Preuve du dénigrement via Wikipédia : la cour d’appel de Paris « va trop loin »
Interview de l'avocat Michel Toporkoff
Le 16 octobre 2013 à 14h40
4 min
Droit
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Avocat spécialisé en droit des affaires et notamment s’agissant des conflits relatifs à la concurrence déloyale, Michel Toporkoff a accepté de commenter pour nous la récente décision de la cour d’appel de Paris, qui a jugé le 3 octobre dernier qu’une simple adresse IP était insuffisante pour déterminer avec certitude qui était l’auteur de modifications opérées sur une page Wikipédia.
Qu’aurait-il fallu que Rentabiliweb fasse pour que la cour d’appel de Paris confirme que la modification de la page Wikipédia constituait bien un acte de dénigrement ?
La suppression de la page Wikipédia d'un concurrent (comme, pire encore, le fait de faire disparaître son site web) constitue par principe un comportement déloyal à son encontre. Il s'agit d'un acte comparable, entre autres, au fait d'arracher les affiches publicitaires d'un concurrent. Imaginons, à titre d'exemple, qu'un concurrent fasse disparaître le site web de PC INpact ! Le problème n'est donc pas tout à fait là... Dans cette affaire, ce qui a « manqué » à la cour d'appel, c'est la preuve indiscutable que cet acte de dénigrement était bien imputable à Hi-Media, et non à quelqu'un d'autre.
Concrètement, qu’est-ce qui aurait pu constituer dans cette affaire une « preuve indiscutable » qu'Hi-Media était bien responsable de cet acte de dénigrement ?
C'est difficile à dire avec certitude, mais on peut tirer des éléments de réponse de l'attendu principal de la cour d’appel, à partir duquel il aurait apparemment fallu deux choses pour que la décision soit différente sur ce point :
1) Que Rentabiliweb indique comment elle avait su que Hi-Media était titulaire de l'adresse IP indiquée par Wikipédia. Ceci semble assez facile à faire, puisque, sauf erreur, il aurait suffi de s'adresser à l'hébergeur du site de Rentabiliweb et il est donc surprenant qu'elle ne l'ait pas fait.
2) Que Rentabiliweb « apporte des éléments circonstanciés » permettant de convaincre la Cour que c'était bien Hi-Media qui était intervenue. De quels « éléments circonstanciés » aurait-il pu s'agir ? On ne peut être tout à fait affirmatif à cet égard mais il s'agit sans doute, dans l'esprit de la Cour, de documents montrant le climat de guerre commerciale entre les entreprises, ce qui aurait rendu particulièrement vraisemblable l'intervention de Hi-Media. De tels documents avaient-ils été communiqués à la Cour par les conseils de Rentabiliweb ? Étaient-ils suffisamment clairs ? Il est naturellement impossible de le savoir sans avoir pris connaissance du dossier complet remis à la Cour mais l'arrêt du 3 octobre me pousse à supposer que la réponse est plutôt négative
Au regard de cette décision et de la jurisprudence en la matière, en quoi la cour d'appel de Paris s’est-elle montrée exigeante quant aux moyens de preuve à fournir par l'entreprise pour prouver ce type de dénigrement ?
L'exigence qui peut paraître particulièrement sévère - et même excessive - de la cour d’appel de Paris consiste à dire, en paraphrasant son arrêt : « Rentabiliweb ne prouve pas de manière indiscutable que la suppression de sa page Wikipédia émanait bien de Hi-Media. En effet, ce n'est pas parce que l'adresse IP de l'ordinateur à partir duquel a été donnée l'instruction de suppression est celle d'un ordinateur de Hi-Media que c'est réellement Hi-Media qui a donné cette instruction. Après tout, il est possible qu'elle ait émané d'une personne étrangère à Hi-Media qui s'est servie de l'ordinateur de cette dernière, et il est également possible que ce soit un salarié de Hi-Media qui ait donné cette instruction sans que son entreprise lui ait demandé de le faire... »
Bien entendu, la Cour a raison de considérer que ces hypothèses sont « possibles » mais, à mon sens, elle va trop loin en les considérant comme « plausibles » compte tenu du contexte de concurrence entre les deux entreprises - et, si je comprends bien, leurs dirigeants respectifs.
En caricaturant un peu, la position de la Cour consiste presque à dire « On a trouvé quelqu'un avec une arme à la main, dans laquelle il manque une balle et avec un cadavre à ses pieds, mais on ne l'a pas vu tirer et il n'est donc pas indiscutablement prouvé que cette personne soit bien l'assassin » !
Merci Maître Toporkoff.
Preuve du dénigrement via Wikipédia : la cour d’appel de Paris « va trop loin »
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Qu’aurait-il fallu que Rentabiliweb fasse pour que la cour d’appel de Paris confirme que la modification de la page Wikipédia constituait bien un acte de dénigrement ?
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Concrètement, qu’est-ce qui aurait pu constituer dans cette affaire une « preuve indiscutable » qu'Hi-Media était bien responsable de cet acte de dénigrement ?
