Le futur délit de « mise en danger de la vie d’autrui » par diffusion de données personnelles
Cas-Lex
Le 18 novembre 2020 à 11h39
6 min
Droit
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Le projet de loi sur le séparatisme est mort. Vive le projet « confortant les principes républicains ». Présenté en Conseil des ministres le 9 décembre prochain, le texte contient des mesures relatives aux nouvelles technologies, avec des dispositions centrées sur la lutte contre la haine en ligne.
Annoncé après l’attentat contre Samuel Paty, le projet de loi va permettre à la majorité de relancer une salve d’articles pour lutter contre les propos illicites en ligne.
Cédric O avait déjà annoncé des obligations de moyens imposées sur les épaules des plateformes. Ce corpus n’apparaît pas dans le texte du projet de loi révélé par Dalloz.
Ces mesures avaient déjà été imaginées à l’occasion de la loi Avia. Les intermédiaires comme Facebook ou Twitter auraient ainsi été tenus, sous l’œil du CSA, à révéler les moyens dévolus à cette lutte contre la haine en ligne.
Ces articles n’avaient toutefois pas survécu à la censure massive du texte par le Conseil constitutionnel, puisqu’ils étaient raccrochés à la disposition phare de la proposition de loi Avia tendant à obliger les plateformes à retirer les contenus « manifestement » haineux dans les 24 heures. Mesure jugée contraire à la liberté d’expression et de communication.
Dans le projet de loi « CPR » deux articles concernent spécifiquement la haine en ligne. Le 25 crée le délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion d’informations personnelles. L’article 26 veut combattre les sites miroirs.
La première disposition est inspirée de celle interdisant la diffusion des images de policier, qu’on retrouve dans la proposition de loi sur la Sécurité Globale. La seconde est puisée dans les décombres de la proposition de loi Avia.
Le délit de mise en danger de la vie d’autrui
Cette mesure avait été annoncée par Jean Castex lors d’une session de questions-réponses parlementaires, « C’est parce qu’il a été nommément désigné par les réseaux sociaux que Samuel Paty a été assassiné » avait expliqué le Premier ministre. « La censure du Conseil constitutionnel doit nous amener à reprendre ce sujet sous une autre forme, qui devra créer un délit de mise en danger par la publication de données personnelles ».
Que prévoit ce nouveau délit ?
« Le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelques moyens que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende »
Un second alinéa indique que
« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende »
Le texte est très vaste. Pour que la peine puisse s’abattre sur un internaute, il faudra d’abord révéler, diffuser ou se contenter de transmettre.
Ces actions devront concerner non pas des données à caractère personnelles, mais des « informations » sur la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne. Ces données devront être suffisamment précises pour identifier cet individu, voire simplement le localiser (cet enseignant travaille ici, il sort à telle heure, par exemple).
Il devra être démontré par ailleurs que ces révélations, diffusions, transmissions ont été faites dans un but malveillant : celui d’exposer ladite personne à un risque d’atteinte à la vie, à l'intégrité physique et même à l'intégrité psychique d'une personne. L'article veut également tenir compte des atteintes à ses biens (sa maison, sa voiture).
L’infraction ressemble fort à celle introduite dans la proposition de loi des députés LREM sur la Sécurité Globale en son article 24 :
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »
Exception faite du critère du « risque immédiat », on retrouve peu ou prou les mêmes ingrédients : une diffusion, un but malveillant et l’identification d’une personne. La disposition du projet de loi gouvernemental « confortant les principes républicains » prévoit toutefois une peine plus sévère : 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, contre 1 an et 45 000 euros dans la proposition de loi Sécurité Globale.
Autant dire que les débats actuels à l'Assemblée nationale sont cruciaux pour l'avenir de cette future disposition, surtout si le Conseil constitutionnel venait à juger que la condition de l'atteinte à l'intégrité psychique est trop floue.
La lutte contre les sites miroirs
Cet article 26 est directement inspiré de l’article 8 de la proposition de loi Avia. On retrouve la même logique : une décision judiciaire de blocage d’un site internet vise un site. Son contenu réapparait ensuite, par exemple via le dépôt d’un nouveau nom de domaine.
Dans un tel cadre, une autorité administrative (le CSA, l’OCLCTIC, ou autre, le texte ne le précise pas), saisie au besoin par toute personne intéressée, pourra demander aux fournisseurs d’accès d’étendre ce blocage à ce nouveau domaine.
De même, les parties à la procédure judiciaire pourront réclamer pareilles restrictions directement dans les mains des FAI.
L’autorité administrative pourra aussi demander aux moteurs de déréférencer ces nouveaux sites reprenant des contenus déjà condamnés par le premier jugement.
Que se passera-t-il si le FAI ou le moteur ne répond pas à cette demande ? Un tribunal pourra être saisi d’urgence pour ordonner cette fois ce blocage.
