Kickstarter devient une entreprise d’intérêt public aux États-Unis
« Making the world a better place » 2.0
Le 22 septembre 2015 à 14h42
6 min
Économie
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Kickstarter a annoncé avoir obtenu le statut de « Benefit Corporation » aux États-Unis, que l'on pourrait traduire par « Entreprise d'intérêt public ». Mais derrière cet altruisme affiché, est-ce que la société a d'autres intérêts ? Nous avons décidé de creuser la question.
« La mission de Kickstarter est d'aider des projets créatifs à naître. Nous mesurons notre réussite en tant qu'entreprise par la façon dont nous remplissons cette mission plutôt que par la taille de nos profits. C'est pourquoi nous avons basculé Kickstarter sous le régime d'entreprise d'intérêt public ». Ce sont ces quelques lignes qui ouvrent la nouvelle charte de Kickstarter, annoncée en grandes pompes par la plateforme.
L'entreprise prend donc un statut très particulier aux États-Unis, qui n'est disponible que dans certains États, et dont le fonctionnement est plutôt méconnu en France. Il apporte bien évidemment quelques avantages à la jeune pousse, mais lui impose également son lot de contraintes.
Existant depuis le mois d'avril 2010, il a d'abord fait son apparition dans l'État du Maryland. Il est aujourd'hui inscrit dans la loi de 31 États, dont la Californie et le Delaware. Il permet à une entreprise d'affirmer qu'elle met en avant l'intérêt public en plus de celui de ses actionnaires, et décide de s'investir d'une cause ou d'une mission d'intérêt public, un engagement qu'elle prend devant la loi.
Une Benefit Corporation, qu'est-ce que c'est ?
Ainsi le Titre 8 du chapitre 1, sous-chapitre XV paragraphe 362 du Code du Delaware (à vos souhaits) définit une Benefit Corporation comme « une entreprise à but lucratif sujette au prérequis de ce chapitre, dont le but est d'apporter un ou des bénéfices au public et d'opérer de manière responsable et durable. Dans ce but, une Benefit Corporation doit être dirigée de manière à garder un équilibre entre les intérêts pécuniaires de ses actionnaires, les meilleurs intérêts de ceux affectés par la ligne de conduite de l'entreprise, et le ou les intérêts généraux définis dans le certificat d'incorporation ».
Cet engagement pris devant la loi, l'entreprise se doit d'en justifier régulièrement dans un rapport expliquant comment elle a tenu ses engagements. Ce rapport doit être présenté aux autorités locales, mais certains États imposent également que le rapport soit accessible publiquement à quiconque. La loi n'impose pas de facteurs précis pour la tenue des objectifs, mais précise qu'ils doivent pouvoir être confrontés à un standard tiers.
Aucun avantage fiscal n'est par contre proposé aux entreprises en échange de leur investissement pour autrui. L'un des seuls avantages de ce régime est qu'il permet aux entrepreneurs ayant un objectif social de s'assurer que leurs engagements seront maintenus, même s'ils diluent leur capital et que d'autres investisseurs préféreraient voir l'argent aller dans leurs poches.
Kickstarter la vertueuse
Kickstarter a donc pris plusieurs engagements. La société explique ainsi que sa mission est « d'aider des projets créatifs à prendre vie », ce qu'elle permet à l'aide de sa plateforme de financement participatif et des outils qu'elle met à disposition des porteurs de projets.
La société a également décidé de « soutenir un monde plus créatif et équitable », une variante du désormais classique « making the world a better place » que l'on peut entendre un peu partout dans la Silicon Valley. Pour ce faire, la société annonce qu'elle donnera tous les ans 5 % de son bénéfice après versement des taxes pour soutenir « l'art, l'éducation musicale et diverses organisations combattant les inégalités systémiques ».
Plus précisément, la moitié des dons ira vers des programmes dédiés aux arts et à la musique pour les enfants et les jeunes adultes « avec une focalisation sur les communautés défavorisées de New York City ». Les fonds seront distribués à des organisations mais aussi à des écoles publiques. L'autre moitié ira principalement « à des organisations se battant contre les préjudices subis et apportant des opportunités aux personnes de couleur, aux femmes et aux individus de la communauté LGBTQ [NDLR : lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et "queers"] ».
Kickstarter a également décidé de rendre des comptes sur la rémunération de son PDG, ainsi que sur la diversité au sein de ses équipes. La plateforme promet également de « ne jamais vendre de données utilisateur à des tiers. Nous voulons défendre avec zèle le droit à la vie privée et les données personnels des personnes utilisant nos services, y compris lors de nos échanges avec les données gouvernementales ».
Des paroles aux actes
Un passage a retenu notre attention dans la charte de Kickstarter, il concerne la fiscalité et se lit comme suit : « Kickstarter n'utilisera pas de faille ou d'autres stratégies de gestion, ésotériques mais légales, pour réduire sa charge fiscale. Kickstarter fera preuve de transparence en annonçant son taux d'imposition et en expliquant l'ensemble des facteurs qui affectent le calcul de ses impôts ».
Cela signifie-t-il pour autant que la société est totalement « clean » ? Pas totalement. En effet, Kickstarter a profité de l'occasion pour changer son immatriculation. Kickstarter Inc, enregistrée dans l'État de New York laisse désormais place à Kickstarter PBC (pour Public Benefit Corporation), enregistrée dans l'État du Delaware.
Pour rappel, cet état propose une fiscalité avantageuse pour les sociétés, si bien que l'on dénombre plus de 950 000 entreprises officiellement installées sur place, pour un peu plus de 900 000 habitants et sur une superficie équivalente à celle du Loir-et-Cher ou de la Drôme.
