20par%20l%27éditeur">Planete qui traite de la dépollution suite a l’accident d’une navette de passager avec la collision d’une simple vis.
Le 29/01/2021 à 11h49
Peut être que les Viking avaient raison.
Le ciel pourrait effectivement nous tomber sur la tête.
Le 29/01/2021 à 12h04
HS: le chroniqueur d’Alexandre le Grand le dit dans ses écrits sur un ton sarcastique suite à sa rencontre avec une délégation de mercenaires celtes. On ne sait si c’est une sortie bravache des celtes (“nous n’avons peur que d’un truc, que le ciel nous tombe sur la tête”…donc genre de rien) ou si c’est pour souligner la vantardise de cette délégation (décrite explicitement par le même chroniqueur).
….personne d’autre ne parlera ensuite de cette histoire de peur que le ciel tombe sur la tête de gaulois ou de celte…. avant les latinistes lettrés du 18ème et 19ème siècle dans des buts politiques.
Le 29/01/2021 à 16h06
Le fait est que c’est préoccupant, mais il le faut pas complètement dramatiser, si un effet en cascade se produit (voir effet Kessler sur wiki), typiquement avec un gros satellite type Envisat qui entre en collision avec un autre gros débris, cela condamnera juste une fourchette d’altitude d’ orbite, donc en gros 800 km pour Envisat, les orbites MEO et GEO ne seront pas affectée (occupées majoritairement par Navigation et Telecom respectivement), et toutes les orbites en dessous de 600 km se “nettoient” toute seules en quelques années. Et il sera toujours possible de “ passer” à travers ces orbites. On minimise souvent la “place” qu’il y a dans l’espace. Gravity donne en effet toujours une image très faussée au public (Du type, l’ISS, et Tiangong sont visibles entre elles tout le temps).
Ce serait par contre en effet dramatique de perdre les orbites de 800 à 1000, beaucoup de satellites d’observation “Sun-Synchronous” s’y trouvent en orbite polaire, et ce sont les seules orbites qui permettent de faire des suivi réguliers au sol.
Le 29/01/2021 à 17h38
juste pour etre sur de comprendre …10680 satelites lancés en orbite en entre le 1 et le 30 janvier 2021 ? ou 10680 satelites au total en orbite en janvier 2021 ?
Le 29/01/2021 à 17h40
Nombre total de satellites all time ever, selon l’ESA
Le 29/01/2021 à 17h43
ok….ça me semblait plus logique mais bon, je demande au cas ou
Le 30/01/2021 à 04h24
Merci pour la précision !
Le 30/01/2021 à 10h10
Bonjour, article intéressant, mais il fait l’impasse sur la capacité française à détecter de manière indépendante et autonome les débris en orbite basse, notamment au travers du COSMOS (Le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux) qui dépend de l’armée de l’air et l’espace.
Extrait de la comm officielle (disponible ici) :
“Le COSMOS a pour mission permanente de surveiller l’espace : il établit la situation spatiale
nationale, de la façon la plus autonome possible, et il la valorise par des produits d’aide à la décision pour les opérations militaires et la sécurité des
biens et des personnes. Les systèmes électromagnétiques de veille « GRAVES » et de
trajectographie « SATAM » lui permettent de surveiller les objets spatiaux en orbite basse 1 et
d’évaluer la menace en orbite. Les données obtenues auprès du CNES et de l’industriel Airbus
DS permettent une captation partielle de l’arc géostationnaire 2 . “
Le 01/02/2021 à 12h42
Loin d’être un expert je me pose depuis des années la même question. Pourquoi est-ce qu’en fin de vie d’un satellite ou de l’étage d’une fusée on ne les désorbite pas vers le soleil avec une dernière poussée ?
Les déchets serais ainsi évacués…
Ma question est sans doute stupide, ou les obstacles trop grands bref si qqun dispose de la réponse, merci d’avance.
Le 01/02/2021 à 12h47
C’est un problème d’énergie disponible pour donner la poussée nécessaire au satellite afin qu’il puisse se ballader plus loin que son orbite de mission.
Le 01/02/2021 à 15h24
Merci
Le 02/02/2021 à 08h45
Vers le soleil c’est hors de question, pour un satellite en orbite basse la quantité d’énergie nécessaire serait juste énorme.
Vers la terre, ça serait déjà plus réaliste, il me semble que c’est le cas pour certains satellites. Sinon, pour les satellites géostationnaire (orbite à 36000km, plus compliqués à désorbiter) ils sont tenus de garder un peu de carburant pour se placer sur une “orbite de garage” en fin de service, et laisser l’orbite principale aux satellites actifs.
Le 02/02/2021 à 08h46
Ca aurait plus de sens et beaucoup moins coûteux d’évacuer vers l’atmosphère. Sans protection spécifique ces gros débris brûlerai dans l’atmosphère…avec possibilité de “viser” les 80% de la planète totalement inhabité…
Mais même pour quelque chose d’aussi simple ca demande un peu plus de carburant…