Des micros dans les rues de Saint-Étienne : l’avertissement de la CNIL
Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !
Le 05 novembre 2019 à 14h07
5 min
Droit
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Next INpact diffuse le courrier adressé par la CNIL à Saint-Étienne Métropole. À l’origine de cet avertissement, la volonté de déployer des micros pour capter les sons ambiants. Entre sécurité publique et rêve de tranquillité urbaine, cette audiosurveillance n’a pas été du goût de l’autorité indépendante.
En cas d’alerte, les équipes auraient en effet été à même de diriger les caméras vers les points d’attention, voire de déclencher une intervention sur place (police, pompiers, SAMU, etc.). Meilleure allocation des ressources pour les uns, projet orwellien pour les autres.
Révélée par Télérama, cette missive fait suite à un contrôle sur pièces et une audition des représentants de l'agglomération stéphanoise. L’enjeu ? Vérifier la conformité de ces oreilles électroniques avec le fameux RGPD (notre analyse ligne par ligne des 99 articles). La CNIL l’annonce d’entrée : l'entité écope d’un avertissement, les traitements étant susceptibles de violer ce socle normatif.
Dans les six pages du courrier diffusé ci-dessous, Marie-Laure Denis, présidente de la commission, va en expliquer les raisons. Mais avant, elle relève que le dispositif est calibré pour capter de manière indifférenciée « les sons émis sur la voie publique, y compris des sons de basse intensité tels que les sons de bombes aérosol, de bris de verre ou de crépitement ». Et nécessairement, tombent dans ces filets auditifs, « les voix et conversations des personnes se situant dans la zone couverte ».
La voix est une donnée personnelle, sa collecte, un traitement
Problème. La voix est une donnée personnelle. Et pour cause, le RGPD a une définition très vaste de cette notion, à savoir « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ».
Sachant en outre qu’« est réputée être une «personne physique identifiable» une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».
Certes, il est parfois difficile d’identifier une personne par ce biais. Cependant, associé comme ici avec un système de caméra de surveillance (la « vidéoprotection » chère à la LOPPSI), un son « peut permettre in fine cette identification ».
Pour justifier un peu plus l’emprise « RGPDienne », la CNIL constate l’existence d’un traitement sur ces données personnelles, soit la deuxième condition d’application du texte européen : une collecte puis une analyse algorithmique pour déterminer la nature des sons et les comparer avec une base de modèles.
Pas d’ « intérêt légitime » pour les autorités publiques
Pour justifier cette surveillance destinée à « améliorer la tranquillité publique », Saint-Étienne Métropole s’est hasardée à s’appuyer sur « l’intérêt légitime ».
Avec le consentement, celui-ci est l’une des autres voies permettant de justifier un traitement de données personnelles. Cependant, la CNIL rappelle qu’elle ne peut être invoquée par les autorités publiques, comme le prévoit expressément le règlement.
L’autorité estime néanmoins que la ville pourrait probablement s’appuyer sur une autre justification, à savoir l’exécution d’une mission d’intérêt public ou mieux, sur la directive du 27 avril 2016, relative à la prévention et à la détection des infractions pénales. Mais ces suggestions toutes théoriques sont rapidement réduites à néant tant est intrusif le projet stéphanois : au regard des risques générés par cette captation indifférenciée, il est inévitable de passer par une loi spécifique.
Une captation continue et indifférenciée
Voilà en effet une captation « continue, systématique et indifférenciée des sons dans l’espace public [qui] peut dès lors capter des conversations privées ».
L’autorité devine des risques « substantiels pour les libertés individuelles ». Mieux, le couplage avec les caméras de surveillance « conduit à renforcer l’intrusivité du système et du niveau de surveillance dont fait l’objet la population vivant, circulant ou travaillant dans la zone concernée ».
« Ce risque d’atteinte au droit au respect de la vie privée est d’autant plus important, poursuit-elle, qu’aucune garantie technique ou juridique ne permet de prévenir, de manière suffisante, une écoute en direct des sons ou un enregistrement de ceux-ci ».
Pire encore, peuvent alors être aspirées des données sensibles comme les opinions politiques, les convictions religieuses ou les orientations sexuelles des personnes.
Une population épiée, des habitudes modifiées
Avant de conclure par un feu rouge, la CNIL remarque enfin que ces outils de surveillance peuvent raboter d’autres droits fondamentaux, comme la liberté d’expression, de réunion, de manifestation, d’association et d’aller et venir. « Les personnes concernées peuvent être amenées à altérer leur comportement par exemple en censurant eux-mêmes leurs propos tenus sur la voie publique ou encore en modifiant leur déplacement, voire leur résidence ou leur lieu de travail, pour éviter les zones d’installation des capteurs sonores ».
