Administrations : vers un assouplissement de l’obligation de recourir au « cloud souverain »
Cloud you be loved
Le 19 août 2019 à 14h11
6 min
Droit
Droit
Dans le sillage du règlement européen relatif au « libre flux des données non personnelles », le gouvernement se prépare à lever l’obligation, jusqu’ici faite aux administrations, de stocker tous leurs documents et données sur le territoire national. Ce qui devait théoriquement les conduire à se tourner vers des prestataires de « cloud souverain ».
Exit les solutions étrangères d’hébergement dites « en nuage », à commencer par celles proposées par les géants Google, Microsoft ou Amazon. Au travers d’une note parue en juin 2016, les ministères de l’Économie et de la Culture expliquaient aux administrations que « l'utilisation d'un cloud non souverain [était] illégale pour toute institution produisant des archives publiques ».
Cette conclusion avait donné des sueurs froides à certains acteurs publics, notamment au sein des collectivités territoriales. Et pour cause, tous les documents produits et reçus par les administrations sont considérés comme des archives publiques : dossiers, notes, correspondances, procès-verbaux, délibérations, codes sources, etc.
En avril 2018, le député Stéphane Testé avait transmis une question écrite au secrétaire d’État au Numérique d’alors, Mounir Mahjoubi, pour l’interpeler quant à cette interprétation jugée « extensive » du Code du patrimoine.
Une note désormais abrogée
La fameuse note ayant été retirée du site officiel dédié aux circulaires, Stéphane Testé en appelait surtout à une clarification de la part de l’exécutif. « Les dispositions du Code du patrimoine sont toujours sujettes à une interprétation qui pourrait restreindre le recours à l'informatique en nuage par toute institution produisant potentiellement des archives publiques », regrettait l’élu communiste.
À ses yeux, l’ « insécurité juridique » entourant la conservation, dans le cloud, de documents administratifs demeure doublement inquiétante. D’une part, cela pourrait freiner le recours à des solutions de stockage adaptées aux nouveaux besoins des administrations en matière d’archivage. D’autre part, cela « pénalise par ricochet un écosystème d'entreprises françaises positionnées sur l'accompagnement de ces institutions dans leur passage dans le cloud », faisait-il valoir.
Le mois dernier, après une longue année d’attente, Cédric O a finalement répondu à Stéphane Testé.
Le successeur de Mounir Mahjoubi rappelle qu’en vertu de l’article L 111 - 1 du Code du patrimoine, les archives publiques sont des « trésors nationaux » – lesquels ne doivent pas quitter le territoire national, sauf autorisation spécifique. « Elles ne peuvent en sortir qu'à titre temporaire, à des fins de restauration, d'expertise, de participation à une manifestation culturelle ou de dépôt dans une collection publique », précise ainsi l’ancien conseiller d’Emmanuel Macron.
Cédric O confirme que la note signée en 2016 par Bercy et la Rue de Valois a été « dépubliée du site circulaires.gouv.fr et n'est donc plus applicable ».
Une réforme législative avant juin 2021
En effet, l'entrée en application, le 28 mai dernier, du règlement européen relatif au libre flux des données à caractère non personnelles a « modifi[é] les règles de droit en interdisant les exigences de localisation, sauf pour des motifs de sécurité publique », explique le locataire de Bercy.
L'article L 111 - 1 du Code du patrimoine sera ainsi « modifié en conséquence ». Avec un sérieux changement en perspective :
« Seules les archives définitives ou archives « historiques », issues de la sélection prévue aux articles L. 212 - 2 et L. 212 - 3 du Code du patrimoine, continueront de relever du régime des trésors nationaux, à l'instar des collections des musées ou des collections patrimoniales des bibliothèques. Les archives courantes et intermédiaires, conservées par les administrations et les collectivités territoriales, ne seront plus considérées comme des trésors nationaux et ne seront donc plus soumises à une obligation de localisation sur le territoire national, sauf pour des motifs de sécurité publique. »
En clair, la plupart des documents administratifs transitant quotidiennement sur les ordinateurs des fonctionnaires (dossiers, emails, statistiques...) pourront être hébergés sur un service de cloud non souverain. Cédric O ne se prononce toutefois pas clairement sur les obligations qui prévalent en attendant cette réforme.
L'intéressé indique simplement que le ministère de la Culture est actuellement en train d'identifier le « véhicule législatif » qui permettra d’entériner ces changements.
« Stratégie cloud » et optimisation des coûts
En décembre 2017, lors de débats à l’Assemblée nationale, le député Éric Bothorel avait jugé que l’obligation d’héberger des données sur le territoire national n’avait guère de sens : « En vérité, il y avait très peu de fournisseurs qui étaient en capacité de dire où les données étaient localisées. Ce n’est pas parce qu’un data center est localisé en France qu’on a la garantie que les données et leur traitement restent en France. »
Dans une logique d’efficacité et d’optimisation des coûts, le gouvernement s’était en outre engagé l’année dernière à développer une « offre de cloud hybride en fonction des usages et de la sensibilité des données » de l'administration, à horizon 2021.
Trois types de solutions étaient alors mises en avant par le secrétariat d’État au Numérique :
- Un « cloud interne », dédié aux données et applications sensibles, accessible à l’ensemble des ministères sur une base OpenStack, et « hébergé par l’administration ».
