Travail dissimulé : vers des condamnations systématiquement épinglées sur Internet
Enfin un geste pour l'Open Data
Le 30 avril 2018 à 13h00
4 min
Droit
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Présenté vendredi 27 avril en Conseil des ministres, le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » entend rendre obligatoire la mise en ligne de chaque condamnation pour travail dissimulé (en bande organisée uniquement). Il y a encore quelques semaines, le gouvernement promettait pourtant un dispositif bien plus ambitieux.
Prêt illicite de main-d’œuvre, travail dissimulé, emploi d’étrangers sans titre de travail, cumul irrégulier d’emplois... Toutes ces infractions au Code du travail, qui constitue ce qu’on appelle généralement du « travail au noir », peuvent depuis une loi de 2014 faire l’objet d’une peine complémentaire plutôt inhabituelle dans le droit français : une sorte de « mise au pilori numérique », sur le site officiel du ministère du Travail.
Les magistrats ont en effet la possibilité, lorsqu'une amende est prononcée, d’ordonner la diffusion de leur décision sur Internet, sans anonymisation. Pendant une durée maximale de deux ans, ont ainsi vocation à se retrouver en ligne : le nom de l’entreprise condamnée, son numéro de SIREN ou de SIRET, son adresse, l’identité de son représentant légal, la date et le « dispositif » de la décision (c’est-à-dire le détail des sanctions), etc.
Le gouvernement revoit sa copie
Début février, à l’occasion d’un bilan intermédiaire du « plan national de lutte contre le travail illégal », le gouvernement a annoncé qu’il voulait « rendre systématique » – et non plus facultative – cette peine complémentaire prévue par l'article L8224-3 du Code du travail. « Le « name and shame » permet de donner une plus grande visibilité aux sanctions pénales prononcées en cas de travail illégal », se justifiait alors le ministère du Travail.
La semaine dernière, les arbitrages de l’exécutif ont été rendus publics. Finalement, cette « mise au pilori numérique » ne sera obligatoire que pour le délit de travail dissimulé, et ce à la condition que celui-ci soit commis en bande organisée.
Les juges choisiront la durée de cette peine complémentaire (jusqu’à un an maximum). Ils resteront par ailleurs libres d'exempter certains condamnés, « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur » – afin de respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Leur décision devra alors être « spécialement motivée ».
Une demande du Conseil d’État, qui pointait le caractère disproportionné de la réforme
« La mesure retenue s’avère la plus satisfaisante au regard des critères du délit de travail dissimulé, de l’impact de dissuasion recherchée et de la volonté de la limiter à certains employeurs au regard de la masse des décisions pénales prononcées par les juges correctionnels », explique le gouvernement dans son étude d’impact.
L’exécutif affirme que cette réforme permettra « d'accroître le caractère dissuasif de la sanction du travail dissimulé dans les cas les plus graves, c’est-à-dire lorsqu’il est commis en bande organisée ».
C’est toutefois en lisant l’avis rendu par le Conseil d’État que l’on comprend mieux pourquoi le ministère du Travail a (partiellement) fait machine-arrière. La juridiction administrative lui a en effet demandé de revoir sa copie pour que la diffusion de condamnations « soit proportionnée à la gravité de l’illégalité sanctionnée, notamment en ciblant le caractère obligatoire de celle-ci au seul cas de délit commis en bande organisée ».
Seules quatre décisions mises sur « liste noire » à ce jour
D'après l’exécutif, la peine complémentaire en vigueur aujourd’hui se révèle « très peu utilisée par le juge pénal ». Seules quatre décisions de diffusion auraient ainsi été prononcées depuis 2014. Au regard des milliers de condamnations rendues chaque année pour travail dissimulé, ce chiffre devrait très logiquement être amené à augmenter. L’étude d’impact du gouvernement ne s’avance toutefois sur aucun chiffre, ni même estimation.
Les modalités techniques de mise en œuvre de ce dispositif seront fixées ultérieurement, par décret en Conseil d’État pris après avis de la CNIL – une fois que le Parlement aura avalisé (ou éventuellement modifié) ces dispositions figurant à l'article 59 du projet de loi porté par la ministre du Travail. Il y a toutefois fort à parier pour que ces informations restent introuvables depuis les moteurs de recherche, la gardienne des données personnelles ayant plaidé pour une telle restriction lors de son avis sur le dispositif actuel.
Travail dissimulé : vers des condamnations systématiquement épinglées sur Internet
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Le gouvernement revoit sa copie
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Une demande du Conseil d’État, qui pointait le caractère disproportionné de la réforme
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Seules quatre décisions mises sur « liste noire » à ce jour
Commentaires (18)
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Abonnez-vousLe 30/04/2018 à 13h26
C’est toutefois en lisant l’avis rendu par le Conseil d’État que l’on comprend mieux pourquoi le ministère du Travail a (partiellement) fait machine-arrière.
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le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel »
Le 30/04/2018 à 13h56
Ils ont un vrai talent pour choisir le nom de leurs projets de loi " />
Sinon, “en bande organisée” ça veut dire quoi dans ce contexte ? Qu’il faut une boite qui fourni les travailleurs illégaux et une autre qui les utilise ? Qu’il faut que plus d’une personne au sein d’une entité aient participé à l’embauche du travailleur illégal ?
