Suprématie quantique : « on est à un point de bifurcation »
La suprématie dans un état quantique
Le 22 janvier 2021 à 15h05
8 min
Sciences et espace
Sciences
Avons-nous déjà atteint la suprématie quantique ? Sous « une certaine forme », la réponse est très certainement oui, mais cette suprématie ne serait « clairement » pas utile pour le moment. Pour autant, les chercheurs du CNRS et du CEA s’accordent pour dire que nous sommes à un point de « bifurcation ».
Hier, Emmanuel Macron annonçait le Plan Quantique pour la France, avec 1,8 milliard d’euros à la clé, dont 1 milliard de l’État et d’organismes affiliés. Pour rappel, nous avons déjà détaillé l’ambition de cette annonce et la répartition de la somme dans les diverses branches.
Ce midi, le CEA et le CNRS organisaient une conférence sur ce sujet, avec pléiades de chercheurs et intervenants sur les différents domaines de la physique quantique et de son application – à plus ou moins long terme – dans l’informatique.
Alors, suprématie quantique oui ou non ?
Nous aurons l’occasion d’y revenir en détail, mais cette conférence était aussi pour nous l’occasion d’interroger les spécialistes de l’informatique quantique sur un sujet qui avait fait couler beaucoup d’encre fin 2019 : la suprématie quantique revendiquée par Google. Pour rappel, il s’agit de franchir une barrière hautement symbolique en prouvant « expérimentalement l’avantage du quantique sur le classique pour un algorithme donné ».
Après les déclarations de Google, IBM s’était rapidement inscrit en faux : « l'expérience de Google est une excellente démonstration des progrès de l’informatique quantique […] mais ne doit pas être considérée comme une preuve de la suprématie quantique ». Idem chez des scientifiques, dont le mathématicien Gil Kalai qui parlait de « progrès ahurissants », mais ajoutait que la déclaration de revendiquer la suprématie était « probablement fausse ».
Qu’en pensent les chercheurs du CEA et du CNRS ? Pour plusieurs d’entre eux, l’important n’est pas tellement de savoir si on a atteint ou non la suprématie quantique, mais de savoir qu’on se trouve à la croisée des chemins.
Dans une certaine forme oui, mais est-ce utile ? « Non »
Nicolas Sangouard, chercheur à l’Institut de physique théorique (CEA-Paris-Saclay), était le premier à répondre à notre question :
« Je pense qu’on peut dire raisonnablement qu’une certaine forme de suprématie a été établie par Google et on s’en réjouit tous. Si la question est : "est-ce que cette forme de suprématie est utile ?", la réponse est clairement non. Mais on est très impatient justement d'avoir une réalisation expérimentale qui démontre une supériorité classique sur les problèmes intéressants, concrets, pratiques, qui soient intéressants tant sur le plan de la recherche que sur le plan technologique et des applications ».
Suprématie ou pas, « on est à un point de bifurcation »
Pour Philippe Chomaz, directeur scientifique à la direction de la recherche fondamentale du CEA, « on est à un point de bifurcation », et c’est l’aspect important qu’il faut retenir de l’annonce de Google. Maintenant, savoir « si on a passé le point de bifurcation ou pas exactement, ce n’est pas là qu’est le débat », ajoute-t-il.
Pour le directeur scientifique, il faut voir le problème sous un autre angle que « oui » ou « non ». Revenant sur « ceux qui disent que Google peut-être n'a pas encore atteint cette suprématie – et qui chipotent ce point –, il affirme que si ce n’est pas aujourd'hui c'est dans un an ou deux ». Dans tous les cas, « la bifurcation vers les technologies quantiques est en marche », et c’est ce qu’il faut en retenir.
« Google arrive à remettre en question aujourd'hui l'état de l'art »
Durant la conférence, Maud Vinet, responsable du programme matériel quantique au CEA-Leti (CEA-Grenoble), avait très envie d’apporter une précision sur l’annonce de Google, en se plaçant du point de vue de la microélectronique :
« La communauté de la microélectronique, ce sont des (dizaines) de milliers de chercheurs, l'industrie de la microélectronique, ce sont des (dizaines) de milliards de dollars […] On peut discuter, on peut argumenter au niveau des chercheurs, du détail de la suprématie et de ce qui a été démontré, n'empêche qu'avec 53 qubits et une équipe d'une trentaine de chercheurs, Google arrive à remettre en question aujourd'hui l'état de l'art des meilleurs calculateurs de la microélectronique ».
Elle rejoint Philippe Chomaz : « on pourra toujours se battre sur les chiffres ». Mais Maud Vinet rappelle elle aussi que ce n’est pas le point important : « Cette avancée, qui est scientifique et technologique, est vraiment un révélateur – un départ pour le calcul quantique – et montre combien avec finalement assez peu de moyens, ça commence à remettre [en cause] les certitudes du monde de la microélectronique ».
Précisons que Google n’a pas forcément « peu de moyens » à consacrer à la recherche, mais il faut remettre cela en perspective dans un marché de dizaines de milliards de dollars, et sur lequel de nombreuses sociétés travaillent donc pour essayer de prendre un bout du gâteau.
