Injurier son patron par SMS, auprès de collègues, ne justifie pas un licenciement
Une décision décoiffante
Le 08 janvier 2020 à 14h31
5 min
Droit
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Une salariée licenciée pour avoir insulté son patron sur Facebook et par SMS, dans le cadre d’échanges avec des collègues de travail, a obtenu gain de cause devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Pour les juges, de tels messages relevaient de la sphère privée.
Coiffeuse dans un salon niçois, Madame X est licenciée en décembre 2015, après quasiment dix années passées au sein de la même entreprise. « À plusieurs reprises, vous avez tenu à vos collègues de travail des propos injurieux inacceptables à mon encontre tant par SMS que sur le réseau social Facebook », explique l’employeur dans sa lettre de licenciement.
Le patron justifie cette décision en précisant que le comportement de la salariée se révèle « préjudiciable à l’activité » de son entreprise, ces multiples dénigrements ayant « pour conséquence de créer une ambiance délétère au sein du salon et de générer une démotivation du personnel ».
Madame X décide alors de contester son licenciement devant les tribunaux. Bien lui en a pris : déboutée par le conseil des prud’hommes de Nice, courant 2017, l’intéressée a finalement vu son licenciement invalidé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, fin 2019.
« C’est un con », « il n’a pas de couille »...
Lors du procès, le gérant du salon de coiffure, directement visé, avait produit plusieurs textos et extraits issus de Facebook, datant tous de 2015 : « il n’a pas de couille », « c’est un con », « pas de patron, pas de serviette, salon de merde », « il part en couille », « organisation de merde », etc. Des propos « ouvertement péjoratifs et insultants à l’égard du gérant du salon, (...) de l’entreprise ou de certains salariés », a reconnu la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Pour autant, les juges ont conclu que le licenciement était « dépourvu de cause réelle et sérieuse ». Et pour cause : « les SMS envoyés à un seul destinataire à partir de la ligne téléphonique personnelle de Mme X relevaient, ainsi que cette dernière le soutient, d’une conversation purement privée dont l’employeur ne pouvait faire état dans le cadre du licenciement ». Autrement dit, bien que les textos litigieux aient été rendus accessibles au gérant du salon de coiffure, ce dernier ne pouvait s’en prévaloir pour limoger sa salariée, puisque relevant de la correspondance privée.
Concernant les messages émanant de Facebook, les choses auraient pu être plus compliquées... La cour d’appel a toutefois relevé qu’aucune pièce ne venait contredire la version de l’ex-salariée, selon laquelle « il s’agissait d’échanges privés, manifestement dans le cadre d’un groupe restreint de correspondants ». L’employeur avait déclaré avoir eu connaissance de ces échanges « non pas en allant sur Internet mais à la suite de leur communication, lors d’une réunion, par les salariées Y et Z, correspondantes de Mme X » – ce qui laissait à penser qu’ils n’étaient pas « publics ».
« En l’état de l’ensemble de ces constatations et eu égard au respect de la correspondance privée du salarié s’imposant à l’employeur, le grief sera écarté », a conclu la cour d’appel.
La salariée protégée au titre du respect des correspondances privées
Quant au fait que le dénigrement reproché à la coiffeuse aurait porté préjudice à l’entreprise, les magistrats ont estimé qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes en la matière. Les attestations fournies par l’employeur, qui contredisaient celles de la salariée, présentaient en effet « des garanties d’objectivité insuffisantes pour démontrer que l’appelante (...) serait responsable des mauvaises relations au sein du salon ou d’un mal être du personnel pouvant avoir de multiples autres causes ».
La cour d’appel a au passage souligné que l’intéressée « était absente depuis huit mois en raison d’un congé parental », et que « la procédure de licenciement a été engagée le 24 novembre 2015, jour de son retour dans l’entreprise ».
« Le doute devant en toute hypothèse profiter à la salariée », les juges ont donné gain de cause à cette dernière.
Alors que Madame X réclamait plus de 20 000 euros à son ex-employeur, dont 11 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a décidé de lui accorder 5 000 euros « à titre d’indemnité de licenciement abusif ».
Les juges auraient cependant pu avoir un autre regard sur ce dossier si les messages litigieux avaient été échangés par le biais d’un téléphone de fonctions. La Cour de cassation a en effet déjà jugé que les SMS envoyés depuis un appareil professionnel étaient accessibles « par défaut » à l’employeur (voir notre article).
Injurier son patron par SMS, auprès de collègues, ne justifie pas un licenciement
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« C’est un con », « il n’a pas de couille »...
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La salariée protégée au titre du respect des correspondances privées
Commentaires (30)
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Abonnez-vousLe 09/01/2020 à 18h35
Je suis pas très Facebook, mais il me semble que cette affaire démontre qu’il arrive qu’on y échange avec des gens qu’on apprécie pas particulièrement.
Ou bien il faudra qu’on m’explique la logique qui conduit à balancer un collègue qu’on apprécie quand il se lâche en privé…
Le 09/01/2020 à 18h54
Le 09/01/2020 à 19h39
perso ce qui me questionne est le montant de l’indemnisation… un peu plus de trois mois de salaire pour plus de 10 ans d’ancienneté…. perso je trouve ça un peu lléger, au regard du caractère jugé abusif de ce licenciement.
