Échec de la mission Vega VV15 : les causes probables connues, retour en vol en 2020
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Le 06 septembre 2019 à 14h10
8 min
Sciences et espace
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Il faut bien une première à tout, mais l'Agence spatiale européenne et Arianespace se seraient bien passées d'un premier échec sur son lanceur léger Vega. Après presque deux mois, la Commission d'enquête rend son rapport et émet des recommandations avant un retour en vol au premier semestre 2020.
Le 10 juillet à 22h53 heure locale, après de multiples reports pour cause de la météo, le lanceur léger Vega d'Arianespace était prêt à partir sur le pas de tir de Kourou en Guyane française. « 3..2..1.. Top. Allumage P80 [premier étage de la fusée Vega, ndlr] et décollage VV15 avec FalconEye 1. La propulsion du P80 est nominale », le début de la mission se déroule sans la moindre anicroche.
Deux minutes après le décollage, le centre de contrôle annonce : « séparation du P80, allumage du Zefiro 23 [le second étage, ndlr] La propulsion du Zefiro 23 est nominale ». Mais rapidement la courbe de la trajectoire de la fusée est différente de celle prévue pour la mission.
« la trajectoire n'est pas normale »
Le centre de contrôle ne fait alors aucun commentaire durant son live, jusqu'à un timide « la trajectoire n'est pas normale [...] trajectoire dégradée du Zefiro 23 ». S'en suivent l'annonce de la séparation du second étage et de l'allumage du troisième étage Zefira 9, mais avec « une trajectoire toujours dégradée [et] une perte de l'accélération ».
La mission ne remplira jamais son objectif. La fusée et son chargement, un satellite de télécommunication FalconEye1, sont définitivement perdus. Luce Fabreguettes, directrice exécutive adjointe d'Arianespace, prenait la parole durant la retransmission pour expliquer qu'une « anomalie majeure » a « abouti à la perte de la mission ». Elle a également présenté ses excuses à ses partenaires.
Pour Jean-Yves Le Gall, président du CNES, « cet échec de Vega nous rappelle une fois encore que nous faisons un métier difficile, où la frontière entre le succès et l’échec est extrêmement ténue. Il est d’autant plus inattendu qu’il intervient après 14 succès qui avaient démontré la maturité de ce système de lancement ».
Dans les heures suivantes, une Commission d’Enquête Indépendante (CEI) coprésidée par l’inspecteur général de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et le directeur technique et qualité d’Arianespace a été mise en place. Elle vient de rendre ses conclusions et formule des recommandations pour la suite des opérations.
Cause de l'incident : une « défaillance thermo-structurale »
Arianespace n'avait pas attendu ce rapport pour procéder à un lancement, mais avec une fusée Ariane 5 dans sa version ECA cette fois-ci : VA-249. Ce fut un succès avec la mise en orbite de deux satellites de télécommunications (Intelsat-39 et EDRS-C). Interrogé par Guyane la 1ère, Luce Fabreguettes explique que « c'est la Commission elle-même qui nous a donné l'autorisation de lancer Ariane 5, sachant ce qu'elle voit des analyses et ce qu'elle connaît de ce qui s'est passé sur Vega à ce stade ».
Hier, la Commission d'enquête indépendante a présenté la conclusion de ses travaux. Elle s'est évidemment basée sur l'ensemble des mesures du vol de VV15, sur l'historique des données des autres missions Vega outre des investigations effectuées sur les sites de production et d'exploitation.
Elle « a identifié une défaillance thermo-structurale dans le dôme avant du moteur Zefiro 23 comme étant la cause la plus probable de l’anomalie ». D’autres pistes, « comme un déclenchement intempestif de la chaîne de neutralisation du Zefiro 23, ont été jugées improbables ». Dans tous les cas, aucun indice ne permet de penser qu'il puisse s'agir d'un acte malveillant.
La chronologie des quelques minutes du vol
La chronologie des faits confirme ce que l'on avait pu entendre et voir durant le direct, avec plus de précision : « Le fonctionnement du premier étage P80 a été nominal ; tous les paramètres étaient nominaux et conformes à ceux des précédents vols [...] La phase d’allumage et de propulsion du Z23 a été nominale durant les premières 14 s 25ms et tous les paramètres étaient nominaux et eux aussi conformes aux précédents vols ».
L'incident se produit très exactement 130 secondes et 850 millième après le décollage : « un évènement soudain et violent se produit au niveau du moteur Z23. Cet évènement entraîne la rupture du lanceur en deux parties principales : le moteur Z23 et un ensemble composé de la coiffe, du satellite, de l’adaptateur de vol, de l’AVUM, et de l’étage Zefiro 9 (Z9) ».
