De nouveaux crans d’opacité en Commission Copie privée
Culture de l'exception culturelle
Le 10 décembre 2018 à 14h56
8 min
Droit
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Notre procédure CADA contre la Commission Copie privée et le ministère de la Culture n’est toujours pas arrivée à terme. Si la première nous a transmis quelques informations, d’autres données de première main sont introuvables, d’autre peut-être non communicables.
Ceux qui suivent Next INpact depuis des années savent que la question de la transparence occupe une place centrale parmi nos sujets. Le dernier épisode en date en Commission Copie privée entre directement au Panthéon, sans passer par les présélections. Pour en comprendre les clefs, revenons un instant sur cet univers délaissé par la quasi-totalité des médias.
Le B.A BA de la copie privée et sa redevance
Cette redevance compense un préjudice : la liberté accordée à l’utilisateur de réaliser des duplications des œuvres légalement acquises sur des supports vierges. Plutôt qu’avoir à réclamer l’autorisation des créateurs, via les sociétés de gestion collective, l’utilisateur peut s’appuyer sur une exception au monopole du droit d’auteur. C’est la copie privée. Et la redevance vient donc compenser ce « dommage ».
Comment est fixée cette ponction ? Une commission administrative est réunie au ministère de la Culture. Autour de la table, un équilibre subtil dont l’exception culturelle a le secret : 12 ayants droit, bénéficiaires de ces flux, font face à 6 représentants des consommateurs et 6 des industriels et autres fabricants. 12 bénéficiaires, face à 12 redevables, eux-mêmes divisés en deux groupes. La bonne vieille recette du diviser pour mieux régner.
Ce sont en tout cas ces 24 représentants qui se voient chargés d’établir l’ensemble des barèmes frappant chacun des supports d’enregistrement, exception faite des PC (disques durs internes) et des consoles de jeux, tous deux exemptés.
Pour ébaucher ces tarifs, disponibles en ligne, des études d’usages sont réalisées en amont auprès d’un panel de sondés. Il s’agit de déterminer leurs pratiques de copie de musiques, films, séries, articles de presse, partitions, livres, photos…etc. sur une période, puis de considérer que ce groupe est suffisamment représentatif pour généraliser les résultats à l’ensemble de la population.
L’Institut CSA, choisi grâce à l’arbitrage du président
C’est l’Institut CSA qui a remporté le dernier marché suite à un vote en Commission Copie privée en décembre 2017. L’entreprise a bénéficié de l’ensemble des voix du collège des ayants droit, en plus de celle du président de la commission, Jean Musitelli, un ancien de l’autorité de régulation des mesures techniques de protection ou encore de la Hadopi, décoré en 2011 par les ayants droit de la Coalition pour la diversité culturelle. 12 + 1 voix pour, 12 voix contre, la belle majorité avait parlé.
Pour réaliser cette étude, une fois n’est pas coutume, un marché public a été lancé par le ministère de la Culture en 2016.
Les résultats ont été glanés par l’institut de sondage, puis discutés au sein de la commission. Le 1er octobre dernier, les barèmes relatifs aux tablettes (traditionnelles et PC tablettes), disques durs externes et smartphones entraient en vigueur.
Seulement, malgré « l'esprit constructif et transparent » plébiscité par Jean Musitelli, nous avons eu une pluie d'interrogations sur ces travaux.
Flagrance, apparence, transparence
Comme souligné en novembre dernier, impossible de trouver les pièces afférentes à ces études sur le site de cette administration ou du ministère de la Culture. Impossible donc de contrôler la façon dont sont déterminés ces tarifs. Impossible également d’en connaître les bases, ni même les questions posées aux sondés par l’Institut CSA.
Ces éléments sont pourtant cruciaux s’agissant d’une ponction payée par l’ensemble des Français, et même des personnes morales.
