Suspension de l’état d’urgence : le référé-liberté de la Ligue des Droits de l’Homme
Quel est l'état du péril imminent ?
Le 20 janvier 2016 à 13h49
6 min
Droit
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Alors que François Hollande entend finalement prolonger encore l’état d’urgence, la Ligue des Droits de l’Homme vient de déposer un recours devant le Conseil d’État pour suspendre ce régime exceptionnel. On pourra télécharger ce document, accompagné de nos explications.
Quand prendra fin l’état d’urgence ? Normalement fin février, mais selon une confidence glanée par Europe 1, le président de la République projette d’en repousser le terme au-delà. Pourquoi ? « Imaginez qu’on ne prolonge pas et qu’un attentat nous frappe deux semaines plus tard… », a soufflé à l’oreille de nos confrères un conseiller de l’Élysée. Cet état pourrait donc être prorogé jusqu’en mai, voire plus loin encore avec une troisième loi dédiée, histoire de couvrir l’Euro 2016 organisé en France en juin et juillet.
Avec une telle extension dans le temps, il faut donc théoriquement s’attendre à de nouvelles vagues d’assignations à résidence ou de perquisitions administratives et notamment informatiques. Rappelons à ce titre que les critères de la loi vont au-delà du terrorisme puisqu’ils permettent de frapper les « comportements », soit les attitudes hors des clous face auxquelles « il existe des raisons sérieuses de penser » qu’il y a « menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Des critères qui ont suscité de nombreuses critiques, notamment pas plus tard qu’hier, à l’ONU.
L’état d’urgence, une situation d’urgence pour les libertés
La décision envisagée par François Hollande rencontre un autre écueil, procédural cette fois. La LDH, représentée par Maître Spinosi, a déjà introduit avec succès deux questions prioritaires de constitutionnalité, en visant notamment le faible encadrement législatif des perquisitions administratives. Ce 19 janvier 2016, elle a déposé une demande de référé-liberté au Conseil d’État. L’objectif ? « Suspendre tout ou partie du régime de l’état d’urgence actuellement en vigueur ».
Dans un liasse de 31 pages, la LDH détaille en quoi sa procédure répond bien aux conditions du référé-liberté, notamment sur la situation d’urgence. « La seule circonstance que l’état d’urgence demeure applicable est nécessairement de nature à créer une situation d’urgence justifiant que le juge administratif des référés soit saisi » explique-t-elle. Et pour cause : un nombre incalculable de personnes est susceptible d’être frappé par ces mesures exceptionnelles qui dépassent, répétons-le, le seul cadre du terrorisme.
Armé de la jurisprudence de la CJUE (arrêt Klass), le cabinet Spinosi considère que « les principes les plus fondamentaux de l’État de droit et de la démocratie exigent de manière impérieuse que les droits et libertés individuelles ne puissent être sacrifiés sur l’autel de la lutte contre la violence terroriste. »
Un sacrifice des libertés devant être strictement proportionné
La LDH ne veut pas verser pas dans la naïveté, ni nier que la lutte contre le terrorisme n’est pas vitale. Simplement, elle tient à rappeler une évidence : un « sacrifice ponctuel de libertés doit répondre strictement à l’urgence du moment et être au service exclusif d’un prompt retour de l’État de droit. »
Selon elle, c’est désormais le moment pour assurer ce retour : « non seulement les circonstances exceptionnelles qui justifiaient l’état d’urgence ont disparu. Mais au surplus, et corrélativement, les mesures radicalement dérogatoires au droit commun permises par ce régime ont manifestement atteint le but qui leur avait été initialement assigné. »
Un péril toujours imminent, deux mois après le Bataclan ?
Des circonstances qui ont disparu ? La loi de 1955, modifiée par celle du 20 novembre 2015, autorise l’état d’urgence « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l'ordre public ». Le doigt sur les débats parlementaires, Me Patrice Spinosi souligne que la décision initiale « était destinée à permettre la neutralisation immédiate des terroristes auteurs ou complices des assassinats » lors des attentats du 13 novembre. Or, « près de deux mois après les tragiques attentats de Paris et Saint-Denis, le péril lié à ces atteintes graves à l’ordre public ne saurait plus être regardé comme « imminent » au sens exact de l’article 1de la loi du 5 avril 1955 ». Certes, il y a eu les fêtes de fin d’année et la COP 21, deux phases à risques, mais « l’ensemble de ces événements ont eu lieu et plus aucun autre d’ampleur équivalente ne peut fonder la persistance, à ce jour encore, de l’état d’urgence, lequel est désormais privé de toute justification. »
Autre arme au ceinturon de la LDH, la synthèse réalisée par le député Jean-Jacques Urvoas, en Commission des lois. Celui-ci a appris du ministère de l’Intérieur que finalement sur les 13 outils offerts par l’état d’urgence, « seules trois mesures ont été principalement employées ». Depuis, les statistiques sont limpides : il y a un assèchement de fait de ces mesures : « l’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre de ces mesures semble, à présent, derrière nous » indique encore la fameuse synthèse.
