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Israël – Hamas : comment l’IA intensifie les attaques contre Gaza

BAO (Bombardement assisté par ordinateur)

Israël – Hamas : comment l’IA intensifie les attaques contre Gaza

L'armée israélienne se repose de plus en plus sur l'usage d'intelligence artificielle dans ses opérations, un choix qui joue sur le nombre et le type de cibles touchées à Gaza.

Le 05 décembre 2023 à 10h42

Le 7 octobre, le Hamas fauchait la vie de 1 200 Israéliens, principalement des civils, et en prenait 240 autres en otage, selon le gouvernement israélien. Depuis, 15 500 personnes ont été tuées par Israël dans la bande de Gaza, selon le ministère de la Santé du territoire, géré par le Hamas. Et après une trêve d’une semaine, les raids aériens et les tirs d’artilleries de l’armée israélienne ont repris le 1er décembre.

La technologie a son rôle à jouer dans ce conflit qui compte parmi les plus meurtriers du XXIe siècle, et qui a déjà fait plus de victimes palestiniennes que lors de la Nakba – la « catastrophe » qui a conduit à l’exode d’une partie de la population en 1948. Tsahal revendique depuis plusieurs années son usage d’intelligence artificielle (IA) et d’autres outils de pointe, sans que ses affirmations aient nécessairement été vérifiables jusqu'ici.

Dans une longue enquête pour laquelle il s’est entretenu avec plusieurs membres actuels de l’armée israélienne et plusieurs ex-militaires, le média indépendant + 972, géré par des journalistes israéliens et palestiniens, détaille la manière dont Tsahal construit la campagne aérienne qu’elle mène contre Gaza depuis bientôt deux mois.

Auprès de + 972, un ancien officier du renseignement décrit l’un des modèles algorithmiques utilisés par Tsahal, « Habsora » (évangile) comme une « usine d’assassinats de masse », qui « met l’accent sur la quantité, pas sur la qualité » des cibles recommandées.

La guerre technologique, un projet israélien de longue date

En 2021, lors de l’opération « Gardien des murs », Tsahal déclarait déjà avoir fait de l’intelligence artificielle un « élément clé et un démultiplicateur de puissance dans la lutte contre l’ennemi ». L’unité 8200, équivalent israélien de la NSA, s’était alors servi des renseignements d’origine électromagnétique, visuels, humains, géographiques et autres pour entraîner plusieurs modèles algorithmiques dont les noms avaient été révélés par le Jerusalem Post : « Alchemist » (alchimiste), « Gospel » (évangile, « Habsora » en hébreu) et « Depth of Wisdom » (profondeur de la sagesse).

Utilisé sur le terrain, le premier aurait notamment servi à alerter les troupes d’éventuelles attaques. Déjà cité à l’époque, le modèle « Habsora » génère quant à lui des « objectifs de qualité », autrement dit des recommandations des cibles les plus pertinentes pour aider les unités à décider qui frapper et quand.

Un quatrième système appelé « Fire Factory » (usine de feu) a été décrit cet été par Bloomberg. Ce dernier outil a pour but d’optimiser les plans d’attaques aériens (des avions comme des drones) en fonction de la cible, c’est-à-dire de calculer le nombre de munitions nécessaires, l’ordre d’attaque le plus pertinent, voire l’attribution des cibles.

Génération automatique de cible

Au fil des ans, Tsahal est parvenue à construire des fichiers précis sur la population gazaouie, selon les sources de + 972, fichiers qui comprennent notamment le nombre de décès potentiels, civils compris, lors de l’attaque d’une cible en particulier. Le média pointe comment la « génération » de cible que permet un système comme « Habsora » joue sur l’intensification des attaques.

