La CJUE estime que les sites pirates peuvent être bloqués aux frais des FAI
Kino pain, no gain
Le 27 mars 2014 à 13h55
7 min
Droit
Droit
Alors que l’efficacité des blocages de sites « pirates » est régulièrement remise en cause, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu ce matin un arrêt précisant les conditions dans lesquelles de telles mesures de rétorsion peuvent être imposées aux fournisseurs d’accès à Internet de l'Union. Explications.
Les questions auxquelles devait répondre la Cour de justice de l’Union européenne avaient été soulevées en 2012 par la Cour suprême autrichienne. Les juges souhaitaient savoir de quelle manière il convenait d’interpréter la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur et les droits voisins, afin d’en tirer les conclusions dans une affaire dans laquelle des ayants droit avaient réclamé devant la justice à ce que les principaux fournisseurs d’accès à Internet d’Autriche bloquent le site de streaming et de téléchargement direct « Kino »- qui a depuis fermé ses portes.
UPC, l’un de ces FAI, avait contesté l’injonction qui lui avait été adressée en référé, notamment parce que les mesures qu’on lui demandait de mettre en place s’avéraient coûteuses et facilement contournables. La CJUE était ainsi invitée à indiquer si un fournisseur d’accès pouvait être contraint à bloquer l’accès à un site de streaming et de téléchargement direct, et, surtout, selon quelles modalités.
La justice peut légitimement imposer des blocages
Première réponse apportée par la Cour de Luxembourg : oui, un FAI peut être enjoint à bloquer un site Internet portant atteinte au droit d’auteur, puisqu’il s’agit bien d’un « intermédiaire » au sens de la directive 2001/29/CE. Et pour cause, les magistrats retiennent qu’un fournisseur d’accès à Internet « est un acteur obligé de toute transmission sur Internet d’une contrefaçon entre l’un de ses clients et un tiers, puisque, en octroyant l’accès au réseau, il rend possible cette transmission ». Dès lors, la CJUE en conclut sans grande surprise qu’il y a « lieu de considérer qu’un fournisseur d’accès à Internet (...) est un intermédiaire dont les services sont utilisés pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin » au sens de la législation européenne, et ce peu importe qu’il soit démontré que ses clients aient commis (ou non) des infractions grâce au site litigieux.
Les délicates conditions de mise en oeuvre d'un blocage
La seconde question se voulait plus intéressante. Le juge national peut-il ordonner aux FAI de bloquer un site Internet sans préciser quels moyens il convient de mettre en place afin d’atteindre un résultat -à savoir, empêcher la violation de droits de propriété intellectuelle ? Alors que l’avocat général avait considéré dans ses conclusions que la législation européenne ne permettait pas d’imposer à un opérateur des mesures de blocage exprimées « dans des termes très généraux et sans prescription de mesures concrètes », la CJUE affirme finalement aujourd’hui que rien ne s’oppose à de telles injonctions.
Les magistrats posent cependant deux conditions. Premièrement, les mesures que les FAI peuvent être amenés à mettre en oeuvre doivent avoir « pour effet d’empêcher ou, au moins, de rendre difficilement réalisables les consultations non autorisées des objets protégés et de décourager sérieusement les utilisateurs d’Internet ayant recours aux services du destinataire de cette même injonction de consulter ces objets mis à leur disposition en violation du droit de propriété intellectuelle ». En clair, les opérateurs ne sont pas forcément tenus d’arriver à un arrêt total de l’atteinte aux droits d’auteur, puisqu’il s’agit simplement de « rendre difficilement réalisable » l’accès à certaines pages web et de « décourager sérieusement » leur consultation par leurs clients.
Deuxièmement, les mesures prises par les FAI ne doivent pas priver « inutilement les utilisateurs d’Internet de la possibilité d’accéder de façon licite aux informations disponibles » par ailleurs sur la Toile. Autrement dit, l’intermédiaire ne doit bloquer que ce qui porte véritablement atteinte aux droits d’auteur, sans aller au-delà. La CJUE précise à cet égard que « les mesures qui sont adoptées par le fournisseur d’accès à Internet doivent être strictement ciblées, en ce sens qu’elles doivent servir à mettre fin à l’atteinte portée par un tiers au droit d’auteur ou à un droit voisin, sans que les utilisateurs d’Internet ayant recours aux services de ce fournisseur afin d’accéder de façon licite à des informations s’en trouvent affectés ». L’idée semble claire : éviter les surblocages.
