Réforme de la loi de 1881 au Sénat : « Ce sont les corbeaux numériques que nous visons »
La croah et la bannière
Le 13 octobre 2016 à 09h40
5 min
Droit
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Les sénateurs ont adopté hier plusieurs dispositions du projet de loi sur l’égalité et la citoyenneté afin de bouger les lignes de la loi de 1881 qui encadre la presse mais aussi plus globalement la liberté d'expression. Objectif ? Faire retomber ses dispositions dans le droit commun, sauf pour certains heureux élus, et faciliter la répression.
Les parlementaires ont ainsi voté la possibilité pour une prétendue victime d’attaquer l’auteur de propos acidulés en s’appuyant sur le droit commun de la responsabilité, plutôt que celui de la loi de 1881. Il suffira donc de démontrer une faute, un dommage et un lien de causalité. L’auteur condamné ne pourra plus se dédouaner en avançant par exemple l’exception de vérité en matière de diffamation.
« Il n’y aura plus aucune des protections procédurales prévues par la loi de 1881 ! » confirme Laurence Blisson du Syndicat de la Magistrature. « Il suffira de prouver ces trois éléments. Cette voie avait été clairement exclue par la Cour de cassation, consciente que cela allait mettre en péril la liberté d’expression avec des actions civiles bâillons ».
Seul charme : cette possibilité d’agir sur le tremplin du droit commun sera possible à l’encontre de n’importe qui, sauf des journalistes professionnels, dont les pigistes et les correspondants de presse qui adhèrent à une charte déontologique.
Une réunion informelle et discrète avec les syndicats
Cette disposition a été inspirée d'un rapport présenté en juillet mais adaptée après une « concertation » sollicitée par plusieurs syndicats. Selon nos informations, trois d’entre eux étaient autour de la table ce 6 octobre : le SPQN, le SPQR et le SPQD. Curieusement, le Sénat refuse de nous confirmer formellement ces identités. Les services évoquent poliment « une rencontre informelle entre des représentants de la presse quotidienne nationale et de la presse quotidienne régionale et la rapporteure de la commission spéciale, Françoise Gatel notamment ».
Hier, en séance, cette situation a quelque peu agacé Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la jeunesse et des sports. « Sur un sujet aussi délicat, il eût été préférable de les entendre avant le débat en commission. Les grandes plateformes, les hébergeurs, les fournisseurs d'accès, eux, n'ont pas été consultés du tout ! Vous avez senti la nécessité de corriger votre rédaction après l'incendie allumé dans la presse. Mais les choses sont mal engagées... La loi de 1881 porte sur la communication publique, pas seulement sur la liberté de la presse. Si vous avez protégé les journalistes, la liberté d'expression des internautes mérite aussi d'être défendue ! »
Régression pour les citoyens, stagnation pour les journalistes
Dans l’esprit de Laurence Blisson, voilà en tout cas « un mouvement très dangereux ». Et pour cause, « on crée ici des catégories dans le cadre de la liberté d’expression. Et au prétexte de protéger plus fortement des professions qui doivent l’être, on en vient à sacrifier le droit des personnes. Trop souvent on voit Internet comme la source d’abus, mais Internet c’est aussi le lieu qui a rendu possible et réelle la liberté d’expression pour les citoyens. Pour eux, c’est une privation de droit. Pour les journalistes, ce n’est pas une avancée. Simplement, ils ne seront pas soumis à la même régression que le reste de la population ».
Avec l’ouverture de cette boite de Pandore, la magistrate craint d’ailleurs la remise en cause d’une pratique jurisprudentielle bien établie. Concrètement, lorsqu’un David non-journaliste critique une multinationale Goliath, les tribunaux n’ignorent pas ce déséquilibre et acceptent des expressions exagérées : Mme ou M. Michu n’ont pas adhéré à des règles déontologiques et ne sont pas censés avoir des connaissances spécifiques avant d’avoir laissé trainer leur langue sur les réseaux...
Les corbeaux numériques, les analystes autoproclamés
Toujours durant les débats, François Pillet, l’un des sénateurs à l’origine de ce glissement, assume : « les règles procédurales de la loi de 1881 sont aujourd'hui si contraignantes qu'elles sont régulièrement contournées (…). Nous avons recherché l'équilibre, sans jamais mettre en cause les journalistes adhérant à une charte de déontologie, mais seulement les journalistes ou analystes autoproclamés ».