« Il est parfaitement significatif que sur les 3 021 perquisitions administratives recensées au 7 janvier 2016, insiste encore Me Spinosi, seules 25 infractions « en lien avec le terrorisme » aient été constatées. Sachant au surplus que seulement 4 ont véritablement donné lieu à une saisie du parquet antiterroriste, les 21 autres relevant du délit d’apologie de terrorisme » (voir notre actualité).
Bref, compte tenu de la situation actuelle, des motifs de la loi sur l’état d’urgence, de la synthèse réalisée à l’Assemblée nationale, il est désormais « manifeste que les mesures relevant du régime de l’état d’urgence ne peuvent résolument plus passer pour strictement nécessaires et ont donc perdu toute justification. »
Suspendre tout ou partie de l'état d'urgence
La LDH demande au final au juge des référés du Conseil d’État d’enjoindre l’exécutif d’y mettre fin, ou à tout le moins de suspendre en tout ou partie les mesures d’état d’urgence, sachant que celles-ci « ne sont pas activées de plein droit par la seule déclaration de l’état d’urgence et qu’elles peuvent donc chacune être neutralisée en dépit de la persistance de ce régime. »
Rappelons qu’une France sans état d’urgence sera loin d’être démunie contre les mesures anti-terroristes. Comme on l'a vu dans ce panorama, la loi de programmation militaire (2013), la loi contre le terrorisme (2014), la loi sur le renseignement et celle sur la surveillance des communications internationales (2015) prévoient toutes des mesures pour prévenir ces activités. Le Code de procédure pénale est lui-même gorgé de dispositions permettant d’en assurer la lutte, en passant cette fois, il est vrai, par ce juge judiciaire que l’exécutif cherche par tout moyen à contourner.
Suspension de l’état d’urgence : le référé-liberté de la Ligue des Droits de l’Homme
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L’état d’urgence, une situation d’urgence pour les libertés
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Un sacrifice des libertés devant être strictement proportionné
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Un péril toujours imminent, deux mois après le Bataclan ?
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Suspendre tout ou partie de l'état d'urgence
Commentaires (59)
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Abonnez-vousLe 20/01/2016 à 14h26
« Imaginez qu’on ne prolonge pas et qu’un attentat nous frappe deux semaines plus tard… »
ou deux siècles c’est pareil …
Donc l’état d’urgence est prolongé jusqu’en février 2216.
Le 20/01/2016 à 14h26
S’il suffit d’une kalash dans un lieu public pour faire sauter la démocratie pendant 6 mois, on peut s’attendre à voir les observateurs de l’ONU aux prochaines élections.
Le 20/01/2016 à 14h28
/me pas rassuré mais satisfait d’être enfin passé au VPN dans ce monde de merd.
Parce qu’un accès depuis la suisse à mon mail suisse échappe aux boites noires de l’état dirigeant. #naméo
Le 20/01/2016 à 14h30
Le 20/01/2016 à 14h30
… déjà qu’ils acceptent les listes de “Bashar el assad” pour avoir une plus grand visu. sur les fous potentiels qui vont revenir en France (ou qui y sont déjà)
Note : eux “le bataclan” en syrie c’est depuis 3 ans qu’ils en ont tous les jours …
Le 20/01/2016 à 14h35
Ce que je veux dire c’est que l’état d’urgence en soi n’est pas à critiquer, et tous les états ont quelque chose du même genre. Ce qui se discute c’est seulement sa prolongation.
Le 20/01/2016 à 14h40
Le 20/01/2016 à 14h45
En l’occurrence c’est pas moi qui le délimite, mais le sens commun et la réalité d’un état.
Le 20/01/2016 à 14h45
Et s’il y a un attentat pendant l’état d’urgence ? On organise un super-état-d’urgence ?
