Allostreaming : des grains de sable dans le logiciel TMG ALPA
Egalité des larmes
Le 12 octobre 2012 à 09h13
7 min
Droit
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Hier au tribunal de grande instance de Paris se tenait une nouvelle audience de procédure de l’affaire Allostreaming. Le dossier oppose côté défendeurs, les FAI français et quatre moteurs de recherches (Yahoo, Google, Microsoft et Orange). Côté demandeurs, les ayants droit du cinéma et de l’audiovisuel (SEVN, FDNF, APC).
La procédure vise quatre sites de la galaxie Allo, une plateforme où l’on pouvait voir quantité de films en streaming (notre dossier). À l’été 2011, les ayants droit ont donc adressé des notifications aux FAI et moteurs en activant un article de la loi Hadopi aux potentialités immenses. L’article 336 - 2 du code de la propriété intellectuelle leur permet de réclamer du juge toute mesure propre à prévenir ou faire cesser l’atteinte à un de leurs droits. Dans les débats parlementaires, le rapporteur Franck Riester avait d’ailleurs concédé que cette disposition 2 pouvait abriter une demande de filtrage.
Le logiciel de maintenance ALPA-TMG
Ici les ayants droit réclament blocage et déréférencement. L’affaire aurait pu se limiter à ces mesures, mais l’industrie de l’audiovisuel veut pousser le bouchon bien plus loin afin d’éradiquer la réapparition des sites. Un logiciel de « maintenance » a été développé par l’ALPA avec TMG. Il doit détecter les miroirs d’un site déjà bloqué. En principe, ces réapparitions doivent faire l’objet d’une nouvelle procédure, longue, coûteuse et publique. L’idée est donc d’automatiser cela, en reléguant le juge parmi les gus sur une voie de garage : le logiciel ALPA/TMG sait en effet enjoindre les FAI de supprimer l’accès (par DNS ou IP) à ces miroirs, et les moteurs d’en déréférencer l’existence.
Pour adapter le temps de la justice à celui d’internet, les ayants droit veulent que le logiciel soit reconnu par le tribunal afin d’éviter cette case préalable. Le juge interviendrait seulement lors du premier round (la reconnaissance du caractère illicite d’un site). En cas de miroirs, le logiciel prend le relai pour notifier FAI et moteurs.
Des grains de sable
Il y a quelques embuches dans cette décision. Le 336 - 2 évoque clairement l’intervention du juge, tout comme le Conseil constitutionnel qui, lorsqu’il a interprété cet article, a réclamé une procédure contradictoire et des mesures proportionnelles. Les avocats des moteurs et des FAI ont aussi en tête l’affaire Copwatch. Alors ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, réclamait le blocage du site actuel et de ses miroirs futurs. Le vice-président du TGI de Paris Jacques Gondran de Robert avait rejeté la demande de la place Beauvau. D’un le ministère de l'Intérieur « ne saurait agir en justice sans justifier d'un intérêt à agir né et actuel ». De deux, « il n'appartient pas à l'autorité judiciaire, gardienne constitutionnelle des libertés individuelles – de déléguer des prérogatives de son pouvoir juridictionnel sans qu'un texte législatif ne l'y autorise expressément ».
Les ayants droit ont déjà tenté de relativiser ce parallèle : la procédure Copwatch repose sur la LCEN, non le code de la propriété intellectuelle. Autre chose, le ministère de l’Intérieur n’avait donné aucune recette pour le blocage des sites futurs, alors que l’industrie de l’audiovisuel a peaufiné un merveilleux outil avec l’ALPA et TMG.
