Décrédibilisation du soutien à l’Ukraine et des JO : comment la campagne Matriochka sème le doute en ligne
Poupées russes
En ligne, la campagne de désinformation Matriochka sévit depuis près d’un an, usurpant l’identité de médias et d’institutions et détournant l’attention des fact-checkeurs. En France, elle a notamment diffusé des contenus de décrédibilisation du soutien à l’Ukraine et l’idée que les Jeux Olympiques et paralympiques 2024 seront un échec.
Le 10 juin à 15h00
6 min
Société numérique
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Depuis fin 2023, une campagne malveillante touche l’espace public numérique francophone et mondial. Surnommée « Matriochka » (c’est-à-dire poupées gigognes) par le collectif « antibot4navalny », la campagne vise avant tout les médias, équipes de fact-checkeurs en tête, dans une logique de diversion.
Le principe : commencer par déverser des contenus de désinformation anti-ukrainienne, qui usurpent généralement l’identité de personnalités nord-américaines ou européennes ou se font passer pour des médias de ces mêmes régions. Ensuite, appeler les médias occidentaux à vérifier la véracité de certaines d’entre elles.
Auprès de l’Agence France-Presse, le mathématicien et directeur de recherche au CNRS David Chavalarias estimait début 2024 qu’il s’agissait d’une « entreprise de diversion » qui occupent les journalistes sur des sujets difficiles à vérifier. Il pouvait aussi s’agir, selon lui, d’une manière d’amplifier la portée de cette désinformation par l’intermédiaire de la diffusion de fact-checks.
Dans un rapport publié ce 10 juin, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères de l’État Viginum estime que « l’objectif de cette campagne est probablement de décrédibiliser les médias, personnalités et cellules de fact-checking ciblés tout en promouvant des contenus servant les intérêts russes ».
Elle considère que « les critères d’une ingérence numérique étrangère apparaissent réunis » et alerte sur la probabilité que le mode opératoire de cette campagne évolue « durant les mois à venir pour améliorer la furtivité de ses procédés, piéger un plus grand nombre de cibles, ou atteindre une audience plus large ».
- Selon Jean-Noël Barrot, la France et l’Europe sont « pilonnés par la propagande de la Russie »
- Viginum a repéré 40 % d’ingérences numériques étrangères de plus qu’en 2022
« Seeders » anti-Ukraine et anti-JO
La campagne Matriochka est reconnaissable à son mode opératoire en deux étapes. Les « seeders » publient d’abord de faux contenus – fausses vidéos créées à partir de banques d'images, graffitis, mème, fausses captures d’écran d’extraits d’articles, de publications Instagram ou de vidéos YouTube, etc. – sur une plateforme comme X.
« Les narratifs véhiculés par ces publications ciblent principalement l’Ukraine et sont destinés à décrédibiliser le gouvernement ukrainien et son président, ou encore à critiquer l’arrivée de réfugiés ukrainiens dans les pays occidentaux », indique Viginum, quand ils ne servent pas à « discréditer les gouvernements européens, notamment leur politique de soutien au profit de l’Ukraine », comme ç’a beaucoup été le cas en France.
Viginum relève par ailleurs « de nombreuses manœuvres » à l’encontre de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024. L’identité de médias et d’institution a ainsi été usurpée pour « diffuser l’idée, auprès d’audiences aussi bien françaises qu’internationales, selon laquelle les JOP24 seront un échec ».
L’une de ces publications usurpe ainsi l’identité de la CIA pour affirmer que le risque terroriste est trop grand pour que l’événement se déroule correctement.
La campagne Matriochka a aussi diffusé des vidéos supposément diffusées par le Groupe union défense (GUD), organisation étudiante d’extrême-droite, et visant à décrédibiliser la Banque de France.
« Quoters » probablement humains
Dans les 30 à 45 minutes qui suivent, les « quoters » les reprennent pour interpeller les personnes et entreprises ciblées – une seconde phase qui dure généralement plusieurs heures, « avec un intervalle moyen de 45 secondes entre chaque quote ».
Viginum rapporte l’existence d’au moins 90 campagnes de ce type depuis septembre 2023 et la publication d’un reportage « usurpant l’identité de Fox News » et demandant à différents médias d’en vérifier le contenu. Les suivantes ont permis aux initiateurs de Matriochka de tester et adapter leurs tactiques. Pour Check First et Reset, qui ont, eux aussi, enquêté sur l’entreprise de désinformation et l’ont nommé Overload, les opérations pourraient remonter au moins au mois d’août 2023.
