Copie privée : jeudi, un nouvel arrêt important à la CJUE
Les consommateurs bientôt remboursés ?
Le 02 mars 2015 à 10h20
7 min
Droit
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Jeudi 5 mars, la Cour de justice de l'Union européenne rendra un nouvel arrêt important en matière de redevance pour copie privée. L’affaire est née au Danemark, mais ses résultats pourraient irradier l’ensemble des États membres qui ont opté pour ce prélèvement, dont la France. Explications.
L’affaire est née d’un litige entre Copydan Båndkopi et Nokia. En 2010, cet organisme chargé de percevoir, gérer et répartir la redevance avait attaqué le fabricant de téléphones, considérant que les cartes mémoires livrées avec les téléphones doivent être frappées de la redevance pour copie privée. Il réclamait près de 2 millions d’euros au titre des cartes importées par Nokia entre 2004 et 2009.
En 2012, la justice danoise a décidé de renvoyer le dossier devant la CJUE, accompagnée d’une pluie de questions préjudicielles (voir notre précédente actualité).
Frapper les mémoires amovibles, non les mémoires intégrées
D’un, Nokia ne comprend pas qu’on puisse exiger le paiement d’une RCP sur les cartes mémoires des téléphones alors que cette redevance n’est pas exigée sur les équipements à mémoire intégrée (lecteurs MP3, iPod, etc.)
En juin 2014, dans ses conclusions, l’avocat général a déjà expliqué qu’une carte mémoire susceptible d’être utilisée par les personnes physiques pour faire des copies privées peut justifier la perception d’une redevance. Cependant, si les États membres ont une grande marge de manœuvre sur ce terrain, encore faut-il que ses choix soient « cohérents ». Ils ne peuvent spécialement « affecter le bon fonctionnement du marché intérieur ». Il considère donc comme illicite le fait d’exclure les mémoires intégrées du champ de la redevance, si cette exclusion n’est alléguée par aucune base statistique objective.
Le consommateur doit-il payer deux fois ?
Différentes questions sont également relatives aux paramètres à prendre en compte dans la détermination des barèmes. Spécialement, la juridiction danoise veut savoir s’il est possible de payer la redevance copie privée pour des capacités mémoires qui serviront à stocker des morceaux achetés sous licence (on pense aussi aux multiples copies autorisées à l’occasion de l’achat d’un morceau sur une plateforme légale).
Dans un tel cadre, le consommateur va finalement payer deux fois : une première fois lors de l’achat de la licence autorisant les copies sur différents équipements, une seconde fois lors de l’achat des équipements au titre de la redevance pour copie privée.
Cette situation ne serait-elle pas illogique puisque le préjudice sera finalement compensé deux fois ?
Pour l’avocat général, pas de doute : les personnes physiques concernées devraient pouvoir obtenir le remboursement du trop payé : « Il appartient (…) aux États membres de prévoir, dans le cadre de leurs compétences territoriales notamment, la possibilité pour toute personne physique appelée à acquitter à un double titre la compensation équitable due sur la reproduction à titre privé d’une œuvre protégée à en demander et à en obtenir le remboursement » (considérant 67).
La directive sur le droit d’auteur, poursuit-il, « s’oppose à la réglementation d’un État membre qui prévoit la perception (…) sur les reproductions à usage privé qui ont été spécifiquement autorisées par les titulaires de droits et ont donné lieu, à ce titre, au versement d’une rémunération ou à toute autre forme de compensation équitable. »
Validé par la Cour dans son arrêt attendu jeudi matin, ce point devrait permettre aux acheteurs français d’obtenir eux-aussi remboursement. Seul hic, les modalités sont encore inconnues. Une certitude : les niveaux espérés pourraient être de l’ordre de la poussière de centime d’euro, occasionnant par la même occasion des frais de gestion importants.
Ce point avait déjà sensibilisé les Suisses ou le rapport du commissaire européen Vitorino, opposés aussi à ce qu’une redevance soit prélevée sur des contenus dont la licence autorise justement les copies. Ces positions européennes furent critiquées par les ayants droit français.
Les DRM et la copie privée
Autre question soulevée : les liens intimes entre copie privée et les DRM (verrous numériques généralement anticopie). Pour l’avocat général, l’un et l’autre sont finalement indépendants puisque le DRM vient faire obstacle aux utilisations non autorisées et donc hors du sentier de la copie privée.
« Compensation équitable et mesures techniques de protection efficaces peuvent donc parfaitement coexister, l’utilisation de telles mesures n’ayant d’incidence, le cas échéant, que sur le niveau de la compensation équitable, c’est-à-dire sur son calcul et son montant » considère-t-il. Et pour cause, le DRM va réduire la voilure de la reproduction.