Des micros dans les rues de Saint-Étienne : l’avertissement de la CNIL
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La voix est une donnée personnelle, sa collecte, un traitement
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Pas d’ « intérêt légitime » pour les autorités publiques
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Une captation continue et indifférenciée
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Une population épiée, des habitudes modifiées
Commentaires (33)
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Abonnez-vousLe 05/11/2019 à 14h20
Bon Dieu, mais vers quel avenir se dirige-t-on ?
Le 05/11/2019 à 14h47
Déjà dit la dernière fois où il avait été question de cette “audioprotection” (on va finir par se demander qui c’est censé protéger, à la fin " /> ) : toujours ce vieux rêve chimérique du contrôle et de l’info absolus…
(ça me fait penser à la NSA dans le film des Simpson “ouaiiiiiiis ! l’administration a enfin réussi à trouver quelqu’un !! - dit par un mec au milieux d’un millier d’autres, assis à zieuter tous leurs mouchards " />)
Le 05/11/2019 à 14h49
if 2019 > 1984 and ‘réalité’ > ‘fiction’ :
print(‘Oh sh#t !’)
$ python nostradamus.py
> Oh sh#t !
—
Je suis pas toujours d’accord avec les décisions de la CNIL, mais force est de constater qu’ils restent un barrage à bon nombre d’aberrations de notre époque. Il leur faudrait vraiment + de pouvoir.
Le 05/11/2019 à 14h55
La voie ouvre la voix ? ==> Typo
" />
Le 05/11/2019 à 14h56
je ne l’ai pas signalée car je la trouve plutôt à propos " />
Le 05/11/2019 à 15h09
Puisqu’on vous dit que c’est pour votre bien !
Le 05/11/2019 à 15h49
Il suffit de changer le système pour des sonomètres. Et c’est réglé. Le problème c’est que ce qui est proposé permet d’entendre des conversations. Un sonomètre se contente de mesurer une pression sonore. Se sont les bruits répétés et forts qui sont problématiques.
Le 05/11/2019 à 15h53
Que ce soit de droite ou de gauche, une société autoritaire dans tout les cas. Tant que la grenouille est pas laché directe dans l’eau chaude, tout peu passé. La CNIL fait son boulot, c’est bien.
Le 05/11/2019 à 16h42
Et une fois qu’on a installé des sonomètres partout, il suffit de les faire échantillonner à 40kHz et voila :)
Le 05/11/2019 à 16h43
Quand on lit l’avis circonstancié de la CNIL, et qu’on met en parallèle le commentaire de Ciotti, ça laisse rêveur…
Le 05/11/2019 à 16h49
Ciotti a commenté l’affaire de Saint-Étienne ? " />
Le 05/11/2019 à 17h07
Le 05/11/2019 à 18h01
il est inévitable de passer par une loi spécifique.
Donc l’avenir de la surveillance audio est entre les mains des parlementaires ? " />
Pire encore, peuvent alors être aspirées des données sensibles comme les
opinions politiques, les convictions religieuses ou les orientations
sexuelles des personnes.
La surveillance par caméras est en place depuis de nombreuses années, et permettent aussi de voir les opinions politiques des gens (je n’ai à un meeting), convictions religieuses (je vais à la mosquée ou à la messe) ou orientation sexuelle (je vais à la fistinière). Pourtant cela ne dérange pas la CNIL, pas plus que les autorités qui mettent en place cette surveillance en tout cas. Qu’est-ce qui est si différent avec l’audio ?
Le 05/11/2019 à 18h08
Non, mais dans l’affaire des portiques de lycée, il a usé de qualificatifs peu élogieux envers la CNIL, qui produit pourtant dans les deux cas une argumentation très étayée (celle ci est plus fournie, peut-être le cas est-il plus complexe). La richesse des arguments de la CNIL versus la pauvreté intellectuelle des commentaires de ses détracteurs politiciens me donne à réfléchir.
Le 05/11/2019 à 19h11
Les caméras sont dirigées vers la zone publique (rue). Elles ne doivent pas filmer le jardin d’un particulier ou la chambre à coucher. Au pire, on pose des caches.
Avec , c’est beaucoup plus délicat de ne pas capter un son venant d’une zone privée (écho)
Le 05/11/2019 à 19h44
Le 05/11/2019 à 20h42
Je peux poser une devinette troll… Si je passe avec mon smartphone en faisant tourner Type and Speak (ou autre Google TTS)… Je suis quoi aux yeux de la CNIL ? ☺ (et je vous dit pas le bazar si je promène Alexa, Siri ou Cortana…)
Le 06/11/2019 à 08h00
c’est ‘dans l’air du temps’* de mettre des caméras (et maintenant : des micros)
un peu partout….QUELLE sera la prochaine étape (surenchère) ?
