Régulièrement accusé de viol et autres agressions sexuelles par un pseudonyme sur Instagram, propriété de Méta (Facebook), le photographe Fabrice Meuwissen réclame du géant américain les données associées à ce compte. Une demande qui se transforme aujourd’hui en combat devant les juridictions civiles.
« Nous avons entamé un travail avec des plateformes comme Facebook qui a choisi la France pour lancer un fonds doté d’1 million d’euros en faveur du civisme et contre la haine, et qui a accepté la présence en son sein de régulateurs et juristes français pour améliorer certaines pratiques ».
En 2017, au dîner du CRIF, ce coup de chapeau du chef de l’État à l’attention de l'entreprise devenue Meta contrastait avec son coup de poing à l’attention d’un autre réseau social, « Twitter, pour citer les mauvais exemples, qui attend des semaines, quand ça ne l’est des mois, pour donner les identifiants qui permettent d’aller lancer les procédures judiciaires contre ceux qui ont appelé à la haine, au meurtre ».
En 2019, le même Facebook s’engageait « à fournir les adresses IP que lui demandera la justice », dixit un proche de Cédric O. Au même moment, dans l’agenda de l’Élysée, se multipliaient les photos et échanges entre le locataire du Palais et Mark Zuckerberg.
Des signalements restés sans réponse
Seulement, entre le discours politique et la réalité judiciaire, le « gap » est parfois important, comme ne cesse de le répéter Frances Haugen, au fil de sa tournée mondiale.
Avec son assignation adressée le 20 septembre 2021, le photographe Fabrice Meuwissen s’est engagé dans un bras de fer avec Facebook France et Facebook Ireland en référé. Il espère obtenir des données lui permettant de remonter à la source de dénonciations qu’il juge pour le moins calomnieuses.
Voilà plus d’un an qu’il se plaint d’être la cible d’attaques publiques ou privées. « Travailler avec lui c’est cautionner le viol sur les shoots. Honte à vous », « Tu sais que tu travailles avec un harceleur et un violeur ? », etc. Voilà quelques-uns des messages qu’un compte pseudonymisé sur Instagram distille à ses propres clients et connaissances professionnelles. Des messages privés où il est dépeint comme agresseur sexuel, voire un violeur. Autant de faits pour lesquels Fabrice Meuwissen n’a jamais été condamné ni même poursuivi.
Les signalements adressés à Facebook et Instagram sont restés pour l’heure sans réponse. Son avocat, Me Olivier Iteanu, sait évidemment que ces intermédiaires ont l’obligation de conserver les données permettant l’identification des utilisateurs. Et il compte bien en obtenir copie.
Données de contenants, données de contenus
Nom, prénom, adresse postale, adresse de messagerie électronique, numéros de téléphone, adresses IP de connexion lors de la création du compte et pour toutes les connexions… Dans l’assignation, il réclame communication de l’ensemble des données dites de connexion, plaidant le « motif légitime » de l’article 145 du Code de procédure civile, un risque de dépérissement des preuves et la compétence des juridictions françaises et l’absence de contestation sérieuse.
Pour connaître l’étendue des personnes contactées, il souhaite même la copie de tous les messages adressés depuis août 2020 à tous les utilisateurs d’Instagram par le compte mis à l’index. Ces messages seraient d’abord mis sous scellés, puis triés par huissier en présence du photographe et des représentants de Facebook. Seuls ceux concernant Meuwissen lui seraient transmis.
Une audience de référé était organisée mardi 16 novembre devant le tribunal judiciaire de Paris. Le grand jour attendu par le photographe ? Pas vraiment. Le magistrat, déjà bien occupé par une quarantaine de dossiers à ausculter au même moment a préféré renvoyer au 1er décembre.
Facebook refuse de transmettre les informations réclamées
Il faut dire que dans cette procédure contradictoire, le bon élève Facebook/Instagram n’est pas vraiment enclin à fournir les informations demandées, pas même les IP du compte Instagram qui pourrit la vie du photographe.
Celui-ci a déjà déroulé une longue liste de « contestations sérieuses », que Me Itéanu espérait absentes des échanges. Le réseau social considère par exemple que les données de connexion sollicitées ne sont plus communicables dans le cadre d’une telle procédure civile.
Cette impossibilité serait consécutive à l’entrée en vigueur de la récente loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement. Corrigeant le régime de la conservation comme la communication de ces métadonnées, cette législation est la queue de comète d’une série de jurisprudences européennes et au Conseil d’État.
Pour Facebook, la conservation et surtout la communication de ces précieuses données de connexion seraient réservées aux seules fins de lutte contre la criminalité ou la délinquance grave outre la prévention des menaces graves contre la sécurité publique. Bref, au haut du panier du droit pénal ou du Renseignement…mais sûrement pas aux basses procédures civiles.