En 2011, déjà, nous dévoilions certains tours de passe-passe pouvant conduire à maximiser les tarifs et donc les fruits de cette redevance. Comment ? En laissant le sondeur venir à domicile, scruter les contenus des supports du sondé, puis interroger son propriétaire sur ses sources d’approvisionnement (P2P, ripping, plateformes légales, etc.).
Cette inquisition est en effet susceptible de générer des biais. Des biais ? Sous l'aiguillon de la bonne vieille peur du gendarme, moins le sondé admet posséder des contrefaçons, plus les ayants droit sont en droit de réclamer des montants élevés de redevance. La redevance compense en effet les copies réellement privées et légales, non les contrefaçons.
Notre demande CADA, version Inception
Voilà notamment pourquoi, début novembre, nous avons sollicité de la commission et du ministère une série de documents attachés à ce nouveau marché sur ces segments :
- Les pièces échangées ou communiquées en commission lors du vote du cahier des charges de ces études d’usage
- Le cahier des charges
- L’intégralité des questions posées par l’Institut CSA auprès des panels
- L’intégralité des données récoltées
- Les résultats de ces études
La Commission Copie privée a répondu le 5 décembre dernier. Elle nous fournit :
- Les documents échangés ou communiqués en amont de l'adoption du cahier des charges du 21 juin 2016 relatifs aux supports mentionnés ci-dessus;
- Le cahier des charges adopté lors de la séance plénière du 21 juin 2016;
- Les résultats de ces études sur les supports disques durs, tablettes et smartphones
Le ministère n'a pas les données brutes
Dans cet ensemble de fichiers, les premiers ne concernent que les propositions des industriels. Nous reviendrons en détail sur d'autres éléments fournis, mais non sans récupérer les éléments manquants.
Pour le reste de nos demandes, la commission nous apprend en effet que le ministère de la Culture « ne détient pas les données brutes récoltées » sur les trois familles de supports. Les services de Jean Musitelli ne sont « donc pas en mesure de [nous] les communiquer, conformément à l'article L.311 - 1 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) ».
La Commission Copie privée doute de la communicabilité des questionnaires
Pire encore, la Commission Copie privée dispose des questionnaires, mais elle ne sait pas si elle est en droit de nous les transmettre. Elle nous révèle alors avoir saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) d'une demande de conseil, « afin de déterminer si les questionnaires administrés par l'institut CSA constituent ou non des documents communicables ».
En attendant, « nous ne pouvons vous transmettre les questionnaires administrés par l'institut CSA ». Sachant que la CADA peut mettre plusieurs mois avant de fournir une réponse, nous voilà bien avancés.
De ces lignes, on comprend que la Commission Copie privée a consulté par écrit la CADA afin de savoir si elle peut répondre à notre demande CADA. Nous allons évidemment émettre une demande CADA auprès de la commission pour avoir communication de cette demande de consultation auprès de la CADA. Kafkaïen.
Deux récifs peuvent barrer la route à cette transmission. D’une part, ces questionnaires sont-ils bien des documents administratifs ? Le site de la CADA explique sur ce point que « sont considérés comme administratifs tous les documents produits ou reçus par une administration publique ». Ce qui est indéniablement le cas ici.
D’autre, part, ces questionnaires sont-ils protégés par un secret ? Il pourrait s’agir des « secrets industriels et commerciaux », mais la même CADA prévient que cette barrière « s’applique à toute personne dès lors qu’elle déploie son activité, en tout ou partie, en milieu concurrentiel », ce qui n’est pas notre cas. Notre concurrent n’est pas l’Institut CSA, ni le ministère ni la Commission Copie privée, mais l’opacité.
Quel contrôle citoyen sur un flux de 279 millions d'euros ?
Si ces demandes restent sans réponse, cela signifiera surtout que les données brutes, et donc les réponses précises apportées par les sondées, ne sont connues que du ministère de la Culture. Et donc que ces barèmes ont été établis sur la foi d’autres données, peut-être des synthèses, mais sans possibilité de contrôler l’exacte correspondance voire la présence d’éventuels accidents de parcours. De même, un contrôle citoyen ou simplement journalistique sera désormais impossible.
