Directive droit d’auteur : pas de blocage mais une forme de filtrage, assure Emmanuel Macron
La queue, coucou
Le 28 mai 2019 à 08h01
8 min
Droit
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Une fois mis en œuvre l’article 13 de la directive sur le droit d’auteur (devenu article 17 au fil des débats), le chef de l’État a promis qu’il n’y aurait pas de « blocage » des contenus. Pas de blocage, mais « une forme de filtrage », a-t-il nuancé.
Au fil des débats parlementaires avant l’adoption de la directive, le mot « filtrage » n’a été utilisé que par les opposants pour en souligner les dangers pour la liberté d’expression, et par les partisans pour soutenir que cette technique n’existe pas dans le marbre de la loi européenne.
« La directive interdit explicitement toute forme de filtrage généralisé, contrairement aux mensonges qui ont été propagés. Et qui ont inquiété y compris nos jeunes » avait par exemple exposé Jean-Noël Tronc sur PublicSenat.
« L’article qui renforce les obligations des grandes plateformes commerciales de contenus partagés exclut tout filtrage généralisé et ne concerne pas des services comme Wikipedia » répétait le même, cette fois dans le Figaro.
Le secrétaire général de la Sacem, David El Sayegh avait également porté cette belle parole dans les colonnes des Échos, média dirigé par Pierre Louette, chaud partisan du texte : « la directive droit d'auteur n'aboutira pas à un filtrage généralisé ».
Dans le même temps, la SACEM n’hésitait pas à dénoncer la campagne d’ « intox » contre la directive, en tapant sur les doigts de Google/YouTube.
D’autres ont repris ce même message : la directive sur le droit d’auteur « n'exige pas un filtrage systématique des contenus, mais une protection des œuvres pour lesquelles les auteurs auront fourni des informations adéquates » nuançait, avant le vote, l’ADAGP, une société d’auteurs des arts visuels (peinture, sculpture, photographie, bande dessinée, jeunesse, design, graffitis, architecture, ...)
L’an passé, l’eurodéputée Virginie Rozière claironnait que cet article 13/17 n’avait pas vocation à organiser le filtrage, mais à obliger uniquement les grandes plateformes à rémunérer les auteurs. Citons encore Sylvie Fodor, lobbyiste de l’industrie culturelle qui s’était moquée de ceux qui avaient imaginé l’existence d’un filtrage « à la chinoise », selon son résumé, dans la directive.
Les « meilleurs efforts » pour filtrer sans dire filtrage
Il y eut parfois des petits incidents, par exemple lorsque l’eurodéputé Jean-Marie Cavada avait applaudi à l’occasion d’un vote intermédiaire « le filtrage automatique des contenus mis en ligne ». Mais l’ancien présentateur télé avait discrètement supprimé son tweet.
Notre schéma présentant l’article 13/17 avait eu le malheur d’utiliser cette vilaine expression, il fut évidemment contesté par des lobbyistes des sociétés de perception.
Il est vrai que la directive n’utilise pas le mot « filtrage », mais cette solution dégouline de chacune des lignes.
Qu’on en juge. Les plateformes commerciales d’hébergement concernées devront fournir « leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l'indisponibilité d'œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires ». De même, elles devront fournir « leurs meilleurs efforts pour empêcher qu'ils soient téléversés dans le futur ».
Empêcher l’apparition (la disponibilité) ou la réapparition (le téléversement dans le futur) d’un contenu à partir d’une base de données peut se faire selon divers moyens : du traitement manuel au filtrage automatisé. Mais comme les intermédiaires doivent suivre les « normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle », il n’est pas sûr qu'un traitement artisanal puisse prospérer devant un juge lorsque viendra le temps des contentieux.
La même technique de camouflage avait été utilisée durant les débats Hadopi, à l’occasion de l’adoption du futur article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle . Franck Riester, alors rapporteur, résumait l’épisode en 2009 : « Les sénateurs ont supprimé (…) la possibilité pour le président du tribunal de grande instance d’ordonner aux opérateurs un filtrage des contenus dans le but de mettre un terme à toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle occasionnée par le contenu d’un service en ligne. Cette initiative est apparue d’autant plus appropriée, que le contenu du nouvel article L. 336 - 2 du code de la propriété intellectuelle offrira suffisamment de latitude à l’autorité judiciaire pour parvenir au résultat souhaité ».