* mode (ça fait “in” ) " />
Le 06/11/2019 à 08h49
Un techno-fascisme a la chinoise.
Le 06/11/2019 à 08h57
J’ai une idée, South Park S01E01 " />
Le 06/11/2019 à 09h03
Ce n’est qu’une illustration de plus que cet individu ne connaît rien aux sujet qu’il entend utiliser pour cultiver la haine dans son électorat.
Le 06/11/2019 à 09h31
Alors il faudrait êut-être revoir cette législation, et mieux encadrer la surveillance vidéo, vant de penser à ajouter la surveillance audio.
Le 06/11/2019 à 10h36
Toujours plus d’infantilisation, de manque de respect, de déshumanisation, de mépris pour le libre arbitre et la liberté de chacun, par les “élus”, et le tout avec des millions d’euro d’argent public, notre argent, donné à quelques copains… comme les radars automatique, les dos d’âne, la vidéosurveillance, ils font tout pour qu’on haïsse le pays dans lequel on vit " />
Le 06/11/2019 à 11h37
Je suis d’accord. Mais sans rentrer en polémique il faut quand même rappeler que les radars et toute cette verve sécuritaire inquiétante sont là aussi parce que peu de monde respecte la loi (on roule juste à 90 pour 80 c’est pas grave, pas besoin de s’arrêter aux stops, louons notre résidence principale discrètement, optimisons notre argent …).
il y a un moment aussi où il faut dire qu’on infantilise le français parce que ce dernier est très donneur de leçons et ne fait aucun effort (normal, c’est toujours la faute des autres, le privilège des autres est inacceptable mais le même privilège une fois acquis devient sacré). On va reprocher aux politiques, aux chefs d’entreprise… de truander alors que si on peut le faire à notre échelle, on le fera. Faut arrêter d’être hypocrites avec nous mêmes, et l’Etat (quel que soit le gouvernement) aurait au final tort de se priver de rentrer de l’argent et de faire ce bazar sécuritaire sur nos comportements irresponsables…
Le 06/11/2019 à 11h57
Ce qui revient à punir 100% des gens pour 10% de gens qui abusent, perso je ne veux pas vivre dans une société comme ça " />
Le 06/11/2019 à 12h50
Gros +1 ! " />
Le 06/11/2019 à 12h54
Je ne suis pas d’accord, est ce qu’un poing ou un bras est sexué ? :P
Le 06/11/2019 à 13h51
Le 06/11/2019 à 14h44
Le 06/11/2019 à 18h57
Non ce que je voulais dire c’est qu’il y a (par exemple) 10% d’as du volant qui font suffisamment n’importe quoi pour intéresser les médias (style je roule avec mon Audi à 220 pour 80…), mais qu’il y a aussi une très forte proportion de la population qui va volontairement jouer avec la loi mais en faisant de “petites” infractions : on roule à 95 pour 80, on roule avec “à peine” 1 gr d’alcool, on fait de mal à personne en roulant avec son téléphone, en dénigrant les distances de sécurité ou en refusant l’utilisation du clignotant… Les petites infractions (qui peuvent finir mal) sont très courantes mais étant donné que nous sommes dans la société du sensationnalisme, on va toujours relativiser notre irresponsabilité, et tomber dans la mauvaise foi en disant que l’Etat a mis des radars pour faire du fric et que nous sommes tous des brebis irréprochables…
Après, c’est de la digression, on s’éloigne du sujet et de la CNIL (quoique ma voiture est le prolongement de moi, et si on me prend en photo au radar, donc ça craint 😁).
Le 06/11/2019 à 19h01
Bon va falloir tester ça 😂
Ce qui est très intéressant, c’est qu’on en revient aux règles de base d’utilisation d’un scanner radio (l’écoute en analogique est autorisée car impossible à bloquer mais il est interdit d’enregistrer ou de répéter ce qu’on a entendu).
Le 07/11/2019 à 08h38
en refusant l’utilisation du clignotant…
ou alors ‘j’te mets le clignotant (5 mètres AV.), et…hop, je tourne’, et toi derrière TU PILES=hii !!!!
(dans même style : (sur autoroute) t’as les camions qui mettent leur clignotant, et AUSSITÔT
déboîtent pour doubler !!! " />
Le 07/11/2019 à 16h35