L’accès aux données de connexion, puissant pouvoir reconnu à de nombreuses autorités administratives françaises, va faire l’objet d’une nouvelle décision du Conseil constitutionnel. La cause ? Une question prioritaire de constitutionnalité tout juste transmise par la Cour de cassation et visant l’Autorité des marchés financiers.
L’AMF dispose, en vertu de l’article L. 621 - 10 du Code monétaire et financier, du pouvoir de demander aux opérateurs et services de communications électroniques la communication des données de connexion pour les besoins d’une enquête.
« Ce droit de communication spécifique du gendarme boursier vis-à-vis des opérateurs de communication est fondamental pour mener à bien les procédures d'enquêtes dont l'AMF a la responsabilité, expliquait le gouvernement en réponse à une question parlementaire de Lionel Tardy. Il est en particulier essentiel afin de faire la preuve d'éventuels délits d'initiés et pour reconstituer le circuit de transmission d'informations privilégiées. »
Il permet ainsi à l’AMF, sans l'aval d'un juge, de prendre connaissance des données techniques de connexion (comme les où et quand d’une communication), de facturation (référence contrat, adresse de l'abonné, coordonnées bancaires...) et des données de trafic ou de navigation (dont les numéros appelés et appelants). Bref, tout le sillage électronique d’une personne et ses proches, résumé parfois rapidement sous l'expression FADET (ou FActures DETaillées).
Une QPC transmise par la Cour de cassation
Seulement, un individu a contesté la régularité de l’obtention de plusieurs pièces par l’AMF via ce droit de communication. Devant la Cour de cassation, il a réclamé la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, considérant que ce pouvoir n’est en rien dans les clous des normes fondamentales.
Et il a été bien inspiré : le 16 mai, la haute juridiction a décidé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel en développant une série d’arguments de fait et de droit, en particulier l’évolution des technologies, l’extension du champ des investigations orchestré par l’article L-34-1 du Code des postes et communications électroniques et surtout la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2015 portant sur la loi Macron.
Du précédent de la loi Macron
Cette référence exige un petit rappel historique : un amendement du gouvernement avait été déposé lors des débats autour de cette fameuse loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances. Son objet ? Aligner le droit de communication des agents de l’Autorité de la concurrence sur celui de l’AMF.
« Des divergences non justifiées existent dans l’organisation des pouvoirs d’enquêtes des autorités et administrations chargées de la répression des infractions économiques, plaidait l’auteur du texte. L’autorité ne peut obtenir aujourd’hui les relevés détaillés de facturation établis par les opérateurs de communications électroniques, et en particulier les appels passés et reçus (« fadettes »), à la différence de l’AMF ». En clair, l’exécutif jouait l’escalade et l’harmonisation des pouvoirs pour inciter les parlementaires à armer les agents de l’Autorité de la concurrence du même droit de communication que ceux de l’Autorité des marchés financiers.
De la sensibilité du Conseil constitutionnel
Cependant, cette disposition a été censurée en août 2015 par le Conseil constitutionnel. Les neuf Sages ont constaté l’absence de garanties « propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions ».
Les commentaires de cette décision sont très éclairants : « l’évolution des usages des communications électroniques a modifié largement l’importance et la nature des informations contenues dans les données de connexion. C’est pourquoi la jurisprudence la plus récente montre que le Conseil constitutionnel vérifie si des garanties suffisantes sont prévues par le législateur ». Quelles garanties ? Il s'agit des modalités d’accès aux données, des finalités et motifs qui le justifient, du traitement et de la conservation de ces données. Autant d’exigences oubliées par l’amendement gouvernemental.
En toute logique, après le récent arrêt de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel devrait réserver le même sort funeste au droit des agents de l’AMF, si du moins des défauts similaires sont constatés. Sa décision, attendue dans les trois mois, devrait impacter les pouvoirs des autres administrations au fil de futurs contentieux.
Commentaires (16)
#1
J’ai rien compris " />
#2
le CC a refusé pour l’ADLC parce que les garanties (dont les paramètres
ont évolué du fait du changement du - numérique) étaient insufisantes
-l’AMF devrait en toute logique perdre son privilège pour les mêmes raison que l’ADLC ne les a pas gagnés
#3
Je suis presque dans le même cas que toi.
En gros, si je résume : l’AMF pourrait abuser (pour le moment, ce n’est pas un fait établi, c’est le CC qui jugera si c’est le cas ou pas) d’un pouvoir qui lui a été accordé pour réclamer des informations qui ne lui sont pas essentielles pour lutter contre certaines infractions. Le CC va donc statuer sur ce fait et il conviendra alors au législateur de modifier les informations qu’il est possible de récupérer via ce droit de communication.
Ai-je bon oui suis-je totalement à côté de la plaque ?
J’adore les news “Loi”. Soit t’es dans le milieu du Droit et tu peux comprendre, soit tu ne l’es pas et tu piges rien…
Ca me fait penser à “c’est simple, c’est écrit dans la révision 428 de l’article L-421-2 alinéa 34 paragraphe 6 du Code de la Propriété Intellectuelle modifié par la Loi du 5 mai 2003”… (cherchez pas, j’ai inventé là…)
#4
Je pige pas en quoi c’est différent de la Police qui a besoin de données de connexion pour une enquête ou une autre…
#5
OK donc j’étais à côté de la plaque. Merci pour l’explication claire et concise ! Marc devrait l’ajouter en résumé à la fin de la news pour les mecs comme moi.
#6
Ils peuvent le faire sans passer par un juge en fait ?
#7
Cool. On va enfin pouvoir discuter de nos actions entre nous sans se faire emmerder par ces gueux qui ne comprennent rien a notre façon de faire de l’économie et qui se prennent pour des justiciers.
Merci le CC de privilégier enfin les vrais créateurs de richesses dans ce pays. Pas de raisons que nos milliards soient traités différemment des millions et /ou milliers des gueux.
#8
La question n’est pas celle des besoins, la question est celle des garanties encadrant ce droit de communication.
Les gouvernements successifs ont ouvert les vannes à toute une série d’administration.
Là, depuis la décision Loi Macron, et avec celle attendue sur l’AMF, ca sent (enfin) la fin de la récréation.
#9
Les commentaires sont faits aussi pour échanger, éclairer etc…
#10
Je crois que le terme de fadet fait appel a des souvenirs, bien trop flous en fait…
C’est une demande obtenue sans l’aval d’un juge, c’est bien ca ?
Ils devront de nouveau passer par les magistrast pour en obtenir le retour ?
#11
#12
- Pouvoir de l’AMF : on est donc dans un pouvoir administratif. Tu n’as pas de juge, sinon il y aurait eu les fameuses garanties ;)
#13
Je me demande comment des énarques, des gens suffisamment intelligents pour gérer et prendre soin de notre pays peuvent être aussi peu regardant sur la viabilité des lois qu’ils pondent. Du coup, RIP l’AMF… Y en a qui vont se gaver quand le CC aura swordé les pouvoirs de l’AMF…
J’en viendrais presque à croire que c’est voulu ainsi… Mais j’serais parano :p
#14
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Merci
#15
Beaucoup de lois sont pondues a la va vite pour répondre a un besoin d’actualité, et certaines donnent même l’impression d’être bidon volontairement, comme ça on peut ensuite se plaindre que c’est le CC qui empêche les problèmes d’être réglés
Aux us ils ont 3 grande série sur le gouvernement , house of cards, the west wing et veep
#16
Si le CC pouvait en effet confirmer que l’incursion sans contrôle dans la vie privée des citoyens est une mauvaise idée, ça serait une bonne nouvelle.