Le 09/01/2020 à 20h10
Le 10/01/2020 à 07h56
Le 10/01/2020 à 08h08
Le 10/01/2020 à 09h43
Le 10/01/2020 à 09h44
Le 10/01/2020 à 09h51
Le 10/01/2020 à 10h08
Le 10/01/2020 à 10h09
Le 10/01/2020 à 10h35
Perso j’ai du mal à décorréler les réticences liées à l’incertitude sur le carnet d’adresse et celles liées au code du travail.
Sans code du travail, et donc notamment sans risque juridique ou financier de virer les gens quand ça t’arranges, tu embauches et vires joyeusement selon le remplissage de ton carnet d’adresse, ce qui réduit drastiquement le risque que celui-ci ne soit pas suffisant pour payer tes employés. (modulo les autres difficultés bien sûr)
L’article que tu cites évoque d’ailleurs une corrélation entre les entreprises qui se plaignent de ces deux points.
Le 10/01/2020 à 10h52
Oui on peut tout ramener à une question de fric in fine. Et on pourrait très bien assouplir à l’infini les contraintes sur les entreprises.
Mais faudra alors tout changer autour aussi (quid de l’accès au logement, par exemple, en l’absence d’une certitude raisonnable de la part du bailleur ou de la banque quant au fait que le salarié pourra payer son dû ?)
Les anciennes théories sur le marché du travail¹ prévoient un marché du travail plus fluide mais elles présupposent pour beaucoup une symétrie entre offre et demande de travail (en terme de “poids dans la négociation”) or, de mon point de vue, le pouvoir de levier d’un mec seul qui doit bouffer et se loger pour ne pas mourir n’est pas le même que celui d’une organisation qui n’aura à perdre que 6H du temps d’un de ses employés RH >> risque d’asservissement (les cas serait radicalement différent dans une situation de revenu universel par exemple : là ok, le salarié échange son temps et sa compétence en échange uniquement d’un prix - le salaire - pour ces deux ressources et personne n’a à se soucier des autres composantes)
¹ je ne suis pas resté au fait des théories plus récentes
Le 10/01/2020 à 12h12
Ah, je dis pas qu’il faut supprimer le code du travail, juste que celui-ci me semble avoir une part de responsabilité significative dans le critère ‘incertitude sur le carnet de commande’. Ça n’exclut pas qu’il puisse avoir par ailleurs des avantages qui justifient son maintien malgré ses défauts.
Le 10/01/2020 à 12h48
oui on est d’accord et pour clarifier : perso je comprends l’incertitude sur les carnets de commande comme une incertitude sur la croissance en générale (le niveau d’activité économique du pays qu’on anticipe, le niveau de la demande et des investissements : bref un point de vue purement économique).
Ton acceptation à toi est tout autant défendable " />
(n’en déplaise aux économistes, l’économie - surtout dans sa partie anticipations et adaptation - n’est pas 100% rationnelle, selon moi)
Le 08/01/2020 à 15h27
Ambiance de merde dans l’entreprise mais jugement équilibré et normal (aussi “injuste” qu’il puisse paraître vu de loin)
Le 08/01/2020 à 16h52
en effet, on ne vire pas les employés qui insultent le patron auprès des autres employés a la machine a café ou devant leurs machines… il n’y aurait plus grand monde au boulot.
Le 08/01/2020 à 17h11
Le patron a-t-il eu un examen de son intimité pour prouver que son employée mentait ?
Le 08/01/2020 à 17h13
Ya besoin de couilles pour gérer un salon de coiffure ?
Pour les shampooings aux œufs certainement…
Sinon elle passe son brevet et elle ouvre le sien. Comme ça il sera géré avec des couilles.
Même si par définition un con n’a pas de couilles. Cqfd.
Edit: jamais autant écrit le mot couilles.
Le 09/01/2020 à 08h36
Ça me fait poser des questions : Quid des cas de BYOD en entreprise.
Le téléphone est toujours personnel, mais utilisé dans le milieu professionnel. Les conversation privé le resteront-elles dans ces cas-là ?
Le 09/01/2020 à 08h58
J’aurais une question pour les spécialistes : si on a un téléphone perso mais un abonnement téléphonique remboursé par la société, quel est le statut des échanges effectués avec ce téléphone ?
Le 09/01/2020 à 10h31
Tout le monde crache sur son patron de temps en temps, en privé bien sur.
Le jugement semble normal effectivement.
Cependant balancer les sms et conversation facebook de son collégue…
Ça sent le règlement de compte ou la demande de promotion quand même, “La bonne ambiance” " />
Le 09/01/2020 à 10h47
Donc, du coup, si un patron insulte ses salariés par SMS et facebook, y’a pas lieu de penser que c’est pénalement répréhensible non plus du coup.
Après tu t’étonnes que les patrons de petites boites ne veulent pas embaucher. Si c’est pour se faire insulter de la sorte et ne rien pouvoir faire, autant ne pas embaucher. Ça sera des emmerdes en moins.
Le 09/01/2020 à 12h46
Le 09/01/2020 à 12h47
Le 09/01/2020 à 13h30
Le 09/01/2020 à 13h38
Le 09/01/2020 à 14h49
Le 09/01/2020 à 14h52
Le 09/01/2020 à 17h16