D’autres mesures attendues
Jean Castex avait prévenu en séance : « le gouvernement étudiera toutes les propositions d’où qu’elles viennent dans cet hémicycle. Dès lors qu’elles seront constitutionnelles, efficaces et applicables ».
En somme, c’est un appel du pied pour un nouveau texte sécuritaire. On devrait donc tout naturellement voir réapparaitre l’ensemble des amendements rejetés à l’occasion des débats actuels sur la Sécurité Globale.
Le futur délit de « mise en danger de la vie d’autrui » par diffusion de données personnelles
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Le délit de mise en danger de la vie d’autrui
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La lutte contre les sites miroirs
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D’autres mesures attendues
Commentaires (27)
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Abonnez-vousLe 18/11/2020 à 12h55
Donc si je donne l’adresse d’un certains Emmanuel M. vivant au 55 Rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris et dépositaire de l’autorité publique que je n’aime pas c’est 5 ans de tôle et 75 000€ d’amende?
Le 18/11/2020 à 13h44
C’est cela.
Bon par contre tu peux encore rouler à 150 en ville, sans permis, bourré et sous coke, là ça va, y’a pas mise en danger de la vie d’autrui.
Le 18/11/2020 à 13h25
“le gouvernement étudiera toutes les propositions d’où qu’elles viennent dans cet hémicycle.”
Je sais pas si le fait qu’il le précise est une bonne chose ou non tiens…
Le 18/11/2020 à 13h31
Oui, c’est vrai que c’est assez révélateur…
Le 18/11/2020 à 13h47
“Ciotti, t’as pas idées encore plus extrême pour nous aider ? “
Le 18/11/2020 à 14h01
C’est le piège habituel de ceux qui cherchent à caresser l’électorat d’extrême droite sur la rhétorique du plus sécuritaire. Tu seras toujours en train de courir derrière une nouvelle proposition plus extrême de la part de celle ci.
Le 18/11/2020 à 13h35
J’ai un doute sur le « but malveillant » dans le projet de loi.
Si on lit les articles de presse sur l’assassinat de M. Samuel Paty, les enfants qui ont donné des informations au terroriste avaient essentiellement agi par appât du gain
Le 18/11/2020 à 17h28
C’est là tout le problème que je vois avec cet article qui est encore une fois trop flou. L’idée de base est là (empêcher de diffuser des informations pouvant mettre en danger une personne physique) vu que visiblement ce genre de délit n’existait pas. Mais en parlant du but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique cela fait que la loi va devenir difficilement applicable.
Comment démontrer que la personne aurait agi dans ce but ? Un message neutre sur un machin social avec juste le nom et l’adresse d’une personne physique peut potentiellement la mettre en danger par recoupage d’information.
Imaginons : Un utilisateur vivant dans le Nord poste ceci : “Jean Michel Rue machin Marseille”. Jean Michel est un policier et se prend une bastos dans la tête en sortant de chez lui 2 jours plus tard. Comment prouver qu’un type du Nord a agit dans le but de nuire à l’intégrité physique de Jean Michel qui vit à Marseille ?
Pour moi, poster les informations privées en public d’une personne physique sans son accord devrait être purement et simplement interdite. J’aurais imaginé que ça l’était déjà en fait…
Le 18/11/2020 à 14h20
Et ça marche dans les deux sens !
Le 18/11/2020 à 14h31
Avec cette loi, on n’aurait jamais su qui était Benalla, et il n’y aurait jamais eu d’affaire Cédric Chouviat non plus.
Tu es sûr de ne pas voir de but malveillant là dedans?
Le 18/11/2020 à 15h09
Je me suis peut-être mal exprimé. Dans le texte du projet de loi « révéler, diffuser ou transmettre[…] dans le but de l’exposer[…] à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens » s’appliquerait uniquement s’il y a un but malveillant de la part de la personne qui publie les informations.
Et donc dans l’exemple de Conflans-Sainte-Honorine, les collégiens récupèrent 300 ou 350 € (les trente deniers de Judas) en révélant où est leur professeur, mais n’ont pas à priori l’intention de lui nuire. Juste de récupérer les sous.
Évidemment que les buts de ce gouvernement sont malveillants et liberticides.
Le 18/11/2020 à 17h03
Cela ne vise-t-il pas plutôt le père de l’élève qui aurait diffusé sur un réseau social notamment le nom de Samuel Paty et le collège dans lequel il exerce ?
Le 18/11/2020 à 18h00
Ça rentre dans le cadre du projet de loi ? Le terroriste n’a pas réussi à identifier Samuel Paty seul, il a eu besoin de la collaboration des collégiens.
Sinon on ferme Linkedin, ça va être aussi simple.