Mais que se passerait-il si un FAI franchissait la ligne rouge ? « À défaut, répondent les juges, l’ingérence dudit fournisseur dans la liberté d’information desdits utilisateurs s’avérerait injustifiée au regard de l’objectif poursuivi ». Autrement dit, la responsabilité de l’intermédiaire pourrait être engagée sur cette base.
Le coût du blocage à la charge du FAI, selon la taille de sa bourse
Un point annexe reste désormais en suspens, et pas des moindres : le coût de mise en œuvre de ces mesures doit-il être supporté par le fournisseur d’accès et/ou par les ayants droit ? La Cour répond ici qu’en laissant à chaque FAI le soin de choisir les mesures à mettre en oeuvre pour atteindre le résultat visé, l'intermédiaire a de ce fait toute latitude pour « mettre en place des mesures qui soient les mieux adaptées aux ressources et aux capacités dont il dispose ». En creux, l’on comprend que les fournisseurs d’accès doivent donc supporter ces coûts techniques et financiers, dans la limite toutefois de leurs moyens respectifs.
La CJUE poursuit sa démonstration en relevant que tout FAI enjoint à mettre en œuvre un blocage peut ensuite « s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables », sous-entendu en fonction de ses capacités. Ainsi, la Cour considère que « cette possibilité d’exonération a de toute évidence pour effet que le destinataire de cette injonction ne sera pas tenu de faire des sacrifices insupportables ».
Une responsabilité a posteriori pour les FAI
Les FAI se retrouveront donc un peu le cul entre deux chaises : ils disposeront d’une marge de manœuvre, mais devront viser juste, faute de quoi leur responsabilité pourrait être engagée. La CJUE précise en effet qu’il appartiendra « aux autorités et aux juridictions nationales de vérifier » si les mesures mises en œuvre par les opérateurs respectent (ou non) les conditions qu’elle vient de poser, au cas par cas. Cela signifie que tout internaute estimant que son opérateur est allé trop loin devra aller devant le juge pour s’en plaindre. Il en sera de même si jamais des mesures de blocage étaient jugées insuffisantes par des ayants droit.
Cette décision a ainsi fait réagir l’eurodéputée Françoise Castex, qui considère que « le flou juridique actuel » s’avère néfaste tant pour les citoyens que pour les entreprises. Pour l'élue, cet arrêt « sonne comme une piqûre de rappel : le législateur doit prendre ses responsabilités et réviser IPRED ».
Une décision de nature à satisfaire les ayants droit impliqués dans l'affaire Allostreaming
Si l’interprétation de la CJUE va désormais impacter la juridiction autrichienne ayant soulevé ces questions, cette décision va également irriguer par la même occasion toutes les affaires similaires en Europe. L’on pense notamment à l’affaire Allostreaming, qui fait l’objet d’un appel en France, les ayants droit estimant justement qu’ils n’avaient pas à prendre en charge les coûts du blocage mis en place par les principaux FAI sur ordre du tribunal de grande instance de Paris (voir notre article).
La CJUE estime que les sites pirates peuvent être bloqués aux frais des FAI
-
La justice peut légitimement imposer des blocages
-
Les délicates conditions de mise en oeuvre d'un blocage
-
Le coût du blocage à la charge du FAI, selon la taille de sa bourse
-
Une responsabilité a posteriori pour les FAI
-
Une décision de nature à satisfaire les ayants droit impliqués dans l'affaire Allostreaming
Commentaires (53)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 27/03/2014 à 14h02
Abusé …
Ce n’est pas anticonstitutionnel une telle loi ?
Obliger à bloquer, il est où le droit e la liberté de naviguer sur le net.
Le 27/03/2014 à 14h05
C’est débile !!!
Que l’on bloque (Ou essaye de bloquer) l’accès au site est déjà limite limite …
Mais que le cout soit à la charge du FAI, la non !!!
C’est a celui qui a fait la demande de payer, il a demander une chose, il l’assume !!! " />
En plus qui va payer au final ces conneries ???? " />
Edith : Pas mal le sous titre " />
Le 27/03/2014 à 14h05
Question pour Marc et Xavier:
Vous avez une formation de juriste ?
Parce que si ce n’est pas le cas, chapeau messieurs pour les maux de têtes que doivent engendrer la lecture de certains rapport.
Enfin, chapeau tout court.
" />
Le 27/03/2014 à 14h07
une fois de plus l’Europe est la porte ouverte à tous les lobbies…
Le 27/03/2014 à 14h07
Donc les FAI sont obligés de bloquer, mais en fonction de leurs moyens financiers, ça peut donc être plus ou moins inefficace…
C’est débile !