Et celui-ci d’ajouter que « la liberté de la presse n'est nullement diminuée puisque nous exonérons les journalistes, pigistes et correspondants régionaux de presse de toute responsabilité civile. Ce sont les corbeaux numériques que nous visons. »
Son collègue Philippe Bas y est allé aussi de son petit commentaire: « Les propos injurieux ou diffamatoires qui seraient sévèrement réprimés s'ils étaient proférés dans la rue doivent être soumis aux mêmes règles sur Internet ». Il oublie au passage que la réforme en cours vient également étendre à un an la prescription de l’action publique et civile (sur le terrain de la loi de 1881), sauf si le contenu litigieux a été repris dans une publication papier...
Dans le fil des échanges, Patrick Kanner a eu ce commentaire : « Avec votre amendement, vous allez déclencher des milliers d'actions en réparation ». Réaction du sénateur Alain Vasselle : « Très bien ! »
Réforme de la loi de 1881 au Sénat : « Ce sont les corbeaux numériques que nous visons »
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Une réunion informelle et discrète avec les syndicats
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Régression pour les citoyens, stagnation pour les journalistes
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Les corbeaux numériques, les analystes autoproclamés
Commentaires (35)
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Abonnez-vousLe 13/10/2016 à 09h52
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Pas grand chose à rajouter …
Le 13/10/2016 à 09h53
En gros c’est une sorte de plainte pour diffamation qui donnera lieu à des condamnations par défaut même si les propos sont avérés ? Il suffira juste que les propos ne soient pas flatteurs.
Le 13/10/2016 à 09h59
Quand on voit le nombre de procès que font nos fonctionnaires/politiques, faut les comprendre. Sa devient difficile de contrôler son image quand n’importe qui peut dire n’importe quoi sur la toile.
On en arrive a une époque ou même le président se permet de critiquer la justice, un des derniers bastions moral de notre pays. En piteux état, mais toujours là..
A force de perdre de la légitimité dans leurs actions, ils viennent la chercher de force la loi.
Prochaine étape, les exégètes amateurs ?
Le 13/10/2016 à 10h00
J’étais Charlie…
Le 13/10/2016 à 10h02
et ça marche pour les livres un peu injurieux avec tout le monde “qu’une personne dont la sangle abdominale est fortement relâchée” vient de sortir ?
Le 13/10/2016 à 10h04
Fini les “Casses toi pov’ con” ?
Le 13/10/2016 à 10h06
Ce qui me rend ouf c’est que vous êtes les seuls a en parler… c’est un point majeur et hyper important et j’ai l’impression que tout le monde s’en fout…
Ha ça pour nous bassiner avec des burkini ou des bijou de la kardachiote t’as 12 articles par jour ( alors qu’en vrai ca impacte 3 pelés et 1 tondu ), mais pour un truc qui touche tout le monde y’a plus personne ….
C’est parce que les journaux sont peu touchées qu’ils relayent pas ? ca leur permet de se sentir plus haut que le peuple donc autant rien dire ?
C’est quand même dingue que c’est par un site de news informatique que j’apprends le plus de choses sur les différentes lois qui passent régulièrement …
En tout cas bravo PCI et need vraiment que vous ayez des concurrents sérieux sur ce genre de news, histoire que vous ne soyez pas seuls !
Le 13/10/2016 à 10h09
J’ai peur d’avoir bien ou mal compris…
Si je dis quelque chose qui cause des dommages à quelqu’un d’autre, même si c’est vrai, je peux être poursuivi ?
Alors qu’avant on avait une exception de vérité ?
Ils ont prévu un ministère de la vérité pour aller avec ? On fait souvent ça dans les dictatures…
Le 13/10/2016 à 10h10
mwahaha.
c’est étonnant ça, cette volonté répétée chez le législateur de limiter la liberté d’expression des citoyens.
comme si ça les gênait. ^^
Le 13/10/2016 à 10h11
Ba, le gouvernement pourrait refuser de faire de grosses pubs campagnes de prévention contre l’alcool/les dangers d’Internet/le tabac si les journaux parlaient trop souvent en mal de ses actions. Il pourrait aussi refuser d’accorder des interviews des futurs candidats sur les questions du repas du matin, des sports que nos politiques pratiquent etc…
Le 13/10/2016 à 10h14
c’est juste que cela demande beaucoup de travail, vraiment. il n’y a aucun point de départ comme l’AFP, ou un autre article dans un autre journal. Le point de départ c’est legifrance ce qui est moins glamour qu’un cocktail au ministère de la culture.
Et le résultat n’est pas un attire ado,ménagère de - de 50, qui clic sur les lampe torche qui devrait être interdite " />.