En effet, les entreprises y sont soumises aux taxes fédérales américaines, mais ne payent pas de taxes locales supplémentaires pour toutes leurs activités prenant place en dehors de l'état. Il suffit d'y installer un siège social, qui peut se résumer à une simple boîte à lettres et le tour est joué. Une pratique que Kickstarter n'a pas l'air de trouver « ésotérique ».
Il est à noter que l'État du Delaware n'oblige pas les entreprises à publier publiquement leurs rapports sur leurs activités caritatives, les montrer aux autorités étant un critère suffisant. Malgré cela, Kickstarter promet de livrer ses premiers chiffres en février 2017. Le rendez-vous est donc pris.
Kickstarter devient une entreprise d’intérêt public aux États-Unis
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Une Benefit Corporation, qu'est-ce que c'est ?
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Des paroles aux actes
Commentaires (19)
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Abonnez-vousLe 22/09/2015 à 14h54
Magnifique, on dirait presque un concept pour les gentils. Il manque plus qu’un ou deux projets symbolique.
Genre une rampe d’accès, un ascenceur, une bibliothèque. Et hop Ils sont mignons ils sont gentils.
Plus sérieusement si le budget de l’état français pouvait être financer en Kickstarter en sélectionnant nous même les montants qu’on veut attribuer et bien ça changerai beaucoup de choses :) Surtout sur l’aménagement du territoire. Dans l’idée je pense que ça pourrait être super utile à notre société qui peut décider d’elle même.
Le 22/09/2015 à 14h58
Il y a des niveaux atteints à choix multiples sur Kickstarter?
Par exemple, si on donne beaucoup, ils construisent un pont, si on donne encore plus, ils construisent un rond-point, on peut choisir de donner pour la construction du rond point sans avoir le pont? " />
Le 22/09/2015 à 14h59
Le Delaware est reconnu comme paradis fiscal.
Et a l’avantage d’être en général sur la liste blanche des paradis fiscaux.
Le 22/09/2015 à 15h00
publier publiquement
" />
Bien vu pour l’immatriculation dans le Delaware. Quels futés ces ricains… “Je serai digne de mes engagements mais laissez moi faire une magouille juste avant” Kickstarter
Le 22/09/2015 à 15h02
Entreprise d’intérêt public : l’épitomé du verbiage oxymoresque moderne.
Je propose et adopte la locution : Gouvernement d’Intérêt Politicien pour désigner le groupement lucratif sans but qui nous spolie en nous mentant.
Le 22/09/2015 à 15h17
Ah ben j’imagine que si tu donnes plus tu peux avoir une rampe d’escalier en plus. et si tu donnes encore plus une marche d’escalier avec ton nom dessus. et si tu donnes encore plus le droit de monter sur l’escalier en early access. et si tu donnes encore encore plus (genre 100 000 $) la possibilité de poser toi même la première marche !
Le 22/09/2015 à 15h39
Ok, question de définition, je considere ca encore comme “gentil” comme paradis fiscal (ca reste sur leur territoire)
Bon j’imagine que c’est leur Irlande à eux, mais une fois encore, ils ne font rien de plus que tous les autres
Dans tous les cas, c’est bien un joli coup marketing, je suis admiratif (comme devant les keynotes Apple) " />
Le 22/09/2015 à 15h51
Ça veut dire qu’ils pourront rembourser les gens plus vite ?
Le 22/09/2015 à 15h56
Trop gros passeras pas! ;)
Le 22/09/2015 à 16h00
Le 23/09/2015 à 07h35
Taxe normale sur les entreprises : 20-30%
Paradis fiscal 0% à moins de 1%
Delaware: de 0,096 % à 1,92 % (et pourtant ca monte a 40% dans certains états)
Irlande 12,5%
Y’a pas besoin de dessin.
Le 23/09/2015 à 07h46
On sent une certaine suspicion d’arrières pensées dans le ton de l’article " />
Le 23/09/2015 à 08h05
Je parle pas du taux, a vrai dire je m’en fous
En france y a pas que la taxe sur les entreprises, j’imagine qu’aux US c’est pareil, même si doit pas y avoir des centaines d’employés
Cet état a une taxe a 0% , ok mais c’est un état US. Chez eux y a des différences du tout au tout pour les lois (pas que fiscales) ca me parait donc plutot “normal” (et ca à l’air d’être pareil pour les 900K autres boites la bas " />)
Encore une fois j’ai jamais dis que c’était “bien”, c’est une arnaque légale (bien plus à mon sens que d’aller s’installer dans des îles, voire plus que d’aller s’inscrire en irlande pour vendre en France)
Leur consistution veut que chaque état soit libre, ils ont qu’a faire avec, je vois pas le problème
Le 23/09/2015 à 08h27
Le 23/09/2015 à 09h04
Le 23/09/2015 à 09h12
Le 22/09/2015 à 14h46
Oh, j’avais vu le tweet de KS mais je comprenais pas, très intéressant du coup merci pour l’article : ca reste bien “une entreprise à but lucratif”, ysontpasfousquandmême
Le 22/09/2015 à 14h47
A but lucratif, a vocation sociale, mais dans un paradis fiscal. Faut pas trop demander.
Le 22/09/2015 à 14h52
boah, y a une marge entre “paradis fiscal” et installé normalement dans un état fiscalement avantageux
C’est quand même pas si mal. Maintenant, ne soyons pas naifs, c’est clairement pas des sains non plus.
Je vois plus ca comme un coup de génie marketing “avant polémique” vu le nombre de projets qui explose, et les autres plates formes concurrentes qui naissent : KS essaye de garder sa place de leader en disant “chez nous, c’est clean” (dans la limite du raisonnable)
J’applaudis le mouvement marketing par principe " />