Avant le début de cette guerre, l’ancien chef d’état-major de l’armée israélienne Aviv Kovachi déclarait auprès du média Ynet que pendant l’opération « Gardien des murs », ces modèles d’IA permettaient de « générer 100 nouvelles cibles par jour. Pour mettre ce chiffre en perspective, autrefois, nous produisions 50 cibles par an à Gaza. » Auprès du Jerusalem Post, un colonel de Tsahal avait indiqué début 2023 que les systèmes généraient des cibles plus rapidement que l’armée n’était capable de les attaquer.

En pratique, le système permet de produire des cibles correspondant peu ou prou à quatre catégories : cibles tactiques, souterraines, d’importance (power target) et les « maisons familiales » ou « maisons d’agents ». Cette dernière catégorie est clairement constituée pour détruire les résidences privées dans lesquelles l’armée suspecte que des membres du Hamas ou du Jihad islamique se trouvent.

Au service de la doctrine Dahiya

Or, dans la guerre actuelle, Tsahal semble avoir mis l'accent sur les deux derniers types de cibles fournis par Habsora. Ce faisant, elle donne une nouvelle dimension à sa « doctrine Dahiya », une doctrine documentée de l’usage disproportionné de la force, selon laquelle l’armée vise des infrastructures civiles et gouvernementales. Le but : pousser la population à faire pression sur les groupes armés pour que ceux-ci cessent leurs attaques.

Auprès de + 972, un spécialiste des « cibles d’importance » note que ce concept a été créé dans le but de « choquer » Gaza, mais pas de tuer un grand nombre de civils. Cela signifie qu’ « une évacuation totale » des bâtiments visés est normalement organisée dans les « deux ou trois heures » précédant l’attaque et que des « missiles d’alertes sont mis à feu ». Dans la guerre actuelle, au moins deux immeubles résidentiels que + 972 suspecte d’avoir été des « cibles d’importance » ont été bombardés et mis à terre sans avertissement, ce que Tsahal conteste.

Cinq jours après le début du conflit, la moitié (1329 sur 2687) des cibles bombardées étaient qualifiées de « cibles d’importance ». Celles-ci ont provoqué le déclenchement d'opérations massives sur les foyers du Hamas, y compris sur les endroits où vivent ses plus jeunes recrues.

Selon les sources de + 972, cela dit, de nombreuses frappes ont aussi été déclenchées sur des « résidences privées, où aucun membre connu ou apparent du Hamas ni aucun membre d’un autre groupe militaire résidait ».

Comme pour tout modèle algorithmique, se posent les questions de la qualité des données ainsi que celle de l’usage que font les humains des machines à leur disposition. Selon un témoignage interne à l’armée israélienne, il est arrivé que l’armée tire des obus en se « basant sur un repérage cellulaire large de la cible, tuant des civils ». Un choix fait pour « gagner du temps », selon la source de + 972, au détriment du travail complémentaire qui permettrait d’avoir une localisation plus précise.

Au bout de 35 jours de combat, un porte-parole a indiqué au média que l’armée israélienne avait attaqué un total de 15 000 cibles à Gaza. En comparaison, en 11 jours, Israël avait attaqué 1 500 cibles lors de l’opération « Gardiens des murs », et entre 5 000 et 6 000 cibles lors des 51 jours de la guerre de Gaza de 2014.

Fichage précis et estimation des victimes civiles

Auprès de Bloomberg, Tsahal a par ailleurs affirmé que tous ses systèmes restaient supervisés par des humains. Mais dans un contexte comme celui de la guerre actuelle, cette supervision évolue.

Auprès de + 972, plusieurs témoins indiquent par exemple que les règles en matière de « dommages collatéraux » ont été largement relâchées – un officier gradé des renseignements aurait ainsi donné la consigne de « tuer autant de membres du Hamas que possible », assouplissant de fait les critères pour lancer des frappes.

Entre les précédentes opérations et la guerre actuelle, indique une source, « les chiffres ont augmenté d’une dizaine de décès civils autorisés en dommage collatéral dans l’attaque d’un officiel gradé (…) à des centaines de morts civils en dommage collatéral ».