Secret Story
Cette procédure d’urgence, en la forme des référés, d’heure à heure, dure depuis près d’un an maintenant. Les ayants droit ont refusé de dévoiler publiquement le fonctionnement de ce logiciel. Ils ont même réclamé des échanges restreints en prenant pour alibi la publication dans PC INpact de pièces du dossier. En mars 2012, ils affirmaient : « Nous avons des raisons d’être extrêmement prudents puisque l’acte introductif d’instance a été intégralement publié sur internet sans aucune autorisation » (l'acte). « Nous sommes en présence d’acteurs du numérique dont la particularité est d’être particulièrement réfractaire à l’état de droit ». « C’est une affaire atypique qui exige des précautions ! Des communautés de hackers sont à l’affut, dans l’attente de pouvoir faire la démonstration de leur talent aux fins de rendre obsolètes les mesures prises, y compris l’outil logiciel de maintenance dont nous vous proposons l’utilisation le moment venu. »
Question préjudicielle
Hier présent au TGI de Paris, nous avons appris que Yahoo! avait réclamé une question préjudicielle. En substance, la société estime qu’un moteur est sans lien avec le contenu qu’il indexe. Il ne peut donc mettre fin ou prévenir les atteintes aux droits au sens strict. Plus précisément, Yahoo sait que l’article 336 - 2 français est nettement plus large que son texte fondateur, l’article 8 - 3 de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins. Quand le 336 - 2 dit que l’ayant droit peut réclamer tout de « toute personne », dans le texte européen, ces mêmes réclamations ne peuvent se faire que chez les « intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». L’ « intermédiaire » technique européen est donc devenu tout le monde en France.
Discussions informelles et confidentielles
Dans le même temps, les différentes parties se sont accordées pour organiser des échanges informels et confidentiels. Les ayants droit avaient tout d’abord milité pour une conciliation. Une solution à l’amiable, celle de la tape dans le dos que les défenseurs ont refusé catégoriquement : « nous sommes dans une affaire qui porte sur des règles d’ordre public, des libertés fondamentales ! » a rappelé SFR. « Le procès-verbal de conciliation est une forme de contrat judiciaire » rajoutera l’avocat d’Orange, « on ne peut contracter sur des droits fondamentaux (…) On ne peut pas se concilier sur des droits dont nous n’avons pas la libre disposition ». Impossible d’organiser du blocage sur simple accord. Il faut un juge, d’autant que chaque scénario de blocage est susceptible d’effets collatéraux (sites bloqués par erreur, etc.) et donc de responsabilités lourdes. La juge Magali Bouvier arrondira les angles poussant les différents acteurs à discuter non sur ce qui doit être décidé, mais sur ce qui peut être proposé. Nuance.
Autre hypothèse évoquée : celle de la médiation. Elle sera rejetée par une partie de la défense. Orange toujours : « un tiers n’a pas à nous expliquer quoi faire, c’est à vous, Mme la présidente, de le faire ». Microsoft acceptera l’idée, mais uniquement en périphérie du processus, sûrement pas sur la liste des sites à bloquer.
Finalement, à force de refus et de concessions en creux, les parties se dirigent doucement vers des discussions informelles et confidentielles. Un juge devrait être désigné dans deux mois pour orchestrer ces échanges.
Le juge, la colonne vertébrale
Une victoire pour les ayants droit ? Pas si vite. FAI et les moteurs ont déjà esquissé leurs vœux : les coûts doivent être intégralement supportés par les ayants droit. Autre chose, les mesures doivent être limitées dans le temps. Les FAI veulent également être libres des modalités techniques. Surtout, tous s’accordent à considérer l’étape du juge comme inévitable pour bloquer un site ou son miroir. « Le juge, rien que le juge » commentera-t-on. « L’article 336 - 2 met le juge au centre » souligne Orange qui explique du coup pourquoi la société n’a pas déréférencé AlloStreaming de son moteur. L'attitude d'Orange tranche avec celle de Google Inc. qui, depuis Mountain View, avait déréférencé mondialement AlloStreaming en transformant sans nuance la demande française en une demande DMCA.
