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Extradition de Julian Assange : Londres demande des garanties aux États-Unis et temporise

Journalism is not a crime

Extradition de Julian Assange : Londres demande des garanties aux États-Unis et temporise

CC BY 2.0 DEED Matt Hrkac

La Haute Cour de Londres vient de donner un délai de trois semaines à la justice états-unienne pour garantir que le fondateur de WikiLeaks bénéficierait, en cas d’extradition, de la protection due aux journalistes pour certaines des accusations le visant. Mais aussi de la protection accordée par le premier amendement.

Le 27 mars à 10h17

Londres demande des « garanties spécifiques »

Sur les dix-huit charges retenues contre lui, résume Mediapart, la Haute Cour de justice « en a en effet identifié trois relevant de la liberté d’expression et devant donc faire l’objet de garanties spécifiques ». Elles sont liées à la diffusion de documents confidentiels fournis à WikiLeaks par la lanceuse d’alerte Chelsea Manning et « ayant permis d’identifier des agents des services américains ».

La justice américaine accuse Julian Assange d'avoir mis leur vie en danger, ce que récusent ses avocats, les États-Unis n'ayant jamais étayé ces accusations. D'autant que WikiLeaks prenait grand soin d'anonymiser les documents finalement publiés.

Liberté d’expression et statut de journaliste pour Assange ?

La Haute Cour de justice rappelle que la liberté d’expression implique de prévoir des protections spécifiques. En Europe, elles sont imposées par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Aux États-Unis, c’est le premier amendement de la Constitution américaine.

Or, la justice américaine a toujours refusé de reconnaître le statut de journaliste à Julian Assange, écartant ainsi l’application du premier amendement, souligne Mediapart, pour qui « cette victoire de la défense de Julian Assange n’est cependant que partielle et temporaire ».

Jusqu’à 175 ans de prison, quid de la peine de mort ?

Cette décision ne concerne en effet que trois des 18 infractions lui valant de risquer jusqu'à 175 années de prison. Il est notamment question de « conspiration visant à commettre une intrusion dans un système informatique » ou encore de « l’obtention et la diffusion de documents relatifs à la défense nationale ».

L’AFP ajoute que des garanties sont également attendues sur le fait que « sa nationalité australienne ne lui serait pas préjudiciable lors d’un éventuel procès aux États-Unis [et] que la peine de mort ne serait pas demandée à son encontre ».

Cette décision « porte cependant en elle un atout non négligeable en faveur de Julian Assange pour la suite de la procédure », relève Mediapart : c’est en effet « la première fois » que la justice britannique « reconnaît explicitement » que le fondateur de WikiLeaks « doit bénéficier de la protection due aux journalistes ».

Sujet épineux pour les États-Unis

« Elle le fait, de plus, en imposant aux États-Unis de prendre position sur cette question », relève Mediapart. Et ce, alors que le ministère de la Justice essaye depuis plusieurs années de « contourner une épineuse question juridique : dans la mesure où de nombreux journaux, y compris américains, ont repris les informations de WikiLeaks, comment faire en sorte qu’une éventuelle condamnation de Julian Assange ne fasse pas jurisprudence et finisse par menacer la presse américaine ? ».

Cette ligne de défense est confortée par le fait que de nombreux médias internationaux, y compris états-uniens, dont le New York Times, assument le fait d'avoir publié des informations fournies par WikiLeaks, alertant sur le fait que cela menacerait gravement la liberté d’expression, et l'exercice même du journalisme. Julian Assange fait d'ailleurs partie de nombreuses organisations représentatives de la profession, et Wikileaks a reçu de très nombreux prix et récompenses journalistiques.

Une décision « incroyable », pour la femme d'Assange

Pour Stella Assange, cette décision est « incroyable » car elle revient à demander « une intervention politique des États-Unis ». Il est « persécuté parce qu'il a révélé le vrai coût de la guerre en termes de vies humaines », ajoute-t-elle devant la Haute Cour, comme le rapporte Radio Canada.

Rebecca Vincent, directrice de campagne chez Reporters sans frontières, y voit « un espoir final » de justice au Royaume-Uni. Alice Jill Edwards, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la torture, regrette que la Haute Cour ne statue pas sur la « peine disproportionnée » encourue par Assange aux États-Unis.

Pour Simon Crowther, conseiller juridique d’Amnesty International, les garanties demandées par la Haute Cour sont « viciées » et celles déjà accordées pleines de « failles ».

