Face à la justice, le ministère de l’Intérieur refuse d’appliquer l’Open Data « par défaut »
Tartuffe nation
Le 04 septembre 2018 à 12h19
7 min
Droit
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Le ministère de l’Intérieur s’est décidé à donner suite à notre requête devant le juge administratif. Alors que le gouvernement d’Édouard Philippe s’est engagé il y a peu à appliquer l’Open Data « par défaut », la Place Beauvau déploie de son côté les arguments pour ne pas s’y plier...
En décembre 2017, constatant que de nombreuses administrations rechignaient à respecter leurs nouvelles obligations de diffusion de documents administratifs prévues par la loi Numérique, Next INpact avait décidé de lancer deux recours – symboliques – devant le Conseil d’État, au nom du droit à l'information.
Après des mois d’attente (justifiés en partie par un réaiguillage devant le tribunal administratif de Paris), nous avons reçu la semaine dernière un dossier de près de quatre cents pages. L'image est forte. Et elle en dit long : plutôt que de mettre en ligne un simple PDF de quatre pages, le ministère de l’Intérieur a préféré concocter un épais mémoire dit « en défense », affublé de volumineuses pièces jointes.
Sur le papier, notre requête visait à obtenir la mise en ligne d’un rapport d’évaluation des « caméras-piétons » portés par certains policiers. Un document qui nous avait déjà été transmis par le ministère de l'Intérieur (et que nous avons d'ailleurs publié sur notre site) après saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs, mais que l'administration n'avait jamais diffusé sur Internet. En pratique, cette initiative juridictionnelle – une première pour Next INpact – n'avait qu'un but : mettre la lumière sur les nouvelles obligations nées de la loi Numérique, afin qu'elles ne restent pas lettre morte.
Un recours en justice pour que l’Open Data « par défaut » ne reste pas lettre morte
Depuis le 7 avril 2017, les administrations d'au moins 50 agents (ministères, autorités administratives indépendantes, hôpitaux, écoles...) sont tenues de mettre à la disposition de tous, sur Internet, les documents administratifs qu'elles viennent de communiquer individuellement, par email, à des personnes en ayant fait la demande sur le fondement de la « loi Cada ». Il peut s'agir aussi bien de rapports que de statistiques, de codes sources, de délibérations, etc.
Le problème est que très rares sont les acteurs publics à se conformer à ce nouveau principe dit d’Open Data « par défaut », issu de la loi Numérique.
Or ce dispositif pourrait se révéler particulièrement précieux pour l’intérêt général. Tout d’abord parce qu’il vise à assurer une transparence sur les documents administratifs qui intéressent réellement les citoyens (puisqu’ils découlent d’une demande, non d’un choix d’un acteur public de proposer tel ou tel rapport qui l’arrange). Et d’autre part parce que la loi impose aux administrations de diffuser ensuite les « mises à jour » de ces fichiers – ce qui devrait être particulièrement intéressant pour les statistiques ou codes sources notamment.
Un argumentaire qui tranche avec les engagements du plan OGP
Alors que l’exécutif a promis en avril dernier, dans le cadre de son plan d’action 2018 - 2020 pour l’Open Government Partnership, de « faciliter et faire appliquer le principe d’ouverture des données par défaut », le ministère de l’Intérieur n’est visiblement pas sur la même longueur d’ondes.
Vices de forme, absence d’intérêt à agir... La Place Beauvau a bien affuté ses arguments pour contrer notre procédure.
Les services de Gérard Collomb soutiennent tout particulièrement que nous aurions dû saisir (une nouvelle fois) la Cada avant de nous tourner devant le juge administratif. Nous avions effectivement saisi l’autorité indépendante une première fois, en décembre 2016, suite au refus du ministère de l’Intérieur de nous communiquer le fameux rapport sur les caméras-piétons.
La Place Beauvau estime que nous contestons désormais un refus de « publication » (et non plus de « communication »), nécessitant un passage devant la Commission d’accès aux documents administratifs.
Alors que nous avions expliqué au juge que la loi introduisait une nouvelle obligation ne nécessitant aucune « demande » ou intervention particulière de la part du citoyen, le ministère de l’Intérieur a joint à son mémoire l’étude d’impact du projet de loi Numérique et le rapport présenté au Sénat par Christophe-André Frassa, afin de démontrer que le législateur « a entendu inclure les refus de publication de documents administratifs dans la procédure de saisine préalable obligatoire de la Cada avant toute saisine de la juridiction administrative ».