Le 18/11/2020 à 14h55
Je n’ai pas saisi la référence pour les site miroirs, est-ce spécifiquement lié aux infractions de ce texte, ou est-ce que derrière un texte “confortant les principes républicains”, le gouvernement fait un cadeau aux ayants droits ?
Le 18/11/2020 à 16h59
non, non on avait tous compris de quoi tu parlais (et en rien en relation avec Benalla ou autre) … sauf Patch qui vient juste balancer des agressions gratuites contre des commentaires, sans les lire ou en comprendre le fond
Le 18/11/2020 à 17h18
Ah oui pardon
Le but caché à ce niveau c’est de pouvoir faire dire et n’importe quoi dans les intentions pour censurer et attaquer dès que ca commence à les faire chier, faut pas chercher plus loin.
Le 18/11/2020 à 17h52
Je m’inscris en porte-à-faux sur ce point.
L’atteinte à la vie privée est déjà sanctionnée sur Internet (pour les faits qui relèvent de « Paris Match » pour simplifier)
La complicité pour assassinat ou acte terroriste (pour des faits plus graves) existe déjà. Abdelkader Merah, frère de Mohammed Merah, a été condamné pour ce fait.
Je pense la même chose que toi.
Dans le cas de Conflans-sainte-Honorine, le terroriste ne savait à priori rien du lieu de résidence de Samuel Paty, de ses habitudes, du véhicule qu’il utilisait, etc.
Il s’est juste pointé devant le collège avec une liasse de billets, un couteau et le nom du prof. Les élèves n’ont pas eu besoin d’internet dans l’affaire.
Prénom, nom, profession sont des informations qu’on trouve sur beaucoup beaucoup de gens (Linkedin, facebook) en trois coups de moteur de recherche.
Le 18/11/2020 à 19h59
Je n’ai point saisi la perche : un snapsex LREM c’est sed-lex ou dura-cas ?
Le 18/11/2020 à 21h01
En supplément Twitter
Le 19/11/2020 à 08h09
Je pense surtout que Patch a détourné ce que tu disais pour en faire une petite pique ironique/second degré.
Ah non, c’est super les textes flous : tu fais croire que tu fais qqch, mais comme c’est flou ça finit inapplicable et donc ça ne change rien
Le 19/11/2020 à 08h37
Non j’avais réellement mal compris ses propos
Le 19/11/2020 à 08h43
Merci, j’en étais sûr qu’il y avait déjà quelque chose à ce sujet !
Bah au mieux c’est censuré par le conseil constitutionnel et same player shoot again (et Manu va pas être content, car il a donné comme ligne directrice de ne pas se faire censurer justement…), au pire ça passe et ça fera l’objet d’une QPC à la première affaire jugée, GOTO LINE 1.
C’est dommage de voir que “inefficacité” reste le maître mot de la législature. Et ce, peu importe le parti en majorité.
Le 19/11/2020 à 11h26
Stratégie habituelle du IVè Reich européiste : utiliser la peur du terrorisme et des extrémistes religieux pour imposer une énième loi débile, afin d’enlever toute possibilité de défense en manifestation, où des flics violent ouvertement les lois, bien couverts par leur hiérarchie de fascistes en puissance. Quant aux bons flics intègres de type Langlois, on les évince et on les sanctionne pour ne pas qu’ils parlent, comme tous les opposants politiques (qui a entendu parler de la dégradation du véhicule d’Asselineau dans les rues de Paris il y a quelques mois ?).
J’ai lu l’autre fois qu’un préfet avait le pouvoir de faire interner qui il veut, sans prévenir la famille, et sans aucune justification. Vous disparaissez comme dans 1984 ou en Chine - nous y sommes.
Bravo encore à tous ceux et celles qui ont voté “utile” et aux abstentionnistes qui ont fait le jeu du pouvoir.
Le 19/11/2020 à 12h17
Ça commençait plus ou moins bien jusqu’à ce que l’exemple d’Asselineau débarque de nulle part…
…merde si c’était vrai ils devraient commencer par refuser leurs propres propositions… Au placard Avia.
Le 19/11/2020 à 12h11
Ah, les abstentionnistes font le jeu du pouvoir maintenant ?
Jusqu’ici nous faisions le jeu du front national, paraît-il, donc est-ce qu’on est en train de monter en grade ?
Est-ce que, par hasard, ce ne seraient pas les gens qui participent à ce semblant de démocratie (“votez une fois tous les 5 ans et ne l’ouvrez plus après”) qui feraient le jeu de pouvoir ?
Je n’ai pas la réponse, mais tu pourrais commencer par balayer devant ta porte avant de mordre ton prochain.
Le 19/11/2020 à 12h47
Je vois à la photo de l’en tete que Marc Rees a ete nommé au gouvernement. Félicitation!
Le 19/11/2020 à 16h17
Vu qu’il faut démontrer l’intention de nuire je sens que ce texte sera difficilement applicable dans les faits.