Plan France THD : stupeur et tremblements suite aux coupes budgétaires
Ça va couper chérie !
Les premières réactions en réponse à l’annonce des 155 millions d’euros sabrés dans le Plan France Très Haut Débit (THD) étaient la surprise, l’incompréhension et l’indignation. Et maintenant ? Il reste beaucoup de questions. Le financement du projet de fibrer Mayotte sauterait selon Ariel Turpin, contacté par Next.
Le 29 février à 11h21
8 min
Économie
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Le décret n° 2024 - 124 du 21 février 2024 « portant annulation de crédits » n’a certainement pas fini de faire parler de lui. Au programme, la suppression de 10 milliards d'euros du budget de l'État, dont 904 millions (excusez du peu) pour la recherche et à l'enseignement supérieur.
Sur le Plan France Très Haut Débit (déploiement de la fibre en France), près de 117 millions d’euros (116 811 505 euros précisément, soit 27 % de son budget 2024) sont sabrés. Près de 38 millions d’euros (37 811 505 euros) d’autorisations d’engagement sont aussi annulés.
La différence entre autorisations d’engagement et crédits de paiement est détaillée sur cette page du ministère de l’Économie. Les autorisations d'engagement sont « la limite supérieure des dépenses pouvant être engagées », elles « sont entièrement consommées dès l'origine de la dépense ». Les crédits de paiement représentent de leur côté « la limite supérieure des dépenses pouvant être ordonnancées ou payées pendant l’année pour la couverture des engagements contractés dans le cadre des autorisations d’engagement ».
Sans surprise, les réactions sont vives du côté des fédérations et des associations impliquées dans le déploiement de la fibre en France. D’autant que le FTTH a vocation à remplacer le cuivre comme service universel. Les lignes permettant d’utiliser le xDSL sont d’ailleurs en train d’être coupées (la procédure s’étendra jusqu’en 2030).
Inquiétude, indignation et aucune concertation
La fédération InfraNum « s’inquiète », fait part de son « indignation et [de] son incompréhension » face aux coupes budgétaires, qu’elle qualifie de « sans précédent ». « Les 96 millions de crédits d’engagement sont amputés de quasiment 38 millions, soit environ 40 % de ce qui était prévu. Pire encore, 117 millions de crédits de paiement se retrouvent annulés ».
Même son de cloche chez six associations : Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), Départements de France, France Urbaine, Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) ainsi que Les Interconnectés. « Sans la moindre concertation et sans même une information préalable […] les signataires de ce communiqué ont appris que le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique supprime 38 millions d’euros des rares nouvelles autorisations d'engagements décidées il y a moins de deux mois ».
Des coupes ok, mais où exactement ?
« Plus surprenant encore, 117 millions d'euros de crédits de paiements sont annulés alors même que les besoins de subventions des collectivités progressent d'année en année, du fait du rythme de déploiement accru de la fibre optique », ajoutent les associations. Elles affirment qu’« aucun conseiller ministériel, aucune administration en charge de la mise en œuvre du programme 343 ne disposent à cette heure du détail de ces coupes budgétaires ».
Face au manque de précision, InfraNum se pose des questions : « L'État, cofinanceur des projets de réseaux d'initiative publique, place ainsi les collectivités locales maîtres d'ouvrage, leurs opérateurs délégataires de service public et toutes les entreprises intervenant sur les chantiers face à une équation insoluble : quel projet bénéficiera des fonds promis ? quelle entreprise sera payée ? sur quelles trésoreries cette décision pèsera-t-elle ? est-il sérieux de prendre une telle décision pour l'année en cours alors que ces projets sont planifiés sur plusieurs années ? ».
Dans une lettre ouverte adressée à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, l’Avicca affirme partager « sans réserve l’objectif de maîtrise des comptes publics », mais regrette plusieurs choses, notamment sur la méthode employée : « L’absence de concertation préalable » et l’« incapacité à obtenir des informations détaillées ».
France Stratégie saluait un plan sans « dérive des budgets »
D’autant plus incompréhensible pour l’Avicca que France Stratégie saluait l’année dernière le fait que « la réalisation des projets n’a donné lieu à aucune dérive des budgets ». En effet, le coût public du déploiement (13,9 milliards d'euros) est « conforme à l’enveloppe notifiée à la Commission européenne en 2016 ». On notera toutefois qu’il existe une autre forme de dérive : le prix des abonnements chez les opérateurs a tendance à augmenter avec la fibre.