La transmission des messages ? Aucune base légale ne l’autoriserait, oppose encore Facebook, outre que l’obligation de conservation des données ne concerne que les données de contenants, jamais celles de contenus.
Une telle communication viendrait tour à tour heurter le sacro-saint RGPD, le secret des correspondances, le respect de la vie privée du titulaire de compte mais également des tiers en contact avec lui. Bref, une myriade de piliers protégés par les textes fondateurs.
La plateforme félicitée par l’Élysée considère au surplus que la loi française de 2004 sur la confiance dans l’économie numérique ne lui est tout simplement pas applicable.
Ce n’est pas tout. La plainte pour harcèlement « en meute » déposée auprès du procureur de la République de Toulouse empêcherait de poursuivre la procédure de référé devant le juge civil. Et sur sa lancée, Facebook conteste tout autant l’existence d’une quelconque « urgence » dans cette procédure.
Ce n’est qu’à titre « très subsidiaire » que la société basée en Irlande serait prête à communiquer quelques données, pour autant qu’elles soient limitées aux seuls nom et adresse email, numéro de téléphone du compte et aux date, heure et adresses IP correspondant au moment de la création du compte et des connexions récentes.
À titre principal, le géant du web demande avant tout la mise hors de cause de Facebook France. Il estime que le tribunal judiciaire devrait se déclarer incompétent pour renvoyer le photographe devant les juridictions irlandaises…. à 1 744 Km de Toulouse.
Commentaires (29)
#1
Quel méli mélo, quelles contradictions entre les lois du CJUE, RGPD et celles auxquelles FB est assujetti. Depuis 2004, pas une nation européenne n’a réussi à mettre en place un réseau similaire. Et pourtant cela aurait été plus efficace que d’attendre une entente juridique internationale. Des confrontations bloquées dans une boucle temporelle, juste un air de déjà vu..
44 millions d’utilisateurs en France pour ce réseau “Balance ta vie privée, pas de chance si t’es piraté ou harcelé”. Grand temps d’éduquer les utilisateurs.
#2
C’est quand même fou qu’un type puisse te pourrir la vie pendant des mois, voir des années sans qu’il soit possible d’y faire quoi que se soit.
#2.1
Internet offre à possibilité de nuire, sous couvert d’anonymat.
A l’inverse, même sur NXi, quand on proposerait une loi interdisant l’utilisation de pseudonymes, on s’offusquerait de l’atteinte aux libertés individuelles.
Ce qui est promulgué, dans un sens, peut être utilisé à dessein dans un autre.
Dans tous les cas, ce qui est clair ici, c’est que des moyens de défense réels (main courante, porte plainte pour dénonciation calomnieuse) n’ont pas leur équivalent dans le numérique.
La tâche de modérer un réseau social est quasi impossible (on voit déjà la dérive des commentateurs sur des sites grands publics).
Autant, dans la vie réelle, les institutions font office d’autorités sociétaux (enfin, sont censés).
Alors que dans le numérique, il n’y en a pas. S’ils font de la modération (quand c’est possible), on les accusera de dérives dictatorials, ou de censure, ou d’être partial.
#3
Je n’aimerais pas être à la place du corbeau, parce quand il sera identifié, ça risque de lui faire mal.
#3.1
Même pas sûr …
Histoire assez sombre mais qui ne me surprend gère.
#4
C’est pour ça qu’il le fait, parce qu’il sait qu’il ne risque rien.
#5
Je ne suis pas juriste mais en passant par une procédure pénale, les coordonnées seraient obtenues certainement plus facilement pour qu’ensuite il puisse se porter partie civile. Non ?
Et puis je ne vois en quoi Méta serait fondé à décider ou non du bienfondé de la demande.
Il y a un truc qui m’échappe.
#6
La CJUE c’est pas une loi, c’est la Cour de Justice de l’UE : https://curia.europa.eu/jcms/jcms/j_6/fr/ et le RGPD c’est un règlement
#6.1
Oui merci j’étais informée. Pour la contraction “du” au lieu “de la” pour la CJUE c’est juste mon coté Jane Birkin (c’est a ça que l’on me reconnait, mes fautes).
En bref, depuis toutes ces années, il aurait été plus avantageux économiquement, politiquement, que l’UE développe une plateforme telle que FB plutôt que de penser que nos systèmes juridiques pourraient contraindre ce géant.
#7
La calomnie, les effets de foule, le harcèlement , la stigmatisation ont toujours existé. On en entend plus parler à cause de l’amplification et de l’universalité d’internet c’est tout.
Là c’est particulier car c’est une activité professionnelle qui est touchée .