Le 13/10/2016 à 10h18
Le 13/10/2016 à 10h24
il ne s’agit pas ici du gouvernement, mais de l’opposition (qui est majoritaire au Sénat).
On voit d’ailleurs le ministre Kanner (membre du gouvernement) quelque peu énervé par la rencontre entre la rapporteure (Françoise Gatel, UDI) et les syndicats de journalistes.
Le 13/10/2016 à 10h26
Le 13/10/2016 à 10h27
FYI, c’est le GVT qui a profité de ce pjl pour ouvrir le débat sur la loi de 1881 (blocage de site etc.).
Le 13/10/2016 à 10h59
Je ne suis pas sûr de comprendre toutes les implications d’un tel projet de loi. Je me demande pourquoi on ne traite pas les sites web comme on traite les affichages publics de rue et les tracts d’opinion distribués dans l’espace public ?
Le 13/10/2016 à 12h02
La sécurité des privilégiés, passe avant la liberté individuelle… dans toutes les bonnes dictatures " />
Le 13/10/2016 à 12h33
Première fois que j’entends l’expression : “corbeaux numériques”.
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Le 13/10/2016 à 12h49
J’adore les justifications du type “c’est telle catégorie spécifique que nous visons”.
ça a un petit côté “j’ai vu une araignée dans le grenier alors j’ai incendié toute la maison… mais c’était une réaction proportionnée " /> “
Le 13/10/2016 à 12h50
Ce qui me gene, comme bcp ici, c’est que d’après le génie Pillet, les seuls à user de cette liberté d’expression sont les journalistes.
Le 13/10/2016 à 13h00
« Ce sont les corbeaux numériques que nous visons. »
Ben voyons….
c’est sûr que c’est à ça que ça va (principalement) servir ?
Le 13/10/2016 à 13h08
On pourra porter plainte contre les tweet de la morano?
Le 13/10/2016 à 13h14
Je viens de regarder le documentaire «Les nouveaux chiens de garde», et je comprend pourquoi aucune press a forte audience n’en parle pas … faut juste savoir qui est derrière ces médias.
Le 13/10/2016 à 13h28
Ça démontre bien une chose :
Pour les élections qui s’annoncent ça va pas être facile entre des “socialistes” qui ont déçu tout le monde et des anciens de la droite avec leurs casseroles qui ont tous prouvé leur incompétence par le passé plus ceux qui n’en peuvent plus de courtiser les amis de la blonde, on est vraiment dans la merde, ça sent pire (oui en 2 mots, c’est pas une erreur " />)…
Parce que oui, pour ceux qui ne le sauraient pas le sénat est majoritairement à droite, comme ça au moins on sait ce qui nous attend probablement… " />
Le 13/10/2016 à 14h17
Et après ils s’étonneront que le FN passe…
Le 13/10/2016 à 15h02
Le 13/10/2016 à 15h49
“La croah et la bannière”
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Le 13/10/2016 à 16h02
Le 13/10/2016 à 19h07
La continuité du non mais quand même….
Le 13/10/2016 à 19h54
On appelle cela dictature … ou réellement du fascisme (vrai cette fois).
“Ce sont les corbeaux numériques que nous visons. ” … ceux qui ne pensent pas comme le souhaite le système, c’est beau.
Le 13/10/2016 à 22h00
Malgré tout le mal que je pense de cette loi, y a quand même une chose qui m’interpelle : “Les grandes plateformes, les hébergeurs, les fournisseurs d’accès, eux, n’ont pas été consultés du tout ! (sic)”
En quoi était il nécessaire de les consulter vu que de toutes façons, ils sont protégés par la loi pour la confiance dans l’économie numérique, n° 2004-575 du 21 juin 2004 ?
Si quelqu’un avait les connaissances nécessaires pour argumenter ?
Le 14/10/2016 à 05h54
« Ce sont les corbeaux numériques que nous visons »
Mais où arrêtera t-on le progrès ? " />
Le 14/10/2016 à 07h51
après la RFC 1149 et la transmission des paquets IP par pigeons voyageurs, je propose la création de la RFC 39-45 (ne pas confondre avec la 3945) qui consacrera la délation et diffamation de son prochain sur le réseau grâce aux corbeaux numériques.
Que ceux qui sont pour disent croa croa
Le 14/10/2016 à 14h08
Le 18/10/2016 à 01h40
Au fait, une loi à 2 vitesses, c’est possible, en France ?… Il me semblait que le Conseil Constitutionnel y pratiquait la coupa au rasoir …