Pour l’Avicca, cette coupe dans les budgets, « accentuée par l’inconnu qui perdure sur leur détail », envoie un message d’imprévisibilité aux acteurs du Plan. « Dans une économie rationnelle, l’imprévisibilité conduit au gel des investissements. Et dans ce calendrier, le gel des investissements, c’est l’enterrement de l’objectif présidentiel de généralisation du FttH en 2025 ».
Risque de fracture numérique et double peine
Si le déploiement avance rapidement, certains cas sont bien plus coûteux que d’autres, notamment les raccordements complexes et/ou longs. Avec les nouvelles constructions, il faut également rendre raccordables des bâtiments qui n’étaient pas dans le plan initial. Tout cela pointe vers une augmentation des budgets, pas d’une baisse, au risque de voir une fracture numérique s’installer ou s’amplifier selon les points de vue.
InfraNum parle d’une « double peine » pour le numérique avec le décret du 21 février. Il va « également subir les effets de la coupe drastique du fonds vert, politique la plus touchée avec 400 millions supprimés par rapport à l’augmentation de 500 millions d’euros initialement votée dans le projet de loi de finances 2024. Or, ce fonds est identifié comme l’un de ceux permettant, au plus de près du terrain, de soutenir les projets de territoires connectés et durables ».
Dépenses de l’État, taxer les géants du Net
L’Avicca en profite pour régler ses comptes avec l’État et transmettre un message : « Il est regrettable que les investissements des collectivités et des opérateurs dans les réseaux soient systématiquement visés par les mesures fiscales ou des coupes budgétaires qui, hélas, rabotent le nécessaire investissement sans s’attaquer à la structure des dépenses de fonctionnement de l’État. A contrario, les grandes plateformes et éditeurs de services numériques, principaux bénéficiaires de ces investissements, ne contribuent eux d’aucune manière à ce programme ».
Sur ce dernier point, c’est un serpent de mer qui revient régulièrement à la surface. Il y a deux ans, l’association ETNO (lobbying des opérateurs télécom) militait pour faire payer des « contributions » à YouTube et autres goinfres en bande passante.
Quelques mois auparavant, Patrick Drahi s’attaquait à la Neutralité du Net, qu’il qualifiait d’« énorme bêtise ». Là encore, l’idée sous-jacente était de faire payer les géants du Net utilisant massivement les réseaux télécoms : « 85 % du trafic le soir est utilisé par ces opérateurs. On est arrivé à leur faire payer un petit peu d’impôt en France, mais c’est des cacahuètes », affirmait le patron d’Altice.
Et maintenant ? Toujours du flou entouré de brouillard…
Pour InfraNum, cette « décision unilatérale » (terme également employé par les six associations), « risque d'exclure du Très Haut Débit des centaines de milliers de foyers ». Cela « infirme toutes les promesses prises et répétées depuis 10 ans par le gouvernement ».
Les six associations menées par l’Avicca attendent désormais de « façon urgente » deux choses : des précisions sur l’impact des coupes budgétaires et une réunion pour débattre des conséquences. Contacté par Next, Ariel Turpin (délégué général de l’Avicca) nous confirme n’avoir toujours pas reçu le moindre détail sur les coupes budgétaires.
« Les services concernés de l'État sont visiblement en train de les découvrir (!), mais ils ne communiquent pas dessus. A priori, seule quasi certitude, c'est bien le financement du projet de fibrer Mayotte qui saute… ». Mais aucun détail sur les autres programmes concernés par les coupes. Concernant une réunion, il n’y a pour le moment aucune date.
Plan France THD : stupeur et tremblements suite aux coupes budgétaires
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Inquiétude, indignation et aucune concertation
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Et maintenant ? Toujours du flou entouré de brouillard…
Commentaires (28)
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Abonnez-vousLe 29/02/2024 à 11h44
Le problème initial est que le budget a été voté avec une hypothèse irréaliste d'augmentation du PIB et que celle-ci a été revue à la baisse. Certains disent que ça devrait être encore moins que cette révision.
Vu comme on est endetté et les taux d'emprunts actuels, il n'est pas raisonnable de remplacer les rentrées prévues par un endettement supplémentaire : le paiement des intérêts de la dette va dépasser le budget de l'éducation nationale !
À partir de là, il y a 2 solutions : augmenter les impôts (mais cela ne serait pas pour cette année) ou diminuer les dépenses.
Comme il y a beaucoup de dépenses incompressibles, ce sont ce genre de dépenses qui trinquent.
