En Corée du Sud, des YouTubeurs complotistes d’extrême-droite et un président déchu
Trump'n co.kr

Les États-Unis ne sont pas le seul pays à avoir élu un président considérant les journalistes comme des « ennemis », au profit de youtubeurs complotistes d'extrême-droite. Mais si les procédures visant Donald Trump pour « complot contre les États-Unis » suite à l'assaut du Capitole par ses partisans ont été abandonnées du fait de sa réélection, cette même dérive complotiste vient de valoir au président sud-coréen de faire l'objet d'un mandat d'arrêt.
Le 02 janvier à 16h20
9 min
Société numérique
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Yoon Suk-yeol, le président déchu de la Corée du Sud, qui avait été élu de justesse en 2022, vient de faire l'objet d'un mandat d'arrêt dans le cadre d'une enquête pour rébellion, suite à sa tentative avortée de proclamer la loi martiale, et pourrait être arrêté dès ce jeudi, d'après l’agence de presse Yonhap, relayée par RFI.
Son service de sécurité a déjà empêché, trois fois, les tentatives de perquisition du domicile ou des bureaux du président déchu, au motif qu'une loi interdit les perquisitions dans les lieux contenant des secrets d'État sans l'accord de la personne responsable.
Présents jours et nuit, ses partisans issus de la mouvance ultra conservatrice sont de plus en plus nombreux à camper devant sa résidence, faisant craindre à une escalade de violence si les autorités tentent d’arrêter leur « champion ».
Des altercations physiques ont même éclaté entre des youtubeurs conservateurs et libéraux rassemblés devant la résidence de M. Yoon, les premiers exigeant la détention du leader du Parti démocrate Lee Jae-myung, les seconds l'arrestation du président, note le Korea JoongAng Daily, un quotidien anglophone vendu avec l'International Herald Tribune (la version internationale du New York Times).
L'altercation a eu lieu alors que M. Yoon délivrait un message à ses partisans rassemblés devant sa résidence mercredi soir, promettant de « se battre jusqu'au bout pour protéger le pays ». M. Yoon a aussi exprimé sa gratitude pour leurs « efforts », qu'il a déclaré avoir suivis via les diffusions en direct de YouTube.
« Nourrissant une rhétorique complotiste », souligne RFI, Yoon Suk-yeol a évoqué un « danger » imminent pour la Corée, dénonçant ce qu'il qualifie d'éléments « anti-étatiques » et tentant de relier « ses deux plus grands ennemis : la Corée du Nord et l'opposition menée par le parti démocrate ».
« Le président Yoon a trop regardé YouTube »
Le 12 décembre, neuf jours après avoir déclaré – et rétracté – la loi martiale d'urgence, le président Yoon Suk Yeol avait déjà accusé le Parti démocratique (PD), parti libéral d'opposition, d'être de connivence avec la Corée du Nord pour fermer le Parlement, et affirmé que les élections législatives d'avril, où l'opposition a remporté la majorité, avaient été truquées.
Ce pourquoi, avait-il alors déclaré sur YouTube, il n'aurait pas eu d'autre choix que d'imposer un régime militaire et de sauver la Corée des « forces antiétatiques », souligne le Korean JoongAng dans un éclairant décryptage pointant du doigt la bulle de filtre de youtubeurs complotistes qui serait responsable de la radicalisation du président déchu.
Ces propos font en effet écho à ceux tenus par plusieurs youtubeurs politiques d'extrême droite, à commencer par Ko Sung-kook, suivi par 1,1 million d'abonnés (pour une population de 51,4 millions d'habitants), qui n'avaient de cesse de répéter dans leurs vidéos des théories du complot similaires martelant que les élections avaient été truquées et piratées par la Corée du Nord.
« Si vous êtes accro à YouTube, vous tombez dans un monde d'illusions dominé par les théories du complot… Le président Yoon a trop regardé YouTube », avait alors écrit un éditorialiste du Korean JoongAng, rapportait l'agence Reuters.
« Si nous sympathisons avec des extrémistes comme les théoriciens du complot et les YouTubeurs extrémistes, ou si nous sommes consumés par leurs peurs produites à des fins mercantiles, il n'y a pas d'avenir pour le conservatisme », avait de son côté déclaré Han Dong-hoon.
Ce dernier, chef du parti Pouvoir au peuple (PPP, le principal parti de la droite conservatrice) du président déchu et ancien confident de M. Yoon, n'en avait pas moins plaidé en faveur de sa destitution, et a lui-même souvent été la cible des critiques du youtubeur.
Les « opinions » des complotistes vs les « fake news » des journalistes
Kim Sang-wook, un législateur du PPP ayant lui aussi soutenu la destitution, estime pour sa part que les youtubeurs de droite s'étaient transformés en machine de relations publiques de M. Yoon.
Shin Jin-wook, professeur de sociologie à l'université Chung Ang, a pour sa part établi un parallèle entre Yoon et le président élu des États-Unis, Donald Trump : « Lorsque les journaux et les chaînes de télévision traditionnels ont critiqué le président Trump, ce dernier les a accusés de "fake news" ou d'ordures. Trump a aussi désigné les réseaux sociaux comme YouTube comme de meilleurs relais d'information ».