Viginum relèvent diverses erreurs – reprise du texte d’un autre quoter, emploi de tags erronés, erreurs typographiques – « considérées comme peu probables en cas d’automatisation ».
Les comptes sont par ailleurs réutilisés pour diverses campagnes, jouant alternativement le rôle de seeder ou de quoter. Ils sont tous affublés de photos de profils « générées numériquement » et ne présentent aucune biographie, aucune localisation, ni abonné ou abonnement.
L’AFP, France 24 Info ou Intox ou l’EU Disinfo Lab parmi les cibles
À chaque opération, Viginum relève entre 50 et 150 comptes cibles, susceptibles d’appartenir aussi bien à des personnes, comme le patron de l’EU Disinfo Lab Alexandre Alaphilippe, qu’à des entités (l’AFP, la BBC, l’EU Disinfo Lab ou France 24 - Info ou Intox).
En France, BFMTV, Libération, Le Monde, La Montagne, mais aussi la Banque de France, la ville de Paris et la DGSI ont toutes été visées par des usurpations d’identité dans la campagne Matriochka.
Des universités, des fonds d’investissements et diverses entités internationales ou nationales dont des partis politiques ont aussi été visés, bien que de manière moins récurrente. Le réseau Matriochka a beau se concentrer sur des pays du Nord, la campagne a par ailleurs aussi touché des institutions installées dans les Balkans ou le Caucase et sur tous les continents.
Chaînes Telegram russophones
Côté commanditaires, Viginum a pu confirmer « que les contenus publiés sur X sont diffusés en amont par des chaînes Telegram russophones », notamment par trois chaînes aux lignes éditoriales propres, mais dans lesquelles se retrouvent divers « copy pasta ».
L’enquête permet à Viginum de formuler « l’hypothèse que ces contenus ont été élaborés par des tiers afin d’être diffusés de manière coordonnée sur Telegram » – d’autant plus que les administrateurs des chaînes en question pourraient avoir été rémunérés pour la diffusion des publications de désinformation.
Elle repère d’ailleurs que des contenus initialement pensés pour l’audience russe sont récupérés et réemployés, à moindre coût, pour toucher des publics occidentaux.
Décrédibilisation du soutien à l’Ukraine et des JO : comment la campagne Matriochka sème le doute en ligne
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« Seeders » anti-Ukraine et anti-JO
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« Quoters » probablement humains
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L’AFP, France 24 Info ou Intox ou l’EU Disinfo Lab parmi les cibles
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Chaînes Telegram russophones
Commentaires (20)
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Abonnez-vousLe 10/06/2024 à 16h18
Le 10/06/2024 à 21h57
Le 10/06/2024 à 17h26
Le 10/06/2024 à 17h46
Et en même temps, cerise sur le gateau, donner plus de lisibilité à leur fake news sachant que pour une frange importante de la population, les fact checkers sont à la solde du pouvoir donc nous mentent.
En même temps pour ceux qui pensent cela, il n'y a plus rien à faire, donc...
Le 10/06/2024 à 18h13
Le 10/06/2024 à 20h42
Le 11/06/2024 à 01h36
Le 11/06/2024 à 08h58
On a foutu en l'air l'Irak, la Lybie, l'Afghanistan avec des millions de morts.
On fait passer des coups d'états pour mettre des mecs à notre botte pour des "'révolutions de couleurs".
On envoie des associations de défense de la "démocratie" dans pleins de pays qui aident à faire ces révolutions.
Et en prime, les droits sociaux et les niveaux de vie des occidentaux régressent.
Les occidentaux croient encore être les "gentils" dans l'histoire?
Il n'y a pas de meilleur esclave que celui qui est persuadé d'être libre.
Poutine, c'est une dictature à l'ancienne, c'est un ringard dépassé, on a beaucoup mieux de nos jours...
Le 11/06/2024 à 09h42
Par contre parler du printemps arabe comme de coups d'état cela montre simplement ton adoration pour le modèle dictatorial. Et ceux qui sont ont pouvoir sont vachement à notre botte, il n'y a pas à dire.
Quant à dire que le niveau de vie des occidentaux régresse, tu te bases sur quoi ?
Le 11/06/2024 à 10h51
Il reste malheureusement la seconde guerre d'Iraq qui a donné bien du grain à moudre à toutes les dictatures merdiques de la planète et qui restera une tâche dans l'histoire des USA.