En admettant que le tribunal administratif suive cette analyse, cela signifierait que pour activer les dispositions de la loi Numérique, il aurait fallu, dans l’affaire qui nous oppose à la Place Beauvau :
- Demander la communication du rapport
- Saisir la Cada, faute de retour du ministère de l’Intérieur sous un mois
- Obtenir le rapport (suite à l’avis favorable de la Cada)
- Demander la publication de ce même rapport, faute de mise en ligne spontanée
- Saisir la Cada pour refus de publication
- Effectuer un recours en justice, faute de mise en ligne du document
Autant dire un sacré parcours du combattant, d'autant que la Cada met parfois près de six mois avant d'examiner un dossier... Une telle grille de lecture semblerait d’autant plus ridicule que la loi Numérique permet également de demander à ce qu’un document administratif soit directement diffusé sur Internet (la publication est ainsi devenue l’une des modalités de communication des documents administratifs).
Mais surtout : quel citoyen irait réclamer la mise en ligne d’un document qu’il a déjà pu obtenir individuellement ? Ces dispositions étaient en effet taillées pour qu’un fichier ouvert une première fois le devienne pour le plus grand nombre, automatiquement... Ce qui aurait profité aux administrations elles-mêmes, puisqu’un document administratif disponible sur Internet n’a plus à être communiqué individuellement.
La clôture de l’instruction prévue pour fin septembre
Le ministère poursuit quoi qu'il en soit son argumentaire en ajoutant que « l’article qui définit les modalités du droit à communication ne précise pas que ce droit peut s’exercer selon des modalités de manière cumulatives ». La Place Beauvau fait ainsi valoir qu’en transmettant une première fois par mail un document administratif, il n’y aurait « aucune illégalité à refuser de l’assurer [le droit à communication, nldr], ultérieurement, par le biais d’une autre de ces modalités ».
Autrement dit, les services de Gérard Collomb estiment que le rapport sur les caméras-piétons nous ayant bien été transmis individuellement, ils n'avaient plus à répondre par la suite à une nouvelle demande de notre part.
Le magistrat en charge du dossier a décidé de la clôture de l’instruction au 27 septembre prochain. Notre second recours, visant le ministère de l’Éducation nationale, n’a quant à lui donné lieu à aucun retour de la part de la Rue de Grenelle.
Face à la justice, le ministère de l’Intérieur refuse d’appliquer l’Open Data « par défaut »
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Un recours en justice pour que l’Open Data « par défaut » ne reste pas lettre morte
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Un argumentaire qui tranche avec les engagements du plan OGP
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La clôture de l’instruction prévue pour fin septembre
Commentaires (26)
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Abonnez-vousLe 04/09/2018 à 12h33
“Tartuffe nation” je la garde " />
Et bravo pour le boulot (bon en droit administratif je suis nul donc je peux pas aider ^^ )
Le 04/09/2018 à 12h53
Ministère de l’Intérieur == Melon Intersidéral.
Le 04/09/2018 à 13h09
C’est une nouvelle étape, avant on pouvait penser que leurs différents refus ou rétention était plus de la feignantise qu’autre chose, on ce retrouve ici avec une administration hostile et perdant du temps pour ça.
On pouvait penser que le secteur privé était le champion du louvoiement entre les différents trous et interprétation de la loi mais qu’un ministère fasse de même ça en dit long sur l’état de notre démocratie.
Le 04/09/2018 à 13h36
J’espère que les commentaires ne vont pas vite tomber dans le travers habituel dès qu’il s’agit de politique. Critiquer, oui, mais si ça pouvait être fait intelligemment et dans un esprit un minimum honnête, ça serait bien. Les “rageux” n’ont jamais fait rien avancer.
Le 04/09/2018 à 13h47
Le citoyen doit respecter la loi, c’est encore + vrai pour un ministère qui à la base est chargé d’exécuter les lois…
Le 04/09/2018 à 14h02
Presque une ramette de papier alors qu’un PDF aurait suffit, ouais Francois de Rugy va avoir du boulot pour sauver les arbres " />
Y a plus qu’à scanner et donner les feuilles au gamin pour en faire des coloriages
Le 04/09/2018 à 14h52
Avec un camarade à un échelon plus local on exactement a les mêmes problèmes avec l’administration.
Stupéfiant tout ces politiques qui nous vendent la surveillance généralisée au motif qu’on a rien à craindre si on a rien à se reprocher …
un exemple ici :https://oliviervagneux.wordpress.com/2018/08/27/mon-memoire-en-replique-contre-l…
Le 04/09/2018 à 14h55
Hé bé, si j’avais eu un doute sur mon réabonnement en septembre, il s’envole. Rien que pour payer ce boulot, ça vaut plus que le coup !
Chapeau les gars !