Le filtrage non généralisé est plébiscité
Certes le texte adopté indique expressément que l’article 15 de la directive de 2000 sur le commerce électronique devra être respecté par tous les États membres à l’occasion de la transposition. Et cet article vieux de 19 ans interdit justement le filtrage généralisé. Seulement – et les sociétés de perception et leurs lobbyistes le savent bien – cette prohibition a été interprétée très précisément par la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans deux dossiers de 2011 et 2012, elle a expliqué que le droit européen s’opposera toujours à une injonction faite par un juge national de mettre en place un système de filtrage :
- des informations stockées sur ses serveurs par les utilisateurs de ses services
- qui s’applique indistinctement à l’égard de l’ensemble de ces utilisateurs
- à titre préventif
- à ses frais exclusifs
- sans limitation dans le temps
Voilà donc le filtrage généralisé interdit en Europe. A contrario, il suffit qu’un seul de ces critères manque pour que les sociétés de perception puissent espérer passer entre les gouttes. C'est ce petit détail que les industries culturelles ont oublié de rappeler dans leurs différentes sorties publiques..
Au final, taire le gros mot du filtrage a permis aux partisans de la directive de présenter ce véhicule sous son meilleur jour, soutenir que jamais la liberté d’expression ne serait menacée, que ce texte serait concentré sur la seule rémunération des pauvres créateurs face aux sanguinaires GAFA qui dépensent des millions d’euros en lobbying à Bruxelles.
Et cela a fonctionné. La directive a été adoptée par le Parlement européen fin mars puis, en avril, par les États membres réunis au sein du Conseil de l’Union européenne.
Libéré, délivré du vote
L’heure est aujourd’hui à la transposition. Et désormais la parole se libère comme par enchantement. Dès le 25 avril, le gouvernement a considéré avec aplomb que l’article 13/17 aboutira à des « avancées majeures », notamment parce que « les plateformes de diffusion en ligne devront filtrer les publications mises en ligne pour s’assurer qu’elles ne contiennent pas des œuvres protégées ».
Vendredi dernier, questionné sur la chaîne HugoDecrypte près d’une heure durant, Emmanuel Macron a tenu à rassurer les YouTubers : avec cette directive, « il n’y aura pas de blocage, mais il y a une forme de filtrage » (43’49 de la vidéo). Des contenus passeront donc entre les griffes du filtrage, d’autres moins…
Sur le blocage, il a cru bon dénoncer l’ « intox » des grandes plateformes, taisant les postures passées des sociétés de gestion collective. Selon lui, il est en tout cas impossible de ne pas changer de cap, parce que sinon, « on va tuer les auteurs, on va tuer les journalistes ».
Le chef de l’État a indiqué ce qu’il attendait de cette directive : le rêve d’« organiser notre Internet pour que ce soit un peu comme la plus grande librairie du monde ».
Aujourd’hui, « c’est une formidable librairie, mais personne n’achète de livre », croit-il. « Il ne faut pas bloquer, mais il faut filtrer pour pouvoir avoir une juste rémunération », a-t-il insisté encore avant de plonger plus en profondeur dans cette comparaison brumeuse : « pas de blocage, mais un filtrage le plus rapide possible pour ne pas qu’il y ait de queue à la caisse, mais qu’on passe quand même à la caisse quand on va chez le libraire ».
Résumons l’article 13/17 : pas de filtrage généralisé, mais un filtrage ultra rapide, sans blocage, un peu comme si on désengorgeait les queues à la caisse afin de faire d’Internet la « plus grande librairie du monde ». Les YouTubers sont rassurés.
Directive droit d’auteur : pas de blocage mais une forme de filtrage, assure Emmanuel Macron
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Les « meilleurs efforts » pour filtrer sans dire filtrage
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Le filtrage non généralisé est plébiscité
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Libéré, délivré du vote
Commentaires (44)
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Abonnez-vousLe 01/06/2019 à 10h30
Prendre des risques c’est une chose.
Être tué par une grenade explosive lancée par les forces de l’ordre - AMHA ça dépasse toutes les bornes.
Le 28/05/2019 à 08h21
Ah c’est “marrant” (admirez ces guillemets, ils sont splendides, n’est-ce pas ?), la différence entre le mot anglais library (qui veut dire bibliothèque) et le mot français librairie prend tout son sens dans les mots de Monsieur Macron…
Le 28/05/2019 à 08h41
Dommage que macron (oui, petit “m” pour un petit président) pense “librairie” où on pourrait penser “bibliothèque”. Mais les copains lobbyistes de l’édition sont puissants… et généreux avec leur poulain.