- Un « cloud dédié », « pour les données et applications de sensibilité moindre, reposant sur une offre externe personnalisée pour les besoins de l’État et hébergé sur des infrastructures dédiées ».
- Un « cloud externe », destiné aux « données et applications peu sensibles, constituée d’un catalogue d’offres cloud accessibles sur Internet, [et] porté par des centrales d’achat public pour en faciliter la commande ».
Si Cédric O ne le précise pas, rappelons que le temps est compté pour la France. En vertu du règlement européen, chaque État membre est en effet censé avoir abrogé au 30 mai 2021 au plus tard « toute exigence existante de localisation des données » qui serait établie par une disposition législative, réglementaire ou administrative. Toute demande de dérogation devra d’ailleurs être « immédiatement » notifiée à la Commission européenne.
Le texte prévoit en outre qu’un « point d'information » national détaille, sur Internet et de manière actualisée, l’ensemble des « exigences de localisation des données » qui prévalent sur un territoire.
Administrations : vers un assouplissement de l’obligation de recourir au « cloud souverain »
-
Une note désormais abrogée
-
Une réforme législative avant juin 2021
-
« Stratégie cloud » et optimisation des coûts
Commentaires (22)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 19/08/2019 à 14h23
à supprimer
Le 19/08/2019 à 14h24
Ca sent le joli pot de vin de la part de micro$oft, d’amazon ou de google tout ça…
Le 19/08/2019 à 14h32
L’article 36 du TFUE permet de restreindre l’exportation hors du territoire français des trésors nationaux, ce que fait l’article L111-7 du code du patrimoine. Le règlement relatif à la libre circulation des données non-personnelles n’a donc pas de conséquence sur ce point.
Par ailleurs, le règlement général sur la protection des données à caractère personnel impose la minimisation des traitements de données. Ainsi il convient de limiter les traitements de données à caractère personnel au strict nécessaire et ainsi d’éviter les flux de données transfrontières non-nécessaires.
Le 19/08/2019 à 14h50
J’ai quand même dans l’idée qu’ils ont attendus que des hébergeurs français soient prèts pour des hébergements hors “loix patriot act”
Des boites comme OVH( c’est seulement un exemple ) ont bougé des dizaines de milliers de machines de et vers les états unis pour permettre à leurs clients de ne pas se retrouver coincés par les USA
aujourd”hui on peut se faire héberger avec garantie que les données ou les sites ne seront pas géographiquement sous juridiction US.
My 2 cents like they say " />
Le 19/08/2019 à 14h53
Le 19/08/2019 à 15h00
L’article indique : “En clair, la plupart des documents administratifs transitant
quotidiennement sur les ordinateurs des fonctionnaires (dossiers,
emails, statistiques…) pourront être hébergés sur un service de cloud
non souverain.” ici ces dossiers et emails sont des données à caractère personnel au sens du RGPD…
Le 19/08/2019 à 15h01
Vu qu’on était pas prêt d’avoir un Cloud souverain, ça semblait assez aberrant.
Le 19/08/2019 à 15h15
Le 19/08/2019 à 15h19
Ces deux textes ne peuvent en aucun cas limiter l’article 36 TFUE qui permet des restrictions à la libre circulation des trésors nationaux.
Le 19/08/2019 à 15h35
Le 19/08/2019 à 15h49
on rapproche tout ça du ‘cloud act’, sachant que la justice américaine est au service des intérêts économiques de son gouvernement… Ca promet.
Le 19/08/2019 à 16h21
Au-delà du sujet principal de l’article, personne n’est troublé par le fait qu’une note est « dépubliée du site circulaires.gouv.fr et n’est donc plus applicable » ? L’abrogation par dépublication ?
Le 19/08/2019 à 16h30
+1
Le 19/08/2019 à 17h08
a priori TFUE c’est le traité sur le fonctionnement de l’UE, c’est pas un simple code national (mais je ne prétendrait pas être capable de discuter de sa relation hiérarchique avec un réglement)
“Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. ”
Ce qui me perturbe plus c’est le passage de ‘trésor national’ à ‘tout document d’une administration’. Déjà passer de ‘trésor national ayant une valeur historique’ à ‘toute archive publique’ je trouve ça osé, mais passer de ‘toute archive publique’ à ‘tout document d’une administration produisant des archives’, c’est juste n’importe quoi.
J’ai bossé dans une telle administration, j’ai vraiment pas eu le sentiment que grand chose que j’ai fait puisse être qualifié de trésor national. Ça doit être ma légendaire modestie.
Le 19/08/2019 à 17h26
Le 20/08/2019 à 07h06
Plutôt que de mettre le paquet sur des clouds souverains, on laisse tomber (courageusement en supprimant une circulaire)… La Macron’s French touch…
Le 20/08/2019 à 07h26
Les traités sont supérieurs dans l’ordre hiérarchique. A titre d’exemple, le règlement FFoD est pris sur la base de l’article 114 TFUE (donc en dessous).
Le 20/08/2019 à 07h29
Le 20/08/2019 à 09h21
Le 20/08/2019 à 09h30
Le 20/08/2019 à 16h37
civ, scaleway, outscale, ovh, … sont tous des clouds souverains.
Le 21/08/2019 à 14h14
Drôle, EDF chie à monter leur cloud privée.