Internet : retour sur 50 ans d’une folle histoire
Demain, les communications interplanétaires
Le 31 octobre 2019 à 07h53
11 min
Internet
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Internet vient de fêter ses 50 ans « techniques » : le 29 octobre 1969, un premier paquet de données transitait sur ARPANET entre une université et une entreprise. Retour sur les étapes qui ont abouti au réseau que l’on connait.
Ce que l’on nomme aujourd’hui Internet recouvre de nombreux concepts. Il est devenu une source unique d’informations dans l’histoire de l’humanité, interconnectant de vastes réservoirs de données et mettant en relation les antipodes.
Son potentiel est théoriquement infini et ses effets (techniques, sociologiques, psychologiques, culturels…) continuent de se ressentir presque partout dans le monde, évoluant constamment. Il y a plusieurs décennies cependant, bien malin qui aurait pu imaginer qu’une telle structure allait se développer à toute allure.
Il s'agissait alors d’une simple idée tout juste conceptualisée : la commutation de paquets. Ou comment diriger des informations dans un dédale sans fin de tuyauteries numériques, d’un point A vers un point B.
Pour cela, il fallait imaginer comment une information allait être découpée en paquets, chacun contenant un en-tête et – à la manière des fusées transportant des satellites – une charge utile. Chaque appareil par lequel transite le paquet va lire l’en-tête puis chercher dans sa table de commutation la prochaine étape du voyage.
La commutation comprend ainsi le routage et le transfert des données.
29 octobre 1969, premier paquet de données transféré
Les années 60 voient l’arrivée de concepts déterminants pour ce qui est aujourd’hui Internet. Ils sont initialement poussés par Leonard Kleinrock et Joseph Licklider, du MIT. Le premier avait conceptualisé la commutation de paquets, le second en a perçu le potentiel pour les échanges entre chercheurs.
En octobre 1962, il devient d’ailleurs le tout premier directeur de recherche de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), rattachée à la Défense américaine et créée à peine quatre ans plus tôt. Lawrence Roberts, autre chercheur du MIT, fut également séduit par le potentiel des réseaux informatiques.
Des expériences furent réalisées dans les années suivantes. En 1965 notamment, Roberts était aux commandes de la première transmission longue portée de données, entre l’université de Californie (UCLA) et le MIT. L’expérience utilisait le réseau téléphonique, et bien que considérée dans l’absolu comme un succès, elle mit en évidence la nécessité de la commutation de paquets pour répondre à des impératifs de fiabilité.
La DARPA n’avait rien raté de l’expérience. L’année suivante, elle embauche Roberts pour lui confier une mission cruciale : la conception d’ARPANET. Les plans étaient achevés en 1967 et la réalisation commençait dans la foulée. Car les retombées potentielles étaient cruciales : la continuité de l’information en environnement décentralisé, en cas d’attaque.
La guerre froide battait son plein, mais au sein d’une structure militaire, les fondations d’Internet étaient inventées par des universitaires. Le développement du matériel de routage fut commandé à la société BBN (Bolt, Beranek & Newman) en 1968. À l’automne 1969, tout se précipitait pour une première expérience.
En septembre, la première liaison fut établie entre l’UCLA et le Stanford Research Institute (SRI), à qui l’on devait l’année précédente la souris et le concept d’interface graphique. Le 29 octobre, le premier paquet fut transmis avec « succès » entre les deux premiers nœuds du réseau. Deux autres furent ensuite ajoutés : les universités de Santa Barbara et d’Utah.
Mais la première tentative ne s'est en effet pas terminée comme prévu. Le but était d'envoyer « Login » entre des machines du SRI et d'UCLA. « Elles ont réussi à transmettre le "l" et le "o" puis le système a planté », explique Leonard Kleinrock. « Par conséquent, le premier message sur Internet était "lo", comme dans "lo and behold" », que l'on pourrait traduire par « Et voilà que » pour indiquer la surprise. Tout est rapidement rentré dans l'ordre avec une connexion complète une heure plus tard.
1971 à 1973 : les premiers courriers électroniques et l’ancêtre de TCP
On reste dans les années charnières avec les développements de deux technologies qui dirigeront les usages pour longtemps. Le concept d’email avait déjà plusieurs années, mais puisque l’ARPANET récent promettait des échanges distants entre chercheurs, la possibilité de se parler longuement par écrit devenait d’autant plus séduisante.
