Au Conseil d’État, des fichiers « S » comme Silence
Un silence si lancinant
Le 04 mars 2019 à 15h40
6 min
Droit
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La formation spécialisée du Conseil d’État a rejeté le 27 février la requête d’un particulier qui souhaitait accéder aux données susceptibles d’être stockées dans cette base ou au moins faire réexaminer ce régime aux yeux du Conseil constitutionnel. Le même jour, un journaliste s’est heurté au même bloc, toujours devant cette juridiction.
Difficile en France de contester le régime des fichiers de sécurité. Si la journaliste Camille Polloni, a pu, après bien des batailles, faire effacer des données illégalement inscrites par la direction du renseignement militaire (DRM), tel n’est pas toujours le cas lorsqu’un requérant souhaite éprouver la conformité de l’édifice à la Constitution.
Le fichier des personnes recherchées (FPR) rassemble plus de 620 000 fiches actives. On y trouve l’identité de la personne, son signalement et parfois sa photographie, le motif de la recherche, et la conduite à tenir en cas de découverte.
Les fichiers S en sont un sous-ensemble. Ils rassemblent les personnes « faisant l'objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ».
Un droit d'accès indirect devant la CNIL
Comment exercer son droit d’accès à ces informations sensibles ? Comment savoir qu’on est ou non illégalement fiché dans un fichier de sûreté ? Selon l'article 41 de la loi de 1978, les citoyens doivent se tourner devant la Commission informatique et libertés. Si les données ne mettent pas en cause les finalités du fichier, elle peut décider que ces éléments sont communicables au demandeur, du moins avec le feu vert du ministère de l’Intérieur.
En cas de refus, même implicite, la décision peut alors être contestée devant une formation spécialisée de jugement au sein du Conseil d’État, conformément à l'article L. 773 - 8 du Code de la justice administrative. Celle-ci va alors s’appuyer sur les informations du fichier, sans toutefois les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement.
De fait, le demandeur n’est informé que de la seule présence de données personnelles inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées ou dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite. Il ne dispose jamais du détail puisque le ministère de l’Intérieur peut s'opposer à la communication d’informations qui risqueraient de porter atteinte à la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique.
Le secret est donc de rigueur d’autant que la juridiction se positionne au vu d’éléments qui lui ont été communiqués hors procédure contradictoire, sans que le requérant n’y ait accès.
Au final, si les données personnelles sont pertinentes, c’est-à-dire adéquates et proportionnées donc sans illégalité, ou si le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux, alors la demande est rejetée sans explication. Dans le cas contraire, le requérant est certes informé mais sans pouvoir prendre connaissance de ces éléments protégés par le secret de la défense nationale.
Dans un arrêt du 27 février 2019, le Conseil d’État a considéré que cette procédure ne portait pas atteinte au respect des droits de la défense, contrairement à ce que soutenait un requérant. « Les restrictions que ces mêmes dispositions apportent au caractère contradictoire de la procédure, notamment juridictionnelle, et à la protection du secret de la vie privée et familiale sont justifiées par la nécessité d'assurer la sauvegarde de la sécurité publique, de la sûreté de l'État et de la défense et, par voie de conséquence, de l'ordre public également garanti par la Constitution. »
En somme, selon la haute juridiction, les pouvoirs dont bénéficie la formation spécialisée, comme la possibilité de soulever d'office toutes les illégalités constatées et enjoindre à l'administration d’y mettre fin, « garantissent l'effectivité du contrôle juridictionnel (…) et ainsi le respect du droit à un recours effectif ».
Il a ainsi jugé que les questions prioritaires de constitutionnalité réclamées par le demandeur ne présentaient pas de caractère « sérieux », d’autant que le Conseil constitutionnel avait déjà ausculté un dispositif similaire lors de son examen de la loi Renseignement. (voir le point 86 de la décision).
Le journaliste Gaspard Glanz, fiché S
Sur son compte Twitter, Gaspard Glanz, journaliste et fondateur du site d’infos Taranis News, a également fait les frais de ce régime.
Un arrêt rendu le 27 février là encore, traite de sa tentative d’accès aux données de sa fiche S. Cette fiche fut découverte par hasard. Elle avait été versée au dossier par les policiers enquêteurs dans le cadre d’une procédure initiée suite à l’un de ses reportages dans la « jungle de Calais ».
Selon les mentions qu’on peut lire dans le document, les services du renseignement estiment que ce journaliste est « membre de la mouvance anarcho autonome (ou proche de la mouvance d’extrême gauche radicale) susceptible de se livrer à des actions violentes ».
