Critiquée par la Cour des comptes, la « Suite numérique » de l’État attire les convoitises
Externaliser la souveraineté ?
Dans son dernier rapport sur la Direction interministérielle du numérique (Dinum), la Cour des comptes pose la question de la pertinence de la « Suite numérique de l’agent public » proposée par les services du gouvernement et de sa gestion de projet. Certaines entreprises françaises du logiciel libre y voient une aubaine pour proposer leurs services en enfonçant le clou, qualifiant le projet de « concurrence irresponsable » et accusant la Dinum d'avoir une « vision restrictive du Libre ».
Le 04 septembre à 10h52
6 min
Société numérique
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Le rapport de la Cour des comptes publié en juillet met en question la plus-value de la « Suite numérique de l'agent public » lancée deux mois avant à VivaTech par Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques.
Ce rapport sur la Direction interministérielle du numérique (Dinum) critique notamment une gestion du budget peu rigoureuse. Nous expliquions en juillet que, pour l'institution de contrôle des finances publiques, « la constitution d’une vision consolidée de la dépense numérique de l’État apparaît un préalable indispensable au pilotage et à l’évaluation de sa stratégie numérique ».
Mais la Cour consacre une partie de son rapport aux « produits numériques interministériels ». L'année dernière, un service a été créé au sein de la Dinum pour gérer ces « produits » et notamment la « Suite numérique » de l'agent public.
Un regroupement des services numériques interministériels sous une même bannière
Le gouvernement présentait, en mai dernier, ce site comme « une offre complète » d'outils numériques pour les agents de la fonction publique. Elle comprend notamment un système d'authentification unique, des applications et l'accès à des outils numériques comme de la visio, de l'édition, de l'email, etc. Le but est de proposer aux agents de l'État une alternative aux suites des GAFAM.
La Dinum s'appuie sur des logiciels libres comme Big Blue Button, Collabora, Matrix, Grist ... le tout sur des « infrastructures SecNumCloud » dixit, le communiqué. Mais, comme on le verra ci-dessous, la Suite intègre aussi des éléments qui ne sont pas libres.
De fait, on y retrouve beaucoup d'outils dont on a déjà entendu parler (comme Tchap), mais regroupés sous une même charte graphique. L'idée est que les agents publics utilisent tous les mêmes outils pour faciliter le travail interministériel.
Un « fonds Communs Numériques » a même été créé en parallèle pour accueillir des demandes de nouveaux services. Comme indiqué sur son site, la Dinum « ne développe pas directement les produits de La Suite numérique, mais s’emploie à constituer un système inter-opérable et simple d’utilisation, composé d’outils développés par d’autres acteurs ». Elle propose un financement (« jusqu'à 40 000 euros renouvelable ») pour les projets sélectionnés.
La Suite numérique est aussi une évolution du « sac à dos numérique » créé par la Dinum pendant la crise du Covid-19 et financé par le plan de relance. Ce sac à dos comportait surtout des outils de communications. La « Suite numérique » veut proposer toute sorte d'outils numérique de collaboration.
« Un coût important »
Selon la Cour des comptes, « la Suite numérique présente un coût important ». Elle note que, « d’une part, le coût total de déploiement était, à la fin de l’année 2023, de près de 9,3 M€ (concentré sur "Tchap" à 60 %). D’autre part, le coût annuel en maintenance était de 5 M€ (dont 40 % pour "Tchap"), sans compter les éventuels coûts des astreintes sur certains projets ». Elle ajoute toutefois que « les réflexions autour des gains liés à la mutualisation des produits interministériels sont en cours ».
La Cour donne en annexe le tableau des coûts des différents composants de la « Suite numérique » :
Coexistence de deux plateformes collaboratives
Dans cette liste, on peut constater que le développement de Tchap est clairement l'un des plus gros postes. On observe aussi que les plateformes collaboratives « Osmose » et « Resana » drainent un budget important.
