Pourquoi le site du média StreetPress a été momentanément inaccessible
Incitation à la LCEN
Le fondateur du média indépendant StreetPress, Johan Weisz-Myara, a annoncé jeudi que Scaleway « a décidé de bloquer » une adresse IP du site après avoir reçu un signalement d’un internaute s’étant reconnu sur une photo publiée dans un reportage. Qu’en est-il ?
Le 01 décembre 2023 à 16h41
8 min
Droit
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En milieu de journée, jeudi 30 décembre, dans un thread « très très véner » publié sur X (anciennement Twitter), le fondateur du média StreetPress, Johan Weisz-Myara, déclare que « StreetPress est down depuis près de deux heures ». Le problème est fâcheux pour le média qui vient de publier une longue enquête intitulée « Le Rassemblement national et les radicaux poursuivent leur collaboration ».
« Non, StreetPress n'a pas été censuré par une décision de justice. Non ce n'est pas un hacker qui aurait poussé nos admins système ou notre développeur dans leurs retranchements. Oui, c'est bien Scaleway – un hébergeur français – pas un Gafa, qui a décidé de bloquer nos IP sous 48 h », ajoute Johan Weisz-Myara.
Mais que s’est-il passé pour qu’un média indépendant français soit bloqué par son hébergeur ?
24 heures après ce blocage qui aura duré entre 2 et 3 heures selon les protagonistes, contacté par Next, StreetPress explique avoir reçu de la part de son hébergeur Scaleway un signalement d’ « abuse » le mardi 28 novembre.
Scaleway nous précise avoir répercuté le signalement pour violation de la vie privée d’une personne qui apparaissait non floutée dans des captures de vidéos d’un sujet de Street Press sur « le fight club des radicaux d’extrême droite » dans les catacombes, cette personne expliquant qu’elle n’est pas d’extrême droite.
À Next, l’hébergeur explique que « le 26 novembre 2023, nous avons reçu une notification signalant une violation de la vie privée, liée à la diffusion d'une image non-floutée. Conformément à nos obligations légales et dans un souci de diligence, nous en avons informé notre client, StreetPress, en leur indiquant qu’à défaut de mesure de remédiation prise de leur part nous serions contraints de suspendre leur service ».
Une non-réponse à un mail « mystique »
Scaleway ajoute que « suite à une absence de réponse de StreetPress et toujours en conformité avec nos obligations légales, le service a ainsi été temporairement suspendu le 30 novembre 2023 à 10h00 ».
Dans ce cadre, effectivement, l’article 6 de la LCEN qui a maintenant bientôt 20 ans, oblige l’hébergeur (ici Scaleway) à agir « promptement » pour retirer des données « manifestement illicites » « ou en rendre l'accès impossible ».
Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans le numérique, précise à Next que « ce n’est pas l’adresse IP qui a été bloquée, mais la prestation contractuelle ». Pour lui, « sur le terrain juridique, oui, c’est normal » que Scaleway ait agi ainsi. Ajoutant qu’ « un intermédiaire technique d’Internet est tenu à une obligation de neutralité, donc il ne peut pas rattraper les erreurs de son client. C’est tout sauf une bonne idée que, lorsque son hébergeur demande des éléments d’explication, de ne pas répondre ».
Pourquoi c'est tout sauf une bonne idée que de ne pas répondre dans les délais impartis à son hébergeur quand ce dernier a reçu une notification #LCEN, S20E42. https://t.co/iaAvVEYQom
— Alec ن Archambault (@AlexArchambault) November 30, 2023
Mais Johan Weisz-Myara indique que cette demande était présentée par Scaleway dans l’objet du mail comme une « alerte sécurité » : « j’ai donc renvoyé ce message aux administrateurs systèmes comme je le fais pour d’autres alertes techniques », nous raconte-t-il. Puis, il est passé à autre chose.
Ce mail, qu'il qualifie de « mystique, du type abuse 0876XXXXXXXX », ne comportait, dixit Johan Weisz-Myara, aucune autre information sur le problème signalé, ni aucun lien vers un ticket chez Scaleway.
Pour connaître à quoi fait référence cet « abuse », il faut se connecter au site d’administration de Scaleway et consulter les alertes de sécurité pour avoir le message correspondant à cet abus. Là, la cause ainsi que le message de l’internaute signalant l’abus sont indiqués aux clients de l’hébergeur.
N’ayant pas été jusque-là, la rédaction de StreetPress a vu une de ses adresses IP failover être bloquée par son hébergeur jeudi, à 9h30.