C’est une des raisons pour lesquelles je ne vais plus sur twitter (144 caractères à mon sens ont beaucoup joué dans la chute de qualité des écrits et des arguments de part et d’autre), mais bon nombre d’autres réseau sociaux sont basés sur la même logique de maximiser la diffusion de contenus polémiques dans l’unique objectif d’augmenter le temps de cerveau monopolisé et donc les revenus publicitaires , sans aucun intérêt pour les contenus partagés.
Je préfère les forums pour ça, où l’on a le temps d’argumenter (si l’on veux) , de corriger l’écriture (voire l’orthographe quand on est pas une tanche en la matière comme moi) , et d’échanger si on le veux. On peux même ignorer complètement les messages des gens que l’on trouve malsain. Mais je suis conscient que sans modération , l’intérêt s’amenuiserait .
Je suis pas sur qu’il serait possible, ni utile , de “contrôler”, “interdire”, au niveau législatif ces plateforme - elles seraient vite remplacée. C’est l’éducation et la vision que chacun a d’autrui qu’il faut changer et ça malheureusement c’est plus long & plus cher qu’une loi.
#7.1
Tout pareil.
#8
(sauf à passer par un VPN no-log, lors de la création et l’utilisation du compte).
Et les corbeaux n’ont pas attendu Internet pour nuire, en tout anonymat…
#8.1
Je croyais qu’ils demandaient un numéro de téléphone pour valider les nouveaux comptes sur ces plateformes sous couvert de protection contre le piratage de compte ?
#9
Et même un scan de la pièce d’identité…
#10
Je ne comprends pas. Une plainte pour diffamation en référé, et zou, c’est plié, il les aura les coordonnées des malandrins.
#10.1
Sauf que dans une bonne partie des cas, les réseaux sociaux ne répondent même pas aux policiers.
Donc les policiers clôturent avec un “les démarches entreprises n’ont pas permis d’identifier les auteurs” -> classement.
On a l’impression que ça avance avec des dossiers médiatique comme Mila, mais c’est juste le sommet de l’iceberg
Regarde ici, t’as facebook qui ose répondre “on donne les IP que pour le terro et le crime organisé”
#10.2
Ça c’est ce qu’ils vont raconter en fanfaronnant dans les médias. Mais il faudrait voir comment ça se passe quand ils reçoivent pour de vrai la requête du juge.
#10.3
Ben la réalité c’est ça Twitter poursuivi en France pour son manque de coopération dans des affaires de haine en ligne
Et on a droit a un article de presse car c’est gens médiatisé, les milliers d’autres c’est un classement sans suite sans article de presse
#10.4
Ok, dans ce cas il ne faut pas porter plainte pour harcèlement ou diffamation, mais pour infraction au droit d’auteur. Là, la réponse sera immédiate.
#11
Est-ce vraiment le rôle d’un état de créer un fesse bouc, Google ou autre adopte un député ?
#11.1
Le rôle c’est un bien grand mot, mais en faire une priorité oui.
#12
Y’a pas de fonction bloquer quelqu’un de ses publications comme sur twitter ?
S’il veut l’identité, il paye quelqu’un pour contacter le membre en question en se faisant passé pour une fille qui aurait été abusé par le photographe. 9 chances sur 10 qu’ils arrivent à aller suffisamment loin pour l’identifier
#13
Ce qui me fait vraiment marrer, c’est comment ces “obstructions” sautent très facilement quand on insulte un président par exemple.
#14
Démonstration ?
#15
Dans un sens, c’est rassurant que Facebook ne balance pas nos données de connexion au premier venu…
#15.1
Oui vu comme ça. Mais facebook veut aussi décider quel tribunal est compétent, ce qu’il a le droit de communiquer ou pas, quelle loi lui est applicable
#16
Vouloir et pouvoir sont deux choses différentes. Il devrait changer d’avocat car il n’est pas de bons conseils. Au lieu d’essayer de passer sur un malentendu ou de faire le forcing médiatiquement il a les moyens légaux d’obtenir ce qu’il veut
#16.1
Apparemment non, il n’a pas les moyens légaux d’obtenir simplement ce qu’il souhaite sinon il serait passé directement par là.
#17
Ca fait une dizaine d’années que je bosse dans le milieu de la photo (pro) et on ne devrait pas balayer d’un revers de main les accusations.
Je ne connais pas cet homme et il est fort probable qu’il soit effectivement victime d’une dénonciation calomnieuse mais quand un photographe, en particulier de mode, est accusé d’agression sexuelle je reste attentif même s’il n’a jamais été condamné ni même poursuivi
A savoir que quand un modèle dénonce publiquement ce genre de comportement (à moins de s’appeler Emilie Ratajkowski), sa carrière est finie.