Le 20/01/2016 à 14h51
Le 20/01/2016 à 14h54
Le 20/01/2016 à 14h56
En même temps c’est toujours bien confortable pour le pouvoir de museler l’opposition comme ils l’ont fait à l’occasion de la COP21. Il me semble qu’en Chine ils font pareil… (et puis ils ont aussi un parti unique là-bas, le PCC, ici c’est le LRPS) Les différences sont hélas de plus en plus réduites… :‘(
Le 20/01/2016 à 15h00
Pour info, le cortège tracto-vélo qui a rejoint la Cop21 depuis Notre-Dames des Landes a été interdit de passer dans deux départements (Eure et Loire et Versailles il me semble)
Au nom de l’État d’Urgence, le préfèt a interdit à la manif du 9 janvier de passer dans le centre de Nantes, elle s’est donc faite sur de périphérique nantais.
Là on est vraiment dans le « on vous restreint vos libertés pour défendre vos libertés », c’est complètement débile.
Le 20/01/2016 à 15h00
Le 20/01/2016 à 15h00
Le 20/01/2016 à 15h02
Le 20/01/2016 à 13h56
C’est une bonne initiative… si ça marche c’est bien… jusqu’au prochain attentat qui sera l’occasion de relancer l’état d’urgence.
L’interview du représentant de la ligue sur france info , ca fait peur quand on voit la tronche des questions posés par la journaliste pour qui visiblement, l’état d’urgence a vie, c’est le bonheur….
Le 20/01/2016 à 13h59
ah les con…sultants de l’Elysée!
« Imaginez qu’on ne prolonge pas et qu’un attentat nous frappe deux semaines plus tard… »
Le 20/01/2016 à 14h01
Ce matin sur France Inter, Axelle Lemaire venait présenter son projet de loi, suffisament décrit ici. Toutes les questions du “journaliste” portaient sur la détection des contenus liés au terrorisme, et il ne comprenait pas pourquoi le texte de loi n’en parlait pas. " />
Le 20/01/2016 à 14h04
Nous ne sommes pas tout à fait près, il y a encore quelques lois a peaufiner, et après on s’en fou, nous aurons les même droits, mais sans passer par le congrès, ni juges, bref un vrai bonheur de politique.
Le 20/01/2016 à 14h08
pourtant ça permet de rencontrer des patrouilles de militaires en ville et taper la discute, je vois pas le problème " />
" />
Le 20/01/2016 à 14h09
L’état d’urgence à mon sens sert pas à grand chose, c’est histoire de dire qu’on a fait quelque chose en réponse aux attentats plutôt. De la comm’ quoi. Si on a pas réussi à chopper un mec qui prenait l’avion entre la sirie et la belgique/france tous les 6 mois et qui était pourtant sous mandat d’arrêt, c’est pas sous état d’urgence que ça ira mieux.
Par contre si on le “désactive” et qu’il y a un attentat dans la foulée, on va nous servir du “mais que fait l’état ?? ouin ouin, pourquoi ils ont arrêté l’état d’urgence ouin ouin l’état est responsable de ce qui arrive” toute la journée sur BFM et iTele donc bon … Monde de fous " /> On est jamais content et on a toujours quelque chose à en redire quoiqu’il soit décidé je trouve :)
Le 20/01/2016 à 14h13
Ah si, l’état d’urgence sert beaucoup ! Par exemple il permet de faire pression sur les militants écologistes, en les faisant passer pour des terroristes. Ça a été utile pendant la Cop 21, on peut parier que sur Notre-Dame des Landes ils vont remettre ça sur le tapis par exemple.
Ça permet aussi de supprimer la séparation des pouvoirs, en mettant de côté le juge. Ça n’est pas rien !
Le 20/01/2016 à 14h14
« Imaginez qu’on ne prolonge pas et qu’un attentat nous frappe 20 ans plus tard… » " />
Le point soulevé sur l’imminence est très pertinent.
Dans l’idéal, l’exécutif veut prolonger, qu’il apporte des preuves de cette imminence
Le 20/01/2016 à 14h16
C’est pas faux.