Une levée de la suspension après le floutage du visage
« La chance qu’on a, c'est que l’internaute n’a signalé qu’une IP et nous avons pu bricoler en 2 h pour que les gens puissent nous lire à nouveau. En parallèle, nous avons contacté les supports de Scaleway qui a mis 3 h à réagir entre notre message et le rétablissement de l’IP » explique le fondateur du média. Car, en réaction, StreetPress a finalement flouté le visage de cette personne et l’a indiqué à Scaleway.
L’hébergeur explique d’ailleurs à Next que « StreetPress nous a rapidement contactés après la suspension en nous précisant avoir procédé aux mesures correctives nécessaires, et dans les deux heures suivant leur réponse, nous avons ainsi levé la suspension ».
Mais Johan Weisz-Myara fait remarquer que « Scaleway, une fois cette indication faite, ne pouvait pas être en mesure de vérifier, puisque l’hébergeur n’est pas en capacité d’enquêter pour identifier la personne dans la vidéo et vérifier qu’elle était effectivement floutée ».
« On se retrouve dans une situation assez abracadabrantesque, car il y a un vrai sujet en France de poster des contenus attentatoires à la vie privée des gens, racistes, homophobes, sexistes, … » estime Johan Weisz-Myara : « je suis pour que les plateformes de contenus fassent ce travail rapidement, mais avec transparence sur les critères, mais ici nous sommes sur autre chose. StreetPress est éditeur du contenu et est donc responsable de celui-ci et nous n’ouvrons pas la possibilité à des internautes de poster des contenus sans contrôle a priori. Je trouve ça fou de déléguer ce choix à des entreprises privées sans critères définis par le législateur ou expliqués par l’entreprise clairement ».
Des offres spéciales média par les hébergeurs
Après des échanges avec l’hébergeur sur le fait que StreetPress était un organisme de presse, Scaleway a expliqué au média avoir sorti son site de l’automatisation de la procédure comme d’autres médias clients.
Alexandre Archambault explique que « c’est pour éviter d’arriver à ce genre de dommage collatéral que la plupart des hébergeurs ont une offre à destination des groupes de presse » justement. « Mais il n’y a que le client qui peut signaler à son hébergeur qu’il est dans ce cas, ce n’est surtout pas à l’intermédiaire technique de prendre cette décision. Sinon, il sort de sa neutralité et peut le faire "pour le bien" comme "pour le mal" ».
Une possibilité de se retourner contre le plaignant
Il faut aussi souligner que ce même article 6 de la loi LCEN permet à StreetPress, de son côté, de porter plainte contre la personne qui a fait le signalement si le média considère celui-ci comme abusif.
Son alinéa 4 indique, en effet, que « le fait, pour toute personne, de présenter » à un intermédiaire technique « un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d'en obtenir le retrait ou d'en faire cesser la diffusion, alors qu'elle sait cette information inexacte, est puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 Euros d'amende ».
« Dans la pratique, malheureusement, il y a très peu de victimes de notifications abusives qui le font », déplore Alexandre Archambault. « Si on veut éviter que cette procédure de signalement soit dévoyée par les fachos de tout bord, ça serait bien de relever la tête », ajoute-t-il.
Octopuce, futur hébergeur de StreetPress
En tout cas, cette histoire aura poussé StreetPress à accélérer son projet de migration de son hébergement. Si le média avait déjà dans l'idée de changer d'hébergeur pour utiliser les services d'Octopuce, qui est déjà son prestataire d'infogérance, il pense le faire maintenant concrètement.
Benjamin Sonntag, fondateur de cette entreprise, a d'ailleurs aussi réagi sur Twitter, qualifiant Scaleway de « frileux » dans sa considération d'une photo non floutée comme « manifestement illicite » au sens de la LCEN.
Pourquoi le site du média StreetPress a été momentanément inaccessible
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Mais que s’est-il passé pour qu’un média indépendant français soit bloqué par son hébergeur ?
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Une non-réponse à un mail « mystique »
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Une levée de la suspension après le floutage du visage
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Des offres spéciales média par les hébergeurs
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Une possibilité de se retourner contre le plaignant
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Octopuce, futur hébergeur de StreetPress
Commentaires (21)
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Abonnez-vousModifié le 01/12/2023 à 17h08
Modifié le 01/12/2023 à 17h16
Là, c'est streetpress, ça pourrait être causeur ou atlantico (presse indépendante aussi mais conservatrice), ce serait le même sujet.
Le 01/12/2023 à 17h21
Modifié le 01/12/2023 à 17h39
Modifié le 01/12/2023 à 22h31
Cela fait sens, il y a bien des éditeurs et imprimeurs militants.
Le 01/12/2023 à 17h29
Le 01/12/2023 à 17h49
Bref, on n'a pas fini d'avoir ce genre de news par certains qui vont y voir une façon de faire couper facilement et sans grand danger.
