#BigBrotherBercy : le sénateur Loïc Hervé dénonce « la dictature des honnêtes gens »
Mais je n'ai rien à cacher !
Le 09 décembre 2019 à 08h00
6 min
Droit
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Loïc Hervé a déposé un amendement de suppression de l’article 57 du projet de loi de finances. Derrière #BigBrotherBercy, la possibilité pour le fisc ou les douanes de collecter massivement l’ensemble des sources ouvertes en ligne. L’élu centriste, membre de la CNIL, explique son opposition dans les colonnes de Next INpact.
Que Bercy et les douanes veuillent collecter des sources ouvertes, cela vous choque ?
Que Bercy veuille consulter, cela ne me gêne pas. Que Bercy veuille collecter, cela me choque beaucoup plus. La finalité, on la connait. C’est la lutte contre la fraude, mais on change complètement la philosophie de l’action. On ne fait plus du ciblage, mais du chalutage sur les données des gens, confié à un outil informatique – un algorithme –, qui va sortir un certain nombre de comportements suspects. Ce changement de mode de réflexion me pose problème.
Pourquoi ?
Cela relève de libertés publiques. Les données en question sont la prolongation de la vie privée des gens, de leurs activités, leurs choix politiques, de leur vie tout simplement. Elles sont rendues publiques certes, mais elles restent personnelles.
Le risque d’erreur et celui de changer la manière dont l’administration fiscale voit le contribuable me paraissent très problématiques.
Cela intervient quelque temps après l’adoption du RGPD. En quelques mois, nous avons demandé aux opérateurs électroniques de se mettre en conformité, de protéger les données personnelles qu’ils détiennent, et là on ouvre les vannes.
Pour moi, c’est un cavalier législatif. Cela n’a rien à faire dans un projet de loi de finances, mais doit faire l’objet d’une loi ad hoc. Il y a de quoi avoir un vrai débat, faire l’objet d’une discussion spécifique. Ce n’est pas possible d’aborder un tel sujet dans un article du projet de loi de finances. Lors des débats prévus en fin de matinée au Sénat, un certain nombre de collègues sénateurs vont intervenir. Ils ont les mêmes craintes que moi.
Saisie fin août, la CNIL a rendu un avis mi-septembre. Estimez-vous qu’elle a été entendue au moins partiellement ?
Je ne peux vous répondre, car je suis membre de la CNIL. La commission répond aux questions qu’on lui pose. Elle a fait un certain nombre d’observations. Il est vrai que dans la rédaction du Sénat, nous avons des garanties supplémentaires, mais je ne veux même pas aller sur ce terrain-là. Je ne veux pas rentrer en matière. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement de suppression (l'amendement, ndlr).
Je préfère qu’on supprime l’article tout bonnement et qu’on ait ce débat plus tard. Le projet de loi de finances, ce n’est pas le lieu, ce n’est pas le bon tempo, ce n’est pas le bon texte. Nous avons besoin qu’on nous explique, avec une étude d’impact. Aujourd’hui, en tant que parlementaire, j’estime ne pas être assez informé sur ce que veut faire Bercy.
Et puis c’est toujours pareil. On va nous faire le coup de l’expérimentation, qu’il existe des moyens pour supprimer des informations… on nous raconte n’importe quoi en réalité.
Avez-vous eu des échanges avec Bercy ou les Douanes ?
Aucun.
Le député Philippe Latombe se plaignait déjà d’informations lacunaires, de l’absence d’étude d’impact…
Évidemment, c’est tout de même la base de notre capacité en tant que parlementaire à faire la loi !
Des sénateurs sont-ils prêts à saisir le Conseil constitutionnel tout spécifiquement sur cet article ?
Oui. Je ne sais encore quel type de groupes (il faut 60 députés ou 60 sénateurs minimum). Me concernant, si jamais l’article est adopté, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que le juge constitutionnel se prononce sur plusieurs éléments. Des éléments formels de procédure législative visant un cavalier. Et sur le fond, le chalutage de toutes les données personnelles des Français à des fins de lutte contre la fraude fiscale. À tout le moins, cela pose question.
Les finalités de ce chalutage ont été ramenées à trois grands types d’infractions considérées comme graves, ce n’est donc pas suffisant ?
Non. Car une fois que l’outil marchera, il suffira de rajouter une ligne, ou deux ou trois ou quatre ou dix pour étendre le dispositif. L’objectif est clair : ils veulent cet outil. Ils savent que cela « gueule », donc ils annoncent des limitations. En réalité, cela pousse très fort pour avoir un instrument puissant.
Vous savez, cela s’appelle la dictature des honnêtes gens. Cela marche toujours comme cela. L’enfer est pavé de bonnes intentions. On vous raconte une histoire et à la fin, on ne poursuit plus le même objectif. Vous pouvez raconter que c’est pour trois ans, que c’est une expérimentation, qu’on a limité le nombre de finalités…
Je vais même vous dire, cela marche ! C’est moins cher et puis on chalute, on ramasse. Sur les autoroutes, veut-on lutter contre les gens qui roulent à 132 km/h ou pourchasser ceux qui foncent à 180 km/h ? Dans les caisses de l’État, je pense que ceux qui roulent à 132 rapportent plus que ceux qui roulent à 180. C’est un choix.