Ce sont pourtant « deux services relativement similaires, proposant des plateformes collaboratives pour les agents publics », commente l'institution. Ces deux services sont portés par deux entreprises : Interstis pour Resana et Jalios pour Osmose. Dans son rapport, la Cour des comptes explique cette coexistence par leur déploiement en urgence lors de la crise sanitaire, sans pour autant que l'une des deux puisse, au printemps 2020, « accueillir l’ensemble des agents sans risque opérationnel majeur ».
Selon la Cour, la Dinum serait sur le point d'abandonner Osmose, car Jalios « n’est pas favorable à l’idée d’ouvrir au moins une partie du code source », contrairement à Interstis.
Un projet trop ambitieux par rapport au budget ?
La Cour des comptes est pessimiste sur la capacité de la Dinum à finaliser cette « Suite numérique ». Elle ne critique pas les compétences internes, mais explique que « les effectifs et les moyens de la Dinum ne permettront probablement pas d’aboutir, dans des délais raisonnables, à des outils susceptibles d’être facilement adoptés par les agents ».
Elle détaille le trop peu de personnes qui travaillent sur la Suite : « Quatre ETP sont chargés de la gestion de "Webconférence de l’État", trois ETP pour "Webinaire de l’État", 0,5 ETP pour "Audioconférence de l’État". Certains produits sont un peu mieux dotés en ressources humaines : 5 ETP pour "AgentConnect" et un peu plus de 13 ETP pour "Tchap" ».
Pour la Cour, il serait préférable que le service interministériel se concentre sur AgentConnect, « ce que la Dinum indique avoir pour objectif en 2024 ».
Des convoitises de prestataires potentiels
Il n'en fallait pas plus pour que Conseil national du logiciel libre (CNLL) réagisse, a repéré Acteurs publics. Ce lobby, qui revendique 200 membres, réunit des fédérations locales et des entreprises, comme Atos, BlueMind, Nexedi, Entr'ouvert ou Inno3.
Le CNLL prend prétexte de ce rapport pour accuser la Dinum de « concurrence irresponsable ». Elle causerait même un « impact négatif sur l'industrie française » en utilisant « les fonds publics pour concurrencer le secteur privé ».
Au lieu de participer aux divers logiciels libres, cette association d'entreprises préfèrerait que la Dinum achète « les logiciels open source d’éditeurs, au même titre que les logiciels propriétaires ».
Critiquée par la Cour des comptes, la « Suite numérique » de l’État attire les convoitises
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Un regroupement des services numériques interministériels sous une même bannière
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« Un coût important »
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Coexistence de deux plateformes collaboratives
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Un projet trop ambitieux par rapport au budget ?
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Des convoitises de prestataires potentiels
Commentaires (19)
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Abonnez-vousLe 04/09/2024 à 11h00
Le 04/09/2024 à 11h19
Je n'ai pas compris la réaction.
Le 04/09/2024 à 11h27
Le 04/09/2024 à 11h32
Le 04/09/2024 à 21h21
Le 04/09/2024 à 12h04
Le 04/09/2024 à 12h07
Quand on a en 0,5, c'est que la personne est à mi-temps dessus.
Le 04/09/2024 à 12h14
Modifié le 04/09/2024 à 12h09
Modifié le 04/09/2024 à 12h10
(edit : OK multigrillé mais j'essaie d'être plus précis )
Le 04/09/2024 à 12h43
Ah pardon, je pensais qu'on devait tous répéter indéfiniment la même chose
Le 04/09/2024 à 15h27
Le 04/09/2024 à 13h10
Le 04/09/2024 à 15h05
Le 04/09/2024 à 18h05
Le 04/09/2024 à 13h16
En tout cas, la main d’œuvre associée à ces projets (moins de 20 ETP) semble assez petite en effet même s'il s'agit juste d'intégration de solutions open source existantes.
Le 04/09/2024 à 15h06
Et c'est en effet une assez petite équipe en proportion du nombre d'utilisateurs actifs et des contraintes d'hébergement souverain.
Modifié le 10/09/2024 à 10h08
Il va falloir gérer la migration des données et là, bon courage
Le 05/09/2024 à 14h05