Pardon. Laissons-le alors !!! Que ferait-on sans …
Si on pouvait y ajouter comme clause “Le gouvernement sous état d’urgence a un droit d’utilisation du 49-3 illimité, et non plus une seule fois par session parlementaire”, ça serait bien aussi " />
Le 20/01/2016 à 14h22
Communication officielle de l’Elysée
“Moi je, vous informe que 100% des attentats terroristes ont été commis en dehors de la période d’Etat d’Urgence”
Le 20/01/2016 à 14h24
Le 20/01/2016 à 14h25
Le 20/01/2016 à 16h16
Le 20/01/2016 à 16h16
Le 20/01/2016 à 16h22
..c’était pour que la COP21 soit couverte = bon, on veut “bien” !
à ce rythme..on n’en sortira JAMAIS de leur EU ! " />
tous les ans..il se passe qq. chose en France !!!
Le 20/01/2016 à 16h32
Le 20/01/2016 à 16h38
Le 20/01/2016 à 16h39
Le 20/01/2016 à 16h40
Le 20/01/2016 à 16h59
Le 20/01/2016 à 19h37
L’article que tu pointe à été publié à 12h17 (dont écrit dans la matinée). L’info de la prolongation de l’état d’urgence date d’aujourd’hui, forcément personne n’en parlait avant…
Le 20/01/2016 à 19h43
Crotte édition impossible
J’ajoute que c’est un article d’un bloggueur (du Club), pas de la rédaction de Mediapart !
Le 21/01/2016 à 08h10
Mais si la COP21 et les fêtes de fin d’années ont été une raison de prolonger et qu’on veut les obliger au moins à suspendre l’état d’urgence en attendant l’Euro 2016 par manque d’événement entre 2, ils en trouveront plein.
….
Ils trouveront plein d’idées justifiant de nous “protéger”.
Le 21/01/2016 à 09h51
Le 21/01/2016 à 10h22
Le 21/01/2016 à 12h27
J’aime bien les excuses en bois « Imaginez qu’on ne prolonge pas et qu’un attentat nous frappe deux semaines plus tard… »
Alors que le vrai truc c’est « Imaginez qu’on le prolonge et qu’un attentat nous frappe deux semaines plus tard… quelle escalade proposons nous ?»
Franchement, un exemple d’un pays qui a abattu le terrorisme grâce à sa politique sécuritaire ? Le bilan des 14 ans de “war on terrorism” est pas fameux…
Comme le disait Ben Laden devant le Commandant Sylvestre et un parterre d’hommes politiques en 2011aux Guignols dans un séminaire « Comment éviter la révolution et garder le pouvoir ? » ou « Comment garder un pays calme avec des pauvres qui crèvent dedans » => “Nos attentats, c’est votre sécurité !”
Le 21/01/2016 à 14h24
Le 20/01/2016 à 15h04
Le 20/01/2016 à 15h11
La boite de pandore est ouverte, désormais tout a changé quoique l’on en dise a longueur de journée, semaine, mois, années.
Un retour a la “normale” est-il possible ?
OUI, lorsque toutes ces crapules iront pointer en taule.
En attendant cet Etat policier est devenue une menace envers ma personne, ma famille
Le 20/01/2016 à 15h12
Je comprends ton point de vue mais il est utopique. Des leviers d’exception seront toujours prévus pour des situations d’exception. Après c’est sûr que ça peut être plus ou moins liberticide selon les contours du truc, et que son application dans le cas présent est discutable. Mais le fait que quelque chose du genre existe est inévitable en soi, à la base c’est tout ce que je voulais dire.
Le 20/01/2016 à 15h19
Le 20/01/2016 à 15h21
Le 20/01/2016 à 15h25
Le 20/01/2016 à 15h31
Le 20/01/2016 à 15h31
Le 20/01/2016 à 15h43
Le 20/01/2016 à 15h47
Le 20/01/2016 à 15h51
Le 20/01/2016 à 15h52
Le 20/01/2016 à 15h56
Le 20/01/2016 à 15h59
« Imaginez qu’on ne prolonge pas et qu’un attentat nous frappe deux semaines plus tard… »
Et imaginez qu’on ne soit pas attaqué… On sera toujours dans l’attente inquiétante d’un nouvel attentat, ça prouve bien que dans tous les cas il faut maintenir l’état d’urgence ! " /> Après tout 95% (*) des français sont d’accord !
M’enfin plus besoin d’état d’urgence, puisque tout va être inscrit dans la Constitution et le Code Pénal !
Et puis ça permet de ne pas parler du chômage " />
(*) sondage effectué sur 20 personnes, à la sortie de l’Elysée, le 14 novembre 2015
Le 20/01/2016 à 16h03
Le 20/01/2016 à 16h14