Il ne faut pas se voiler la face : le niveau de vie des Européens décroche par rapport aux USA, il y a des alertes régulières (récemment de la défense, car ça réduit nos capacités militaires). Cela dit, les solutions proposées par les anti-systèmes vont toutes dans le sens d'un appauvrissement accru (se foutre de la sécurité de l'est de l'Europe en premier, et renforcer notre dépendance aux énergies fossiles en second) en se focalisant sur ce qui est populaire, c'est-à-dire du pouvoir d'achat à court terme.
Le problème de l'Europe (de l'Ouest surtout), c'est de s'être transformé en club de retraités qui ne veulent aucun sacrifice, ni effort devant les enjeux du futur. Ce calme attendu par les pays riches les dessert à moyen/long terme.
Le 11/06/2024 à 22h25
Le 11/06/2024 à 22h38
Le 11/06/2024 à 08h27
Modifié le 11/06/2024 à 09h16
Plus les scandales en cascade de corruption, l'argent brûlé par valises entières pour des infras qui pourrissent derrière, les endettements colossaux des villes qui auraient pu/dû faire autre chose de ce blé, réellement pour leurs administrés, le tout sous le prétexte dégueulasse de "l'esprit du sport". Il a bon dos le sport!
J'avais vu y a 15 ans/20 ans un documentaire qui détaillait un peu les combines du CIO et pourquoi les villes sortent toujours exsangues de ce cirque. Ça disait que contractuellement 80% des recettes générées par les JO allaient directement dans la poche du CIO qui par contre lui ne finance pas grand chose. (Pincettes sur cette histoire de 80%, c'est ma mémoire, c'est vieux, et je ne retrouve pas cette info.) Les villes financent, le CIO empoche. Le tout étant de faire un beau package marketing, avec bien les glorieuses valeurs du sport, les médias tout enamourés pour faire monter la sauce, et le public qui suit. Un beau business bien mafieux selon moi.
Dernier exemple en date: Sanofi sort une grosse merde placebo complètement bullshit et pousse (oblige) les pharmaciens à le mettre en avant ("si tu prends pas notre merde, on te sabre les conditions commerciales sur le Doliprane"; aucune pharmacie ne peut se le permettre donc elles cèdent). Business as usual me direz-vous. Sauf que ce produit se retrouve partenaire des JO avec des vidéos d'athlètes qui le promeuvent. Comment est-ce possible? Facile: la ministre en charge des JO est l'épouse du patron de Sanofi. Oh ben ça alors! Quelle incroyable coïncidence! C'est fou!
Donc oui, contre les JO, de longue date. Ça n'a pas attendu une quelconque influence de la Russie (je vomis autant ceux de Paris que j'ai vomi ceux de Sotchi, et pour les mêmes raisons).
Le 11/06/2024 à 09h24
Dehors avec votre logique et votre esprit critique, c'est passé de mode et contre productif de nos jours.
Le 11/06/2024 à 12h00
Modifié le 11/06/2024 à 11h01
La morale et question de principes ont une réponse propre à chaque époque, nous n'accepterions pas aujourd'hui des choses acceptable hier, et cela en sera de même demain.
L'Ukraine à des frontières qui ont été reconnue et accepter "de tous".
La Russie ne les respectent pas, l'Ukraine demande de l'aide.
L'aide à l'Ukraine semble justifiable, même si les raisons de cette aide peuvent être plus profonde le fait déclencheur me semble une raison suffisante et surtout on n'a pas déclenché "directement *" ce fait.
* on a peut être une part de responsabilité, je sais pas, mais elle semble très faible face à l'irrationalité perçue de la Russie.
Demain on aura peut être une autre lecture...
Je regrette de ne pas avoir une connaissance poussée de l'histoire, car je crois comprendre que fermer les yeux sur ce type de situation à été un facteur important amenant à la 2sd guerre mondiale.
Pour en revenir à l'information, on rentre dans un monde ou la source n'a plus d'importance pour les média, mon opinion et donc surement biaisée sur ce type de sujet, je me range donc derrière mon état et ses dirigeants (et ca restera le cas tant que mon intérêt vitale et ceux de mes proches ne seront pas remis en cause)
Modifié le 11/06/2024 à 13h19
(juste en aparté pour détendre - un peu - le débat ici)
Le 11/06/2024 à 14h09
Le 11/06/2024 à 14h33