L’intéressé avait poussé la logique jusqu’à l’absurde : réclamer communication d’informations que le ministère de l’Intérieur lui avait indirectement fournies précédemment. Il avait surtout sollicité la rectification de cette fiche, contestant être membre des mouvances signalées ou « susceptible » d’actions violentes.
En octobre 2017, la CNIL lui avait répondu avoir réalisé les vérifications demandées, sans plus d’information. Le journaliste avait alors attaqué le refus, révélé par cette réponse, du ministère de l’Intérieur de lui ouvrir accès.
Dans son arrêt, le Conseil d’État a expliqué que l’examen non contradictoire des pièces n’avait révélé aucune illégalité, « notamment aucune méconnaissance du droit au respect de la vie privée du requérant ». Et celui-ci de rejeter sans plus de détail la demande du journaliste qui se retrouve désormais démuni de toute action.
Ou presque. Mécontente de n’avoir pu connaître l’ampleur de son fichage ni les raisons exactes, la journaliste Camille Polloni a saisi en juillet 2017 la Cour européenne des droits de l’Homme, qui devrait donc être amenée à examiner la conformité de ce régime avec le texte du 4 novembre 1950.
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Un droit d'accès indirect devant la CNIL
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Le journaliste Gaspard Glanz, fiché S
Commentaires (38)
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Abonnez-vousLe 04/03/2019 à 21h31
Juste pour info, aucune information n’est objective. Seuls le recoupement des sources et la multiplication des points de vue donnent un relatif aperçu d’un fait.
Le seul moment où on observe un “fait” dans son ensemble, c’est en lisant un résultat mathématique, encore que… même une étude statistique est sujette à interprétation. Ce qu’ignorent visiblement les médias “mainstream” ou “généralistes” (adoptez le qualificatif qui vous sied le mieux).
En d’autres termes, si un point de vue ne vous intéresse pas, ne le lisez pas. Et si un point de vue vous offusque, interrogez vous sur vos opinions personnelles.
Le 04/03/2019 à 22h19
Le 04/03/2019 à 23h06
Parce que vous, en prenant des exemples qui vont dans votre sens, vous n’avez pas de parti pris ? Arrêtez de dire que vous n’aimez pas le parti pris.
Continuez à regarder les médias qui vous font plaisir, mais vos attaques contre “l’indépendance” journalistique, je vous le dis franchement une fois pour toutes, sont fortement dépendantes de vos convictions personnelles. Sinon vous seriez plus impartial dans vos commentaires.
Expliquez-moi seulement pourquoi vous en avez autant au mot “indépendance” et pourquoi vous commentez à chaque article de Marc Rees avec les mêmes reproches, en utilisant les mêmes méthodes (utiliser un exemple qui va dans votre sens pour conclure un truc qui a l’air de vous démanger les méninges) ? C’est une vraie question : personnellement j’en aurais tellement marre de raconter mon aigreur qu’il y a longtemps que je serais passé sur un autre média. Merci de me répondre à cette question (mais si vous ne le faites pas, je vous laisserais quand même tranquille à l’avenir, j’ai d’autres problèmes dans la vie que de m’intéresser éternellement à vos propos).
Le 04/03/2019 à 23h18
Le 04/03/2019 à 23h28
Le 05/03/2019 à 06h39
ça me semble plus cohérent " />
Le 05/03/2019 à 06h44
Le 05/03/2019 à 08h00
Le 05/03/2019 à 08h03
Le fait que le fichier S soit utilisé comme justificatif pour appuyer gonfler une enquête à charge sans que le citoyen n’ait la possibilité de savoir ce qui lui est reproché ou de pouvoir réfuter les faits, est une atteinte monstrueuse au droit de la défense.
On ne peut pas tolérer que l’état mette sur la table des preuves secrètes. Dès que l’état décide d’utiliser un document secret pour influencer une décision de justice, il devrait être totalement accessibles à la défense.
Sinon, après, ce sera quoi? Tribunal secret? Peine d’emprisonnement secrète ? Exécution secrète ?
Si l’état calomnie, porte atteinte à la réputation, à la liberté, et est en droit d’invoquer le secret pour ne pas avoir à prouver ses dires, on est juste face à un état indigne, et certainement pas démocratique.