Radio-Canada précise que « pour tenter de rassurer sur le traitement qui lui serait infligé, les États-Unis ont affirmé qu'il ne serait pas incarcéré à la prison de très haute sécurité ADX de Florence (Colorado), surnommée l'Alcatraz des Rocheuses, et qu'il recevrait les soins cliniques et psychologiques nécessaires ». Ils laissaient aussi à Julian Assange la possibilité de demander à purger sa peine en Australie, sans garantie donc.

Rendez-vous le 20 mai

Les (éventuelles) nouvelles assurances états-uniennes seront examinées par la Haute Cour de justice le lundi 20 mai. Si la justice britannique estime que des garanties suffisantes sont apportées, alors l’audience de l’appel de l’extradition de Julian Assange aura lieu et une décision sera prise sur le fond.

Dans le cas contraire, « une nouvelle audience sera organisée pour débattre à nouveau de la légitimité de la demande d’appel de Julian Assange », explique l’AFP. Si la Haute Cour de justice lui refusait le droit de faire appel, ses avocats « auront épuisé tous les recours internes », conclut Mediapart.

Ils ne disposeront donc plus que de la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) au titre de l’article 39 de son règlement. Elle peut être saisie pour qu’elle prononce, en urgence, des « mesures provisoires » lorsqu’il existe un risque imminent de dommage irréparable, comme des menaces contre la vie ou un risque de mauvais traitement.

En attendant, Julian Assange reste détenu dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, à Londres. Il y est depuis 2019, après être resté enfermé sept ans dans l’ambassade d’Équateur, toujours dans la capitale britannique, où il s'était réfugié. Ses proches et avocats alertent régulièrement sur son état de santé, physique et psychique, qui n'a de cesse de décliner, au point de n'avoir pas été en état d'assister à la dernière audience.

Commentaires (18)

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... saisissant ! mais une nouvelle à prendre du (très) bon côté.

C'est horrible pour Julian Assange qui est en train de mourir à petit feu pour éviter de mourir aux US (175 ans....).
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J'ai vu à moitié et compris à moitié une interview : le tribunal aurait laissé sous le tapis l'affaire du contrat sur la tête de Assange ?
Si c'est étayé, faut pas laisser passer l'occasion d'exposer la criminalité gouvernementale US (même si ils ne sont pas les seuls dans ce cas. Exemple ancien : Rainbow Warrior).
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Comme tu ne cites pas de quoi tu parles et que tu n'as pas tout vu ni tout compris, ça va être difficile de discuter de cela mais aucune des 9 points soulevés par la défense d'Assange ne porte sur ce sujet.
À partir de là, il est normal que le tribunal n'ait pas traité le sujet.
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En fait, il a traité le sujet qui est dans le "Ground vii)", c'était un des arguments sur ce point. Et c'étaient de nouvelles preuves qui ne changent pas la décision de la juge (point 210 du jugement) :
The judge’s critical finding however is that there was nothing to show that the conduct in relation to the Embassy was connected to the extradition proceedings.
The new evidence does not change that. On the face of the allegations (on the evidence before the judge and the fresh evidence) the contemplation of extreme measures against the applicant (whether poisoning for example or rendition) were a response to the fear that the applicant might flee to Russia. The short answer to this, is that the rationale for such conduct is removed if the applicant is extradited. Extradition would result in him being lawfully in the custody of the United States authorities, and the reasons (if they can be called that) for rendition or kidnap or assassination then fall away.

En résumé, les raisons (si on peut les appeler comme ça) pour le kidnapper ou l'assassiner tombent une fois qu'il est extradé aux USA. Une fois aux USA, il ne pouvait plus s'enfuir vers la Russie.

Donc, non ça n'a pas été laissé sous le tapis mais cela n'a pas été considéré comme devant empêcher l'extradition.
J'ajouterais même que c’est un argument en faveur de l'extradition puisque l'extrader aux USA le protège contre le risque d'enlèvement ou d’assassinat par la CIA. :D
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En résumé, les raisons (si on peut les appeler comme ça) pour le kidnapper ou l'assassiner tombent une fois qu'il est extradé aux USA. Une fois aux USA, il ne pouvait plus s'enfuir vers la Russie.
Vu les efforts déployés en actions en justice par les USA, ça serait sacrément zinzin d'envoyer la CIA pour le tuer (surtout que ça changerait quoi maintenant ? Le mal qu'il a fait est fait, le tuer n'y changera rien).
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Remarque : je n'ai pas accès à l'article de Mediapart mais j'ai étudié le jugement lui-même.
Sur les dix-huit charges retenues contre lui, résume Mediapart, la Haute Cour de justice « en a en effet identifié trois relevant de la liberté d’expression et devant donc faire l’objet de garanties spécifiques ».
Il y a effectivement 18 charges retenues dont 3 relevant effectivement de la liberté d'expression (15 à 17).