C’est un choix… mais on n’a pas représenté les conséquences en termes d’atteintes aux libertés publiques ! Dans le pays qui a inventé la CNIL il y a 41 ans et qui a inspiré le RGPD, il y a un double discours. L’un sur la protection des données personnelles, l’autre qui ouvre les vannes.
Ma crainte est qu’une fois qu’on sait que cela marche, on l’étende à d’autres finalités. On peut tout imaginer, mais il faut se poser les questions au bon moment. Je ne fais que rappeler la position traditionnelle des gens qui défendent les libertés publiques.
#BigBrotherBercy : le sénateur Loïc Hervé dénonce « la dictature des honnêtes gens »
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Que Bercy et les douanes veuillent collecter des sources ouvertes, cela vous choque ?
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Pourquoi ?
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Saisie fin août, la CNIL a rendu un avis mi-septembre. Estimez-vous qu’elle a été entendue au moins partiellement ?
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Avez-vous eu des échanges avec Bercy ou les Douanes ?
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Le député Philippe Latombe se plaignait déjà d’informations lacunaires, de l’absence d’étude d’impact…
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Des sénateurs sont-ils prêts à saisir le Conseil constitutionnel tout spécifiquement sur cet article ?
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Les finalités de ce chalutage ont été ramenées à trois grands types d’infractions considérées comme graves, ce n’est donc pas suffisant ?
Commentaires (31)
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Abonnez-vousLe 10/12/2019 à 06h55
En substance : “que des humains consultent les réseaux sociaux à la recherche de preuves de fraude fiscale, oui, mais des robots ? ohlalala, non, c’est l’état totalitaire de big brother !”.
Le 10/12/2019 à 07h31
Le 10/12/2019 à 07h40
Tu te méfies donc davantage d’un traitement automatisé que d’un traitement humain, avec tout les vices qu’il peut y avoir derrière cette personne.
Le 10/12/2019 à 14h28
Cette interview donne envie de pleurer de bonheur.
On en viendrait presque à se dire qu’il reste des hommes politiques avec un cerveau fonctionnel. Mais en même temps, il s’agit d’un membre de la CNIL, et il n’est donc malheureusement pas représentatif du reste de l’assemblée…
Le 10/12/2019 à 15h13
Le traitement automatisé est conçu par une personne dont l’outil va en traiter des millions ! …. elle a peut-être des vices ?
L’absence d’empathie généralisée est beaucoup plus préjudiciable à la société que son exacerbation individuelle, même viciée.
Le 10/12/2019 à 17h37
Non, il différencie un traitement ciblé (réalisé par un humain) d’un traitement généralisé (réalisé par un robot).
Le 09/12/2019 à 08h11
Tiens, un politique qui a compris et qui semble savoir de quoi il parle. En creux : ne postez plus rien sur les réseaux sociaux pour commencer.
Edit : typo
Le 09/12/2019 à 08h35
En même temps le gars fait partie de la CNIL, donc heureusement que le gars sait de quoi il parle j’ai envie de dire. Mais c’est vraie que c’est agréable de voir certains politiques encore préoccupé par les libertés publiques
Le 09/12/2019 à 09h03
Ma crainte est qu’une fois qu’on sait que cela marche, on l’étende à d’autres finalités.
Ridicule, qu’il arrête d’agiter des chiffons rouges et qu’il donne des faits…
Encore une personne qui instille des idées de complot dans la tête des gens
Le 09/12/2019 à 09h12
Le 09/12/2019 à 09h16
Le 09/12/2019 à 09h32
Autre exemple, le fichier des empreintes ADN…
Le 09/12/2019 à 09h32
que l’on automatise la collecte de donne publique qui ont été donne volontairement par les concernés, cela ne me choque pas vraiment et c’est inevitable a moyen terme.
En revanche utiliser des données publiques mais non divulgues par le concerne c’est anormal. Exemple: google maps pour les piscines, le status facebook de quelqu’un d’autre qui parle de la dite personne etc.
Le 09/12/2019 à 09h46
Le 09/12/2019 à 09h48
J’espère qu’il dit la même chose dans son propre parti. Parce que LR (ex-UMP), dans le genre “on fait une expérimentation / une loi sur un sujet bien borné, puis on l’étend à auter chose”, ce parti se pose en maître. La surveillance généralisée, ça ne date pas de Macron. Le fait de considérer que tout citoyen est un potentiel terroriste non plus. Et ces lois sont passées quand son parti était au pouvoir. Il prend l’exemple des radars, ils ont été largement automatisés sous les gouvernements Villepin/Raffarin/Fillon.
Je ne peux vous répondre, car je suis membre de la CNIL. […] mais je ne veux même pas aller sur ce
terrain-là. Je ne veux pas rentrer en matière.