Le 05/03/2019 à 08h22
Le 05/03/2019 à 09h09
Le 05/03/2019 à 09h20
Le 05/03/2019 à 09h39
Oui et non. Plusieurs études sérieuses sont en train de mettre en lumière le fait que supprimer les contenus “problématiques” sur le net sansréfléchir (discours de haine et même terrorisme, par exemple), c’est plutôt contreproductif.Garder un œil sur certaines personnes à la vue de tous, c’est parfois plus efficace.Le risque en supprimant et en fermant sans réfléchir, c’est que les genss’enfoncent dans la clandestinité.En plus, laisser certains bas du front “s’exprimer” est souvent préférable: ils déversent leurs bêtises et ça leur sert d’exutoire. Tu les censures, tules renforces.Mais on est d’accord que c’est un sujet délicat.
Le 05/03/2019 à 09h41
(une petite édition pour enlever le bout de CSS qui s’est incrustée en début de commentaire, s’il vous plaît…?)
[Edit] - (déjà fait… merci " /> - et désolé pour le hors sujet)
Le 05/03/2019 à 09h41
Fait :)
Le 05/03/2019 à 10h00
Le 04/03/2019 à 16h02
Les fichiers S en sont un sous-ensemble. Ils rassemblent les personnes “faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat, dès lors que des informations ou des indices réls ont été recueillis à leur égard”.
HAHAHA, la bonne blague….
Mon père s’est acheté un fusil de chasse (un Mauser, à verrou et avec lunette de visée). Le vendeur a vérifié qu’il n’était pas fiché S (il avait déjà refusé 3 clients comme ça).
Il lui a raconté qu’un client, suite à un cambriolage au cours duquel il a frappé le voleur avec une planche de bois, s’est vu intégré à ce fameux fichier S !!! Voilà la réalité en France !!! Résultat ? Obligé de revendre toutes ses armes…
Et j’en ai une autre… Les armuriers ont un listing de toutes les armes volées en France… un listing, papier, pas un fichier informatique hein…
Le 04/03/2019 à 17h17
Je croyais que la fiche “S” était quelque chose de géré par la DGSI (surtout côté anti-terrorisme), qui est un service distinct de la police et dont le côté secret (ou très discret) est gage de son efficacité. Le fait que de nos jours on sache facilement que tel ou tel type est fiché “S” n’est pas normal, et l’efficacité du principe de surveillance (S = Surveillance) tient aussi au fait que la personne ne sait pas qu’elle a été repérée comme à surveiller.
Le 04/03/2019 à 17h25
Etre dans un fichier S, pour un journaliste, vaut-il mieux qu’une carte de presse ? Je ne sais pas, je demande vu que maintenant, les locaux d’un organe de presse peuvent faire l’objet d’une demande de perquisition sur les lieux mêmes à visiter.
Le 04/03/2019 à 17h35
“S” pour “Sûreté de l’État” (ou pour “Sécurité publique”) selon la définition dans l’article ci-dessus ou encore selon cet autre article ou cet autre article.
Le 04/03/2019 à 17h38
Le 04/03/2019 à 17h42
Cachez moi ce S que je ne saurais voir. " />
Le 04/03/2019 à 19h15
Je pense que votre vendeur d’armes est un peu mytho et qu’il a confondu deux fichiers…
Seuls la police, la gendarmerie et les douaniers ont accès au ficher FPR, où sont répertoriés les fichés S.
Par contre, de par sa professsion, il a sûrement accès au fichier AGRIPPA (application de gestion du
répertoire informatisé des propriétaires et possesseurs d’armes) qui lui permet de savoir si éventuellement une personne a été condamnée à une interdiction de port d’arme.
Rien à voir avec les fichés S…
Le 04/03/2019 à 20h55
Juste pour info, journaliste indépendant ne veut pas forcément dire journaliste factuel.
Minute et Le canard enchainé sont tous les 2 indépendants, pourtant on ne peut pas vraiment dire que le relai de l’information soit la même.
Voici un exemple du travail du journaliste “indépendant” qui est poussé en avant par la rédaction de NXi.
On est très loin d’un relai d’information impartial et factuel. Pour autant et contrairement à NXi je ne connais pas du tout ce journaliste.
Mais effectivement on peut préjuger que nous vivons dans une dictature et que le Conseil d’Etat n’est que le bras armé de celle-ci… ou pas.
Le 04/03/2019 à 21h03
Merci Slyfennec, j’allais poster la même chose.
Le principe d’une personne fiché S, c’est qu’elle ne doit pas le savoir car ça pourrait influencer son comportement.