C’est l’ingénieur Ray Tomlinson qui concrétisa, chez BBN, la vision « moderne » des courriers électroniques, avec la forme qu’on leur connait. C’est lui qui proposa le « @ » comme séparateur entre le nom de la personne à contacter et ce qui est alors le nom de la machine. La toute première adresse email est d’ailleurs « tomlinson@bbn-tenexa ».
Les emails existaient donc techniquement avant ARPANET, mais ce dernier en a largement promu l’utilisation, tout en fixant indirectement sa forme définitive (ou presque).
À la même époque, naissait en France le projet Cyclades, avec à sa tête Louis Pouzin. Objectif, développer un réseau décentralisé animé par la commutation de paquets, capable de relier des structures hétérogènes. Les concepts qui y seront développés seront repris par deux autres grands noms, Bob Kahn et Vint Cerf, pour créer en 1973 la première version du Transmission Control Protocol, le fameux TCP, dont IP sera séparé peu après.
1974 : la vision naissante d’Internet
Les progrès rapides dans tous les domaines entrainent un vaste changement de paradigme : les silos isolés de données ne sont plus une fatalité et il devient possible d’envisager une interconnexion de réseaux, un réseau de réseaux.
Cette idée est propulsée en mai 1974 par Kahn et Cerf, dans un document nommé « A Protocol for Packet Network Intercommunication », toujours disponible sur le site de l’IEEE. Les chercheurs y développent les tenants et aboutissants de TCP/IP, mais également leur vision d’une architecture ouverte permettant l’échange de ressources diverses.
Trois ans plus tard, une démonstration est réalisée entre trois réseaux : ARPANET, Packet Radio et Packet Satellite.
Années 80 : la grande accélération
1982 est un tournant majeur dans l’histoire d’Internet avec la finalisation et la standardisation de TCP/IP. L’année suivante, le protocole remplace définitivement l’ancêtre NCP au sein d’ARPANET, ouvrant le réseau à l’interconnexion. Pour Vint Cerf, qui a publié sa propre liste de dates marquantes, Internet est alors né.
Surfant sur une vague continuelle de nouveautés et d’apparitions de nouveaux réseaux, Cisco voit le jour en 1984. La toute nouvelle société se fait une spécialité du matériel de routage commercial, donc à destination des entreprises. La vision d’Internet évolue encore, étant une opportunité de relier des universités, centres de recherches et autres administrations.
Cerf avoue pour sa part n’avoir pas réalisé le plein potentiel d’Internet avant 1988, en voyant Cisco dépenser 250 000 dollars à l’exposition INTEROP pour assurer sa visibilité et vanter ses produits.
Années 90 : web, VoIP et usages modernes
Pour beaucoup, Internet, c’est le web. Pourtant, le concept de pages reliées par des hyperliens n’émergera que plus de 20 après les prémices de la commutation de paquets. Là encore, initialement pour les besoins de la recherche.
Rappelons que c’est Tim Berners-Lee, alors ingénieur informatique au CERN, qui a essentiellement créé le concept et la technologie sous-jacente, aidé dans la réalisation par Robert Cailliau. L’idée de ressources reliées par un système hypertexte est développée à partir de 1989, l’ensemble des travaux étant versé au domaine public en 1993.
C’est cette année qu’est franchie une autre étape majeure : l’arrivée du premier navigateur grand public, Mosaic. Cette fois, des développeurs (dont Berners-Lee et Cailliau) se sont penchés sur la question d’une exploitation facilitée des contenus et leur éventuelle accession par le grand public.
On sait aujourd’hui ce qu’il en est advenu : une guerre intense entre éditeurs pour imposer chacun son navigateur et les dangers liés aux monopoles dans le domaine de l’accès à l’information. En mars dernier, quand le web fêtait ses 30 ans, Tim Berners-Lee faisait largement écho à ses inquiétudes dans ce domaine.