La trajectoire de l’ensemble supérieur commence alors à dévier par rapport à la trajectoire nominale, comme on pouvait le voir sur le graphique lors de la retransmission en direct. La suite suit la procédure en pareille circonstance : à 213 s 660ms, soit à peine 80 secondes après la rupture du lanceur, « un ordre de neutralisation est émis par les responsables de la sauvegarde vol, dont l’exécution est confirmée par l’analyse des données de télémesure ».
5mn 15 s après le décollage, « les données de télémesure et les signaux du lanceur ne sont plus reçus par les stations télémesure et radar au sol ». La Commission affirme enfin que « la mission a pris fin prématurément sans causer aucun dommage ni aux biens ni aux personnes »... pas sûr que les Émirats arabes unis soient du même avis pour leur satellite FalconEye 1.
En vert la courbe nominale, en jaune la trajectoire réelle
Retour en vol en 2020, après des actions correctives
Suite à ces observations, la Commission d'enquête propose « un plan de vérification exhaustif de ses constats, comprenant des analyses détaillées complémentaires et des essais [et] un ensemble d’actions correctives portant sur l’ensemble des sous-systèmes, des processus et des équipements concernés ».
Bref, pas un grave problème au niveau de la conception et/ou des pièces mécaniques, mais des vérifications plus en profondeur. Arianespace devra néanmoins suivre ces recommandations à la lettre pour obtenir un retour en vol de Vega « dans toutes les conditions de fiabilité requises au cours du premier trimestre 2020 ».
Concernant l'avenir de Vega C (une nouvelle version de Vega en préparation), Luce Fabreguettes est optimiste : « Vega C est en préparation, aujourd'hui on est plutôt sur un début des activités en fin d'année, mais en vue d'un lancement au printemps (fin du premier trimestre, tout début du deuxième trimestre 2020) ».
15 lancements depuis 2012, un premier échec, quid des autres lanceurs ?
C'était le 15e lancement d'une fusée Vega et le premier échec après 14 succès consécutifs. Il ne vole pas énormément puisqu'il est à deux missions par an en moyenne. Cela reste un coup dur, qui plombe les statistiques du lanceur européen léger (Ariane est la version lourde, Soyouz la version intermédiaire) : le taux de réussite n'est plus que de 93,33 %.
À titre de comparaison, Ariane 5 a été utilisée 105 fois, avec cinq échecs (V-101, V112, V-142, V-157 et VA-241), soit un taux de réussite brut de plus de 95 %. Quatre d'entre eux datent d'avant 2003, tandis que le dernier s'est déroulé en 2018 et il ne s'agissait que d'un échec partiel avec les satellites SES-14 et Al Yah 3.
Ils ont en effet été déposés à la bonne altitude, mais pas avec la bonne inclinaison. Les deux satellites ont tout de même pu se remettre sur l'orbite visée, mais ils ont consommé du carburant pour cette opération, et ainsi diminué leur durée de vie. La faute n'était même pas imputable à la fusée en elle-même : « il s’avère qu’Ariane 5 a parfaitement fonctionné, suivant scrupuleusement son plan de vol… sauf que ce dernier était en partie faux ! En effet, en raison des impératifs de la mission, les 2 centrales inertielles du lanceur ont été calées sur un azimut à 70° au lieu de 90°. Mais ce changement n’a pas été répercuté sur les autres paramètres de vol », explique la Cité de l'espace.
Malgré quelques couacs retentissants – explosion en 2018, une autre en 2016, des satellites Galileo sur de mauvaises orbites en 2014, etc. – Soyouz enchaîne un nombre impressionnant de missions, notamment pour le ravitaillement de la Station spatiale internationale. Au dernier décompte, la fusée en est à son... 1 910e vol, le dernier datant du 22 août.
De son côté, SpaceX a 75 lancements à son actif, dont deux échecs cuisants : la mission de ravitaillement CRS-7 de l'ISS en 2015 et Amos-6 en 2016 qui n'a même pas eu l'occasion de décoller puisqu'elle a explosé durant le remplissage des réservoirs. Depuis la société enchaîne les succès, y compris pour la récupération et la réutilisation du premier étage.
Le 06 septembre 2019 à 14h10
Échec de la mission Vega VV15 : les causes probables connues, retour en vol en 2020
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« la trajectoire n'est pas normale »
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Cause de l'incident : une « défaillance thermo-structurale »
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La chronologie des quelques minutes du vol
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Retour en vol en 2020, après des actions correctives
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15 lancements depuis 2012, un premier échec, quid des autres lanceurs ?