Si elle va acheter une arme, elle le découvrirait " />
@OlivierJ, le “fichier S” c’est très généraliste.
C’est juste pour si les policiers contrôlent la personne par hasard, ils doivent remonter les infos plus haut.
“Mr X a été contrôlé lors d’un contrôle d’alcoolémie, ce dimanche 22h04 a coté du parking du franprix rue untel dans une telle ville”
C’est utile pour voir si par exemple un zadiste est contrôle dans une zone qui n’est pas son domicile ni une ZAD. La DGSI peut se demander “Il fait quoi? nouvelle ZAD? réunion anarchiste dans le coin? “
Le 04/03/2019 à 21h23
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la fiche S sans jamais oser le demander se trouve ici :
http://www.senat.fr/rap/r18-219/r18-2191.pdf
Le 05/03/2019 à 10h10
Le 05/03/2019 à 10h12
Le 05/03/2019 à 12h03
La presse est, dans tous les cas, dépendante de son financement : le magnat qui la possède, les publicitaires, la sphère politique via subventions, son lectorat pour la presse payante… Ce faisant, elle est forcément soupçonnable de caresser son financeur dans le sens du poil, et donc d’être partiale.
Ou alors elle est bénévole, mais un fort investissement bénévole étant généralement lié à un certain militantisme, c’est pas dit que ça aide à l’objectivité.
Forcement quand c’est le lecteur qui est caressé dans le sens du poil (la presse auto-proclamée indépendante me semble souvent être celle qui essaie de se faire financer principalement par son lectorat) , ça le fait moins gueuler, mais est-ce pour autant mieux en terme d’objectivité de l’info? c’est pas dit.
Je dis ça sans jugement négatif, personne n’est objectif, l’important c’est d’assumer.
Du coup je suis paradoxalement plus en confiance en lisant un article sur contrepoints ou dans l’humanité que chez un journaliste ‘indépendant’, parce qu’eux ont une ligne éditoriale clairement assumée (et affichée), je sais sous quel prisme les lire, de quels biais je dois me méfier. Celui que ne me dit pas d’où il vient, je ne sais pas trop sur quel point il va le ma faire à l’envers, du coup je me sens plus susceptible de tomber dans le panneau.
Le 05/03/2019 à 13h11
Il y aura toujours des biais dans la presse, toujours des risques que sur l’une ou l’autre thématique on ait un conflit d’intérêt ou un biais politique…
Dans l’ensemble, Il n’y a rien de mal à vouloir se faire financer par ses lecteurs, c’est l’essence même d’une bonne pratique commerciale, ça reste un des meilleurs moyens de rester indépendant et de ne pas devenir le produit de quelqu’un d’autre, et ça reste beaucoup moins vulnérable aux influences externes que de fonctionner avec des dons par exemple.
Sinon c’est amusant que tu cites L’humanité et Contrepoint… pour se faire une opinion, c’est un peu comme mesurer la température de la cafetière et de la cuvette des toilettes pour savoir si l’eau du bain est assez chaude (je laisse à ta libre interprétation lequel des deux j’imagine dans le rôle de la cafetière)
Le 05/03/2019 à 14h04
J’ai volontairement pris deux exemples à la fois très orientés et très assumés dans leur orientation. Ça ne veux pas dire que je base mes opinions exclusivement sur ces deux-là " />
Par contre je suis d’avis qu’il n’y a (presque) pas de mauvaise opinion à lire, et qu’on a beaucoup à apprendre dans la compréhension des opinions des gens avec qui on n’est pas d’accords. Y compris des extrêmes, quand ceux-ci prennent la peine de présenter clairement et d’argumenter leurs idées.
Le 05/03/2019 à 19h24
Le 05/03/2019 à 19h37
Le 05/03/2019 à 20h09
Le 06/03/2019 à 01h16
Le problème de ces fiches S c’est que c’est réalisé en roue libre, hors du champ de la justice.
Pourtant les privations de libertés qui en découlent sont réelles (et pas sans conséquences).
Et ce que soulève cet article c’est qu’il est impossible de contester ce fichage.
C’est terrifiant à bien y penser…
Et on a déjà des illustrations du pire : des journalistes sont fichés en raison de leur orientation politique présumée (ce qui n’est pas encore un crime, surtout sans preuve factuelles…).
Le 06/03/2019 à 08h19
Le 06/03/2019 à 08h37
Je continue à chercher le rapport entre une fiche d’information et le casier judiciaire.
Le 06/03/2019 à 11h05