Sinon, remarque à la marge, il m'est insupportable de lire Drahi disant On est arrivé à leur fait payer un petit peu d’impôt en France, mais c’est des cacahuètes alors que lui même a organisé son groupe afin qu'un grand nombre de sociétés aient leur siège au Luxembourg afin d'éluder lui aussi une trop forte imposition et alors que lui-même est domicilié en Suisse sans doute en raison de l'air pur des montagnes.
Le 29/02/2024 à 11h46
ça me fout en rogne violent ça :/
Le 29/02/2024 à 12h04
Le 29/02/2024 à 15h52
Par contre, écraser en supprimant des fonds qui servent à désenclaver, faire la promotion de l'accès égale à la technique (genre la fibre dans les territoires où les groupes télécoms veulent pas aller)... tout ça sert plutôt à dire au peuple "t'façon c'est vous et votre survie qui sert de variable d'ajustement, tout imprévu sera répercutée sur le bas peuple".
Ca rappelle Germinal (le film, je me rappelle plus trop du bouquin) où les accidents au fond de la mine étaient facturés aux ouvriers qui avaient ni le temps ni les moyens d'étayer leurs tunnels. Double peine. t'as perdu ton gamin et en plus t'as 2 semaines de salaire qui se barrent.
Le 29/02/2024 à 18h39
Légalement, le gouvernement n'avait comme autre choix que d'augmenter le déficit et ce n'était pas une bonne idée. On pourrait aussi faire comme aux USA : quand on n'a plus d'argent par rapport à ce qui est prévu comme dépenses ou quand le nouveau budget n'est pas voté, on renvoie les fonctionnaires chez eux sans les payer, mais je ne suis pas sûr que tu serais d'accord.
Comme je l'ai dit dans un autre commentaire, le budget était trop optimiste/irréaliste et on a donc prévu trop de dépenses, le vrai problème est là au départ.
Ta comparaison avec Germinal est hors sol !
Le 01/03/2024 à 00h58
Et même sur le volet des dépenses , ils suffit de __choisir__ de supprimer des crédits pour les startups usless (le plan France 2030 par exemple qui est un vaste cadeau à ceux qui n'en ont pas besoin ) au lieu des milliers de profs non recrutés, ou , ce qui est le sujet de l'article , des mlliers de raccordements fibre.
Quand Macron sort "ce quinquennat sera écologique ou ne sera point" et qu'il réduit les credits à l'isolation, que Attal a promis un prof devant chaque classe mais qu'au lieu de compenser les 3500 profs manquants de septembre dernier ils en suppriment 11000 de plus , y a plus à parler de hors sol. On est dans le dur de la destruction des biens communs.
Le 29/02/2024 à 13h45
Le 29/02/2024 à 12h19
Promettre de l'argent, en sachant que tu ne l'auras pas, puis annuler les crédits, c'est quand même dégueulasse. Il aurait mieux fallu assumer dès le départ que cet argent n'existait pas et ne pas faire de promesses électoralistes.
Le 29/02/2024 à 12h32
Je ne pense pas que c'était électoraliste, juste trop optimiste.
Ne pas oublier non plus qu'il y a eu un changement de premier ministre qui a pu influer sur la décision.
Mais oui, il aurait mieux valu faire un budget plus réaliste.
Le 29/02/2024 à 12h28
Le Drahi c'est l'hopital qui se fou de la charité
Le 29/02/2024 à 13h48
Le 29/02/2024 à 21h33
Tout est fondé sur la dette avec les taux d'intérêt qui montent.
Il a déjà vendu une bonne partie de l'infra.
Le 29/02/2024 à 21h53
Modifié le 29/02/2024 à 13h43
Immigration, SMIC spécial Mayotte et maintenant fibre optique.
Influence du RN oblige ?
Le 29/02/2024 à 15h23
Modifié le 29/02/2024 à 15h32
Et pour un pays qui a accumulé plus de 3300 milliards de dette, peut-être que financer un réseau à l'eau potable à Mayotte est plus importante que de surfer sur Internet à 500Mb/s mais sans une goutte au robinet, non ?
Et l'excuse : "c'est encore et toujours à cause de l'extrême droite ", ouais on commence à connaître, depuis une quarantaine d'années...
Non c'est à cause des réalités.... Suffit d'ouvrir les yeux et d'analyser chaque situation sereinement.