Commentaires (20)
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Abonnez-vousLe 06/09/2019 à 14h12
#1
Vous reprendrez bien un peu de 8g pour visionner votre mort ?
Le 06/09/2019 à 14h36
#2
Par contre c’est vraiment pas possible le niveau d’anglais parlé. Des responsable en comm’ qui sont incapable d’aligner 3 mots sans un accent a couper au couteau, c’est pas possible en 2019.
Le 06/09/2019 à 14h41
#3
Il n’y a que les gens qui ne font rien qui ne subissent jamais d’échecs.
Là, un sur quinze, c’est supportable. Si la moitié des fusées tirées avaient pété en vol, on aurait pu discuter de la fiabilité intrinsèque de l’engin et de la pertinence de poursuivre le programme.
Zéro échec, surtout avec des technologies aussi pointues, c’est impossible, deal with it.
Le 06/09/2019 à 15h27
#4
T’as raison, on se demande pourquoi ils se font chier a parler en anglais … " />
Comme si les russe ou chinois parlais en anglais pour leur lancement " />
Le 06/09/2019 à 16h06
#5
Le 06/09/2019 à 16h15
#6
Le 06/09/2019 à 16h36
#7
A mon avis la supportabilité ne se définit pas en valeur absolue, mais comparativement à la concurrence. Par rapport à SpaceX, c’est quasi 3x plus d’échecs.
Ce qui pourrait compenser, c’est si le lanceur est ultra-pas-cher. Et encore, il me semble que c’est la perte du satellite la plus importante financièrement.
Le 06/09/2019 à 17h17
#8
Le 06/09/2019 à 17h32
#9
Le 07/09/2019 à 08h28
#10
Pour le plan financier, j’avais lu (il y a longtemps) que Arianespace, en cas d’échec, étaient les seuls à proposer le lancement suivant gratuitement, pour compenser la perte du 1er vol.
Donc, financièrement, c’est plus “léger” de ne refaire “que” le satellite que de repayer le satellite + le lancement.
Après, j’avais lu ça il y a une dizaine d’années, je ne sais pas si c’est toujours le cas. Et sans doute qu’il doit y avoir des assurances en cas de problèmes.
Le 07/09/2019 à 08h28
#11
Il y a déjà eu des fusée soviétique ayant explosé avec des bonhommes dedans et qui ont été sauvés. La conception de la capsule le prévoit (contrairement à la navette américaine qui ne concevait pas l’échec).
Pour ce qui est de l’anglais parlé. Je trouve très bien qu’ils parlent en Français. Le spatiale européen est dominé par le français et c’est très bien que les personnes parlent tous français ! En plus, les anglais quittent l’Europe.
À l’université, on s’assoit sur le français, on voit des soutenances de doctorants 100% en anglais ce qui est illégal.
Bref, pourquoi faire en anglais alors que 100% des opérateurs parlent français ? On est sur un truc technique (même retransmis) valant des millions d’Euro, pas sur de la com. Arrêtons de mettre la com internationale en premier ;-)
Le 07/09/2019 à 10h26
#12
Le 07/09/2019 à 10h33
#13
Probablement parce que les soutenances doivent être faites dans la langue officielle, qui est le Français.
Le 07/09/2019 à 10h47
#14
Oui il y aussi des assurances dans ce secteur.
D’une certaine façon, ça reste du transport de matériel et donc il y a des compagnie de la même manière qu’il y en a pour le transport routier ou aérien.
Le 07/09/2019 à 11h05
#15
Non, les dérogations sont autorisées, à partir du moment où le candidat, ou une partie de son jury, ne parle pas français.
Ce qui arrive assez régulièrement étant donné que environ 50% des doctorants en sciences sont étrangers et que dans certains domaines assez pointus, c’est pas évident de ne faire qu’un jury francophone.
Le 09/09/2019 à 07h04
#16
Ils quittent l’UE, pas l’Europe et la sortie ne signifie pas la fin de toute coopération dans le spatiale (sauf si comme certains en rêve, on ne travail plus avec eux car ils ont osé quitté l’empire).
Ce qui est vraiment problématique ce sont les cursus donné entièrement en anglais.
Le 09/09/2019 à 07h37
#17
Je pense surtout qu’on ne parle pas de la même chose.
J’avais compris ton message comme ‘6.x% d’échec est acceptable’, ce qui me semble faux, alors que tu voulais probablement dire 15 lancers ne permettent pas d’extrapoler un taux d’échec, ce qui est vrai.
Le 09/09/2019 à 10h05
#18
Le 09/09/2019 à 14h45
#19
A noter que Falcon Eye n’est (n’était) pas un satellite de télécommunications, mais d’imagerie à destination des EAU.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Falcon_Eye