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[Interview] L’AFDEL fustige la taxe sur la bande passante voulue par Fleur Pellerin

Une bande à part

[Interview] L'AFDEL fustige la taxe sur la bande passante voulue par Fleur Pellerin

Le 12 février 2015 à 13h00

Fleur Pellerin porte une nouvelle fois le projet de taxer la bande passante. La mesure est applaudie par les ayants droit de l’audiovisuel, d’autant que les rendements pourraient alimenter le secteur culturel. Du côté de l’Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (l’AFDEL), l’idée est cependant déjà très critiquée. Loïc Rivière, son délégué général, nous explique pourquoi.

Que vous inspire l’idée d’une taxe sur la bande passante ?

Que de l’inquiétude ! C’est une énième proposition de taxe ciblant spécifiquement le numérique alors qu’un certain nombre de rapports et tous les observateurs avaient déjà conclu, lors des essais précédents, à leur inadaptation. Pourquoi ? D’abord parce qu’on poursuit dans le même temps des objectifs d’harmonisation fiscale au niveau européen. Ce n’est donc pas le moment d’essayer de créer des taxes spécifiques au niveau national. Ensuite, quand on élabore des prélèvements ciblant un business model, pour ne pas dire un acteur du marché, généralement on manque son objectif et il y a des effets de bords pour ceux qu’on entend épargner. Enfin, bien que ce dispositif soit imaginé pour être porté au niveau européen, il est en réalité en contradiction avec la pratique fiscale à ce niveau. La France s’est déjà fait redresser sur un certain nombre de sujets par le passé.

Outre son inopportunité pratique, pour vous il y a donc clairement un problème juridique, celui du respect du principe d’égalité devant l’impôt ?

Exactement ! Il faut bien comprendre que ce projet avait dans le passé pour préoccupation de financer les infrastructures télécoms, confrontées à de lourds investissements pour faire face au développement des usages gourmands en bande passante. Cette fois, il est « rebrandé » exception culturelle (le montant de la taxe pourrait être affecté aux filières culturelles, ndlr). Ce projet est donc encore moins cohérent, et d’après ce que j’ai pu lire dans Les Échos, même la Fédération française des télécoms est perplexe.

Pensez-vous qu’il soit possible de deviner une valeur économique à partir d’un volume technique, le flux d’octets ?

C’est ce qu’il y a d’absurde dans ces projets de taxes ! Ils établissent une corrélation automatique entre la création de valeur et certains business model visés explicitement. Or, cela ne marche pas comme ça ! Il n’y a pas de rapport homothétique entre l’utilisation de la bande passante et les revenus qui y sont retirés. En clair, ce n’est pas parce qu’on utilise plus de bande passante qu’on en tire plus de revenus. Au contraire, même, la vidéo est un contenu qui fut assez difficile à monétiser.

La vie n’a pas été un long fleuve tranquille pour Dailymotion et le modèle de YouTube a longtemps laissé perplexe. Certes, ce n’est pas le cas aujourd’hui, mais n’oublions pas que ces plateformes suscitent de gros coûts d’infrastructures et de technologies. On ne comprend donc pas très bien pourquoi cibler la bande passante, la vidéo plutôt qu’autre chose, alors que ce ne sont pas ceux qui tirent le plus de revenus. Si on prend le cas de Google, la majorité des richesses viennent de son activité de moteur de recherche et de la monétisation du lien. Or, en termes de bande passante, cela ne doit pas représenter grand-chose.

Par protectionnisme et neutralisation, les acteurs français pourraient cependant déduire le montant de cette taxe de leur impôt sur les sociétés… Une vraie bonne idée ?

Il a bien été retenu que la première taxe dite « Google » souffrait d’effets de bords évidents sur les acteurs français. C’est le problème général de ces politiques industrielles qui reposent uniquement le fait d’ériger des barrières. Finalement, on manque la cible et on en touche une autre. Concernant l’impôt sur les sociétés, qui frappe le bénéfice, rappelons le modèle des start-ups : les premières années, elles réinvestissent tout et sont même en déficit. Or, si on suit l’idée d’une taxe sur la bande passante, ces jeunes pousses devraient s’en acquitter, sans pouvoir l’éviter. Certes, on pourrait imaginer un crédit d’impôt (remboursement d'un trop versé fiscal par Bercy, ndlr) mais compte tenu du contexte budgétaire, c’est peu probable. Enfin, il y a aussi ces services fournis aux entreprises, très consommateurs de bande passante, notamment pour l’envoi de fichiers lourds, qui se développent en s’appuyant sur le cloud. Ces activités devraient elles aussi s’acquitter de cette taxe…

Concrètement, comment fait-on pour mesurer cette consommation de bande passante dans un pays donné, face à une économie et un Internet ouverts ? Est-ce que cela suppose des technologies intrusives ?

