Une « première » sur le filtrage dynamique des pubs : astreinte de 10 000 € par jour pour Meta
Combien rapportent ces pubs par jour ? #JeDemande
Engagés dans un bras de fer judiciaire avec Meta depuis près d’un an, les casinos Barrière ont obtenu mardi la mise en place d’une astreinte de 10 000 euros par jour de retard dans la mise en œuvre de mesures préventives de filtrage visant à enrayer la diffusion de publicités contrefaisant leur image. Le tribunal judiciaire valide ainsi, dans une procédure qui n'a pas encore été jugée sur le fond, une injonction dynamique dont la confirmation pourrait se révéler lourde de conséquences, pour Meta comme pour toutes les grandes plateformes financées par la publicité. Explications.
Le 13 septembre à 16h16
7 min
Droit
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(article mis à jour à 18h20, pour souligner de façon plus explicite la dérogation au principe de contradictoire utilisée dans la procédure initiée par le groupe Barrière)
Dans une décision rendue mardi 10 septembre, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a prononcé une astreinte de 10 000 euros par jour à l’encontre de Meta, relative à une obligation de filtrer a priori des publicités contrefaisant l’image de marque du groupe Barrière.
« Depuis l'audience, fin juillet, nous n’avons plus constaté aucune publicité frauduleuse, alors que l’avocat de Meta a plaidé qu’il était techniquement impossible d’opérer ce filtrage », confie, à Next, Michaël Piquet-Fraysse. Avocat associé au sein du cabinet Ebl Lexington, il est conseil de Barrière dans cette affaire qui pourrait, après jugement sur le fond, influencer la façon dont les grandes plateformes se retranchent derrière le statut d’hébergeur pour ne pas modérer de façon préventive les publicités qu’elles diffusent.
Le filtrage préventif des pubs en question
Le différend qui oppose Barrière à Meta remonte à novembre 2023. Le groupe (33 casinos, 1,38 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2023) constate la diffusion massive, sur Facebook et Instagram, de publicités utilisant son nom et son image, pour promouvoir une application de jeux d’argent en ligne hébergée hors de France et opérant hors de tout agrément de l’Autorité nationale des jeux (ANJ). Rapidement, il dépose une plainte au pénal contre X et obtient en parallèle le 11 janvier dernier une ordonnance sur requête demandant à Meta de procéder à des mesures de filtrage.
Comme le souligne l'avocat Alec Archambault, le choix de l'ordonnance n'est pas anodin : plutôt que de passer par l'article 6 I 8 de la LCEN, qui autorise une procédure accélérée au fond en cas de contenu manifestement illicite, Barrière et ses conseils optent pour une voie qui permet au tribunal judiciaire de formuler une ordonnance en dérogeant au principe du contradictoire.
Meta, représenté par sa filiale irlandaise, introduit un recours, et fait valoir, entre autres arguments, son statut de fournisseur de services intermédiaires, sans obligation de surveillance des publicités qui circulent, au regard des responsabilités prévues par la LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004). La plateforme rappelle par ailleurs mettre à disposition des outils de signalement aux marques.
S’il retient que « les parties s’opposent sur la question de savoir si la société Meta peut être qualifiée d’hébergeur », le président du tribunal judiciaire confirme la première ordonnance dans une nouvelle décision rendue le 24 avril dernier. Il s’appuie notamment sur la jurisprudence pour faire valoir que « l’immunité accordée à un prestataire de services intermédiaires ne fait pas obstacle à ce qu’une juridiction exige de ce prestataire qu’il mette un terme à une violation ou prévienne une violation, selon les conditions et modalités prévues par le droit national ».
Dans la foulée, il précise la nature du filtrage demandé à Meta, ordonnant la mise en œuvre, « par tout moyen efficace », de mesures visant à prévenir la diffusion de publicités reproduisant les marques de Barrière, telles que détectées par les outils d’examen automatique déjà utilisés par la plateforme.
« À partir de là, Meta continue de ne rien faire, ou si peu », estime Michaël Piquet-Fraysse, selon qui certaines publicités frauduleuses diffusées après cette date auraient enregistré jusqu’à 400 000 vues unitaires, avant d’être supprimées, mais uniquement suite à un signalement effectué par Barrière. D’où une nouvelle assignation. « Barrière a saisi le juge d’exécution du tribunal judiciaire pour assortir la décision du 24 avril d’une astreinte », résume l’avocat du groupe.
Dans sa décision du 10 septembre, que Next a pu consulter, le juge d’exécution souligne que « la société Meta doit donc seulement prouver qu’elle met en place des moyens efficaces qui tendent vers le but recherché et il ne lui est pas imposé de mettre en place un outil infaillible ». Il rappelle par ailleurs que Meta « invoque dans ses standards publicitaires un examen avant diffusion des publicités, ce qui signifie qu’elle est en capacité d’anticiper la diffusion des publicités litigieuses alors qu’elle se contente d’invoquer des moyens de suppression a posteriori des publicités ».