La source de la copie privée
L’arrêt attendu jeudi va également se concentrer sur la question des sources de la copie privée. L’avocat général a déjà dit que la mise à disposition d’une œuvre sur Internet (download, upload) à un nombre illimité de personnes n’était pas assimilable aux copies réalisées dans un cercle privé, familial, amical, bref restreint.
Pour le coup, cependant, il n’a pu apporter de réponse précise sur ces derniers cas, la législation danoise étant floue sur ces problématiques. Il recommande à la Cour de renvoyer la balle dans les législations nationales afin de définir le régime respectif, à la lumière de la jurisprudence européenne.
Le préjudice minime et la copie privée
La redevance vient compenser le préjudice subi par les titulaires de droit au titre des copies privées que peuvent réaliser les personnes privées. La directive sur le droit d’auteur (dite directive 2001/29) laisse cependant la possibilité aux États membres de ne prévoir aucun paiement quand le préjudice à compenser est simplement « minime ». Problème, la directive ne dit pas ce que c'est.
Une chose est sûre, pour l’avocat général, la directive est souple : les États membres sont libres de prévoir la perception d’une redevance même dans l’hypothèse d’un préjudice insignifiant. On rappellera que le Royaume-Uni a pris appui sur cette liberté pour autoriser la copie privée sans prévoir de perception. Une situation qui a conduit les ayants droit anglais à soulever une série de questions préjudicielles.
Les modalités de la perception
Plusieurs questions soulevées par les juridictions danoises touchent enfin aux modalités de perception de la redevance copie privée. Spécialement, est-il normal de prélever de façon inconditionnelle cette redevance chez les importateurs ou fabricants, alors que ceux-ci ne peuvent pas toujours savoir si les stocks seront écoulés chez les pros (non concernés) ou les particuliers (concernés).
Selon lui, la directive n’interdit pas un tel mécanisme, pour autant que ces acteurs puissent répercuter la redevance sur les utilisateurs finaux ou s’ils peuvent obtenir remboursement, si les supports sont acquis « à des fins manifestement étrangères à celles de copie privée ». Il laisse à la juridiction de renvoi le soin d’apprécier ces critères.
L’avocat général a par neuf fois noté que la RCP n’était due qu’au regard des copies réalisées par les personnes physiques à des fins privées. Un double critère finalement très simple mais rendu plus complexe en France. Paris s’autorise en effet à assujettir les pros dans certaines conditions, et seules les entreprises « acquérant des supports d’enregistrement à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée » peuvent sur demande être remboursées ou exemptées.
Copie privée : jeudi, un nouvel arrêt important à la CJUE
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Frapper les mémoires amovibles, non les mémoires intégrées
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Le consommateur doit-il payer deux fois ?
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Les DRM et la copie privée
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La source de la copie privée
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Le préjudice minime et la copie privée
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Les modalités de la perception
Commentaires (22)
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Abonnez-vousLe 02/03/2015 à 12h23
Sauf que ça sera plus cher parce qu’il faudra envoyer courrier avec accusé de réception sinon ils peuvent dire qu’ils ont jamais reçu de courrier.
L’article confirme donc que la RCP n’aurait jamais du être sur les supports mais sur les musiques
Le 02/03/2015 à 12h31
Vivement jeudi.
Le 02/03/2015 à 12h47
Arrêt rendu Jeudi pour une actu postée le lendemain j’espère " />
Le 02/03/2015 à 12h56
C’est tout le genie des ayants-droits…
Le 02/03/2015 à 17h33
Le 02/03/2015 à 17h36
Le 06/03/2015 à 07h31
le même jour en principe, mais j’étais en congés mercredi et jeudi, histoire de souffler un peu.
L’actu arrive ;)
Le 02/03/2015 à 10h29
Si le changement est défavorable ca va être damage control a tout les étages, “ca ne nous concerne pas”,
si le jugement est positif on va voir fleurir des message d’auto-congratulation sur notre merveilleux modèle
Le 02/03/2015 à 10h35
A la base je comprends Nokia
“D’un, Nokia ne comprend pas qu’on puisse exiger le paiement d’une RCP sur les cartes mémoires des téléphones alors que cette redevance n’est pas exigée sur les équipements à mémoire intégrée (lecteurs MP3, iPod, etc.)”
Mais honnêtement ils s’attendaient à quoi ? Le résultat est connu d’avance : faudra payer pour tout…
C’est quand même le jackpot cette redevance. Elle est censé “compenser” le fait que l’on stocke sur un autre format une oeuvre que l’on a déjà payé
Le 02/03/2015 à 10h38
RCP pour tous des jeudi donc.