Les seuls qui seraient en moyen de le faire sont les opérateurs télécoms et leurs partenaires. Ils peuvent mesurer ce qui rentre et d’où cela vient, spécialement au niveau des nœuds d’interconnexion. Ils le font déjà par exemple pour opérer les politiques de peering gratuit ou au contraire, entrer dans des relations contractuelles payantes. Évidemment, une taxe sur la bande passante confierait à ces acteurs la responsabilité de l’analyse des flux et la mesure des débits. Ce ne serait pas seulement intrusif, cela donnerait aussi à ceux qui espèrent peut-être en être les bénéficiaires la responsabilité d’évaluer le montant de l’assiette.

Vous avez rencontré le cabinet d’Axelle Lemaire hier. Avez-vous évoqué ce sujet ? Quelle est sa position ?

De ce que j’ai compris, ce cabinet n’est pas à l’origine du projet, comme cela a été dit, et ils ont lu le Canard enchaîné comme tout le monde (c’est le Canard qui a révélé cette idée, ndlr). Peut-être avec la même perplexité ?

Taxe sur les régies ou la publicité en ligne, taxe sur les objets connectés, taxe sur le clic, sur les liens, sur la bande passante, comment expliquez-vous cette inventivité fiscale française ? Quelles seraient les autres solutions à explorer ?

Ce génie fiscal français nous hérisse particulièrement. On espère bien que ce concours Lépine de la taxe numérique s’arrêtera un jour !

On explique cette inventivité par deux choses. Premièrement, on a des fonctionnaires de grande qualité en France dont le rôle est d’imaginer la fiscalité la plus juste et la plus équitable, avec des ajustements réguliers selon le contexte économique ou social. On ne peut que s’en réjouir.

La deuxième est que l’État, voyant ses moyens d’interventions publiques se réduire au profit des normes européennes, du fait de la dimension de plus en plus globalisée des échanges économiques sur lequel il a de moins en moins de prise, a tendance à se recroqueviller sur ce qui lui reste comme moyen régalien d’intervention. Parmi eux, il y a évidemment le pouvoir de décider l’impôt et malheureusement, celui de moins en moins pouvoir le recouvrir.

On partage ce souci mais nous renvoyons le sujet aux législations en vigueur décidées par les pouvoirs publics nationaux depuis des années et aux travaux de l’OCDE auxquels participe la France. C’est sans doute la meilleure voie à suivre plutôt que d’essayer de faire preuve d'une telle inventivité. L’économie numérique est aujourd’hui complexe à appréhender avec les effets réseaux, le cloud, etc. Pour mieux recouvrir l’impôt, on ne peut pas forcément lui appliquer les solutions du passé, même réactualisées.

Merci Loic Rivière.

Commentaires (13)

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V’là un mec qui réfléchit c’est assez rare pour le notifier… <img data-src=" />

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C’est vache, y’a une putain de question manquante dans cette interview, et pas des moindres…




 Quand Mr Rivière répond :       

"De ce que j’ai compris, ce cabinet n’est pas à l’origine du projet, comme cela a été dit, et ils ont lu le Canard enchaîné comme tout le monde (c’est le Canard qui a révélé cette idée, ndlr)."






&nbsp;La question logique, c'est : Qui a pondu cette daube ?      

&nbsp;Même si la réponse à cette question ne laisse pas beaucoup de doutes sur l'origine de cette merde.&nbsp;







Edit : C’est un peu casse bonbon de voir les sauts de lignes supprimés lorsque l’on publie un message… Obligé d’éditer pour que cela ne donne pas un pavé dégueulasse…

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Loïc Rivière a écrit :



Premièrement, on a des fonctionnaires de grande qualité en France dont

le rôle est d’imaginer la fiscalité la plus juste et la plus équitable,

avec des ajustements réguliers selon le contexte économique ou social.

On ne peut que s’en réjouir.







Si on pouvait en avoir aussi qui saurait comment harmoniser les dépenses aux recettes et non l’inverse, ça serait pas mal aussi :$







Loic Rivière a écrit :



De ce que j’ai compris, ce cabinet n’est pas à l’origine du projet,

comme cela a été dit, et ils ont lu le Canard enchaîné comme tout le

monde (c’est le Canard qui a révélé cette idée, ndlr). Peut-être avec la

même perplexité ?







Ça c’est de l’unité nationale… euh professionnelle… euh de l’esprit d’équipe..? <img data-src=" />


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Tu as la réponse dans le titre, sauf erreur ;)

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Tatsu-Kan a écrit :



La question logique, c’est : Qui a pondu cette daube ?



 Même si la réponse à cette question ne laisse pas beaucoup de doutes sur l'origine de cette merde.







http://www.gouvernement.fr/ministre/fleur-pellerin

!=

http://www.gouvernement.fr/ministre/axelle-lemaire


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Comme elle est ministre de la culture et de la communication devinez qui a le plus arrosé la fleur?

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« (…) Quelles seraient les autres solutions à explorer ?