Le 28/05/2019 à 08h47
Comment s’appelle ce jeu de société où il faut faire deviner un mot, sans avoir le droit de le dire, ni d’utiliser certains mots qui sont présents sur une carte donnée au joueur ? Ça me fait furieusement penser à cela.
Le 28/05/2019 à 08h48
Bien vu le faux-ami anglais!
Une librairie c’est payant pourquoi toujours penser Internet du point de vue économique. Après c’est un ancien ministre de l’économie, …
Le 28/05/2019 à 08h49
Taboo édité par Hasbro
Le 28/05/2019 à 08h52
J’ai moyennement confiance : un filtrage reste un filtrage !
Le 28/05/2019 à 08h59
Merci pour l’article même si j’ai de l’urticaire rien qu’en voyant la tête de Macron sur le site " />
Le 28/05/2019 à 09h06
Ah oui, merci ! " />
Le 28/05/2019 à 09h13
C’est à se demander comment ce sera compatible avec l’arrêt C-70⁄10 de la Cour de justice de l’Union européenne :http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=115202&am…
Le 28/05/2019 à 09h37
Donc on filtre, sans bloquer. Pas mal. " />
Donc il mange sans manger, il boit sans boire, et surtout, il dit de la merde sans en dire.
Le 28/05/2019 à 09h40
Ceci n’est pas une pipe " />
Le 28/05/2019 à 09h44
Et surtout un ancien de chez Rothschild. Mais ça, c’était avant, il est tout dévoué à la cause du peuple maintenant, nan ?
Le 28/05/2019 à 09h53
« organiser notre Internet pour que ce soit un peu comme la plus grande librairie du monde ».
Non merci, je préfère qu’elle reste une bibliothèque, où tous les livres sont librement accessibles, voire empruntables.
Le 28/05/2019 à 10h02
Y’en a certains qui doivent faire une attaque en voyant les gens exprimer leur « amour » de Macron de cette façon… T’es pas le plus malheureux :p
Bon sinon… J’ai pas pu aller au bout de cette interview. J’ai fait une saturation de bullshit + langue de bois + foutage de gueule au bout de 5 minutes. J’suis quand même content, j’tiens pas autant en apnée. On voit que le p’tit gars essaye de déstabiliser Macron mais bon… il est ignoré ; le caquet rabattu sans peine et sans effort. On choisi pas ses interviewer par hasard.
Cependant, je suis agréablement surpris de voir un président interviewé en direct (ou semi-direct, plutôt) sur une chaîne YouTube. J’vais pas le féliciter pour ça (le président), vu la prestation et les propos qu’il a tenu. Le gars est aussi crédible qu’une prostituée trans déguisée en none taillant des pipes au bois de Boulogne, mais il continue, sans transpirer. Faut pas avoir d’amour propre ou bien faut des cojones en béton armé.
Le 28/05/2019 à 10h39
Le 28/05/2019 à 12h09
Le 28/05/2019 à 12h23
Le 28/05/2019 à 12h44
C’est beau tous ces efforts afin que la culture ne soit pas trop partagée. Ça me donne la larme à l’œil !
Que ceux qui n’ont pas les moyens restent ignares. C’est après tout de leur faute si ils sont pauvres, ils n’avaient qu’à mieux naître. C’est à la portée de tout le monde, les exemples ne manquent pas
Le 28/05/2019 à 12h56
Le 28/05/2019 à 13h43
“On ne va pas tuer, on va juste faire arrêter de vivre”, donc.
Le 28/05/2019 à 13h45
Le 28/05/2019 à 15h41
ça sert aussi à priori à définir son activité et son allégeance seulement par le fait qu’il ait travaillé pour un de ses employeurs.
Le pauvre, il a déjà assez de difficultés comme ça pour qu’on lui en invente des supplémentaires.
En plus, ses actes en tant que président donnent bien suffisamment de raisons de le trouver mauvais sans qu’il soit nécessaire d’en aller jusqu’à devoir utiliser uniquement ce genre de base très faible.