Le 04/09/2018 à 15h15
[quote:6048855:Edrae]Hé bé, si j’avais eu un doute sur mon réabonnement en septembre, il s’envole. Rien que pour payer ce boulot, ça vaut plus que le coup !
J’ai encore un peu de temps " /> : Date d’expiration 09/11/2019
Le 04/09/2018 à 15h36
400 pages recto / verso ? .
Livré ou envoyé par la poste ? .
Parce-que cela représente quand même pas mal de tunes.
Le 04/09/2018 à 15h52
Le 04/09/2018 à 15h54
Le 04/09/2018 à 16h00
Le 04/09/2018 à 19h46
Autrement dit, les services de Gérard Collomb estiment que le rapport sur les caméras-piétons nous ayant bien été transmis individuellement, ils n’avaient plus à répondre par la suite à une nouvelle demande de notre part.
Il suffit donc que quelqu’un d’autre demande la publication du document sur internet au ministère puis à la CADA quand ils auront refusé pour qu’ils soient obligés de le faire.
Qui s’y colle ? Je l’aurais bien fait pas je n’ai pas trop le temps pour le moment.
Mais bon, j’aimerais bien que le tribunal administratif foute un bon coup de pied au cul au sénile qui nous sert de ministre de l’intérieur. C’est inadmissible de jouer au con pour ne pas avoir à respecter ses obligations !
Le 05/09/2018 à 00h29
400 pages de mémoire en défense??? " />
Ils ont vraiment que ça a foutre au ministère de l’intérieur?
Plutôt que de se mettre à respecter la loi et publier les documents, ce qui leur prendrait techniquement 5 min grand maximum (publier un fichier pdf en ligne, ça prend pas plus), ils préfèrent passer un temps incalculable pour refuser, préparer un dossier de 400 pages avec des arguments plus que vaseux…
…Ils préfèrent donc se casser le cul plusieurs semaines (au pif) au boulot pour ne pas faire leur job, au lieu de choisir la voie la plus simple et dépenser 5 min pour faire correctement leur job…" />
Je crois qu’à ce stade, on a largement dépassé le seuil de la connerie pour atteindre des niveaux humainement impossibles.
Information utile pour NxI :
En droit civil, ce genre de comportement pourrait être qualifié de manœuvre dilatoire et sanctionné par une amende (article 32-1 (action en justice), art. 559 (appel) etart. 581 (recours))
En droit administratif, ce genre de comportement pourrait être qualifié soit d’excès de pouvoir de l’administration (mais au 1er abord, non-applicable en l’espèce), soit de résistance abusive (plus précisément, recours abusif (Art. R741-12 du Code de Justice administrative) (mais il faudrait discuter avec un avocat de l’opportunité et des conséquences d’une telle demande)
Le 05/09/2018 à 06h02
C’est le dossier complet qui fait près de 400 pages (environ 200 feuilles, imprimées recto/verso).
En détail, il y a :
(tous les liens sont dans l’article)
Le 05/09/2018 à 06h05
Le 05/09/2018 à 08h16
Ha, je n’avais pas noté que le mémoire ne faisait que 7 pages (merci pour le rajout des liens dans l’article" />) et surtout je n’imaginais pas qu’ils avaient intégré la totalité des rapports.
De par mon expérience, devant les tribunaux civil, les magistrats voient souvent d’un très mauvais œil ce type de pratiques (mettre 400 pages pour ne citer que quelques paragraphes, sachant que derrière, l’avocat facture la moindre page imprimée…)
Je ne connais pas les pratiques devant les tribunaux administratifs mais j’imagine qu’ils doivent être plus coutumier du fait.
Le 05/09/2018 à 08h50
En effet, on n’a pas eu à se payer une prose indigeste et visuellement peu attrayante :-)
Le 05/09/2018 à 09h54
Ne pourrait on point, donc, considérer cette réponse (celle du ministère) comme du foutage de gueule intégral ?
Le 05/09/2018 à 09h59
Je suis également plutôt privatiste, mais on a quelques dossiers au TA.
Sur Télérecours, j’ai besoin de ma clef RPVA. Il y a un accès sans pour les communications de pièces ?
Le 05/09/2018 à 10h21
Le 05/09/2018 à 11h07
En regardant vite fait, ça a l’air assez limité télérecours “citoyen”.
En lisant la faq, je me disais que ça allait être un massacre quand les gens vont devoir insérer des signets dans leurs pdf de pièces …
Le 05/09/2018 à 11h24
Ne lâchez rien : c’est parce que vous soulevez ce problème d’application de la loi que ce sujet m’intéresse !
Le 05/09/2018 à 16h35
Je parlerais plutôt du niveau/état de l’État de droit que du niveau/état de notre démocratie, alors.
Le 05/09/2018 à 17h09