En 2017, grâce aux précédents barèmes votés par et au profit des 12 ayants droit, 279 millions d’euros ont été collectés par Copie France, leur société civile. 25 % des flux ont été réinvestis par les sociétés de gestion collective dans le spectacle vivant, les festivals, etc. Comme l’expliquait un représentant de la SACEM en 2011, autant de sommes que le ministère n’a pas eu à ponctionner dans son budget « subvention ».
De nouveaux crans d’opacité en Commission Copie privée
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Le B.A BA de la copie privée et sa redevance
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L’Institut CSA, choisi grâce à l’arbitrage du président
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Flagrance, apparence, transparence
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Notre demande CADA, version Inception
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Le ministère n'a pas les données brutes
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La Commission Copie privée doute de la communicabilité des questionnaires
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Quel contrôle citoyen sur un flux de 279 millions d'euros ?
Commentaires (28)
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Abonnez-vousLe 11/12/2018 à 08h47
Je suis surpris que vous n’ayez pas eu de réponse du genre : “On veut bien vous communiquer tous les documents que vous demandez mais on les a perdu. Désolé.” " />
Sinon, je découvre que Marc était à Toulouse et je n’étais même pas au courant. " />
J’espère au moins qu’il aura apprécié la visite. " />
Le 11/12/2018 à 08h53
merci pour ce boulot de fond, intéressant et … inquiétant :(
Le 11/12/2018 à 08h56
Le 11/12/2018 à 12h28
si j’ai bien compris :
A la base c’est l’utilisateur FINAL (qui utilise les supports pour copie) qui paye la taxe. L’intermédiaire qui ne fait que la revente, ne paye pas la taxe, puisqu’il ne fait pas de copie….
Et pour se faire rembourser, faut déclarer l’utilisation professionnelle. Un revendeur n’ayant pas d’usage, ne pourra pas se faire rembourser.
Le 11/12/2018 à 12h35
Ok, mais j’ai l’impression qu’on peut jouer sur les mots avec ça… L’intermédiaire achète les supports pour les revendre. De son point de vue, ça reste sa finalité propre.
Sinon, est-ce que ça veut dire qu’un professionnel, une fois qu’il a payé son support et qu’il s’est fait rembourser (ou pas…) sa RCP, n’a plus le droit de revendre ses supports ? Ça serait un autre comble ça encore !
J’aurais bien aimé voir (télécharger) le formulaire de demande de remboursement pour comprendre un peu pourquoi c’est compliqué, mais son accès est conditionné par la création d’un compte avec tout un tas d’informations (que je n’ai pas) à fournir.
Le 11/12/2018 à 13h13
Il faut juste un revendeur qui indique le montant de la RCP sur ses factures, ça doit exister vu que certains se font rembourser la RCP.
Mais je ne sais pas si c’est rentable financièrement, vu le temps qu’il faut passer pour décortiquer les barèmes…
Le 11/12/2018 à 13h27
Justement, d’où la déclaration de l’utilisation.
Soit c’est un professionnel qui vends des supports one shot de type CD/DVD (auquel cas on sort du contexte de la copie privée) et donc se fait rembourser et peut revendre sa production.
Soit il distribution des supports comme les disques durs, auquel cas il doit répercuter la RCP (d’où la notion de taxe copie privée dans les produits que le particulier achète).
Dans les 2 cas, il se fait rembourser, soit par copie privée, soit par le particulier (qui lui paye la taxe).
Le 11/12/2018 à 15h36
Honnêtement, le barème n’est pas difficile à comprendre. En 15 secondes tu as le tarif que tu cherche. C’est peut-être complexe à rentrer de manière numérique dans une caisse enregistreuse, mais à la lecture humaine c’est très clair. Il y a suffisamment d’aberration à reprocher à la RCP/CopieFrance pour ne pas en inventer d’autres..