Le 27/03/2014 à 14h12
je serais un FAI je me ferais pas chier, suffit de jouer au con, respecter ce qui est demandé sans faire d’effort.
Genre blocage d’une URL, pas efficace pour deux sous vu qu’il suffirait je suppose au site de changer
Et si le site “déménage”, hop, obligation pour les ayant droit de faire une nouvelle procédure juridique (pas un nouveau procès entier, mais quand meme… c’est pas gratuit).
A moins que même ca ne soit techniquement plus difficile que je n’imagine?
Le 27/03/2014 à 14h15
Le 27/03/2014 à 14h17
Le 27/03/2014 à 14h19
Décision à l’emporte pièce motivée par les majors. " />
Les FAI américains, ils font quoi/comment chez eux par rapport à la RIAA ?
Le 27/03/2014 à 14h21
Le 27/03/2014 à 14h24
À quoi ça sert de vouloir facturer un blocage DNS, sans aucun service, alors qu’il y a déjà d’autres méthodes tout aussi inefficaces et tout aussi chères. Ça devient ridicule.
" />
(Allez, je suis gentil, un de plus et j’arrête)
Le 27/03/2014 à 14h24
Le 27/03/2014 à 14h26
Je vais me faire l’avocat du diable mais l’état ne paye jamais pour ce genre de chose. Par exemple si demain l’état impose à tout le monde d’avoir un alcootest (" />) dans votre voiture, vous croyez qu’il va vous le payer? pas moi.
Le 27/03/2014 à 14h33
Le 27/03/2014 à 14h34
Le 27/03/2014 à 15h47
On leur a pas expliqué que le blocage le moins bugogène, c’est le dns ? Et que le contournement, ça prend juste le temps du coup de fil à un ami, à defaut du 50⁄50.
Que le blocage par ip est plus compliqué à contourner, mais génère pas mal d’effets de bords, genre chasse au moustique au bazooka.
Que le plus propre est le blocage url, mais très contournable et plombe le réseau à cause du DPI, si la liste est à rallonge.
Mais on va faire comme si je ne savais pas un minimum de quoi je parle " />, en contournant régulièrement ces 3 modes de blocage.
Bref …
Le 27/03/2014 à 15h48
Le 27/03/2014 à 16h07
Prenons par exemple un serveur (nommé Aéroport Internation de Bogota) et un FAI (Air France).
Tout le monde sait que ce serveur héberge un site appelé “Cocaine.com”.
Qui doit bloquer un client qui va acheter de la drogue sur ce site/serveur ?
Sachant que si on décide bloquer les clients qui vont à Cocaine.com, le client peut dire qu’il va à Cocaine.co ou encore Cocaine.org… Et que bon, fermer l’aéroport de Bogota, c’est quand même un peu bourrin.
Le 27/03/2014 à 16h26
salut
non mais de QUOI ce mêle l’CJUE ?
ça n’a rien avoir avec sa mission 1ère
qui est de –> défendre les intérêts des Juifs de France !
“on déborde, là” !" />
Le 27/03/2014 à 16h34
Le seul blocage qui est possible pour un FAI sans être anticonstitutionnel est le blacklist DNS.
Si on bloque une IP alors on bloque le serveur et tout les sites qui sont dessus.
Si on bloque l’accès au site alors il faut pouvoir vérifier que la requête sur l’IP du serveur est celle pour le site en question, mais pour vérifier cela c’est du DPI qui est beaucoup plus cher a mettre en place et douteux sur le plan légale (puisque dans ce cas la, tout votre traffic est surveille).
Le 27/03/2014 à 16h46
On marche complètement sur la tête !!!!
Les opérateurs téléphoniques doivent donc aussi être responsables de la censure des communications qu’ils acheminent.
Idem pour La Poste.
Idem pour les constructeurs de voiture : ils seront responsables si des malfaiteurs utilisent un de leurs modèles pour commettre leurs méfaits.
etc…
A non, il y a juste une exception : les politiques et hauts fonctionnaires peuvent perpétrer les pires conneries en exercice, ils n’auront jamais à en répondre (à part la Lagarde et un ou deux troufions pour le scandale du sang contaminé, mais ça va jamais plus loin qu’un petit blâme ….)
" />" />" />" />" />" />" />" />
Le 27/03/2014 à 18h39
les transporteurs “physiques” genre La Poste, UPS, Fedex, TNT ont aussi à leur charge la recherche et le blocage des paquets frauduleux, pour les mettres sur un pied d’égalité avec leurs cyber-confrères?