- Une brève histoire des navigateurs
- 30 ans de web : face à une diversité agonisante, Tim Berners-Lee veut secouer les consciences
En 1996, la voix sur IP est mise sur pieds. Et la même année, un « nouveau » protocole entame son processus de standardisation : IPv6. 23 ans plus tard, la migration vers cette version et encore bien loin d’être achevée, avec les problématiques que l’on connait, notamment les réserves d’adresses IPv4 fondant comme neige au soleil.
IPv6 qui fera d’ailleurs l’objet du tout premier tweet de Vint Cerf en 2012, lors de l’IPv6 Launch Day, durant lequel de nombreuses grandes entreprises ont effectué la bascule pour se rendre compatibles.
En 1998 nait l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), chargée de gérer principalement les noms de domaine de premier niveau. Charge qu’elle occupe toujours. La même année, « deux gus dans un garage », Sergey Brin et Larry Page, fondent Google devenu depuis le géant Alphabet.
Avec l’ICANN, l’organisation générale d’Internet et du web actuels est terminée.
Et aujourd’hui ?
On pourrait dire que le reste est une question d’usage, mais la structure globale d'Internet évolue continuellement. Si l’on parle beaucoup d’IPv6, c’est que le protocole autorise un nombre virtuellement illimité d’adresses IP pour répondre à une demande qui explose.
Car même si le réseau des réseaux se résume encore pour beaucoup à sa toile (le web), il recouvre l’ensemble des communications entre appareils électroniques, qui désormais englobent de nombreuses catégories de produits. Le problème des adresses disponibles a largement été mis en exergue par les smartphones, dont la multiplication a parallèlement facilité l’accès à l’information. Plus récemment, l’explosion des objets connectés a encore changé la perception de ce qu’il est possible de faire, presque plus aucun produit n’étant épargné.
Avec le temps, d’autres aspects sont apparus, notamment la sécurité et les questions juridiques. Parmi la multitude d’exemples existants, les révélations d’Edward Snowden en 2013 ont largement propulsé les deux sur le devant de la scène. Depuis, les projecteurs se sont largement braqués sur la sécurité des communications et les peines encourues à contourner ces mécanismes. Mais aussi la façon dont sont gérées les données par les plateformes et leurs partenaires.
La sécurité informatique est devenue un enjeu crucial où des visions profondément antagonistes s’affrontent. Outre le vieux problème du curseur entre facilité d’utilisation et sécurité efficace (coucou GnuPG), on assiste depuis quelques années à une bataille rangée entre les tenants d’un chiffrement total des communications pour épargner les vols d’informations, et la nécessité pour les forces de l’ordre de percer le chiffrement pour résoudre des enquêtes.
Quant à l’avenir, Vint Cerf résume sa vision ainsi :
« Durant les cinq prochaines décennies, je pense que les communications informatiques deviendront complètement naturelles. Comme utiliser l’électricité, vous n’y penserez même plus. L’accès sera totalement amélioré – pensez à des milliers de satellites en orbite basse autour de la Terre – et les vitesses seront plus élevées, avec la 5G et la fibre optique, et des milliards d’appareils en réseau aux capacités interactives accrues en voix, gestes et IA.
J’imagine également une extension interplanétaire d’Internet. Mais qui sait, avec tout ce qui a été accompli durant les 50 dernières années, la seule chose certaine est que les possibilités sont sans fin ».
Internet : retour sur 50 ans d’une folle histoire
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29 octobre 1969, premier paquet de données transféré
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1971 à 1973 : les premiers courriers électroniques et l’ancêtre de TCP
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1974 : la vision naissante d’Internet
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Années 80 : la grande accélération
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Années 90 : web, VoIP et usages modernes
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Et aujourd’hui ?
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 31/10/2019 à 18h04
Pas mal .
Je note que le FTP a pour ainsi dire disparu, remplacé par du téléchargement en HTTP (et sans besoin de compte, même “anonymous” avec mail comme pseudo mot de passe). Ça va de pair avec la multiplication des proxies et firewall qui fait qu’on passe de plus en plus tout et n’importe quoi via du HTTP, alors qu’au départ c’était bien conçu, avec un port pour chaque type de flux. A mon sens c’est une régression, et en plus ça complique l’analyse de trafic (ou bien ça permet à des boîtes de vendre des analyseurs de ce qui passe sur HTTP).
J’ai connu IRC comme “chat”, c’était surtout geek mais pas totalement.