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Au regard de cette décision et de la jurisprudence en la matière, en quoi la cour d'appel de Paris s’est-elle montrée exigeante quant aux moyens de preuve à fournir par l'entreprise pour prouver ce type de dénigrement ?
Commentaires (48)
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Abonnez-vousLe 16/10/2013 à 18h04
Le 16/10/2013 à 18h31
Au risque de choquer, je trouve que la décision du tribunal était sage.
Le principe de la charge de preuve revient à l’accusation. C’était justement ce point qui était attaqué lors des premières version de la Hadopi et sa riposte graduée (pour faire un genre de “parallélisme”).
Le 16/10/2013 à 18h40
Le 16/10/2013 à 19h48
Le 16/10/2013 à 21h46
La suppression de la page Wikipédia d’un concurrent (comme, pire encore, le fait de faire disparaître son site web) constitue par principe un comportement déloyal à son encontre. Il s’agit d’un acte comparable, entre autres, au fait d’arracher les affiches publicitaires d’un concurrent.
Ça alors, j’apprends que Wikipedia diffuse de la publicité…
Imaginons, à titre d’exemple, qu’un concurrent fasse disparaître le site web de PC INpact !
Non, aucun rapport.
Le site web de PCINpact c’est l’activité même de PCINpact..
Je comparerai plutôt cela à du déréférencement de moteur de recherche, mais là encore ce serait pousser le boucher.
Wikipedia est un projet noble avec un but noble, et il faut que des marketeux et la justice française viennent mettre leurs griffes dessus. La page en question devrait effacer la référence à tous les sites pour ne pas faire de jaloux.
Le 16/10/2013 à 22h14
Le 16/10/2013 à 22h23
Imaginons, à titre d’exemple, qu’un concurrent fasse disparaître le site web de PC INpact !
Le 16/10/2013 à 22h57
!!! J’ai compris !!!. L’avocat tronque largement les fais !!! (Et PC INpact oublie de citer ses propres articles)
Cet article (ci dessus) fait référence à cet article de PC INpact.
Pour le coup, l’affaire ne porte pas sur la page Wikipedia de l’entreprise Rentabiliweb mais sur un lien apposé dans la fiche wikipedia sur le micropayement. Ce que ne dit pas l’avocat est que le lien a été jugé abusif par la communauté Wikipedia, et qu’il est par conséquent absent à ce jour de la page en question.
Dans un autre contexte, la page Wikipedia de la société Rentabiliweb est par contre dans un état proche de la guerre d’édition.
Le 17/10/2013 à 04h58
En caricaturant un peu, la position de la Cour consiste presque à dire « On a trouvé quelqu’un avec une arme à la main, dans laquelle il manque une balle et avec un cadavre à ses pieds, mais on ne l’a pas vu tirer et il n’est donc pas indiscutablement prouvé que cette personne soit bien l’assassin » !
Cette personne n’a peut-être fait que ramasser cette arme …. même si cela est stupide, ça ne prouve pas que c’est l’assassin ;-)
Le 17/10/2013 à 06h56
Au risque de vous surprendre on n’a pas besoin d’une preuve irréfutable pour être condamné
C’est très rare les preuves irréfutables. Et c’est quoi une preuve irréfutable ?
Reprenons l’exemple de l’assassin présumé.
Mettons qu’on teste ses mains et qu’il a de la poudre.
“A mais il a pu faire partir un coup accidentellement en prenant l’arme”
Y’a un témoin.
“A mais ce monsieur ment ! ou il a mal vu, quand le coup accidentel est parti la victime avait déjà été tué par quelqu’un d’autre”
Du coup il faut que le témoin soit assermenté ? Et encore ça peut ne toujours pas suffire !
C’est pour ça que les avocats existent (entre autre) et que les juges jugent.
Et c’est pour ça aussi que même innocent tu peux être condamné.
Le 17/10/2013 à 07h13
Le 17/10/2013 à 07h28
Tu as pas vu “Santa barbara” ?
“Mais Kelly je te jure que je suis innocent !!!!”
Ben ouais Joe faut pas prendre une arme à coté d’un cadavre après avoir été au stand de tir…
Sinon il y a aussi le cas d’OJ Simpson, le coup du complot etc etc
edit : ce que je veux dire c’est qu’avec un bon avocat (voire plusieurs) quasiment aucune preuve n’est irréfutable.
Le 17/10/2013 à 08h04
Le 17/10/2013 à 08h30
C’est moi où à aucun moment on ne parle du fait qu’une adresse IP peut-être totalement “piratée” ?
Le 17/10/2013 à 08h52
Le 17/10/2013 à 09h40
La photo, on dirait Léon Zitrone en plus mince " />
Le 17/10/2013 à 12h18
Le 17/10/2013 à 15h34
Le 18/10/2013 à 11h24
Le 19/10/2013 à 17h30
Le 20/10/2013 à 21h26
Je me suis intéressé au coeur de métier de Rentabiliweb :
Nos solutions de paiements sécurisés vous permettent de monétiser l’accès à tous vos services et contenus sur internet (jeux, parties payantes, articles, vidéos, etc…) et affichent tous les moyens de paiements actuellement disponibles (Audiotel et SMS surtaxés, Internet+ / KML, cartes prépayées, Paypal, carte bancaire).