Le 27/03/2014 à 21h41
Le 27/03/2014 à 21h46
Donc, je résume et je simplifie à l’extrême : le blocage est au bénéfice de quelques-uns (les “ayant-droits”) et le coût du blocage est à la charge de tous (les abonnés).
Grandiose ! bravo les juges et votre conception de la justice " />
Le 28/03/2014 à 02h27
Vladimir me voilà camarade. .
Le 28/03/2014 à 04h03
Le 28/03/2014 à 06h19
Après l’ére du numérique " /> voici poindre celle du … Cryptage " /> enjoy " />
Le 28/03/2014 à 07h04
Le coût du blocage à la charge du FAI, selon la taille de sa bourse
mais bien sûr !
c’est trop facile de proposer une telle ineptie et de faire payer les autres
Le 28/03/2014 à 08h12
Le 28/03/2014 à 08h18
Le 28/03/2014 à 08h38
Le 28/03/2014 à 08h43
Le 28/03/2014 à 09h11
Les dits experts ne sont pas toujours extrêmement fiables, à mon sens " />
suffit de se reporter aux X articles sur PCI, entre les juges qui “gougleuh” et autres
l’informatique n’est pas le domaine des juges et ca ne facilite pas le travail, un expert pourra trancher sur une question précise, mais pas expliquer au juge ce qu’il ne peut pas comprendre.
Enfin je dis ca, je ne connais personnellement que le travail de l’avocat, pas du juge. Mais je pense que le juge doit juger, simplement, pas savoir comment ca marche / ca marche pas
Ce qu’ils vont demander à l’expert c’est “est ce que le FAI a bien tenté d’exécuter le blocage”, probablement pas d’aller essayer de savoir si c’était la meilleure méthode ou pas
Mais sinon, oui le bon point c’est bien sur que les juges reconnaissent qu’on ne peut pas “garantir” le blocage. En revanche, il faut donc “simplement” prouver avoir essayé. Du moins je l’espère
Le 28/03/2014 à 09h43
Le 28/03/2014 à 09h48
Le 28/03/2014 à 09h52
Le 28/03/2014 à 12h08
Le 27/03/2014 à 14h37
Je trouve que l’article insiste un peu trop sur les coûts de la mesure de blocage et sur qui doit payer, entre autre parce que ce point est repris dans la conclusion de l’article.
Cet aspect n’a pas été explicitement abordé dans les 4 questions posées.
Comme le dit bien Xavier :
En creux, l’on comprend que les fournisseurs d’accès doivent donc supporter ces coûts techniques et financiers, dans la limite toutefois de leurs moyens respectifs.
C’est effectivement en creux que l’on peut comprendre que les frais peuvent être supportés par les fournisseurs d’accès.
J’ai reformulé en utilisant peuvent plutôt que doivent parce que la question n’a pas été posée et qu’il n’y a donc pas eu de réponse précise.
En l’occurrence, par rapport à l’affaire Allostreaming, la juridiction française a jugé que c’était aux ayants-droits de supporter les coûts et rien dans la décision de la CJUE ne va en contradiction ce choix français.
Pour le reste de l’article, rien à redire. " />
Edit : quand je lis les commentaires qui sont apparus pendant que je lisais et relisait l’arrêt, je vois que ce point chagrine du monde.
Le 27/03/2014 à 14h39
Le 27/03/2014 à 14h41
Le 27/03/2014 à 14h43
De toute façon, cet arrêt n’est qu’un coup d’épée dans l’eau…
site Kino = fermé depuis
sites Allostreaming = fermés depuis pour la plupart (ou réouverts sous d’autres noms)
donc bon… " /> " /> les ayants droit
pour un site pirate fermé (mais non condamné), dix d’ouverts…? " />
Le 27/03/2014 à 14h47
Le 27/03/2014 à 14h47
Le 27/03/2014 à 14h52
Le 27/03/2014 à 14h52
Le 27/03/2014 à 14h57
Moi perso, je trouve surtout con c’est la demande : quelque chose d’efficace et précis (et le tout à vos frais, donc indirectement pas trop chère). Si en plus il faut respecter un peu la confidentialité/sécurité…
Le 27/03/2014 à 15h03
Le 27/03/2014 à 15h05
Le 27/03/2014 à 15h09
Le 27/03/2014 à 15h13
Le 27/03/2014 à 15h13
Le 27/03/2014 à 15h22
Le 27/03/2014 à 15h38