Le 02/12/2023 à 01h10
Imaginez que la même chose nous arrive ?
Oh, wait.
Le 02/12/2023 à 11h58
Le 02/12/2023 à 22h14
'-__-
Le 04/12/2023 à 13h43
Le 03/12/2023 à 00h05
Le 02/12/2023 à 16h31
Le 04/12/2023 à 16h59
Le 03/12/2023 à 00h26
Scaleway n'a pas prévenu avant l'arrêt ?
Media StreetPress n'a pas géré cette alerte par dessus la jambe ?
Certes le résultat est disproportionné mais merci d'éviter de ne présenter les torts que d'un seul côté.
Modifié le 03/12/2023 à 07h40
Pas vraiment.
Non.
Modifié le 03/12/2023 à 09h39
Obligatoire ? Je ne sais pas (si un juriste passe par là). Recommandé, oui.
Si. Le 28 novembre. L'arrêt a eu lieu le 30 novembre
Pour moi, oui. Car même si la notification reçue n'indiquait pas d'information sur la nature du problème, ne pas regarder rapidement de quoi il en retourne est, pour moi, une faute.
Quand je reçois un message d'un hébergeur pour mes projets (ce qui n'arrive pas souvent), je vais voir de suite de quoi il s'agit. Parfois, ce n'est pas grand chose (alerte sur quota disque par exemple), mais parfois c'est beaucoup plus embêtant (comme la charge CPU).
Le résultat est disproportioné, mais Scaleway a agis conformément à la loi. Ce n'est pas pour rien que cette loi a été plusieurs fois décriée, justement à cause de ce genre de problème. Ce n'est pas à l'hébergeur de dire ce qui est illicite ou non, mais il lui sera toujours reproché de ne pas avoir retiré du contenu illicite rapidement. Je ne parle volontairement pas du "manifestement", tant celui-ci est subjectif (et c'est d'ailleurs étonnant qu'il ait été intégré tel quel dans la loi, sans définition précise)
Modifié le 03/12/2023 à 11h06
Service Public
Quoiqu'il en soit, streetpress a flouté le visage de la personne, sur simple demande de sa part, et s'est quand même fait "ban" (comme on dit dans le milieu de la modération).
Un mail d'alerte informatique a été envoyé à la direction de streetpress qui l'a transféré au responsable informatique du site. Donc: un simple mail, sans nature juridique dans l'objet du mail
Scalway a agit en respectant les délais, en respectant la loi. Mais Scaleway a agit sans tenir compte des besoins de son client.
C'est très bien de lire ses mails chaque jour et d'y répondre dans l'heure. Pareil pour le courrier postal. Mais même pour le paiement de facture, on laisse au moins 10 jours pour payer, on envoie une lettre de relance, etc. Bref, je suis certain qu'un hébergeur peut faire mieux qu'une dépublication pure et simple d'un site de presse après 48 heures de délai légal et l'envoi d'un mail de service.
Modifié le 03/12/2023 à 11h31
Juste pour rappel : loi > besoin du client
Comparer le retrait au paiement d'une facture (loi vs contrat), je ne suis pas certains que cela soit pertinent. Dans la mesure où la loi stipule "promptement", tu peux oublier le courrier postal (délai trop long). Et je ne te parle même pas d'une lettre avec AR (sans compter le coût supplémentaire à la charge de l'hébergeur). L'hébergeur, dans cette situation, se retrouve entre l'enclume et le marteau. On peut trouver la loi mal faite, cela n'autorise toutefois pas à l'outrepasser.
Le mail, c'est simple et rapide.
On pourrait aussi reprocher à la personne à l'origine de la notification de ne pas avoir contacté le responsable de publication de Street Press (ou peut être est-ce que cela a été fait, mais cela n'est pas précisée dans l'article, et si c'était le cas, alors le problème est bien du côté de Street Press).
[edit]
Juste histoire de compléter : le fait que le mail en lui-même ne contienne pas les informations est peut être volontaire aussi. C'est pour forcer l'utilisateur à se connecter et à récupérer l'information sur site. L'hébergeur peut ainsi tracer les "notifications de lecture", chose impossible par mail.
Donc, si aucune personne ne s'est connectée dans les 48h pour vérifier ce qu'il en était, l'hébergeur a pris une décision certes radicales, mais en accord avec la loi pour se dégager de toutes responsabilités.
Le 03/12/2023 à 15h55
Est-ce qu'un site de presse ne devrait pas mettre en place un système de failover via un CDN ou autre technique (DNS par exemple) ?
Car là c'est une coupure volontaire mais rien n'empêche une panne chez l'hébergeur - certains sont passés maîtres dans la pyrotechnie strasbourgeoise par exemple...
Le 04/12/2023 à 20h25