Il assortit enfin cette obligation de mise en œuvre d’une astreinte provisoire de 10 000 euros par jour de retard, en faisant valoir que l’astreinte n’a pas valeur d’obligation de résultat, dans la mesure où sa liquidation est appréciée par un juge.
Injonction dynamique : une première
Meta ayant interjeté appel de l’ordonnance du 24 avril, l’affaire doit encore être jugée sur le fond et, en attendant, la plateforme peut d’ailleurs interjeter appel de cette astreinte. La procédure, et ses premières étapes favorables au plaignant, n’en ouvrent pas moins une voie inédite. « C’est une première en France et sans doute en Europe, avec un juge qui ordonne à une grande plateforme une mesure d’injonction dynamique et un juge d’exécution qui estime que cette mesure est exécutable », déclare Michaël Piquet-Fraysse.
L’injonction dynamique, c’est cette idée selon laquelle un acteur, soumis à une mesure de blocage ou de filtrage, doit agir aussi bien contre les infractions identifiées que contre celles à venir. Serpent de mer de la lutte contre le piratage, c’est elle qui par exemple impose aux hébergeurs ou aux moteurs de recherche de prévenir l’apparition ou l’indexation de sites proposant des contenus contrefaits, avec un écho récent dans l’actualité liée aux conditions de diffusion de la Ligue 1 en France.
Or l’idée d’étendre ces injonctions dynamiques à tous les pans de la propriété intellectuelle fait son chemin à l’échelle de l’Europe. « Les États membres sont encouragés à prévoir la possibilité de demander une injonction à l’encontre d’un contrevenant ou d’un fournisseur de services intermédiaire donné, qui peut être étendue aux activités portant atteinte à la PI [propriété intellectuelle, ndlr] non encore identifiées au moment de la demande d’injonction, mais concernant des circonstances factuelles fort semblables à celles qui ont donné lieu à l’atteinte alléguée au droit de PI concerné », indique par exemple la recommandation 2024/915 de la Commission européenne relative à la lutte contre la contrefaçon.
Fin avril, la même Commission a par ailleurs ouvert une enquête formelle sur les pratiques de Meta en matière de publicité, peu de temps après qu’une vague de réclames exploitant de façon frauduleuse l’image de personnalités comme Elise Lucet a défrayé la chronique.
Avec, en toile de fond, une sempiternelle question : l’activité publicitaire des grandes plateformes comme Meta n’en fait-elle pas des éditeurs plutôt que des hébergeurs ? « Dans les débats liés à l’affaire Barrière, nous n’avons pas eu besoin, pour l’instant, de nous poser la question, mais elle se posera », avertit Michaël Piquet-Fraysse.
Une « première » sur le filtrage dynamique des pubs : astreinte de 10 000 € par jour pour Meta
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Le filtrage préventif des pubs en question
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Injonction dynamique : une première
Commentaires (12)
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Abonnez-vousLe 13/09/2024 à 17h24
* uniquement sur Facebook
* connu de Facebook
A supposer que ce soit faisable, ils auraient juste à valider toute campagne publicitaire avant la mise en ligne.
Le 13/09/2024 à 17h45
Modifié le 14/09/2024 à 11h04
Le 13/09/2024 à 17h54
Le 13/09/2024 à 18h21
Le 16/09/2024 à 10h36
Le 13/09/2024 à 19h35
Déjà cette qualification n'est pertinente qu'activité par activité.
Et une activité où on est pertie prenante dans la décision de de qui voit quel contenu (prestation que l'on fait au passage payer à ses clients) est clairement une activité d'édition. Un hébergeur se contente de fournir le contenu intègre à celui qui l'a demandé.
Est-ce qu'une telle définition n'est vraiment pas clairement définie dans la loi ? Quel est le profit de nos législateurs de laisser perdurer ce flou ?
Le 14/09/2024 à 12h18
Le 14/09/2024 à 12h47
Il me semble que Google a une démarche également a priori pour les vidéos youtube, donc pourrait se voir appliquer une même décision sur tout ce qui touche au piratage qu'elle pourrait héberger.
Le 14/09/2024 à 13h54
Le 16/09/2024 à 11h11
Je l'ai signalée.
Quelques jours plus tard j'ai reçu un message m'informant que cette publicité n'enfreignait aucune des règles de l'entreprise. Circulez, il n'y a rien à voir. Bien sûr, impossible d'expliquer nulle part qu'il s'agissait d'une arnaque connue...
Le 16/09/2024 à 16h55
Et encore, je pense que même là, les escroqueries ne passeraient pas non plus !