Edit: j’ai trouvé un formulaire de demande de remboursement
Le 10/12/2018 à 15h59
Tu rigoles mais avant d’avoir vu ta conférence, je lisais pas les articles Copie privée sur NXI " />" />
J’suis au taquet maintenant " />
Le 10/12/2018 à 16h11
koeur avec les doigts :)
Le 10/12/2018 à 16h40
Merci Marc
Je regarde la vidéo , et j’ai le regret de confirmer que les slides sont old school " />
j’ai tenté d’expliquer à ma femme tout à l’heure , depuis elle est en PLS , je pense que je vais appeler les pompiers " />
Le 10/12/2018 à 16h49
Le jeu du bonneteau, IRL " />
Sinon une suggestion pour les ayant-droits : prendre un uniforme camouflé avec des jolis grades, donner à tous les membres de la commission le statut de soldat (au moins colopitaine) et considérer que ça relève du secret militaire, comme ça rien n’est communicable. Ça ne changera rien sur le résultat " />
Le 10/12/2018 à 16h55
Fred va s’taire ?
De qui parle-t-il ?
Si c’est de moi, jamais ! Mais ça m’étonnerait que ça soit de moi…
Le 10/12/2018 à 17h31
Une référence interne ;)
Le 10/12/2018 à 17h32
Le 10/12/2018 à 17h33
Ça semble confirmer qu’un Fred, ça ne se tait pas. " />
Le 10/12/2018 à 17h57
D’autre, part, ces questionnaires sont-ils protégés par un secret ?
Secret (au sens du droit), je sais pas, mais en tout cas les révéler peut donner des infos aux concurrents de CSA – et du coup si les instituts de sondage risquent de voir leur savoir-faire divulgué chaque fois qu’ils répondent à un marché public, ils pourraient ou bien devenir plus exigeants niveau tarifs, ou bien réduire la qualité de leurs prestations.
Et comme des marchés publics pour des sondages il y en a dans beaucoup de domaines, pour le coup ce détail est peut-être une bonne idée. " />
Bon après c’est pas ça qui explique pas pourquoi j’ai eu à payer quasi 50% de RCP sur le disque externe (en promo) que j’utilise exclusivement pour mes sauvegardes " />
Est-ce qu’au moins ils remboursent les octets non utilisés ? hein ? … même pas… je suis sur que leur sondages oublient délibérément de demander au gens s’ils utilisent bien 100% de leurs disques " />
Le 10/12/2018 à 18h50
Le 10/12/2018 à 18h56
Le 10/12/2018 à 20h39
Merci pour la vidéo, elle devrait être diffusée plus largement " />
Le 10/12/2018 à 21h06
De ces lignes, on comprend que la Commission Copie privée a consulté par écrit la CADA afin de savoir si elle peut répondre à notre demande CADA. Nous allons évidemment émettre une demande CADA auprès de la commission pour avoir communication de cette demande de consultation auprès de la CADA. Kafkaïen.
La lectrure de ces lignes me rappelle une série de ma jeunesse : Les shadoks. " />
Le 10/12/2018 à 22h36
Y’a pas un pti lien vers la video en question qui traine a tout hasard?
:P
Le 10/12/2018 à 23h06
Si dans le message initial qui en parle.
Le 10/12/2018 à 23h57
Notre concurrent n’est pas l’Institut CSA, ni le ministère ni la Commission Copie privée, mais l’opacité.
" />
Le 10/12/2018 à 15h23
Nous allons évidemment émettre une demande CADA auprès de la commission pour avoir communication de cette demande de consultation auprès de la CADA. Kafkaïen.
" />" />" />
Le 10/12/2018 à 15h33
C’est pas kafkaien, c’est l’art de la bureaucratie française monsieur cocorico!! Décidément plus le temps passe et plus ça devient compliqué les demandes auprès de la CADA.
Le 10/12/2018 à 15h37
Au fait, pour ceux qui galèrent à comprendre ces histoires de redevance copie privée, allez voirla conférence de Marc pendant le Capitole du Libre 2018, c’était top " />
Le 10/12/2018 à 15h38