« Je pense que c'est vraiment une [réussite] technologique et scientifique – allez on va dire même technologique parce que la science finalement on connaissait ce qu'il y avait derrière –, qui donne le départ des technologies quantiques ». L’annonce de la suprématie (à tort ou à raison) sonne un peu comme le départ d’une course de longue haleine. Il est donc inutile de se précipiter, il faut tenir dans la durée et surtout arriver au bout.
Quoi qu’il en soit, les annonces sont « pour l'instant des sortes de cas d'école », résume Philippe Chomaz. C'est d’ailleurs pour cela que la publication a été faite « dans les papiers académiques ». Par contre, « même si ce sont des acteurs privés, ils font des choses qui sont de l'ordre de la recherche fondamentale ».
Il faut maintenant attendre l’informatique quantique « utile »
Pour le directeur scientifique du CEA, il faut maintenant attendre la prochaine « bifurcation », c’est-à-dire « quand on pourra faire un calcul utile, c'est-à-dire battre un calculateur classique sur quelque chose d'utile ». Nul doute que des équipes planchent dessus un peu partout dans le monde.
Lors de la prochaine annonce du genre, il faudra comme toujours être attentif aux détails afin de vérifier que les équipes marketing et les communicants n’ont pas eu la main un peu lourde sur les superlatifs et la portée des avancées techniques… comme cela arrive malheureusement trop souvent dans les sciences.
Enfin, Philippe Chomaz veut remettre en perspective l’informatique quantique actuelle, avec deux exemples : l’évolution de l’intelligence artificielle et de la puissance de calcul des ordinateurs :
« Rappelons-nous les premiers ordinateurs battant sur des jeux assez simples les humains. Où est-ce qu'on en est aujourd'hui ? [Avec le quantique] on est en train de suivre ce chemin, il faut même imaginer qu'on est comme il y a 50 ans en électronique, où il y avait les premiers processeurs qui ne servaient pas à grand-chose. Les meilleurs calculateurs humains faisaient mieux qu’eux. Aujourd'hui c'est complètement has-been. Donc je pense qu'il faut garder cette idée de point de bifurcation ».
Comme nous l’avons expliqué dans une précédente actualité, les ordinateurs et l’intelligence artificielle ont été tenus en échec par les humains pendant des années, avant de prendre progressivement l’avantage sur tous les terrains ou presque : jeu de dames, puis les échecs avec Deeper Blue d’IBM, le jeu de Go avec AlphaGo (DeepMind), etc.
La bataille dérive désormais sur des jeux où la vision du terrain est partielle, comme Starcraft II, où l’IA de Google joue à l’aide d’une caméra et serait meilleure que 99,8 % des joueurs, c’était en tout cas les chiffres annoncés il y a déjà plus d’un an.
Bref, la technologie et la recherche évoluent à vitesse grand V. Nous sommes en quelque sorte dans « l’âge d’or » de l’informatique quantique et les prochaines années seront, à n’en point douter, passionnantes sur ce sujet… suprématie atteinte ou non. C’est d’ailleurs pour rester dans la course que la France a lancé son Plan Quantique, mais aussi pour garder ses talents dans l’Hexagone et loin des géants du Net.
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Il faut maintenant attendre l’informatique quantique « utile »
Commentaires (23)
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Abonnez-vousLe 22/01/2021 à 16h29
clairement l’IA dépasse l’Homme dans plein de domaine, chacune dans un domaine particulier. Il n’y en a pas encore qui cumule les capacités de plusieurs IA dans plusieurs domaine et heureusement.
Les IA derrière les réseaux sociaux sont particulièrement efficace à rendre les gens dépendant au réseau pour passer plus de temps devant l’écran et voir plus de pub pour faire plus d’argent. Je vous recommande d’ailleurs de voir le film/docu “derrière nos écrans de fumée” sur Netflix sur le sujet qui est vraiment bien fait.
Le 22/01/2021 à 19h59
“Dans une certaine forme oui, mais est-ce utile ? « Non » “
Vous l’avez ?
Le 23/01/2021 à 00h38
nouin ?
Le 22/01/2021 à 22h02
Ce qu’y a de bien avec les bifurcations quantiques, c’est qu’on peut aller à droite et à gauche EN MEME TEMPS.
Macron ne pouvait qu’apprécier
Le 22/01/2021 à 22h19
plus qu’un ordinateur quantique complet, ce serait la maîtrise totale de l’intrication quantique que j’espère: une portée illimitée sans lag (on peux rêver)
Le 23/01/2021 à 10h43
oui et non, Schrödinger, drôle, boîte
Le 23/01/2021 à 15h26
“‘cré vin diou ! Avec tout ça, il vont nous dérégler la bombe atomique !”
[complot_apocalyptique_grand_remplacement_reptilien]
En fait c’t’histoire, ça équivaut à jouer à “ni oui, ni non” en permanence, s’pas vrai ?
Ce qui veut dire que… non j’veux pas le croire… que les prochains Zemmour seront des êtres quantiques, diffusés en masse directement dans nos cerveaux par des canaux de tv quantiques ? Aaaaarrrggghhhh !!!