Le 28/05/2019 à 15h45
« Il n’y aura pas de blocage, mais il y a une forme de filtrage » à posteriori, donc du blocage…
Ahhh, langue de bois, quand tu nous tiens…
Le 28/05/2019 à 16h25
Le 28/05/2019 à 17h19
Le 28/05/2019 à 20h27
Le 29/05/2019 à 07h15
Mais c’est quoi c’est argument qui pue ? A-t-il eu des conflits d’intérêts avec Rotschild en particulier ? A-t-il fait bénéficier son ancien employeur de mesures spécifiques ? Si je suis élu et que ne parle pas et n’agis pas pour IBM une seule fois dans mon mandat, où est le problème ?
Bizarrement quand c’est le patron de biocoop qui se faire élire sur la liste EÉLV (Claude Gruffat), personne n’a rien dit. Et là pour le coup, c’est quand même plus grave.
C’est juste que vous détestez les banquiers sans aucune raison (en tout cas, aucune raison avouable….) et que ça vous retourne le bide de voir un élu qui est passé par là. Il faut se faire soigner si c’est ça.
Le 29/05/2019 à 07h23
Le 29/05/2019 à 07h27
Tu n’a jamais pensé que ta «conseillère bancaire» était une employée de banque(ier) et non une banquière ?
Le 29/05/2019 à 07h37
Le 29/05/2019 à 09h51
Le 29/05/2019 à 10h52
Le 29/05/2019 à 11h03
Le 29/05/2019 à 12h25
Le 29/05/2019 à 12h25
« c’est une formidable librairie, mais personne n’achète de livre »
Si, c’est possible et ça existe, ça s’appelle une bibliothèque M. Macron.
Il est, encore, possible de consulter des livres sans avoir besoin de les acheter, dans ce bas monde.
Quelle mauvaise foi et quels mensonges quand même.
Le 29/05/2019 à 12h34
Le 29/05/2019 à 13h58
UN fait divers pour illustrer ton propos bancal,
Nous voilà très proche du caniveau. " />
Le 29/05/2019 à 14h35
Je dis que la haine des banquiers a fait au moins un mort en France, sans compter nombre d’agences saccagées. C’est factuel. Haïr son prochain n’est jamais une bonne chose.
Le 29/05/2019 à 16h52
Que la mort te fasse peur d’accord, mais cela reste un fait divers.
Il y a aussi eu des vitrines de boucher saccagées, veux-tu, dans un bel amalgame, interdire les veganes aussi ?
Quand à «Haïr son prochain n’est jamais une bonne chose. » je suis évidemment d’accord, mais je ne pense pas que fermer le plus possible une cocotte minute l’empêche d’exploser (il me parait bien plus sage de baisser le feu).
Cause / conséquence, tant de gens se vautrent dans la facilité de l’amalgame…
Le 30/05/2019 à 09h08
Le 30/05/2019 à 11h40
Le 31/05/2019 à 15h57
Vital Michalon, Rémi Fraisse, Zineb Redouane - on arrête quand les frais ?
Le 01/06/2019 à 05h56
Je pense que le jours ou il y à aura une vrai vidéo alors les frais seront arrêtés. Actuellement le gros problème à cause des grenades / lbd c’est que le publique répète en boucle toujours la même chose, “ tu n’avais qu’a rester chez toi au lieu de prendre des risque à manifester “, et maintenant ça tend carrément à un ” bien fait putain de casseur “. Le truc c’est que personne ne va vouloir volontairement aller au casse pipe donc il va falloir encore attendre longtemps avant d’avoir une vrai vidéo.
Au final la question ce résume à “est t’il normal de prendre un risque à manifester ?”. La réponse est surement non et il ont devrait un peu regarder comment ça ce passe ailleurs et comment ils arrivent à manifester sans violence. A étudier aussi comment ils ont fait pour supprimer la violence si ils en ont eu et que maintenant il y en a plus.
Parce qu’en fait la violence dessert les politiciens, il suffit de laisser trainer les choses et au bout de quelques semaines ils ne reste plus que les manifestant hardcore et les casseurs…
Alors c’est quoi une vrai vidéo ? C’est genre une vidéo de jean michu, qui ce film du petit déjeuné jusqu’a la manifestation sans coupure et qui d’un coup hop perdra un oeuil / la vie sans avoir rien fait de mal à personne. Ce qui permettra par la suite via un montage de démontrer avec certitude qu’il était à 200% innocent.