Dis donc Rentabiliweb, est-ce que j’ai encore le droit d’écrire que les n° surtaxés ça coûte la peau du derche ?
Le 16/10/2013 à 14h48
En caricaturant un peu, la position de la Cour consiste presque à dire « On a trouvé quelqu’un avec une arme à la main, dans laquelle il manque une balle et avec un cadavre à ses pieds, mais on ne l’a pas vu tirer et il n’est donc pas indiscutablement prouvé que cette personne soit bien l’assassin » !
Non, cet exemple ne me choque pas et ce n’est pas la position de la Cour.
Ce serait plutôt
« On a trouvé quelqu’un avec une arme à la main qui ressemble à untel qui détestait la victime, dans laquelle il manque une balle et avec un cadavre à ses pieds, mais on ne l’a pas vu tirer et il n’est pas indiscutablement prouvé que cette personne soit bien l’assassin donc c’est insuffisant pour l’interpeler »
Le 16/10/2013 à 14h51
« On a trouvé quelqu’un avec une arme à la main, dans laquelle il manque une balle et avec un cadavre à ses pieds, mais on ne l’a pas vu tirer et il n’est donc pas indiscutablement prouvé que cette personne soit bien l’assassin »
Ce n’est pas justement la différence entre présomption et preuve ?
Le 16/10/2013 à 15h00
Mais si une IP ne fait pas l’identité, pourquoi Hadopi existe encore ?
Le 16/10/2013 à 15h05
Le 16/10/2013 à 15h07
Imaginons, à titre d’exemple, qu’un concurrent fasse disparaître le site web de PC INpact
Les Inpactiens ne serait pas contant du tout. " /> Je me demande si sa coute cher d’acheter un camion de purin à déverser devant chez le concurrent.
Le 16/10/2013 à 15h10
Le 16/10/2013 à 15h11
Le 16/10/2013 à 15h11
Pour répondre à frenchpig la hadopi dit que tu n’as pas sécurisé ta ligne. Elle ne dit pas que tu as piraté l’oeuvre… mais que ta ligne a été utilisée pour.
Le 16/10/2013 à 15h17
Le 16/10/2013 à 15h18
« On a trouvé quelqu’un avec une arme à la main, dans laquelle il manque une balle et avec un cadavre à ses pieds, mais on ne l’a pas vu tirer et il n’est donc pas indiscutablement prouvé que cette personne soit bien l’assassin »
Je vois pas ce que cette situation a d’incroyable, elle est même régulièrement utilisée dans des scénarios de films par exemple.
Le 16/10/2013 à 15h20
Le 16/10/2013 à 15h22
Ceci semble assez facile à faire, puisque, sauf erreur, il aurait suffi de s’adresser à l’hébergeur du site de Rentabiliweb et il est donc surprenant qu’elle ne l’ait pas fait.
Je ne sais pas vous, mais moi ça m’a choqué… Que vient faire « l’hébergeur du site de Rentabiliweb » dans l’identification de l’ip ? Je ne pense pas d’ailleurs que des FAI — publics comme privés — aient le droit de donner suite à une telle demande d’authentification en provenance d’une personne physique ou morale…
N’était-ce d’ailleurs pas à la justice de faire cette identification ?
Le 16/10/2013 à 15h27
Le 16/10/2013 à 15h28
Le 16/10/2013 à 15h31
La suppression de la page Wikipédia d’un concurrent (comme, pire encore, le fait de faire disparaître son site web) constitue par principe un comportement déloyal à son encontre. Il s’agit d’un acte comparable, entre autres, au fait d’arracher les affiches publicitaires d’un concurrent. Imaginons, à titre d’exemple, qu’un concurrent fasse disparaître le site web de PC INpact !
Peut-on attaquer les ayants-droits pour concurrence déloyale, ils font disparaître les contenus intéressants du net…" />" />" />
Le 16/10/2013 à 15h32
Le 16/10/2013 à 15h32
Le 16/10/2013 à 15h32
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Le 16/10/2013 à 15h33
Le 16/10/2013 à 15h35
Le 16/10/2013 à 15h36
Le 16/10/2013 à 15h37
Le 16/10/2013 à 15h52
Un conseiller en SSO nous a recommandé de créer une page sur Wikipédia pour parler de notre entreprise.
Là le type interviewé compare la suppression d’un lien externe sur l’encyclopédie à l’arrachage d’affiche publicitaire.
C’est bien triste la vision de tous ces gens sur l’utilité de Wikipédia " />
Le 16/10/2013 à 16h06
Le 16/10/2013 à 17h30
Le 16/10/2013 à 17h51
Le 16/10/2013 à 17h56
Il s’agit d’un acte comparable, entre autres, au fait d’arracher les affiches publicitaires d’un concurrent.
Une chose est certaine, je ne vais pas pleurer sur une entreprise qui utilise wikipedia comme panneau publicitaire.