Le Sénat attaque aujourd’hui l’examen de la proposition de loi visant à encadrer bien plus strictement la mise en Open Data des décisions de justice, telle que prévue par la loi Numérique. La mesure ne fait toutefois pas l’unanimité, certains sénateurs craignant carrément un retour un arrière.
Le coup de semonce porté par Philippe Bas, président (LR) de la commission des lois du Sénat, est tel qu’Axelle Lemaire a fini par monter au créneau. « Les craintes liées à l’Open Data de la jurisprudence en occultent parfois le potentiel », s’insurge l’ancienne secrétaire d’État au Numérique dans les colonnes de « Tendance Droit ».
Et pour cause. Alors que les articles 20 et 21 de la loi Numérique prévoient qu’à terme, toutes les décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires soient mises gratuitement à la disposition du public sur Internet, « dans le respect de la vie privée des personnes concernées » et après « analyse du risque de ré-identification des personnes », le Sénat s’apprête à envoyer un signal très clair au gouvernement, lequel prépare actuellement les décrets d’application de cette réforme.
Une proposition de loi adoptée (et même durcie) en commission
S’inspirant très largement d’un rapport sénatorial datant d’avril 2017, Philippe Bas propose de compléter la loi Numérique, de telle sorte qu’il soit précisé que les modalités de mise à disposition des décisions de justice « préviennent tout risque de ré-identification des magistrats, des avocats, des parties et de toutes les personnes citées dans les décisions, ainsi que tout risque, direct ou indirect, d'atteinte à la liberté d'appréciation des magistrats et à l'impartialité des juridictions ». Rien que ça...
Pour justifier ces tours de vis, l’élu fait valoir qu’en dépit de l’anonymisation des jugements, il sera parfois possible d'identifier les parties, « en raison de leurs qualités ou de la nature du contentieux ». Il craint aussi qu’à partir des statistiques générées à l'aide de ces décisions, certains soient tentés de se tourner vers un tribunal plutôt qu’un autre, parce qu’ils pourraient potentiellement y obtenir gain de cause plus facilement.
La semaine dernière, en commission, les sénateurs ont validé ce texte, ajoutant même dans cette longue liste de professionnels à protéger les greffiers (suite au vote d’un amendement des rapporteurs).
L’État devrait « réanonymiser » les décisions déjà sur Légifrance.Fr
À l’approche des débats en séance publique, qui doivent débuter cet après-midi, seul un amendement a été déposé pour modifier ces dispositions. Le centriste Yves Détraigne, rejoint par neuf autres sénateurs, demande leur suppression pure et simple.
Avec les nouvelles contraintes imaginées par Philippe Bas, la publication des jugements deviendra « difficile, voire impossible », met-il en garde. Le parlementaire souligne la contradiction flagrante qui existe entre la proposition de son collègue LR et l’actuel article L 10 du Code de justice administrative, selon lequel « les jugements sont publics » et « mentionnent le nom des juges qui les ont rendus ».
« Une telle modification des règles établies de publication poserait un problème d’insécurité juridique pour l’ensemble des décisions déjà publiées sur Légifrance et en Open Data », s’inquiète par ailleurs Yves Détraigne. « L’État devrait alors soit « réanonymiser » celles-ci, soit supprimer ce qui a déjà été mis en ligne. »
L’élu soutient au passage que les préoccupations de Philippe Bas ne sont pas forcément partagées par tous les professionnels du droit : « Le Conseil national des barreaux (CNB) s’est opposé à l’unanimité à l’anonymisation des avocats dans les jugements dans une résolution de son assemblée générale du 3 février 2017, souligne-t-il. De même, le premier Président de la Cour de cassation et les premiers présidents des cours d’appel se sont prononcés contre cette mesure qui ferait de la France une exception en Europe et la placerait aux côtés de la Russie et de la Roumanie en matière de transparence. »
Des regards désormais rivés sur les décrets de la loi Numérique
Même si cette proposition de loi passait le cap du Sénat, son parcours reste encore long avant une éventuelle adoption définitive. Il faudrait notamment que les députés aillent dans le même sens.
Open data des décisions de justice, legal tech, IA : n’ayons pas peur !
Mon entretien :https://t.co/MBjtdIIlCq via @LexisNexisFr #CNDA2017— Axelle Lemaire (@axellelemaire) 21 octobre 2017
Dans son récent entretien, Axelle Lemaire laisse clairement entendre que c’est au gouvernement qu’il revient aujourd’hui d’apaiser les craintes exprimées de part et d’autre.
L’ancienne locataire de Bercy explique que les décrets d’application préparés par le ministère de la Justice (en lien avec un groupe de travail dont les conclusions sont attendues pour la semaine prochaine) devront notamment avancer sur « la définition d’un régime de responsabilité juridique adéquat : la responsabilité sans faute de l’État doit-elle être engagée pour chaque erreur permettant une ré-identification ? Quel niveau d’indemnisation appliquer ? Dans la réparation, quelle garantie apporter pour la mise en œuvre effective du droit à l’oubli du justiciable lésé ? La responsabilité du ré-utilisateur des données doit-elle être plus lourde ? »
L’ex-secrétaire d’État au Numérique insiste aussi sur la dimension budgétaire de cette réforme, en invitant les pouvoirs publics à pousser « l’investissement technologique dans des logiciels d’apprentissage profond qui amélioreront les résultats au fur et à mesure des traitements ».