« Rien n’arrive par accident », estime une autre source du média : si une enfant est tuée dans un foyer gazaoui, « c’est parce que quelqu’un dans l’armée a décidé que ça n’était pas grave si elle était tuée – que c’était le prix à payer pour toucher une autre cible ».

Selon les chiffres de + 972, depuis le début de la guerre, plus de 300 familles gazaouies ont perdu dix de leurs membres ou plus.

Commentaires (23)

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Avec une intelligence artificielle folle dont les prédictions ont l'air d'être suivie sans beaucoup de recul, pourquoi l'armée israélienne a-t-elle investie dans ce genre de technologies ? Autant raser purement et simplement la bande de Gaza, vu que l'armée a l'air de s'en foutre des « dommages collatéraux » (quel bel euphémisme). Dire que c'est l'IA qui recommande de frapper à tel endroit n'exonère nullement les responsabilités de l'armée.
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Plus ça va, plus j'ai l'impression que l'IA devient la divinité moderne.

Excuse et justification à la connerie humaine alors qu'elle est qu'une construction de notre intellect.

Mais rappelons que d'ordre général, une bonne partie de nos développements technologiques a été réalisée dans le but de s'entretuer. L'IA n'y fait pas exception.
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J'aurais tendance à penser que l'utilisation (supposée ou avérée) de l'IA dans ce genre de cas fait aussi office de vitrine technologique. Israël vend beaucoup de systèmes de « sécurité » et de systèmes technologiques (type NSO). Ce genre d'allégation vient renforcer la réputation du pays dans ces secteurs. À l'avenir quand un pays voudra bombarder efficacement sa population (ou celle d'en face), il ira acheter du « savoir-faire » à Israël. Les marchands d'armes font leur pub en temps de guerre ...
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Sauf que la technologie israélienne n'a pas l'air d'être très différente d'un simple lancer de dés. Après, avec des bons marketeux, ce genre d'IA doit pouvoir se vendre très cher.
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C'est pas le cas de bcp d'usage de l'IA (le lancer de dés) ? Les API sont ultra simples mais l'usage pertinent ne l'est absolument pas, on voit par conséquent fleurir les usages les plus tordus de l'IA (pourquoi pas une IA pour résoudre - mal et lentement - des équations du second degré ?).
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Pour répondre à la question finale, parce qu'il faudrait une IA intelligente.
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Quand une population est désespérée, je doute fortemetn que l'appel aux combattants de la part des populations civiles fonctionne. Au contraire, cela risque de pousser des gens à s'allier au HAMAS.

Qui plus est, ce genre de stratégie fait qu'il y a masse crimes de guerre.
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Je ne parierais pas sur le fait qu'il y aura beaucoup de survivants pour se venger. Israël est dans une campagne d'extermination qui ne dit pas son nom. Ils vont juste regrouper, bombarder, raser, regrouper, bombarder, raser jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne. Israël n’agit pas comme s'il y avait un "après" pour les palestiniens, il agit comme si demain il n'y en aurait plus du tout.

Si tuer 8000 bosniaques et en déplacer 30000 était un génocide, il faut m'expliquer ce qu'on est occupés à voir se dérouler.
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N'importe quoi.
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Ah? Je pense que le ministre de la Sécurité Nationale Israélienne, Ben Gvir (extrème droite suprémaciste) ne serait pas d'accord avec toi, lui il appelle à écraser gaza avec toute la force possible, et "à y retourner" (c-à-d prendre le territoire pour la colonisation)... et il menace de quitter le gouvernement si ce n'est pas fait.
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Entre ce qu'il veut, ce que le gouvernement dont il fait partie décidera, et ce que fera exactement l'IDF, il peut y avoir (on l'espère) une grande différence.
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On espère, mais il n'y a pas d'indices rassurants. Il y a trop de témoignages de sources plutôt fiables qui sont accablants.

