La Commission sur les libertés numériques torpille le blocage administratif
Après le CNNum et le SM
Le 22 juillet 2014 à 10h30
5 min
Droit
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La Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique a rendu son avis sur l’article 9 du projet de loi anti-terroriste du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. En rejetant fermement cette mesure, qui veut injecter en France un blocage administratif des sites faisant l'apologie du terrorisme, elle rejoint les positions du Conseil national du numérique ou du Syndicat de la Magistrature.
Christian Paul, coprésident de la Commission
Dans son avis (PDF) qu'elle nous a adressé, la Commission spéciale sur les libertés numériques, fraîchement installée à l’Assemblée nationale, a accueilli avec une grande tiédeur l’idée d’injecter dans notre droit un cas de blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme.
Morceaux choisis :
- « La Commission s’interroge sur le caractère adéquat, nécessaire et proportionné de la proposition de blocage administratif, sans contrôle préalable de l’autorité judiciaire, dans le domaine très spécifique de la lutte contre le terrorisme. »
- « Les notions de provocation à des actes de terrorisme et d’apologie de ces actes sont particulièrement délicates à qualifier et (...) cette qualification ne saurait relever que du juge en raison des risques importants d’atteinte à la liberté d’expression et de communication ».
- « La frontière entre la provocation au terrorisme et la contestation de l’ordre social établi peut en effet être particulièrement difficile à tracer car, comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’arrêt Association Ekin c/ France du 17 juillet 2001, la liberté d’expression protège « non seulement les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ». »
Selon elle, le recours préalable à une décision de justice est le seul rempart pour combler ces lacunes : « De manière générale, la Commission souhaite rappeler que le préalable d’une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à respecter l’ensemble des intérêts en présence, lorsqu’est envisagé le blocage de l’accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques. Non seulement ce préalable constitue une garantie forte de la liberté d’expression et de communication, mais il vise aussi à préserver la neutralité des réseaux. »
En réponse au gouvernement qui estime que le blocage administratif évitera l’encombrement des tribunaux, elle répond que seuls 122 cas avérés de provocation ou d’apologie du terrorisme ont été signalés à Pharos l’an passé. « Le risque d’engorgement des tribunaux mis en avant par le Gouvernement à l’appui du blocage administratif ne [nous] apparaît pas établi » tacle-t-elle.
Les solutions préconisées
Que faire alors ? Elle estime que la solution pourrait être d’organiser « un traitement prioritaire par le parquet des plaintes portant sur des contenus de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme. Cette proposition devrait prendre la forme d’une circulaire du garde des Sceaux ». Et contre les sites miroirs, la solution serait « de mettre en place une procédure judiciaire accélérée pour les simples réplications de contenus déjà condamnés ».
Autre piste : s’inspirer du dispositif contre les jeux d’argent illicites où l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), présente à dates régulières des sites à bloquer. Cette solution permettrait à la France de rester cohérente par rapport aux principes qu’elle défend à l’étranger en matière de droits de l’homme, et notamment le principe que « toute législation visant à restreindre le droit à la liberté d’opinion ou d'expression doit être appliquée par une entité indépendante de toute influence politique, commerciale ou autre d'une manière qui ne soit ni arbitraire ni discriminatoire et avec assez de garde-fous pour la mettre à l’abri de l'abus ; elle doit prévoir des voies de recours et de réparation contre son application abusive ».