[/complot_apocalyptique_grand_remplacement_reptilien]
Le 23/01/2021 à 16h56
C’est pas très laïc quand même les cantiques !
Le 23/01/2021 à 20h07
Le Cantique des Quantiques ! Au final ça pourrait être le chant d’amour de deux particules appariées dans un accélérateur de 13 TeV qui arrivent à climaxer à distance grâce au paradoxe EPR…
…‘fin un truc comme ça… >==>>
Le 23/01/2021 à 20h23
Tu peux aussi utiliser plusieurs IA et détecter le cas d’application pour choisir laquelle utiliser (la détection peut être simple, ou nécessiter aussi de l’IA pour y arriver )
Le 23/01/2021 à 22h32
C’est le paradoxe du chat de Schroedinger: la suprématie quantique à été atteinte, et en même temps, pas encore 😂
Le 23/01/2021 à 22h52
Le 24/01/2021 à 11h49
En ce qui me concerne : non!
Ces algos son cons comme les pieds. Ils ne sont pas capables de divertir. C’est à dire: Une fois que tu as vu 10 vidéos de chat tu as envie de changer. L’algo lui va continuer à te servir des vidéos de chat à n’en plus finir. Et c’est la ou la statistique montre toute sa fumisterie.
Je veux bien que cela fonctionne sur des gens cons mais là ca voudrait dire qu’ils sont très, très nombreux. Et que l’on soit peu fineaux ne change pas que l’on peut s’ennuyer devant des vidéo de chat au bout de dit fois.
Avec un AdBlock+ par dessus et l’internet des réseau sociaux ne ressemble plus qu’à un désert de sel.
Le 24/01/2021 à 17h21
Merci pour les commentaires en ce dimanche tristounet.
Le 24/01/2021 à 17h25
Beaucoup de hype dans tout cela. Déjà il faudrait plusieurs millions de qubits maintenus longtemps dans un état de superposition d’états, stable, avec lequel on peut transmettre et recevoir des informations, pour arriver à cette suprématie quantique. Or, le moindre perturbation le fait tomber. On en est à quelques dizaines au mieux, et qui ne durent pas très longtemps, sans le mécanisme de correction d’erreur indispensable si un qubit n’est plus disponible.
C’est surtout un gros défi technologique, et on ne sait même pas si on pourra y parvenir. Ceux qui le vendent pour deux ou trois ans le font surtout pour récolter les subventions ou investissements publics ou privés.
Le 24/01/2021 à 18h35
Alors que toi qui es largement au-dessus d’eux…
Le 25/01/2021 à 01h44
HAHA !!!
Tu es tombé dans son piège !
J’ai en effet le regret de t’annoncer que TexMex est en fait… Un algorithme ! Il s’exécute en ce moment-même sur les ordis quantiques d’IBM (qui eux aussi ont fait une pub pas possible là-dessus, pour dire qu’ils sont ‘ach’ment plus meilleurs que les autres, nah !).
T.E.X.M.E.X. est un algorithme tellement intelligent qu’il est capable de simuler le niveau d’intelligence d’un commentateur moyen de type “François le Français” (mais moyen)… Incrayab’, nan ?
Il essaie de faire passer en loucedé l’idée que les algorithmes ne sont pas du tout intelligents, afin que justement les gens comme toi ne se méfient pas, dans le but ultime…
…De mettre en oeuvre son plan ultra-sournois (mais subtil) (mais ‘achement chiadé néanmoins) (et carrément diabolique, niark niark niaaark !) de domination totale et définitive… DU MONDE !!!
Hem…
Du moins, nous n’avons pas d’autre explication. Désolé.
.
=>> =>> ==>>>
Le 25/01/2021 à 08h40
ça c’est de la réparti :).
Le 25/01/2021 à 08h38
Oui tu peux toujours rêver !
Même d’un point de vue purement théorique, et en laissant la faisabilité technologique de côté, l’intrication quantique ne permet pas de transmettre de l’information plus vite que la lumière (en fait je crois que ça ne peut pas transmettre d’information du tout).
“La pub ça marche pas sur moi”
Un naïf, quasiment tous les jours
Le 25/01/2021 à 08h59
Avec mes faibles connaissances, donc je peux me tromper …
Quel est le rapport entre “suprématie quantique” et intelligence artificielle ? L’intelligence artificielle actuelle n’est-elle pas justement totalement basée sur de l’informatique classique ? Même les IA les plus avancées comme GPT-3 ou DALL-E sont basées sur de l’électronique classique.
Aussi, j’ai cru lire que le jour où on serait vraiment capable d’exploiter la puissance de l’informatique quantique, les technologies de chiffrement actuelles seraient probablement cassées et qu’il faudrait quelles évoluent bien avant. Donc rien que par rapport à ça, est-ce vraiment sérieux de parler de “suprématie” ?
Le 25/01/2021 à 09h05
J’ai souri, merci.
Le 25/01/2021 à 10h34
Le 25/01/2021 à 17h22
Une IA pour les rassembler toutes et dans le dark web les lier.