Modifié le 29/02/2024 à 15h25
Le haut débit doit paraître bien superficiel quand on n'a même pas de débit... au robinet... pour boire. (on peut tenir plusieurs semaines sans manger, on ne tient que quelques jours sans boire...)
Donc si ces crédits Fibre pouvaient être ré alloués à la distribution d'eau à Mayotte, tant mieux, tout le monde sera content.
Le 29/02/2024 à 18h41
Modifié le 01/03/2024 à 02h18
Le câble sous-marin très haut débit FLY-LION3 atterrit à Mayotte_2019
.
Le 01/03/2024 à 21h45
Modifié le 02/03/2024 à 01h48
Modifié le 29/02/2024 à 15h44
La France emprunte 700 millions d'€ tous les jours ouvrés de l'année sur les marchés financiers internationaux par émission de bouts de papiers dans lesquels les zînzins principalement (investisseur institutionnel : banques, société d'assurance) ont encore confiance d'être payé à la fin.
"qui qui veut de mes obligations à 10 ans - le déluge - ? "
700 millions d '€ levés tous les jours ouvrés pour boucler un budget dont les recettes ne couvrent qu'à peine les 2/3 des dépenses.
Droit dans le mur et en klaxonnant en plus...
Il n'y aura que la fin de triste.
Le 29/02/2024 à 20h00
C'est malheureusement retombé comme un soufflet.
Comme tu le dis, ça ne va pas pouvoir durer éternellement et nos politiques s'en fichent royalement.
Le 01/03/2024 à 21h37
Le 01/03/2024 à 06h28
Je veux dire, naïvement, chaque ligne ftth coûte un certain nombre aux opérateurs, refacturés ensuite aux abonnés.
Si il est nécessaire de lourdement facturer les zones rip (public) c’est que les opérateurs ne voulaient pas y aller et ne pas déployer sauf dans les villes qui étaient rentables.
On a laissé les parties rentables aux opérateurs privés et ensuite on n’a pas pensé péréquation des coûts avec le fait d’obliger ces mêmes opérateurs à fibrer les campagnes. Dans ce cas, c’est l’état et les collectivités qui paient.
Ensuite ces mêmes opérateurs arrivent sur les rip et négocient les tarifs les plus bas possibles.
L’utilisateur veut le tarif le plus bas possible. Je suis bien content de pouvoir payer la fibre à un tarif bas.
Par contre, est ce que si d’une certaine façon les tarifs de la fibre et d’internet étaient un peu plus hauts, la part de l’investissement et la rétribution au service public serait plus élevée ?
Je répond un peu naïvement à ma première constatation : est ce à cause de free :
Free reprend la stratégie de pourrissement :
Prix « bas » en adsl puis au début de la fibre. Pour arriver à faire des offres qui commencent à 40 euros, mais toujours avec des NRO qui ne sont pas assez redondés et toute une région qui peut tomber en fibre, adsl et 4g en cas de coup de pelleteuse.
Ils augmentent les prix mais la qualité peut encore laisser à désirer. J’en conclus que les prix hauts servent à financer les dettes de Xavier Niel et sont expension européenne.
Donc la, l’augmentation des prix est probablement absorbée par l’opérateur et non pas l’opérateur d’infrastructure.
Dernière question : il n’y aurait il pas intérêt à augmenter la redevance des opérateurs d’infrastructure pour les lignes louées en zone rip?
Modifié le 01/03/2024 à 13h53
Je ne comprends pas cette agitation sur les budgets de déploiement alors tout se termine actuellement, à part les nouvelles constructions où les investisseurs seront mis à contribution pour les raccordements (comme c'est le cas pour le cuivre l'énergie ou l'assainissement actuellement).
A terme les OC auront beaucoup moins de frais d'infra sur la fibre que sur le cuivre, ils dépensent certainement beaucoup pour négocier la distribution des chaines TV, qui d'ailleurs devraient être distribuées indépendamment de l'internet, même si leur technologie de distribution s'appuie sur IP.
Le 01/03/2024 à 14h15
Modifié le 01/03/2024 à 21h06
Si les collectivités administratives n'avaient pas subventionné la migration de l'existant, il est clair que rien ne bougerait, même dans les zones les plus rentables, sauf à des prix inabordables comme ceux qui existent dans le FTTO, qui sont compensés par les besoins des entreprises, ce qui n'est pas le cas des particuliers. Pour un OC, un investissement qui s'amortit en 30 ans, même s'il apporte quelques clients en plus n'est pas rentable, alors qu'il peut l'être pour une collectivité.