Le JPEG progressif j’en ai peu vu, ça prenait plus de place que le JPEG classique faut dire. C’est vrai que c’était “marrant” le suspense en téléchargeant une image, qui apparaissait progressivement de haut en bas (pour du JPEG classique).
Le 31/10/2019 à 18h38
“Mais qui sait, avec tout ce qui a été accompli durant les 50 dernières années, la seule chose certaine est que les possibilités sont sans fin ».
Le 31/10/2019 à 19h24
Qu’est-ce que tu fous ici à aggraver le problème si c’est vraiment si urgent de changer de comportement ?
Le 31/10/2019 à 20h23
lowTech : ralentir pour pérenniser la technologie
Le 31/10/2019 à 20h29
Le 31/10/2019 à 20h38
C’est lui qui a dit qu’il fallait changer de comportement tout de suite, pas moi.
Le 31/10/2019 à 23h11
oui, tout le monde avait compris. C’est pas le sens de ma remarque.
Le 01/11/2019 à 09h51
“la continuité de l’information en environnement décentralisé, en cas d’attaque.” A priori c’est une légende
Le 02/11/2019 à 01h34
Et dire qu’il y en a qui ose encore faire ça aujourd’hui …
FreeMais enfin, on connais bien le bonhomme ici sur NXI . " />
Le 02/11/2019 à 09h32
Le 02/11/2019 à 18h05
Le 03/11/2019 à 10h59
Le 06/11/2019 à 22h14
Je suis tout simplement un humain comme tout le monde … et en tous cas pas mandaté pour sauver le monde. Hé !
Mais on peut en effet trouver un sacré paquet de prétexte pour ne rien faire.
Le 31/10/2019 à 08h34
Merci pour cette rétrospective!
Le 31/10/2019 à 09h02
Moi qui croyait qu’Internet, c’était Google " />On m’a menti durant tout ce temps…
Le 31/10/2019 à 09h07
Je me souviens des premières pages web consultées au début des années 90… Tout a bien changé depuis!
Le 31/10/2019 à 09h27
Dans les années 90, j’avais une affiche format A3 mappant les principaux sites web… Ça paraît tellement un vestige maintenant… :)
Le 31/10/2019 à 10h52
Seuls les vainqueurs écrivent l’histoire (Transpac et le X25 n’ont jamais existé)" />
Le 31/10/2019 à 11h24
Le 31/10/2019 à 11h35
Le 31/10/2019 à 12h13
ARPAnet non plus. Internet n’a pas 50 ans mais 36 ans.
Le 31/10/2019 à 13h20
Merci pour l’article et surtout le coup de vieux " />
Le 31/10/2019 à 15h08
Le 31/10/2019 à 15h31
C’était beau Internet au début, j’ai connu en 1992 via Sup Telecom, j’y ai envoyé mes premiers e-mails à un pote parti à l’étranger.
Quand on téléchargeait du domaine public (ou du GPL) Amiga sur le site de la NASA à 2 ko/s, c’était rapide ; il faut dire que les modems faisaient moins, et les logiciels faisaient rarement plus de quelques centaines de ko. L’école était reliée par une ligne à 64 kb/s, sauf erreur de ma part.
L’école avait même un accès par modem, on pouvait utiliser un minitel avec un numéro en 36 13 (prix d’une communication locale) et arriver sur une station Unix (Solaris), et même éditer un fichier, ils avaient construit le fichier termcap nécessaire (bravo).
Et à l’époque MS n’avait pas encore pourri Internet, on avait la Netiquette (pas de “top posting” à la Outlook), pas encore de virus, pas de firewall dans tous les sens et de proxies, et on pouvait même “pinger” les machines des connaissances dans une fac à plusieurs centaines de km, ou aller regarder leur fichier “.plan” (fait pour) avec la commande “finger [email protected]” (selon les versions, on pouvait même voir s’il était actif sur la station de travail).
" />
Le 31/10/2019 à 16h19
Le 31/10/2019 à 16h23
Le 31/10/2019 à 16h29
Parce que c’est dit dans l’article avec en plus un lien vers la référence de cette affirmation.
Le 31/10/2019 à 17h08
Le 31/10/2019 à 17h53