Les méfaits du blocage
Enfin, elle rappelle que toute mesure de blocage peut entraîner des cas de surblocage, visant des contenus légaux. « Ce risque est important dans le cas présent puisque 90 % des contenus de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme semblent se situer sur des réseaux sociaux ou des plateformes de partage de vidéos comme Youtube ou Dailymotion. Compte tenu de ce risque, il est à craindre que les mesures de blocage ne concernent en pratique que 10 % des contenus en cause ». Le blocage n’est pas seulement dangereux, il est inefficace : « il existe des techniques permettant de contourner chaque type de blocage de manière relativement simple : l’utilisation de sites « miroir », c’est-à-dire d’une réplication du site sur une autre adresse IP, une autre url et un autre nom de domaine, l’utilisation d’un proxy, c’est-à-dire d’un site servant d’intermédiaire de connexion entre l’utilisateur et le site auquel il souhaite se connecter, le chiffrement ou le recours à un réseau privé virtuel. »
Enfin, il faut privilégier le retrait à la source, chez l’hébergeur et donc ne réserver l’utilisation du blocage qu’ « à titre subsidiaire et sur décision judiciaire ». Elle recommande en outre une évaluation dans la loi « de l’efficacité du dispositif, afin de vérifier que les effets du blocage sont en adéquation avec l’objectif de la restriction et d’éviter tout blocage excessif des contenus. »
Cet avis ne porte que sur un des articles du projet de loi sur le terrorisme. La Commission, pressée par le temps, promet cependant de formuler des recommandations sur les autres dispositions du texte ultérieurement. Un examen important en effet, tant le tour de vis sécuritaire de ce texte prend de l'ampleur à l'Assemblée nationale.
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Les solutions préconisées
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Les méfaits du blocage
Commentaires (19)
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Abonnez-vousLe 22/07/2014 à 10h37
Pragmatisme et sagesse.. chapeau !
Le 22/07/2014 à 10h41
La démocratie française c’est quand même beau.
On critique un projet lorsqu’on est dans l’opposition, puis on essaie de le faire passer quand on est au pouvoir, et surtout, surtout, on n’écoute pas les rapports d’experts et des commissions qu’on a créées pour examiner de façon pointue les textes et leurs conséquences possibles.
La politique politicienne dans toute sa splendeur.
Le 22/07/2014 à 10h44
trop pragmatique …
ça finira enterré sous une pile de dossiers puisqu’a priori ils (tous les politiques) ils veulent ‘réguler’ …
Le 22/07/2014 à 11h17
Et bien, pour une fois qu’une commission donne un avis que je partage, chapeau bas !
Reste à voir ce que va faire le gouvernement de ce rapport. Vont-ils l’ignorer comme tout le reste et n’en faire qu’à leur tête ?
Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour fermer les sites de Dieudonné ! " />
Le 22/07/2014 à 11h22
J’aime l’argument du risque de blocage des tribunaux.
Au lieu de donner plus de moyens aux tribunaux pour faire leur travail, l’exécutif veut des pouvoirs anticonstitutionnels…
Tout va bien
Le 22/07/2014 à 11h49
J’ai cru que c’était Coluche " />
Le 22/07/2014 à 11h53
Le 22/07/2014 à 12h28
Le 22/07/2014 à 12h29
Le 22/07/2014 à 12h31
Le 22/07/2014 à 12h46
Le 22/07/2014 à 12h54
Le 22/07/2014 à 13h16
La frontière entre la provocation au terrorisme et la contestation de l’ordre social établi peut en effet être particulièrement difficile à tracer
Il y a surtout que le mot “terroriste” a toujours été galvaudé (quand les schpountz nous occupaient, ils appelaient ainsi nos résistants!) et que cela ne s’arrange pas avec les années. Surtout depuis 2001.
Sans bonne (re?)défintion de ce mot, il n’a rien a faire dans un texte de loi ou le flou n’a pas sa place. " />
Le 22/07/2014 à 13h50
Le 22/07/2014 à 14h04
Le 22/07/2014 à 14h15
Le 22/07/2014 à 18h05
Le 23/07/2014 à 06h39
Ils ont déjà fait la même chose pour le permis de conduire, suppression par décision administrative, pourtant c’est clair, l’administration n’est pas un tribunal indépendant
Déclaration universelle des droits de l’homme
Article 8
Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi.
Article 10
Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Article 19
Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.
Le 23/07/2014 à 08h03