À ce jour, le dossier de la défense dépasse les 1000 pages. La procédure reprendra dans deux mois. En sortie d’audience la présidente aura ce petit mot, sous les toussotements de Montesquieu : « vous avez intérêt à montrer au monde entier, montrer au ministère que vous savez être efficaces ! »
Allostreaming : des grains de sable dans le logiciel TMG ALPA
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Le logiciel de maintenance ALPA-TMG
Commentaires (21)
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Abonnez-vousLe 12/10/2012 à 09h33
Le problème est toujours le même…
le fond… se faire de l’argent avec du contenu qui ne nous appartient pas, quoi qu’on pense des ayants-droit, ça reste une activité qu’il faut bannir, car ce n’est pas ça qui va faire changer les choses (la preuve… ça ne fait qu’empirer).
la forme… là… ben " />
Le 12/10/2012 à 09h36
« C’est une affaire atypique qui exige des précautions ! Des communautés de hackers sont à l’affut, dans l’attente de pouvoir faire la démonstration de leur talent aux fins de rendre obsolètes les mesures prises, y compris l’outil logiciel de maintenance dont nous vous proposons l’utilisation le moment venu. »
Et c’est peu dire que l’ensemble du lectorat de PCI est une bande de hackers sans foi ni loi " />
D’ailleurs c’est tout juste si on ne peut pas les traiter de terroristes pedopornographes sectaires et incontrolables ne vivant que dans l’attente de pourfendre les courageuses mesures prises par l’ALPA…
D’ailleurs l’ensemble des membres de PCI font l’objet d’écoutes téléphoniques et autres filatures afin de prouver l’étendue de leur nuisance pour la société…
Le 12/10/2012 à 09h46
« vous avez intérêt à montrer au monde entier, montrer au ministère que vous savez être efficaces ! »
Il y a que moi que cette phrase inquiète ???? Moi je la comprends comme “je dois obéir au ministre.
Sinon comme PCi a été pris à parti par les requérants, Marc ne pourrai pas participer au procès comme témoin ? " /> histoire de montrer que " />
Le 12/10/2012 à 09h54
Le 12/10/2012 à 10h02
Le 12/10/2012 à 10h02
Le 12/10/2012 à 10h04
Le 12/10/2012 à 10h12
Le 12/10/2012 à 10h21
Le 12/10/2012 à 10h36
Le 12/10/2012 à 10h40
Le 12/10/2012 à 11h01
Les moteurs de recherche ne pourraient-ils pas fermer leurs bureaux en France pour ne plus être inquiétés par des lois bidons ? Ils n’auraient ainsi plus qu’à répondre aux lois du pays où ils sont implantés. (Je ne dis pas que c’est bien mais je m’interroge)
Le 12/10/2012 à 11h04
ah non rien
Le 12/10/2012 à 11h25
Nous sommes en présence d’acteurs du numérique dont la particularité est d’être particulièrement réfractaire à l’état de droit
C’est peut-être que les droits qu’ils se sont octroyés ou vu octroyer n’en sont pas ?
C’est peut-être aussi que les lois qui protègent ces droits ne sont que des artifices pour organiser la mainmise indirecte des gouvernants sur les productions intellectuelles (du style donnant/donnant) ?
The reason why the myth of the rule of law has survived for 100 years (in the USA) despite the knowledge of its falsity is that it is too valuable a tool to relinquish. The myth of impersonal government is simply the most effective means of social control available to the state.
Le 12/10/2012 à 11h35
Bon les gars désolé je quitte ce site, j’ai pas envie d’être fiché comme terroriste car si en plus la loi sur la consultation des sites terroristes passe on est tous cuits … " />
Le 12/10/2012 à 12h09
Le 12/10/2012 à 12h09
Le 12/10/2012 à 13h06
Nous sommes en présence d’acteurs du numérique dont la particularité est d’être particulièrement réfractaire à l’état de droit ». « C’est une affaire atypique qui exige des précautions ! Des communautés de hackers sont à l’affut, dans l’attente de pouvoir faire la démonstration de leur talent aux fins de rendre obsolètes les mesures prises, y compris l’outil logiciel de maintenance dont nous vous proposons l’utilisation le moment venu.
Il y a même des membres de PCI qui développent ou soutiennent des logiciels libres " />
Le 12/10/2012 à 14h00
Le 12/10/2012 à 14h07
Le 12/10/2012 à 21h47