Le 02/03/2015 à 10h39
Espérons que les lobbies ne soient pas (trop) écoutés …
Le 02/03/2015 à 10h39
Le 02/03/2015 à 10h40
A partir du moment où une oeuvre ouvre le droit à de la copie privée, la taxe copie privée devrait être inclus dans le prix de cette oeuvre lors d’un achat neuf. Cela éviterait la double taxation, et assurait qu’une taxe copie privée ne soit pas indûment prélevée sur des supports physiques où aucune oeuvre autorisant la copie privée n’est copiée, ou pas dans les proportions calculées savamment par les ayant droits. Le système serait ainsi plus équitable: c’est celui qui achète une licence de copie privée qui paierait et non pas celui qui achète un support physique pour copier ses films de vacances, et les ayant droit recevraient toujours leur rémunération pour cette licence de copie privée.
Comment ça? Celui qui achèterait l’oeuvre paierait une taxe de copie privée même si il ne compte pas l’utiliser ? Même chose pour celui qui achète un support physique actuellement donc opposition non valable. Quoi ? L’argent généré pour les ayants droits via cette taxe baisserait considérablement ? Ah bah oui, désolé pour eux, c’est difficile de tenir un business honnête de nos jours.
Le 02/03/2015 à 10h53
Au contraire, et étant donné qu’on paie déjà la RCP sur les supports et que la CJUE laisse à la liberté des Nations, autant obliger de ne pas mettre de RCP sur le fichier source acheté légalement
Le 02/03/2015 à 11h03
Tout le monde voit bien que la RCP est une compensation pour les copies illicites, mais qu’on n’a pas le droit de la présenter comme telle pour des raisons éthico-juridiques.
Toutes ces gesticulations ne servent qu’a noyer le poisson, de part et d’autre.
Le 02/03/2015 à 11h09
Je me demande quand même…
Il reste quoi une fois que l’on a retiré les ventes sur supports munis de DRM et les ventes dématérialisées qui doivent inclure le droit de les copier (sinon, on a l’interdiction de s’en servir) ?
Ceux qui réclament le plus d’argent sont affiliés à ceux qui mettent des DRM partout, du coup, ils ne devraient avoir le droit à rien puisque leurs protections sont des “mesures efficaces” " />.
Ce serait bien que l’utilisation de DRM et la vente dématérialisée cause l’interdiction de perception pour ceux qui les utilisent (au moins pour la proportion de leurs oeuvres distribuées uniquement par ces moyens).
Le 02/03/2015 à 11h15
Merci Marc pour l’article très précis et “Pédagogique” comme dirait la présidence de la Hadopi
Mais perso j’ai compris que l’avocat général se défausse sur les juridictions nationales " />
Je pense que nos AD ne vont pas en rester là et qu’ils vont monter aux créneaux pour justifier d’une hausse non négligeable, bien supérieure à l’inflation (ou l’inflation négative) comme les milieux autorisés parlent.
Pour moi une inflation négative c’est le début de la déflation, donc pourquoi EUX seraient ils toujours les mieux servis. " />
Le 02/03/2015 à 11h18
de toute façon, même pour récupérer 10c € j’enverrais avec plaisir un courrier pour demander le remboursement, quand bien meme ca me coute 60c € de timbre et papier.
Le 02/03/2015 à 11h20
Personnellement, ce qui m’a toujours choqué dans cette affaire de RCP, c’est l’assujettissement de certains supports clairement pas prévus pour ça et, surtout, pas du tout utilisable à cet effet. Voir par exemple les mémoires de GPS assujettis, ça me laisse plus que perplexe….
De même pour les DRM et la copie privée. Il y a eu tellement de situations et d’affaires montrant les contraintes de l’un au regard de l’autre que ça en est écoeurant.. Bref…
Le 02/03/2015 à 11h53
Le 02/03/2015 à 11h53
Avec la RCP ont parle des ayant droits mais comment sont calculées les répartitions à la fin ?
Par exemple : Roberto Aliago (ou un autre Camini, ou Réné la taupe) il touche combien et sur quel base ?
Le 02/03/2015 à 12h11
Y a meme pas à se poser la question.
La corruption des élus au parlement est telle que des que les industriels (ou autres) peuvent nous mettre une carotte dans les cul, Les “élus” nous la glisseront bien profond et sans vaseline. Pas besoin de lubrifiant, ils sont tellement loin des citoyens qu’ils n’ont rien à craindre. Et surtout pas leur poste, puisque ceux ci sont attribués par les partis, les citoyens n’ont aucun choix.