(…)

On partage ce souci mais nous renvoyons le sujet aux législations en vigueur décidées par les pouvoirs publics nationaux depuis des années et aux travaux de l’OCDE auxquels participe la France. C’est sans doute la meilleure voie à suivre plutôt que d’essayer de faire preuve d’une telle inventivité. L’économie numérique est aujourd’hui complexe à appréhender avec les effets réseaux, le cloud, etc. Pour mieux recouvrir l’impôt, on ne peut pas forcément lui appliquer les solutions du passé, même réactualisées. »

entrevue Next Inpact / Loïc Rivière



la solution ? celle du Président d’Orange ? –&gt; “qualité de services différenciés”… heu… non. “qualité différenciée de services”… zut, toujours pas. “qualité de services différenciée” Ah voilà : on entend bien “qualité différenciée” et on entend aussi bien “services différenciés” (comme ça tout le monde est d’accord avec la solution du FAI vis-à-vis des GAFA)

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Très bonne interview, et très bonnes réponses <img data-src=" />



Surtout la dernière.

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Moi, justement la réponse à la dernière question m’a laissé sur ma faim. “les autres solutions à explorer” sont brèves et très nébuleuses. A ce propos, j’admire l’exercice de com’ dans cette phrase : « nous renvoyons le sujet aux législations en vigueur décidées par les pouvoirs publics nationaux depuis des années et aux travaux de l’OCDE auxquels participe la France. » En somme, l’AFDEL soutient les décisions du législateur français… sauf les décisions qui ne lui plaisent pas (comme l’idée de taxer les acteurs du numérique - ça, au moins, j’ai bien compris que l’AFDEL ne voulait pas d’innovation dans la fiscalité).

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joma74fr a écrit :



Moi, justement la réponse à la dernière question m’a laissé sur ma faim. “les autres solutions à explorer” sont brèves et très nébuleuses. A ce propos, j’admire l’exercice de com’ dans cette phrase : « nous renvoyons le sujet aux législations en vigueur décidées par les pouvoirs publics nationaux depuis des années et aux travaux de l’OCDE auxquels participe la France. » En somme, l’AFDEL soutient les décisions du législateur français… sauf les décisions qui ne lui plaisent pas (comme l’idée de taxer les acteurs du numérique).





Ce n’est pas ce que j’ai compris de cette réponse.



Pour moi, il renvoie justement à toutes les législations et traités votés qui ont fait perdre à la France une partie de sa souveraineté nationale au profit de l’Europe, et qui lui ont également fait perdre sa capacité à récolter l’impôt.


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voilà… Plutôt que de trouver des solutions exotiques, réformons le spectre des conventions fiscales internationales qui sont exploitées par les acteurs (du numérique, mais pas seulement).

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Moi je trouve que c’est une idée à creuser: une taxe sur le download, genre 10 ctms/Go , pourrait faire rentrer beaucoup de sous dans les caisses des ayant-droits, et venir en compensation d’une exception pour partage non-marchands.

Plutôt pour le particulier consommateur que pour les sociétés, et en remplacement de toutes les taxes/déductions culturelles, du budget culture et de la redevanceTV.

Ca ferait dans les 10 ctms la demie-heure de TVadsl, soit 600h (50h par mois) de TV internet au prix de la redevance actuelle, le film BDrip à 50 ctm. Avec une répartition (bien occulte) en fonction de l’audience de la chaine/site/torrent…



Du coup, youtube se retrouverait subventionné autant que TF1, aurait plus de mal à s’évader fiscalement, et pourrait accepter de ne plus tant abuser de nos données personnelles.

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L’idée est bonne mais pas assez rentable pour ces rapaces Zeurf :p

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[Interview] L’AFDEL fustige la taxe sur la bande passante voulue par Fleur Pellerin

  • Que vous inspire l’idée d’une taxe sur la bande passante ?

  • Outre son inopportunité pratique, pour vous il y a donc clairement un problème juridique, celui du respect du principe d’égalité devant l’impôt ?

  • Pensez-vous qu’il soit possible de deviner une valeur économique à partir d’un volume technique, le flux d’octets ?

  • Par protectionnisme et neutralisation, les acteurs français pourraient cependant déduire le montant de cette taxe de leur impôt sur les sociétés… Une vraie bonne idée ?

  • Concrètement, comment fait-on pour mesurer cette consommation de bande passante dans un pays donné, face à une économie et un Internet ouverts ? Est-ce que cela suppose des technologies intrusives ?

  • Vous avez rencontré le cabinet d’Axelle Lemaire hier. Avez-vous évoqué ce sujet ? Quelle est sa position ?

  • Taxe sur les régies ou la publicité en ligne, taxe sur les objets connectés, taxe sur le clic, sur les liens, sur la bande passante, comment expliquez-vous cette inventivité fiscale française ? Quelles seraient les autres solutions à explorer ?

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