« Le calendrier qui sera annoncé pour mettre en œuvre l'Open Data de la jurisprudence reflétera la réalité de la volonté à faire avancer le dossier » prévient enfin Axelle Lemaire. Un argument pour le moins hasardeux quand on sait que le gouvernement auquel appartenait l’élue PS envisageait initialement de publier ces décrets en janvier 2017...
L’ancienne secrétaire d’État conclut quoi qu'il en soit, un brin solennelle : « Pour appliquer la loi votée à l'unanimité par les parlementaires, une feuille de route stratégique, pilotée avec leadership dans une orchestration d'ensemble permettra d'éviter la fragmentation et une temporalité morcelée qui feraient échec à la réforme. L'objectif poursuivi est trop important : garantir l'accès en temps réel à une information judiciaire et administrative sûre, objectivée, grandeur nature, pour réconcilier la justice et les citoyens. »
Commentaires (32)
#1
Ils ne se rendent pas compte que des données croisées finissent toujours par être révélateur de ce qui est caché, c’est fou.
#2
Comme le dit clairement la loi, les jugements sont rendus au nom du peuple et sont publiques.
Aucune raison de cacher l’identité des avocats ou des parties.
#3
Quand il y a huis clos, il y a bien une raison
#4
Cacher les noms, pourquoi pas, mais une disponibilité totale de toute la jurisprudence online gratuitement ce serait déjà tellement bien.
#5
Le procès est parfois à huit clos, jamais la décision.
#6
Il s’agit de opendata, pas que de la liste de remises de prix (je suppose)
#7
Bon. Je ne suis plus dans la sphère juridique à proprement parler depuis un moment, donc mes souvenirs de procédure civile et pénale sont très limités. Toutefois…
Alors, d’où vient cette crainte ?
Je n’ai rien trouvé sur le sieur en lui-même, donc peut-être n’est-ce qu’un sinistre préjugé de ma part, mais cette proposition me donne tout l’air d’une mesure de prévention destinée à couvrir les politiques de leurs crasses (comprendre = espérer qu’il soit plus difficile de ressortir les dossiers lorsqu’untel essaye de se faire mousser).
#8
Les décisions rendues publiques remplacent très souvent les noms par des M. X ou Mme Y. Ça n’a rien de neuf et ça protège aussi souvent les plaignants.
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Dès qu’on parle de transparence, les sénateurs commencent à baliser. Même si cela ne les concerne pas " />
Le dernier paragraphe vous est offert par #MarketingBullshit, la boisson des ministres qui n’ont rien à dire mais le disent quand même " />
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Jarodd, qui c’est ? Il fréquente NXI. Là-bas, la plupart sont des pirates.
Et voilà, même si tu ne l’est pas, ton pseudo y est associé. Et tu voudrais que tout le monde soit au courant ?
Les méchancetés viennent souvent quand on ne s’y attend pas.
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Effectivement on ne peut choisir son tribunal selon ses désirs, mais dans plusieurs cas la compétence territoriale se détermine selon différents éléments donc un choix, certes limité, reste possible parfois (entre lieu de commission de l’infraction et lieu du domicile de l’auteur par exemple au pénal).
Par contre je leur souhaite bien du courage pour assurer une telle anonymisation de masse. Si tous les champs fusionnés d’une décision doivent pouvoir être reconnus et modifiés facilement, j’ai beaucoup plus de doutes en cas de paragraphe ajouté manuellement par le magistrat, pour motiver sa décision notamment. De plus, la décision n’a de valeur qu’une fois signée par le juge et le greffier, donc en l’absence de signature électronique comme actuellement, il faudrait pouvoir en même temps verrouiller le texte de la décision pour en assurer la conformité tout en le modifiant pour l’anonymiser sans rien modifier d’autre… Bon courage…
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Je vois que ma notoriété dépasse les frontières des commentaires " />
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Merci pour ce post " />
Edit: ceci est une réponse au post de crocodudule, je ne sais pas si ce sont mes doigts ou Nxi, mais ça foire souvent de référencer des posts.
Re-edit: ah non, ça marche.
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si tu fais “répondre” puis que tu édites ton message, le bandeau “en réponse à” disparait jusqu’à ce que tu recharge la page " /> (constaté sur FF, je n’ai pas été voir ce qu’il en était sous Chrome ou IE/Edge)
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Je confirme qu’il y a ce problème sous Chrome. Mais bon, maintenant je sais.
Edit: et curieusement, pile poil pour cette réponse ça a marché…
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C’est pour ça que j’ai préféré préciser, le terme “intéressé” pouvant prêter à confusion.
La gestion des minutes n’est pas de la compétence des chefs de juridiction mais du directeur de greffe, et légalement il ne devrait pas pouvoir s’opposer à une telle demande de copie en masse. Il y a peut-être d’ailleurs déjà de la jurisprudence sur ce type de demande…
Il faut préciser également que de telles copies ont un coût théorique, rarement appliqué en pratique, ce qui peut avoir un effet dissuasif selon la masse demandée (et à voir si l’OCR fonctionne bien derrière car si c’est pour avoir un tas de feuille inexploitable numériquement derrière…)
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