Mais pourquoi prend-il ces gants ? Au contraire, il est sénateur ET membre de la CNIL, il faut donc que sa voix porte, il est compétent sur le sujet ! L’avis de la CNIL est public, alors pourquoi ne pourrait-il pas le commenter ?
Le 09/12/2019 à 09h55
Quand un sénateur finit par se rendre compte que nous vivons (depuis longtemps) en dictature de plus en plus totalitaire et que certains ministères (Intérieur et Finance, surtout) sont désormais un État dans l’État, régi uniquement par ses propres lois auto-édictées et qui ne saurait être le moins du monde contraint dans ses possibilités et moyens d’action par celles encore désignées (à tort) de « la République »…
Sauf qu’il est beaucoup trop tard, maintenant : le Rubicon a été franchi il y a très, trop longtemps. Et en tant que sénateur, il est totalement impuissant (à part pour retarder l’inévitable, mais n’avoir que ce seul pouvoir ne sert à rien), puisque seule l’Assemblée nationale décide réellement au final.
Le 09/12/2019 à 09h58
Le 09/12/2019 à 10h00
Le 09/12/2019 à 10h53
A ma connaissance darmanin n’a pas utilisé son argument-massue habituel: l’avis de sa mère sur la réforme.
Donc si même sa mère n’est pas d’accord, c’est que le projet est mauvais. " />
Le 09/12/2019 à 12h12
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Le genre d’interview qu’on ne verra jamais au 20h à la télé française malheureusement, un politicien qui dit des arguments et pas juste de l’idéologie pour racoler des électeurs, ça manque GRAVE en France " />
Le 09/12/2019 à 12h15
Le 09/12/2019 à 12h33
Cette interview me plait beaucoup.
Le 09/12/2019 à 12h38
C’est un choix… mais on n’a pas représenté les conséquences en termes d’atteintes aux libertés publiques ! Dans le pays qui a inventé la CNIL il y a 41 ans et qui a inspiré le RGPD, il y a un double discours. L’un sur la protection des données personnelles, l’autre qui ouvre les vannes.Ma crainte est qu’une fois qu’on sait que cela marche, on l’étende à d’autres finalités. On peut tout imaginer, mais il faut se poser les questions au bon moment. Je ne fais que rappeler la position traditionnelle des gens qui défendent les libertés publiques.
C’est marrant comme malheureusement on peux appliquer cette citation à plein de lois mises en œuvres depuis sarkozy , sur tout un tas de domaines :-/
Ca fait longtemps que cette méthode “de la grenouille ébouillantée” est utilisée.
Le 09/12/2019 à 12h43
Le 09/12/2019 à 13h15
Le 09/12/2019 à 13h20
Le 09/12/2019 à 13h26
Le 09/12/2019 à 17h17
Sauf que généralement ce genre de bolide est au nom d’une société (pas forcément de droit français d’ailleurs), ce qui complique nettement l’identification des personnes concernées (Cf. le jet de Lewis Hamilton propriété d’une société de l’îles de Man).
Ceci dit chapeau au sénateur, vivement qu’il prenne la parole dans la presse grand publique… Quoi ? Je rêve ?
Le 09/12/2019 à 17h19
Ca, ça reste à voir…
Le 09/12/2019 à 20h52
D’où l’utilité d’auditions unidirectionnelles sur log, sans témoin, ni procès verbal pour les contribuables Français…
Le raisonnement est exactement le même qu’avec les cartes grises en fait, seule différence : comment garantir l’authenticité des données lorsque il n’y a pas de date de naissance sur le profil, ni de localisation, ni de photo… ?!
Car l’algo n’est pas rendu public a priori… il faudra donc motiver le redressement fiscal… et là la recevabilité du dossier risque de coincer à terme vu que les “preuves” devront être authentifiées et attribuées à la bonne personne déjà présente dans la base état sous peine de nullité du constat du contrôleur. On parle également de justice administrative et d’infractions mineures en comparaison des infractions pénales…
Donc il est assez évident que la performance de vérité de leurs outils repose uniquement sur la capacité en interne à croiser des données accessibles au public avec des données déjà existantes de l’état… donc en termes de gains potentiel, seuls les contribuables dûment authentifiés au moins deux fois et suffisamment crédules pour ne pas voir la supercherie morale que représente cette énième usine à gaz seront concernés : les fameux honnêtes gens.
Enfin bien loin des phantasmes de surveillance alors que le principal sujet reste le croisement de fichiers le travail déjà effectué va une fois de plus être grevé d’une charge financière que seul un ciblage vers les honnêtes gens pas assez honnêtes, comprendre ceux qu’on achète pas pourra rentabiliser.
Et comme le contexte de rivalité économique a tendance à faire que personne ne se parle, j’ose espérer une levée de bouclier de la part des responsables de ce projet… mais j’espère. " />
Le 10/12/2019 à 05h19
Enfin un politique qui “touche” le vrai problème des atteintes aux libertés et puis Bercy je n’ai pas confiance ; Un état dans l’État, trop dangereux..