Pour en revenir à la terminologie, en droit international on qualifie de génocide le fait de remplir au moins deux des cinq critères suivants:

- Meurtre de membres du groupe
- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Israël en remplis 3 pour le moment.
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Quels sont ces 3 pour toi ?

Je vois les points 2 et 3 mais pas le 1 (officiellement) même s'ils ne prennent pas de précautions pour éviter les morts comme on peut le lire ici.
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- Meurtre des membres d'un groupe
- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle

Ce n'est pourtant pas compliqué. Le 1 est le plus évident.
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Dans un contexte de guerre, non justement ce n'est pas évident. Quand les combattants sont mélangés aux civils, les morts de civils sont "acceptables". Pour qu'ils ne le soient plus, il faut démontrer l'intention de tuer les civils de la part d'Israël. Et je dis cela en étant horrifié par cet article et le comportement d'Israël en ce moment.
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C'est bien pratique de prétendre qu'il y a des méchants pour bombarder une zone habitée... même si le hamas se cachait effectivement derrière des boucliers humains à tous les coins de rue, le premier problème qui saute aux yeux: il y a un problème grave de proportionnalité. On en peut pas faire passer l'urgence d'assouvir sa soif de vengeance devant le risque posé à la population. Ensuite, c'est plutôt à Israël de prouver qu'il n'a pas le choix et que massacrer des dizaines de milliers de personnes était nécessaire pour éviter un nombre de morts proportionnels dans sa population civile.

Reste que dans le principe, on ne tire pas sur des terroristes qui se retranchent derrière des boucliers humains, ou alors on peut facilement résoudre toutes les prises d'otage en abattant les otages et les preneurs d'otage (les russes ont fait ça quelques fois il me semble)
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Et dans 10,15 ans , rebelote, parce que les gamins qui restent qui ont vu toute leur famille décimé et un véritable carnage, ben dans 15 ans ils seront à peine adulte, et auront ruminé leur vengeance.

Mais est-ce que ce n'est pas le but des occidentaux vendeurs d'armes, finalement (Je classe l'israel dans les occidentaux au vu de leur style de vie et de leurs politique) ? Laisser couver les braises du conflit d'après dans les cendres du précédent ?
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En relisant l'article, je vois que Habsora est qualifié, dans le 3e § de la première partie comme un outil "qualitatif", et dans le 1er § de la ligne suivante, il est présenté comme outil "quantitatif" quelque chose explique-t-il ce changement ?
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Vu la stratégie employée, leur IA doit tenir en cette ligne de bash :
if [ $barbu ]; then mass_bomb; else bomb; fi
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C'est déterministe, l'algo est valide :)
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A quand le TAO (Terrorisme Assisté par Ordinateur) ? La lecture de cet article est glaçante car elle implique qu'une personne physique, quelque part, prend la décision de tuer des victimes collatérales sur des bases qui sont purement militaires. En terme de "déhumanisation" c'est assez effrayant. Et quand on voit que certains pilotes de drones US développent de vrais symptômes de stress post-traumatique alors qu'ils font probablement "moins" de victimes collatérales, je me demande comment ces opérateurs arrivent à vivre avec ça.
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Donc cette fameuse IA permet de fabriquer les terroristes de demain...
Comment imaginer qu'un enfant rescapé d'un bombardement à Gaza et qui aura vu mourir ses parents, ses frères et ses soeurs sous les bombes n'aura pas une furieuse envie de se venger ?
Il en est de même pour un enfant Juif Israélien qui aura miraculeusement échappé à une bande de tarés venus chez-lui pour massacrer sa famille...

Et ce "dieu tout puissant" invoqué par les uns aussi bien que par les autres , il fait quoi pendant ce temps, à par servir de prétexte à toutes ces horreurs ?
Serait-il "artificiel" lui aussi ? ☹️

L'IA est créée par des humains et il est bien connu que les chiens ne font pas des chats...

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