Le 30/04/2018 à 13h56
Le 30/04/2018 à 14h14
Pourquoi le Conseil d’État ne conseille-t-il pas le goudron et les plumes ? C’est classique mais ça fait ses preuves
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Le 30/04/2018 à 14h23
Soyons moderne: un tweet @justice_gouv #shame " />
Le 30/04/2018 à 14h27
“La juridiction administrative lui a en effet demandé de revoir sa copie pour que la diffusion de condamnations « soit proportionnée à la gravité de l’illégalité sanctionnée, notamment en ciblant le caractère obligatoire de celle-ci au seul cas de délit commis en bande organisée ».”
On est vraiment entré dans un monde effrayant où des principes aussi élémentaires que l’individualisation de la peine et sa proportionnalité (Beccaria quoi…) doivent être rappelés à des ubu-ubérisés du gouvernement qui pour faire de la com “tarteupnation” sont capables de bafouer tous nos principes.
Parallèlement, on acte la baisse d’autonomie de l’inspection du travail dont ses moyens et l’état de clochardisation de la Justice, tout ça pour faire de la mousse avec le “name & shame”, peu importe que cela puisse ruiner la vie de personnes prisent en défaut sans considération de la situation concrète du dossier.
J’ai notamment un exemple d’association culturelle 1901 condamnée du fait de la présence de bénévoles qui compensaient l’impossibilité d’embaucher du fait de la baisse des subventions, qui s’est faite condamnée se prenant les cotisations forfaitaires d’URSSAF pour trois bénévoles (lesquels venaient après le boulot donner un coup de main pour que la représentation du soir puisse se dérouler correctement)… Ces pauvres gens impliqués notamment dans les milieux défavorisés étaient totalement ko, j’imagine si en plus leurs noms avaient été jetés en pâture…
C’est parfaitement exact, la nouvelle génération de politiques n’est pas comme la précédente; ils sont pires, car dangereux, les principes fondamentaux ne sont plus pour eux des obstacles intellectuellement infranchissables si ça permet de faire de la pure communication, peu importe les conséquences.
Le 30/04/2018 à 14h28
Donc un politique pourri condamné, faut tout noircir, mais pour un gars au black, c’est tout balancer sur INternet, c’est ça ?
Le 30/04/2018 à 14h40
Le 30/04/2018 à 14h41
Les magistrats ont en effet la possibilité, lorsqu’une amende est
prononcée, d’ordonner la diffusion de leur décision sur Internet, sans
anonymisation. Pendant une durée maximale de deux ans, ont ainsi
vocation à se retrouver en ligne
Et sinon, la présomption d’innocence, ça existe toujours ? Est-ce qu’un appel évite cette mise au pilori, ou bien la première condamnation est définitive ? Ca fait peut-être partie de la réforme de la Justice, vu qu’il paraît qu’elle est trop lente et qu’il faut la startupiser, pardon, la “moderniser”.
Le 30/04/2018 à 15h10
Le 30/04/2018 à 15h59
Le 30/04/2018 à 16h44
Le 30/04/2018 à 17h22
En même temps… ça fait des années que les différents gouvernements sabrent dans l’inspection du travail (moyens, effectifs, prérogatives, contestation par les tutelles…). Ça va permettre de limiter naturellement l’épinglage sur Internet, vu qu’il n’y aura plus les moyens d’épingler.
Le 30/04/2018 à 17h56
à mon humble avis, je daterais la fin de l’action politique dite “modérée” à la ratification du Traité de Lisbonne par le Congrès en 2008 en déni de principe au “Non” du référendum de 2005 concernant la ratification du TCE. Et je citerais également l’apparition au second tour de l’élection présidentielle de 2002 de l’extrême-droite ultra-conservatrice. Et peut-être que les historiens futurs considéreront que la chute de la Ve République date du “Oui” au référendum de 2000 instituant le quinquennat et la corrélation totale entre le mandat présidentiel et le mandat législatif en dépit du droit de dissolution de l’Assemblée Nationale (AN) par le Président de la République et autres prérogatives du gouvernement face à l’AN (article 49-3 de la Constitution, établissement de l’ordre du jour de l’AN, etc) constituant ainsi un régime présidentiel en France sans réels contre-pouvoirs ni par le suffrage des Citoyens, ni par le vote de l’AN elle-même.
Le 01/05/2018 à 07h20
Le sinistère pour le Chômage et aux ordres de l’Administration (pour traduire du newspeak gouvernemental) est dans le déni total : au lieu de se demander pourquoi les travailleurs qu’il impose et taxe à mort ont recours au travail de gré à gré (soci(ét)alement et économiquement efficient, légitime et donc moral) en évitant volontairement les fourches caudines et spoliatrices de l’administration, cet occupant intérieur, il continue dans la théâtralisation législative de sa propre incompétence à inciter à la création de véritable emplois marchands.
Tout cela est finalement très bon : cela indique que les individus sont capables de s’organiser afin d’échapper aux griffes de la technostructure, en guerre contre eux pour son seul intérêt et profit, et que les résultats se font sentir au niveau de son budget.
Comme l’a montré l’Histoire, il est impossible d’empêcher les individus de coopérer contre l’occupant intérieur, même dans les régimes les plus totalitaires. Il est temps d’éradiquer les parasites.
Le 02/05/2018 à 09h27
Le 02/05/2018 à 13h36
Le 04/05/2018 à 15h16
ça marche avec l’état le “name and shame” ?