Ce qu'a retenu la Haute Cour de Justice, ce sont 3 motifs d'appels qui avaient été rejetés précédemment et qui doivent faire l'objet de garanties spécifiques (de la part des USA) : les "grounds iv), v) and ix)".
iv) Extradition is incompatible with article 10 of the Convention (freedom of expression).
v) If extradited, the applicant might be prejudiced at his trial by reason of his nationality (contrary to section 81(b) of the 2003 Act).
ix) Extradition is barred by inadequate specialty/death penalty protection.
Comme on peut le voir, seul le premier motif relève de la liberté d'expression et ce n'est malgré tout pas forcément une bonne nouvelle pour Assange.

La possibilité d'appel est retenue seulement parce que la juge précédente s'est appuyée sur une décision ne concernant pas une publication journalistique :
We would not necessarily accept the respondent’s contention that the decision in Shayler is an answer, in itself, to this ground of appeal. Lord Bingham made it clear at para 37, that the case did not concern journalistic publications..
Et le jugement dit aussi :
And in respect of these counts, the article 10 balance does not clearly fall in the applicant’s favour. There is no strong public interest in the publication or revelation of the names; and strong countervailing interests in protecting them. The authorities show that the need to protect confidential human sources may be a weighty factor in the article 10 balance: see Shayler per Lord Bingham at para 33.
L'article 10 (de la CEDH) correspond à la liberté d'expression.
Le seul point qui peut être en faveur d'Assange concernant le premier amendement (qui cite explicitement la presse) et l'article 10 est la protection des sources par les journalistes, mais ça risque de ne pas suffire par rapport à la publication de noms.

Donc, en résumé, les USA doivent des garanties sur le fait que le premier amendement sera applicable, que sa nationalité ne lui donnera pas moins de protection que pour les citoyens américains et une protection contre la peine de mort (en particulier qu'il ne sera pas poursuivi pour d'autres charges).
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Mais qu'est-ce que cela peut être long bordel. Il sera décédé bien avant que cette affaire se finise j'ai l'impression...
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N'est-ce pas là tout simplement le message recherché du DoJ à quiconque d'autre s'aventurerait à participer à un processus de fuite d'informations incriminant les États-Unis ?
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Ils peuvent demander toutes les garanties qu'ils veulent, ça ne changera rien : la parole des États-Unis n'as plus aucune valeur, tout le monde le sait. Le jour où le golfeur peroxydé sera élu, il expliquera que les promesses de Biden ne l'engagent pas.
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S'il faisait cela, le traité d'extradition avec le RU tomberait. Je ne suis pas sûr qu'il soit prêt à cela.

En plus, je ne suis pas sûr qu'il ait le pouvoir de retirer ces garanties, mais tu as peut-être une connaissance plus forte que moi des lois des USA vu ton affirmation ci-dessus.
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Le traité tomberait sauf si le R.U. décidait de ramper devant les E.U. ...
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Qui déciderait cela au RU à ton avis ?

Et quelles en seraient les conséquences sur les prochaines demandes d'extraditions vers les USA suite à ce précédent ? À mon avis, les juges refuseraient d'extrader fautes de garanties fiables.

Si tu as un avis différent, merci de l'argumenter.
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Le R.U.ramper devant les E.U.? Inimaginable
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Je ne sais pas comment il s'y prendrait du point de vue de la procédure, mais les US sont très forts pour faire des acrobaties juridiques pour tordre le droit dans le sens qui les arrange. Officiellement, Guantanamo respecte le droit. Officiellement, la torture est interdite aux US, et la torture psychologique de Bradley Manning en détention était parfaitement conforme au droit. Je n'ai aucun doute sur le fait que celui qui voudrait révoquer la parole donnée trouverait une base juridique pour le faire, du moins une base aussi solide que celle qui permet de mettre des micros dans les toilettes des femmes dans l'ambassade de l'Équateur à Londres.
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OK. Tu fais donc des affirmations fortes sans savoir. Je le note pour les fois suivantes, ça m'évitera d'attacher de l'importance.

On parle de justice ici, pas de barbouzeries.
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S'il faisait cela, le traité d'extradition avec le RU tomberait. Je ne suis pas sûr qu'il soit prêt à cela.
J'irais plus loin, ce sont tous les traités d'extradition avec les USA qui risqueraient de tomber.
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Tu as parfaitement raison. Cela ferait un précédent que toutes les cours de justice prendraient en considération.
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En tout cas, le traité d'extradition des USA avec la CPI ne risque pas de tomber :D

Extradition de Julian Assange : Londres demande des garanties aux États-Unis et temporise

  • Londres demande des « garanties spécifiques »

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