« Corée du Sud : l'épisode de loi martiale galvanise les complotistes d'extrême droite », titrait alors l'AFP :
« Avec son instauration éphémère de la loi martiale, le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a fait resurgir les vieux démons de la guerre froide en évoquant une infiltration communiste, un discours qui puise à l'extrême droite dans les théories du complot, de plus en plus influentes sur les réseaux sociaux face au déclin des médias traditionnels. »
Depuis la proclamation bâclée de la loi martiale par le président Yoo, le 3 décembre dernier, nombreux sont ceux qui cherchent à comprendre pourquoi le président aurait « pris une décision aussi choquante, un acte ultime d'auto-sabotage qui conduit maintenant sa carrière politique au bord du gouffre », écrit le Korean JoongAng :
« Depuis lors, une avalanche de découvertes et de révélations indique que YouTube pourrait être en partie responsable de cette situation. Elles mettent également en lumière une niche politique qui prend de l’ampleur, au mépris des médias traditionnels qui ont à maintes reprises manqué à la confiance du public. »
Plusieurs journalistes et responsables politiques estiment en effet que l'algorithme de YouTube était responsable du comportement de M. Yoon et avait amplifié ses biais de confirmations complotistes, à la manière des bulles de filtre relayés par Donald Trump et ses partisans. Et ce, d'autant qu'aucun élément probant n'est venu étayer, à l'instar des élections états-uniennes, ces soupçons de fraude électorales en Corée du Sud.
Sur YouTube, 87 % d'opinions, seulement 10 % de faits
Le Korean JoongAng relève cela dit que les youtubeurs d'extrême-droite cibleraient tout particulièrement les personnes de plus de 60 ans, « qui sont souvent de fervents conservateurs et très engagés dans la politique, constituant régulièrement le groupe démographique le plus important en termes de participation électorale », et qui seraient également plus faciles à influencer.
La désinformation n'est pas, cela dit, le propre des youtubeurs d'extrême-droite, souligne le Korean JoongAng. Il relève que trois chaînes libérales et une conservatrice figurent parmi les 10 chaînes politiques coréennes les plus suivies au cours du mois écoulé.
Une étude réalisée par le Service de recherche de l'Assemblée nationale en 2023 sur 80 chaînes de ce type et 822 vidéos avait montré qu'en moyenne, ils passaient 87 % de leur temps à émettre des opinions, et seulement 10 % à présenter des faits :
« 86 % des vidéos contenaient un langage haineux et hostile, et 90 % présentaient des panélistes appartenant à un seul bord de l'échiquier politique. »
Le youtubeur libéral Kim Ou-joon avait par exemple déclaré publiquement que Yoon avait prévu non seulement de l'arrêter, lui et d'autres personnalités politiques, mais aussi de les assassiner. Des affirmations qui avaient fait la une des journaux, mais qui ont depuis été jugées « probablement fausses », avance le Korean JoongAng, les médias et autorités locales n'ayant pas trouvé de preuves susceptibles de les étayer.
Le Monde relève cela dit que les forces spéciales d'une unité d'élite avaient reçu l'ordre de se déployer devant la News Factory de Kim Ou-joon, un groupe de médias comptant plusieurs chaînes YouTube avec, « semble-t-il, l’ordre de saisir les serveurs de son institut ».
D'après le baromètre Digital News Report 2024 de Reuters, un Coréen sur deux utilise YouTube pour s'informer chaque semaine (y compris via les chaînes YouTube des principaux diffuseurs traditionnels d'informations), contre 30 % en moyenne dans les 46 pays couverts par le rapport. On y apprend également que 31 % des Coréens (et des Français) seulement font confiance aux médias traditionnels (contre 40 % en moyenne), soit le score le plus bas de la région Asie-Pacifique.
Le rapprochement de Yoon et des influenceurs complotistes avait été officialisé dès son intronisation : 30 youtubeurs d'extrême droite avaient en effet été invités à la cérémonie d'investiture présidentielle de Yoon en mai 2022. Il avait également embauché un vidéaste ayant affirmé que les communistes chinois avaient infiltré la politique intérieure pour diriger l'agence de formation des fonctionnaires.
Une enquête réalisée en 2018 par le journal Chosun Ilbo avait de son côté montré que 70 % des participants aux rassemblements de droite déclaraient que YouTube était leur principale source d'informations, souligne l'agence Reuters, signe que le problème existait déjà du temps du premier mandat de Donald Trump.
En Corée du Sud, des YouTubeurs complotistes d’extrême-droite et un président déchu
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« Le président Yoon a trop regardé YouTube »
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Sur YouTube, 87 % d'opinions, seulement 10 % de faits
Commentaires (11)
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Et il est déjà arrivé que certaines périodes de l'Histoire soient éclairées sous un angle nouveau (cf. la période de la collaboration française durant la seconde guerre mondiale ou bien les procès militaires de la première guerre mondiale).
Donc l'authenticité de l'Histoire est un peu à géométrie variable.
Modifié le 10/01/2025 à 10h13
Le 10/01/2025 à 15h21
Mais je suis d'accord à propos de l'Histoire écrite par les vainqueurs.
Le 02/01/2025 à 21h09
Pour faire un parallèle avec la politique française, récemment de nombreux anciens alliés de Macron (certains ressortis de la politique) se sont lâchés (surtout anonymement) sur lui (ex: dans la série de 4 articles du Monde), et là on savait que les journalistes avaient des témoignages de première main.
Donc là je lis ça avec des pincettes.
Le 03/01/2025 à 10h21
Le 03/01/2025 à 11h38
Elle est quand même importante cette citation tant elle est similaire à beaucoup de situations médiatiques occidentales avec un journalisme de plus en plus attachés aux clics plutôt qu'aux informations importantes et factuelles.
La monétisation d'internet (via les pubs, le référencement, l'affiliation notamment) a définitivement entâché la façon de rapporter l'information, quand et par qui avec la création de bulles informatives qui nuisent continuellement et de manière souvent irréversible à la crédibilité de journalistes et médias consciencieux.